Le chouchou de l’été 2023

Allez, finies les vacances ! Il va falloir retourner au boulot. Avant que les nouveautés ne débarquent, même si quelques-unes sont déjà sorties, voici un petit récapitulatif des avis publiés cet été qui devrait vous permettre de trouver votre bonheur. Comme les autres années, j’ai classé les titres par ordre alphabétique de leur auteur et trouvé un court descriptif pour qualifier chacun d’eux. A vous de choisir :

Pat et Garrett de Jacques Bablon (Jigal) : Une revisite du mythe d’Abel et Caïn

Bleu guitare de Simon Baril (La Tengo) : Balade nocturne dans un Los Angeles inquiétant

American Airlines de Thierry Brun (Kubik) : Paranoïa dans le monde du poker

Enigma d’Armelle Carbonnel (Fayard) : Un roman tout en ambiance dans un orphelinat abandonné

Retour à Killybegs de Sorj Chalandon (LdP) : Biographie d’un traitre à l’IRA

Mauvaise foi de Maurice Gouiran (M+ éditions) : Clovis Narigou enquête sur une ligue religieuse

Angle mort de Paula Hawkins (Sonatine) : Roman trop court sur un meurtre dans un ménage à trois

Esprit d’hiver de Laura Kasischke (LdP) : Roman hallucinant sur une femme préparant un repas familial pour Noël

La colère selon M de Guillaume Lafond (Intervalles) : Rage et colère d’un ancien légionnaire devenu peintre.

Lancaster de Michel Moatti (HC éditions) : Roman en forme d’enquête et vaste réflexion sur la violence et la morale

L’enfant de février d’Alan Parks (Rivages) : Deuxième épisode des enquêtes d’Harry McCoy où on en apprend plus sur son passé

Le collectionneur de serpents de Jurica Pavicic (Agullo) : Recueil de nouvelles de ce formidable auteur qui nous parle de la guerre en Yougoslavie.

La poésie du marchand d’armes de Frédéric Potier (Editions de l’Aube) : Polar instructif sur les ventes d’armes et les stratégies géopolitiques

Florida de Jon Sealy (Les arènes – Equinox) : Retour dans les années 80 et les exactions de la CIA dans le cadre de leur lutte contre le communisme

Tous les membres de ma famille ont déjà tué quelqu’un de Benjamin Stevenson (Sonatine) : Un whodunit qui sort du lot quand son auteur spolie son intrigue et arrive encore à nous surprendre

Celle qui parle aux morts de A.K. Turner (Alibi) : deuxième enquête d’une stagiaire légiste et un roman bien construit

Six versions tome 2 de Matt Wesolowski (Les Arènes – Equinox) : La tuerie McLeod est aussi prenant et passionnant que le premier

La cité des rêves de Don Winslow (Harper & Collins) : Deuxième épisode de la trilogie des cités ou la revisite des textes anciens (Enée) à travers la mafia dans le cinéma

Pour le titre du chouchou de l’été 2023, j’ai choisi de mettre à l’honneur un titre dont on ne parlera pas forcément beaucoup. La colère selon M de Guillaume Lafond (Intervalles) possède cette magie qui nous fait croire à ce personnage meurtri et sa recherche dans un mentor. Il nous montre aussi la possibilité de positionner l’art comme l’ultime outil de révolte. Enfin, la plume de l’auteur est juste remarquable.

J’espère que ces avis vous auront été utiles dans vos choix de lecture. Je vous souhaite un bon courage pour la reprise et vous donne rendez-vous le mois prochain pour un nouveau titre de chouchou. En attendant, n’oubliez pas le principal, protégez-vous, protégez les autres et lisez !

Pat et Garrett de Jacques Bablon

Editeur : Jigal

Après cinq romans passant en revue les couleurs, Jacques Bablon nous propose un roman sur la gémellité et venant de cet auteur de roman noir, c’est brutal.

