Féminicide de Pascal Engman
Editeur : Nouveau Monde
Traductrice : Catherine Renaud
Nadège (elle se reconnaitra) a bien fait d’attirer mon attention sur ce roman et cet auteur. Et Pascal Engman fait son entrée en France avec ce roman, auréolé d’une réputation de leader de la nouvelle génération suédoise. Autant le dire tout de suite, ce roman mérite tous les compliments qu’on lui fait.
De retour à Stockholm, Vanessa Franck rend visite à son ancien mari. Svante l’invite à entrer pour prendre un gin tonic. Elle lui apprend qu’elle vient d’intégrer la police criminelle. Elle ne peut s’empêcher de devenir amer, de parler de Johanna Ek, l’actrice pour laquelle il a quitté Vanessa et avec laquelle il a eu un enfant.
Jeune journaliste, Jasmina Kovac Kvälllspressen, un grand quotidien du soir et sait qu’elle doit faire ses preuves. Elle informe son collègue Max Lewenhaupt qu’elle a une idée d’article sur un parlementaire social-démocrate qui a pris des vacances avec se femme à Paris aux frais de son parti. Quand le directeur de l’information Bengt « La Brioche » Svensson lui annonce qu’il leur manque un artticle de 3 colonnes, elle se lance. Elle se rend dans un bar et travaille d’arrache-pied quand un dénommé Thomas lui offre un verre. Soudain, la tête lui tourne et il l’emmène. Dans le flou, elle se voit arriver dans une maison, où trois hommes vont abuser d’elle.
Emelie Rydén doit rendre visite à Karim, son mari qui est enfermé en prison. Elle a rencontré Ilian, mais il doit se rendre à Malmö pour son travail. Elle profite que sa fille soit chez ses parents pour apporter à Karim un dessin de sa fille et lui annoncer son intention de divorcer. Cela se passe mal, il s’énerve et la menace de la tuer. Le lendemain, on découvre le cadavre d’Emelie chez elle.
Je ne qualifierai pas ce roman de thriller mais je dois dire que le terme « Page Turner » lui va à merveille. Et pourtant on pourrait penser que le grand nombre de personnages présentés dans ce roman peut déconcerter. Il n’en est rien tant tout tient sur le talent de la construction et sur un style d’une fluidité et d’une évidence rares.
Commençant avec deux personnages, Vanessa et Jasmina, l’auteur va petit à petit étoffer son panel par des personnages secondaires (qui ne le sont pas). Chacun ayant un chapitre à part entière, Pascal Engman prend le temps de décrire leurs attitudes pour mieux positionner leur psychologie. Et cela se révèle d’autant plus fort qu’ils n’ont aucun lien les uns avec les autres, ce qui nous passionne tout en nous questionnant comment l’auteur va s’en sortir.
Plus le livre avance, plus je trouve impressionnant cette façon de mener une histoire, en élargissant le spectre avant de resserrer tout le monde sur le sujet principal de ce roman, les Incels (involontary celibates). Avec ses chapitres ne dépassant jamais les quatre pages (d’un roman grand format, tout de même), la lecture est rapide et surtout, quand on reprend le livre, on s’y retrouve immédiatement.
Le roman s’articule autour de ce mouvement de jeunes hommes qui connaissent des difficultés auprès de la gent féminine et qui en viennent à détester les femmes. Outre ce phénomène de société exacerbé par les réseaux sociaux, le roman montre le clivage entre hommes et femmes, en prenant des exemples parmi les personnages présentés qui pourraient faire penser à des connaissances que l’on rencontre tous les jours. Les extraits en tête de parties sont pris sur Internet et font froid dans le dos !
Entre les hommes violents riches bénéficiant d’une certaine immunité, entre le voyeur harceleur, entre le célèbre présentateur télévisé qui joue sur sa renommée, ou l’homme violent « lambda », on bénéficie d’une belle palette de salauds que l’auteur croque avec parfois un gros trait. Mais il s’en sort en nous présentant leur pendant féminin et, plutôt que d’accuser les uns ou les autres, nous présente une situation sociologique grave et problématique qui se base sur l’absence de contacts humains, le refus de l’autre en tant qu’être différent.
Si Pascal Engman avait pris parti pour les femmes, ou pour les hommes, ce roman aurait pu être un nanar à oublier de suite. Grâce à sa construction plurielle, à sa volonté de présenter la situation en nous posant des questions, il écrit un roman qui va au-delà du simple et bête divertissement. Depuis quelque temps, on voit apparaitre des thrillers qui ont des choses à dire et c’est tant mieux ! Celui-ci est à ne pas rater et est très prometteur pour la suite !