Editeur : Nouveau Monde – Sang Froid
Traductrice : Magali Girault
J’avais bien aimé Le poisson mouillé, la première enquête de Gereon Rath, j’ai été emporté par sa deuxième. La progression entre les deux romans est gigantesque et je n’ai pu lâcher cette enquête (740 pages en quatre jours !). Génial !
Berlin, 1930. L’industrie cinématographique connait une grande révolution avec le cinéma parlant. Cela occasionne une refonte des méthodes de travail tant au niveau de la lumière que du son. Le marché est en grande partie monopolisé par l’UFA mais de petites maisons de production tentent de survivre en enchainant les films, pour sortir beaucoup de titres et occuper les affiches des cinémas.
Josef Dressler est en train de tourner les dernières scènes de Orage Amoureux avec la grande Betty Winter. Dans cette scène elle doit gifler Victor Meisner avant qu’un coup de tonnerre fictif ne se déclenche. Mais le tonnerre ne se déclenche pas et à la place, un projecteur se détache et s’écrase sur Betty. Victor se jette sur un seau d’eau pour la sauver. Betty meurt brûlée et électrocutée. C’est la catastrophe pour La Belle Production et son propriétaire Heinrich Bellmann.
Gereon Rath interroge rapidement les personnes présentes sur le plateau ainsi que le chef éclairagiste. Ils montent sur l’échafaudage et se rendent vite compte qu’il s’agit d’un sabotage et donc d’un meurtre. Gereon obtient le nom de l’assistant qui a mis en place l’installation : Peter Glaser. Devant la guerre que se livrent les studios, Gereon rend visite à Manfred Oppenberg, propriétaire juif des studios Montana. En fait, Glaser se nommerait en réalité Félix Krempin. Ippenberg lui annonce que son actrice fétiche Vivian Franck vient de disparaitre.
En parallèle, son père lui rend visite et le convie à un repas avec le maire. Celui-ci subit un chantage et aimerait que Rath identifie les fauteurs de trouble. Le maire possède des actions de Glanzstoff, entreprise américaine dont le cours ne cesse de dévisser. Pour éviter la faillite, le maire a dû emprunter de l’argent aux banques ; la contrepartie est qu’il doit faciliter le déménagement de l’usine de Ford de Berlin à Cologne.
Si la première enquête nous présentait le personnage de Gereon Rath, ce deuxième tome utilise pleinement la complexité de ce personnage dans une affaire passionnante et foisonnante. On comprend mieux pourquoi Gereon Rath est mal vu par sa hiérarchie, dont son chef Wilhelm Böhm : il est solitaire, travaille dans son coin et ne rend aucun compte à ses chefs, poussé par sa volonté de faire progresser sa carrière.
Heureusement, son père est toujours présent pour lui donner des coups de main, bien qu’il lui reproche sa lenteur. Seul le directeur de la police Ernst Gennat le soutient, et joue le rôle de guide et un rôle paternel. On se rend compte dans ces moments que des évolutions sont en cours, que les arrangements entre amis font beaucoup pour les promotions, et que l’on ne demande aux policiers que d’obéir aveuglément aux ordres. Et on sait ce que cela va donner par la suite.
Le contexte historique est juste utilisé ici comme décor mais on peut noter tout de même quelques aspects intéressants. On retrouve le conflit entre les communistes et l’extrême droite. Goebbels n’est pas encore nommé chef de la propagande mais à la tête du journal et utilise tous les faits divers pour désigner les nazis comme des victimes des brigands communistes. Et on sent bien l’influence grandissante de cette propagande. L’antisémitisme commence à monter auprès de la population.
Economiquement, la crise de 1929 n’a pas encore touché l’Allemagne. Les usines embauchent encore et Ford envisage de construire de nouvelles usines. On perçoit l’importance de la Bourse, de la force financière des banques dans un pays qui est plus inquiet de la présence des communistes que du chômage.
Dans son roman, Volker Kutscher nous plonge dans le monde du cinéma et la révolution du cinéma parlant. L’UFA étant largement majoritaire, nous assistons à la lutte des petits studios de production qui veulent sortir un maximum de films. Il insiste beaucoup sur les changements nécessaires dans la réalisation des films et sur la lutte à mort que les studios se livrent. Cet aspect est très instructif, et on sent bien l’influence que le cinéma va avoir dans les années suivantes pour la propagande nazie.
Malgré sa taille, je me suis laissé emporter par cette intrigue, son rythme, ce personnage et le déroulement des différents aspects. L’auteur a gommé les défauts en insistant par exemple sur les différentes rues ou quartiers de Berlin, pour se concentrer sur les enquêtes et son personnage. Et une fois que l’on a plongé dedans, ce roman est impossible à lâcher. Vivement le prochain !