Octavia à l’aube de ses quarante ans, s’est jurée d’expliquer à ses jumeaux sa vie, leur vie, et l’identité de leur père. Elle ne se sentait pas de leur écrire, alors elle met en marche un enregistreur audio. N’ayant pas la fibre maternelle, elle a choisi leur prénom presque par hasard, Pat et Garrett. Elle leur annonce le nom de leur père, Todd. Et s’excuse presque de les avoir laissé grandir seuls.

Todd invite Pat et Garrett à l’anniversaire de leur mère. Pat s’arrange pour arriver tard, pour subir le moins possible cette réunion de famille qu’il exècre. Il découvre Francisco, le nouveau mec d’Octavia. Au dessert, chacun sort son cadeau. Pour Todd, ce sera un livre sur l’art ; pour Garrett, une statuette en ivoire représentant un dragon ; Pat est venu sans rien. En allant chercher du café dans la cuisine, Pat trouve dans un tiroir un flingue. Incompréhension …

Trois jours plus tard, Octavia appelle Pat et lui annonce que Francisco s’est fait tuer. Ils se retrouvent au cimetière. Todd a fait le voyage, Pat aussi. Pour la soutenir, ils décident de s’installer dans sa maison. Garrett, après avoir été mannequin s’est reconverti en coach sportif pour de riches bobos. La vie aurait pu continuer chacun de leur coté pour les jumeaux si Octavia et Todd ne s’étaient pas fait tuer chez elle. Ils vont mettre de coté leur haine réciproque pour la venger.

Alternant les chapitres entre Pat et Garrett, entrecoupés parfois d’extraits de la vie d’Octavia, Jacques Bablon construit son histoire à son habitude : des personnages forts, des itinéraires de vie simples, et un style rapide et efficace. En moins de 200 pages, il bâtit l’histoire de ces deux jumeaux et nous offre un polar noir qui impressionne par sa facilité.

En partant de la vie de deux jumeaux, comme ceux de David Cronenberg dans Faux-semblants, il choisit d’en faire des ennemis qui ont décidé de s’ignorer plutôt de s’affronter. Les événements vont les obliger à s’allier pour le meilleur et pour le pire ce qui va leur permettre de découvrir le passé de leur mère.

Et Jacques Bablon, fort intelligemment, pose les questions de l’éducation et de la gémellité, en réécrivant le mythe d’Abel et Caïn. Il nous montre qu’être issus du même noyau ne justifie pas un lien du sang plus fort que la vie et que l’on peut être aussi opposé que l’eau et le feu. Et il conclut son histoire par une scène pleine de suspense où l’on se demande jusqu’à la dernière ligne comment cela va se terminer.

L’enfant de février d’Alan Parks

Editeur : Rivages Noir

Traducteur : Olivier Deparis

Séance de rattrapage de cette série d’Alan Parks proposant un roman par mois pour nous parler du Glasgow de l’année 1973. Le précédent s’appelait Janvier Noir, le deuxième tome donne de l’ampleur à ses personnages.

Février 1973. Alors qu’il est supposé être en congés maladie pour trois semaines, Harry McCoy est rappelé sur une scène de meurtre. Sur le toit d’un immeuble, on a retrouvé le corps de Charlie Jackson, un jeune footballeur qui vient de signer au Celtic de Glasgow. Il a été lacéré avant de recevoir une balle dans la tête. Jackson se trouve être le fiancé de Elaine Scobie, la fille du chef de la mafia du Nord de Glasgow.

Le chef Murray charge McCoy et Wattie de cette affaire et ils vont naturellement rendre visite à Jake Scobie. Ce dernier leur annonce que Connolly son garde du corps était amoureux d’Elaine et qu’il devenait récemment hors de contrôle. Quant à Elaine, si elle se montre affectée, informe McCoy que son père est malade et qu’ils doivent avant tout le protéger de Connolly qui est devenu totalement fou.

Si le premier tome était un très bon polar, celui-ci est des années-lumière au-dessus, car ce qui commence comme une enquête classique avec recherche et course poursuite d’un criminel va se transformer en une gigantesque fresque d’un Glasgow aux prise au froid, à la pluie et au vent. Ce qui est surprenant dans ce roman, c’est que ce qui pourrait s’apparenter à un jeu de pistes à suivre, se transforme avec des ramifications qui vont nous faire plonger dans un monde d’ultra violence.

Petit à petit, Alan Parks va enrichir ses personnages, et leur donner une épaisseur rarement vue, une psychologie complexe et des contradictions inextricables. Nous allons mieux comprendre le passé de McCoy, pourquoi Murray se montre si paternaliste, la relation de McCoy avec Cooper, son ami d’enfance devenu maquereau, et Wattie son jeune adjoint qui s’affirme comme un héraut incorruptible de la justice.

Et puis au centre de ce roman, on trouve un scénario terrible où toutes les branches se rejoignent, menant notre personnage principal devant des choix impossibles à faire, devant des situations inéluctables qui vont le mener au gouffre. Alan Parks orchestre de manière magistrale une descente aux enfers programmée et on finit par se demander comment il va pouvoir tenir le rythme tout au long des douze romans puisqu’il nous promet un roman illustrant un mois de l’année 1973 maudite de Glasgow.

Je tiens à signaler que les scènes finales sont terriblement violentes mais pas gratuites pour autant. Elles arrivent même à nous faire subir une charge émotionnelle intense, nous plongeant dans une horreur et une tristesse intense. Vous l’avez compris, ce roman est un incontournable, ne ratez pas le train 1973 à destination de Glasgow.

Bleu Guitare de Simon Baril

Editeur : La Tengo

Depuis la découverte des romans de Jérémie Guez, je surveille d’un œil acéré les publications des éditions La Tengo. Simon Baril nous propose un voyage musical à Los Angeles.

Guitariste dans un groupe de rock en 1997, il a quitté sa contrée française pour tenter sa chance aux Etats-Unis. Cette idée lui est venue naturellement puisqu’il écrivait ses chansons en Anglais. A l’époque, son groupe et lui ont cru en leur bonne étoile, même si le succès n’était que d’estime avec des concerts dans de petites salles.

Plusieurs années de coma plus tard, il vivote de ses droits d’auteur qui s’amenuisent et se recroqueville chez lui. Evitant les agressions du soleil, il ne sort que la nuit, ce qui lui évite des rencontres dangereuses. Petit à petit, il va avoir des flashs sur ce qui s’est passé cette nuit-là, avant son coma, le Grand Noir.

Il se rappelle qu’après le concert, un homme grand l’a pris par surprise, et assommé avec une bouteille de bière. Puis, il lui a broyé les mains consciencieusement avec les débris de verre. Il se rappelle ses bottes de cow-boy et une image le hante, celle d’une actrice venant assister au concert. Doit-il enquêter pour retrouver son agresseur ou passer à autre chose ?

Histoire d’itinéraire, histoire d’errance, histoire de reconstruction, Simon Baril nous propose un roman subtil et fragile et nous emmène dans une balade de nuit dans un Los Angeles mystérieux et apaisé. Il convie les sons et les ambiances pour décrire le décor et rencontre des personnages hauts en couleurs.

Nous voici donc avec un roman tout en nuances, variant les rythmes comme une chanson de rock progressif, même si le narrateur guitariste se revendique de la vague rock « indé ». Il se remet à écrire, pour graver son présent et ancrer son passé, surtout pour lui. Simple dans son expression, Simon Baril nous offre une belle balade dans un Los Angeles intérieur que l’on prend plaisir à parcourir, tout en atmosphère, la ville trouvant un écho avec l’état psychologique du narrateur

Six Versions : La tuerie MacLeod de Matt Wesolowski

Editeur : Les Arènes – Equinox

Traducteur : Antoine Chainas

Après un premier tome bigrement novateur dans sa forme intitulé Les Orphelins du Mont Scarclaw, j’ai replongé dans ce deuxième tome avec le risque de ne pas bénéficier de l’effet de surprise du premier. Matt Wesolowski a inventé la forme d’un podcast en six épisodes enregistré par Scott King. Le principe est de revenir sur un « cold case » et de discuter avec des témoins ayant été impliqués.

Dans l’affaire qui nous concerne, Arla MacLeod, alors âgée de 21 ans, a massacré à coups de marteau son beau-père, sa jeune sœur et sa mère, un soir de novembre 2014. Le bruit a inquiété les voisins qui ont appelé les policiers. Quand ils arrivent, Arla leur ouvre la porte avec un marteau sanglant à la main et sa chemise de nuit pleine de sang. Lors de son interrogatoire, Arla reconnait les meurtres et lors de son procès, elle sera reconnue non responsable de son état et enfermée dans un asile psychiatrique.

Exceptionnellement, Scott King arrive à parler avec la principale intéressée, lors d’un entretien téléphonique surveillé par les assistants médicaux de la clinique de luxe du Lancashire. Scott King va, en prenant des pincettes, essayer de dénicher des pistes lui permettant de comprendre pourquoi elle a tué sa famille. Elle va aborder sa vie de famille, au collège, sa passion pour un chanteur gothique Skexxixx et sa peur d’enfants imaginaires aux yeux noirs, les Black Eyed Kids.

Les intervenants suivants seront Tessa Spurrey qui était dans sa classe au collège de Stanwel et qu’Arla effrayait par son attitude provocatrice. Puis ce sera le tour de Paulette English, qui faisait partie de la petite bande d’Arla. Paulette mettre Scott King sur des vacances qu’Arla a passé dans les Cornouailles quand elle était adolescente. Les témoins suivants feront partie des jeunes ayant rencontré Arla lors de ces vacances, puis Skexxixx lui-même puis une surprise pour finir.

Cette nouvelle mouture de Six Versions ne va pas chercher à déterminer ce qui s’est passé ou qui est la coupable puisqu’on le sait dès le début. Scott King va plutôt essayer de comprendre ce qui peut pousser une jeune adulte à massacrer sa famille. Et cela va être l’occasion de creuser beaucoup de thèmes, tout en nous donnant l’occasion, comme c’était le cas dans le premier tome, de nous forger nous-même notre opinion.

La forme et le talent de conteur de Matt Wesolowski font à nouveau merveille dans ce nouveau podcast, et nous donne l’impression de suivre cette émission en direct. Il insère pendant ses entretiens des remarques, des questionnements qui rajoutent à l’authenticité de son récit. Petit à petit il dévoile les dessous de l’affaire et arrive malgré tout, à nous surprendre avec ce final de haute volée.

Cette nouvelle affaire va être l’occasion de creuser nombre de thèmes, dont l’éducation des enfants, avec des parents qui montrent une préférence envers l’un de leurs enfants, leur absence et leur négation / oubli de leur responsabilité, mais aussi l’absence de réaction des éducateurs au collège. Il va enfin insister sur le côté néfaste des réseaux sociaux, de l’influence sur les plus jeunes, du harcèlement dont Scott King lui-même sera victime.

Ce thème-là prendra le pas sur un aspect fantastique qui apparaitra comme une fausse piste mais servira de petit caillou blanc pour bien dénoncer les dérives d’Internet, cette usine à fabriquer des moutons qui peut amener jusqu’à une cabale envers des innocents. Et on ne peut que louer l’intelligence dont fait preuve l’auteur qui permet de mettre en garde contre le danger d’une innovation hors contrôle chez les plus jeunes. 

Enigma d’Armelle Carbonel

Editeur : Fayard Noir

Cela faisait un petit moment que je voulais découvrir la plume d’Armelle Carbonel et la sortie de son petit dernier est une bonne occasion de voyager dans le monde angoissant de cette jeune auteure française.

Connue pour ses documentaires sur des bâtiments abandonnés, Barbara Blair arrive dans un orphelinat perché au sommet d’une colline, le Domaine de la Haute-Barde. Warren et David, cadreur et preneur de son l’accompagnent. Dès leur visite du bâtiment en compagnie du propriétaire, ils ressentent une ambiance d’abandon avec des souffles de vent et des bruits étranges.

Magda, une voisine leur raconte que soixante ans auparavant, toutes les horloges du village se sont arrêtées à 21h00 dans une atmosphère de fin du monde sous un orage monstrueux. Tout le monde l’a surnommée L’Heure Fantôme. Cette nuit-là, des dizaines d’enfants ont disparu. Dans les souvenirs des habitants, ces disparitions ont survenu en même temps qu’une épidémie mortelle.

Barbara qui tous les soirs se connecte sur son micro avec sa fille sourde, a du mal à prendre du recul avec sa situation personnelle et son sentiment d’abandonner sa fille. Quand une jeune fille disparait dans le village, l’ambiance mystérieuse devient vite intenable. En interviewant le voisinage, ils rencontrent Arnold, un psycho-criminologue en fauteuil roulant qui va les guider sur ces événements passés ayant un impact sur aujourd’hui.

Enigma est une lecture particulière, qui laisse une impression de visiter un paysage mystérieux où Armelle Carbonel joue le rôle de guide. Ce roman n’est pas un roman d’action, ni un thriller et même pas un roman d’horreur. Tout se joue sur le talent de l’auteure, sa capacité à créer une ambiance dans un lieu clos et angoissant, puis de faire monter gentiment la pression chez le lecteur.

Avec son style très détaillé, Armelle Carbonel met l’accent sur les décors et l’ambiance, pour mieux créer un brouillard, et pas uniquement dans l’intrigue ou les décors. Même l’intrigue qui donne peu de repères temporels nécessite de s’accrocher un peu. On se laisse aisément promener et on prend du plaisir à sentir la tension monter, à frissonner sans effusion d’hémoglobine, juste du bon stress.

Je ne sais pas pourquoi, mais ce roman m’a fait penser au film Conjuring, que j’aime bien, par son ambiance. Tout se joue dans la façon de présenter les choses, d’ajouter un personnage flou qui passe au second plan, de donner un semblant de stress surprenant par une simple phrase. Tout est construit sur la base d’une ambiance angoissante et c’est bien fait.

Comme il est souvent mentionné son précédent roman Sinestra, j’ai l’impression d’avoir raté quelques rappels mais je dois dire que je me suis bien amusé. Et puis, dans la deuxième partie, le rythme s’accélère pour dévoiler un scénario bigrement retors et qui m’a pleinement satisfait. Pour moi, Enigma fut une belle découverte d’une auteure bigrement douée. A suivre donc, en ce qui me concerne.

Mauvaise foi de Maurice Gouiran

Editeur : M+ éditions

Je ne vous ferai pas l’affront de vous présenter Maurice Gouiran, l’auteur de près d’une trentaine de romans. Initialement publié chez Jigal, il nous revient avec une nouvelle enquête de Clovis Narigou et Emma Govgaline sur la Légion du Christ.

Quand Clovis débarque au bistrot, il se dirige directement à la table de Biscottin avec sa tasse de café pour lui raconter son périple à Rome. Un étrange bonhomme suçote sa cannette de coca-cola, affublé d’un maillot de l’équipe nationale de Brésil floqué du nom de Socratès, le capitaine de grande Seleçao. Biscottin lui annonce qu’il a demandé à lui parler alors Clovis va le voir. Socratès dit avoir été conseillé par sa nièce Giovana qui connait bien Clovis. Il préfère ne pas parler en public et lui donne rendez-vous chez lui le lendemain après-midi.

Arnal invite Emma, Jibé et Sami à le rejoindre dans son bureau. Le Commandant Ludovic Mallemare qui lutte contre la traite des êtres humains les attend et leur fait part de la disparition de plusieurs prostituées. Comme cela sort de son domaine d’activités, il leur demande d’enquêter sur ce qui pourrait bien être des meurtres, ce qui sous-entendrait la présence dans les Bouches du Rhône d’un tueur en série. Ceci pourrait se rapprocher de celui que l’on surnomme Le Fantôme.

Quand Clovis débarque chez Socratès, il est surpris de trouver la porte ouverte. A l’intérieur, tous les meubles ont été renversés, fouillés. Le corps git dans la chambre, étranglé, mort. Il s’attarde à regarder les photos accrochées au mur, dont plusieurs où Socratès apparait en soutane et une autre où on a inscrit sur la photo de Jean-Paul II, Bastardos. Clovis appelle la police et se voit bientôt accusé du meurtre sur la seule allégation qu’il a mis trop de temps à appeler la maréchaussée.

On peut faire confiance à Maurice Gouiran pour nous construire une intrigue solide et nous apprendre des faits que nous connaissons mal ou que nous avons oublié. La construction du livre alterne entre Clovis et Emma, comme d’habitude je dirais, et fait avancer les deux enquêtes en parallèle. Par rapport aux précédents romans, on retrouve un Clovis Narigou volontaire, gaillard et battant.

Le fait d’être obligé de retourner à Rome pour son reportage sur l’architecture sous Mussolini va lui permettre de prendre contact avec une confédération nommée La Légion du Christ. Socratès, de son vrai nom Henrique Alberto Gonzaga Freitas de Assis Teixeira do Nascimento, a témoigné dans l’affaire des Pandora Papers. La légion du Christ, protégée par Jean-Paul II, et créée par le père Marcial Maciel Degollado, a fait l’objet d’enquêtes par le cardinal Ratzinger et mis à jour de nombreux cas d’abus sexuels sur des enfants de la part de son fondateur.

Nous avons donc d’un coté, un tueur de prostituées qui fait disparaitre les prostituées, de l’autre un ancien séminariste membre de La Légion du Christ assassiné, et nous voilà parti pour un roman policier costaud avec comme vedettes deux enquêteurs attachants qui se retrouvent quand ils le peuvent … comme leurs enquêtes d’ailleurs … mais je ne vous dis rien car la pirouette finale est formidablement bien trouvée.

La cité des rêves de Don Winslow

Editeur : Harper & Collins

Traducteur : Jean Esch

Deuxième tome de la trilogie des Cités de Don Winslow, après La cité en flammes, nous poursuivons l’itinéraire de Danny Ryan, obligé de quitter Providence et de s’engager dans un exil vers l’Ouest américain. Si vous n’avez pas lu le premier tome, je vous conseille très fortement de le faire ! Mon résumé va d’ailleurs en spolier une partie.

La guerre entre la mafia italienne et la mafia irlandaise s’est conclue avec un lourd tribut pour le clan Murphy dont Dany est devenu par hasard et obligation le chef. Avec son fils Ian, son père vieillissant et ses soldats, il doit fuir loin et prend la route vers l’Ouest. En chemin, il renoue contact avec sa mère et lui confie Ian en attendant qu’il ait trouvé un point de chute acceptable pour un jeune enfant.

Il atterrit donc à San Diego et vit de petits boulots quand deux agents fédéraux lui proposent de dévaliser une planque de trafiquants de drogue mexicains en échange de l’impunité pour lui et ses gars. Si l’affaire se déroule comme prévu, Danny impose à tout le monde de faire profil bas pendant six mois, avant de continuer sa route vers Los Angeles et Hollywood. Peut-être va-t-il pouvoir recommencer sa vie ?

A chaque nouveau roman de Don Winslow, je suis pris de la même frénésie de lecture, celle de ne pouvoir lâcher le roman tant que mes yeux ne se ferment pas pour entamer ma nuit. Il m’aura fallu deux jours pour avaler ce deuxième tome (429 pages) qui reprend les personnages du premier et les envoie dans l’usine à rêves d’Hollywood, une usine à rêves dont on s’aperçoit bien vite que derrière l’écran, cela tient plutôt du cauchemar.

Je reviens sur mon conseil en début de billet. Au commencement du roman, Don Winslow résume La cité en flammes et nous décrit tous les personnages qui sont apparus ou vont apparaitre dans ce deuxième tome. Par conséquent, vous vous devez de lire le premier avant d’entamer celui-ci. Et puis, une fois que vous entrez dans l’histoire, vous ne pourrez plus vous arrêter.

Car lire Don Winslow se compare à planer, voyager dans un autre monde, être emmené par la magie des personnages, l’enchainement des scènes, entendre les dialogues claquer comme des évidences, et ressentir des joies, des fiertés, des tristesses, des sentiments amoureux, croire à des jours meilleurs, des espoirs qui, comme souvent dans la vie, se transforment en drames.

Don Winslow montre une grande humilité dans sa narration et se contente de faire preuve d’humanité envers ses personnages. Avec son style résolument moderne (j’en ai déjà parlé dans mes précédents billets) et bonifié par la traduction de Jean Esch, chaque roman de Don Winslow procure un plaisir de lecture incomparable, ce qui en fait l’un voire le meilleur auteur de polars contemporains.

Au passage, je vous rappelle qu’il vous faut absolument lire son chef d’œuvre, La griffe du Chien, premier tome de sa trilogie sur le trafic de drogue entre le Mexique et les Etats-Unis. Vous lirez dans la foulée les deux autres tomes, Cartel et La Frontière, tout aussi géniaux.

Bonnes lectures.

Retour à Killybegs de Sorj Chalandon

Editeur : Grasset (Grand Format) ; Livre de Poche (Format Poche)

Les titres de la rubrique Oldies de l’année 2023 sont consacrés aux éditions du Livre de Poche pour fêter leurs 70 années d’existence.

Cela faisait très longtemps que je voulais lire les romans de Sorj Chalandon. C’est chose faite avec ce fantastique roman, présenté sous la forme d’une biographie.

L’auteur :

Sorj Chalandon, né à Tunis le 16 mai 1952, est un journaliste et écrivain français. Il est membre de la rédaction du Canard enchaîné.

Le prénom de naissance de Sorj Chalandon est Georges ; il a choisi de le modifier en Sorj, qui est le nom que lui donnait sa grand-mère.

Son enfance est marquée par la violence et la mythomanie de son père, qu’il décrit dans son roman Profession du père. Il souffre alors de bégaiement, ce qui lui inspire son premier roman Le Petit Bonzi.

Bien que la majorité soit à 21 ans, il obtient son émancipation à 17 ans et quitte sa famille.

Au début des années 1970, il milite pour l’organisation d’extrême gauche, la Gauche prolétarienne. Il participe à la création du quotidien Libération, dont il est journaliste de 1973 à février 2007.

En 1982, il est le premier journaliste occidental, selon Libération, à rendre compte du massacre de Hama, en Syrie, sous pseudonyme. Chroniqueur judiciaire, grand reporter, puis rédacteur en chef adjoint de ce quotidien, il est l’auteur de reportages sur l’Irlande du Nord et le procès de Klaus Barbie qui lui ont valu le prix Albert-Londres en 1988.

Entre 2007 et 2009, Sorj Chalandon devient formateur régulier au Centre de formation des journalistes à Paris.

Depuis août 2009, Sorj Chalandon est journaliste au Canard enchaîné, où il tient la rubrique « La Boîte aux images », ainsi que critique cinéma.

En 2010, il apparaît en dernière partie du film documentaire de Jean-Paul Mari Sans blessures apparentes — tiré de l’ouvrage paru sous le même titre chez Robert Laffont — et consacré aux « damnés de la guerre », ainsi qu’aux séquelles psycho-émotionnelles qui en résultent, ce qu’on appelle les troubles de stress post-traumatique (en abrégé ESPT = état de stress post-traumatique).

Écrivain, il publie ses romans chez Grasset, dont Une promesse, qui a reçu le prix Médicis en 2006 et Le Quatrième Mur, Prix Goncourt des lycéens 2013.

En 2008, son roman Mon traître s’inspire de son histoire personnelle : son amitié avec Denis Donaldson, vue par le biais d’un narrateur parisien luthier ; trois ans plus tard, l’histoire romancée est racontée sous l’angle du « traître », dans Retour à Killybegs. Ce roman obtient le Grand prix du roman de l’Académie française en 2011.

De 2008 à 2012, Sorj Chalandon est le parrain du Festival du Premier roman de Laval, organisé par Lecture en tête. Depuis 2013, il est le président du jury du Prix Littéraire du Deuxième Roman.

À Rennes, le 14 novembre 2013, le prix Goncourt des lycéens lui est attribué pour Le Quatrième Mur, publié chez Grasset. Ce roman évoque l’utopie d’un metteur en scène qui décide de monter Antigone de Jean Anouilh à Beyrouth dans les années 1980, pendant la guerre du Liban.

En 2017, il publie le roman Le Jour d’avant, sur la catastrophe minière de Liévin-Lens, à l’origine de quarante-deux morts le 27 décembre 1974.

En 2023, il publie l’Enragé, sur la révolte de 1934 à la colonie pénitentiaire de Belle-Ile-en-Mer, dans lequel il imagine le destin d’un évadé qu’on ne retrouve jamais.

(Source Wikipedia)

Quatrième de couverture :

La vie d’un garçon qui souffre des coups, puis de l’absence de son père mort d’alcool et d’illusions nationalistes. Au-delà de la violence sociale qui laisse la famille de neuf enfants dans la misère, après la violence barbare de la Seconde Guerre mondiale, ce livre se concentre sur la violence personnelle que le héros s’inflige dans le contexte nord-irlandais.

Vieillard haï par sa communauté, il fait un retour aux sources, dans la maison paternelle, à Killybegs, attendant les tueurs qui ne peuvent comprendre toute la complexité de cette situation absurde, implacable.

Il revit son passé dans un dénuement maximum, réchauffé par l’alcool et la compréhension de sa femme, abandonné par son village d’enfance.

Au passage, le livre illustre la dureté des hommes et du pouvoir britannique, qui tue et laisse mourir ses prisonniers politiques, manipule ses agents doubles.

Mon avis :

Sorj Chalandon s’est lié d’amitié avec Denis Donaldson et a romancé son amitié dans Mon Traitre. Il revient sur ce sujet en positionnant Tyrone Meehan (le double littéraire de Donaldson) en tant que narrateur. Il va balayer soixante années de ce conflit anglo-irlandais de la deuxième guerre mondiale à nos jours en construisant son intrigue comme une biographie.

Ne prenant jamais position mais choisissant de rester factuel, Sorj Chalandon présente la complexité de la situation, alors même que le narrateur est irlandais et catholique. L’histoire commence avec l’adolescence de Tyrone dans une famille pauvre, sous la coupe d’un père passionné, revendicateur et violent jusqu’à son engagement dans l’IRA et sa trahison, plus par hasard que par conviction.

Remarquablement servi par une plume littéraire et évocatrice, cette vaste fresque rappelle tous les événements marquants et s’appuie sur un personnage complexe qui va grimper dans la hiérarchie sans être animé par la même passion que son père. Nous voyons un personnage complexe qui doit assumer une erreur lourde de conséquence, plusieurs en fait qui vont faire de lui la cible de tout le monde.

Car Tyrone Meehan retourne dans sa ville de jeunesse, haï et traqué par tout le monde. Il est la cible par les Irlandais catholiques et protestants mais aussi des Anglais. L’auteur arrive à nous faire ressentir la situation intenable de cet homme obligé de vivre dans la peur, dans l’attente de sa fin, sans savoir qui tiendra l’arme fatale. Très factuel, avec son style journalistique, ce roman offre un nouvel éclairage instructif sur ce conflit dont on espère qu’il est derrière nous.