Le chouchou du mois d’octobre 2014

En ce mois d’octobre marqué surtout par un temps magnifique (pour les gens du nord de la France), les lectures et chroniques ne sont pas en reste. J’ai beaucoup lu, peu chroniqué, mais heureusement, je me suis fait aider par mon amie Suzie qui s’est fait une joie de m’offrir deux avis, l’un sur un roman policier L’ile du serment de Peter May (Rouergue), et l’autre sur un thriller L‘écorcheur de Portland de James Hayman (Archipel). Je ne peux que vous encourager à aller lire sa prose.

J’aurais chroniqué bien peu de romans étrangers, mais ceux-ci furent des lectures remarquables. A commencer par Bloody cocktail de James M.Cain (Archipel). Ce roman, inédit et recomposé après la mort de l’auteur, par son éditeur et ami, est remarquable de finesse et probablement le meilleur de celui qui a écrit entre autres Le facteur sonne toujours deux fois ou Assurance sur la mort.

Un nouveau personnage féminin de flic a fait son apparition aux éditions de l’Aube. Et L’été des meurtriers de Oliver Bottini (Editions de l’aube) est bien un roman qui est attachant à bien des égards : par son sujet, par son personnage principal, par le ton très pessimiste sans verser dans le fatalisme. Oliver Bottini semble se positionner comme un dénonciateur des débordements actuels.

Comme d’habitude, on aura lu et chroniqué beaucoup de romans français et surtout beaucoup de romans remarquables. Et je ne peux que m’extasier devant la diversité de notre production nationalité comme du talent de nos auteurs. Que cela soit l’ambiance du Londres de 1942 dans Blackout Baby ! de Michel Moatti (HC éditions), que ce soit le roman d’action à la manière d’un 24H chrono dans Quand les anges tombent de Jacques-Olivier Bosco (Jigal), que ce soit du roman policier avec des clins d’œil aux super-anti-héros dans Un fantôme dans la tête d’Alain Gagnol (Le passeur), que ce soit le roman noir cynique et amer dans La poule borgne de Claude Soloy (Lajouanie), ou que ce soit de l’humour de très bon aloi dans Fais pas ta star ! de Ben Orton (Editions Létales), tous ces romans sont formidables.

Malheureusement, il faut bien choisir et, comme au mois de janvier, je suis obligé de décerner une double palme tant j’ai trop de mal à choisir entre Rouge ou mort de David Peace (Rivages), ce roman de fou qui dépeint de façon tellement émouvante de la vie d’un homme extraordinaire ou que ce soit Cavale (s) de Marie Vindy (Manufacture de livres), si différent dans sa façon d’aborder les descriptions de la vie des gens normaux comme vous et moi .

Et si le choix fut bien difficile pour ce mois ci, je ne vous dis même pas la difficulté que je vais avoir au mois de novembre ! Pauvre de moi !

 

Le diable tout le temps de Donald Ray Pollock (Albin Michel)

Coup de cœur, ouh la la, et même plus que ça ! Il y a deux ans, il y eut Moi comme les chiens de Sophie Di Ricci ; l’année dernière, ce fut Bienvenue à Oakland de Eric Miles Williamson, et cette année ce sera Le diable tout le temps de Donald Ray Pollock. J’ai trouvé le roman qui va rester longtemps dans les limbes de mon cerveau. Ne me faites pas dire que les autres coups de cœur ne sont pas des romans inestimables à mes yeux. Mais celui-ci est tellement particulier, tellement marquant, tellement bien écrit, tellement bien construit, que je ne risque pas de l’oublier de sitôt.

Il est de ces romans qui vont laisser des traces, pas forcément propres, un étrange mélange de sang, de boue et de merde. Il est de ces romans qui font écarquiller les yeux, qui nous font détourner la tête, en se disant : « Non, il ne va pas oser ! ». Il est de ces romans qui vous laissent comme un goût amer dans la bouche, comme une odeur de pourriture dans les naseaux. Le diable tout le temps a remporté le Grand Prix de la littérature policière 2012 dans la catégorie Roman étranger, devant Au lieu-dit Noir étang de Thomas H.Cook, et il fallait que je voie ça, il fallait que je me fasse une idée …

Nom de dieu ! Ce roman est un gigantesque roman, et tous les éloges de la quatrième de couverture sont encore trop plats pour décrire les émotions que l’on ressent à sa lecture, trop mièvres pour évoquer l’ambition réussie de ce chef d’œuvre. Voilà ! le mot est lâché, je vais avoir de nombreux commentaires pour m’insulter ou affirmer cela, mais peu importe ! J’aime, j’adore, j’en redemande, je le dis, je le revendique et je souhaite que vous adoriez aussi !

Il est bien difficile de résumer ce roman, car faire un résumé des premières pages risque d’être réducteur sur la façon de mener l’intrigue serpentesque (je sais, le mot n’existe pas dans le dictionnaire, mais j’ai écrit un mot à l’académie française) de ce roman. Car le roman est un gigantesque filet de pêche, dans lequel se débattent une dizaine de personnages, qui vont se rencontrer, s’ignorer, se retrouver, se percuter … pour le meilleur et pour le pire.

Pour vous donner une petite idée, il y a par exemple Willard Russell, un ancien combattant de la guerre du Pacifique, pendant la seconde guerre mondiale, qui va épouser une brave femme, Charlotte et avoir un fils Arvin. Willard va protéger son fils mais assister à l’agonie de sa femme due à un cancer, et espérer que des sacrifices animaux puis humains puissent sauver son épouse.

Il y a des prédicateurs fous, arpentant les campagnes pour faire leur prêche dans les églises paumées de la Virginie. Roy et Theodore (qui est handicapé dans son fauteuil roulant) sont aussi horribles que leurs prêches sont convaincants. Roy va mettre enceinte une jeune femme, et Theodore va lui demander de lui prouver qu’il est la main de Dieu : par exemple, pourquoi ne tuerait-il pas la jeune mère pour la ressusciter ensuite ?

Il y a Carl et Sandy Henderson, un couple moderne qui arpente les routes du fin fond des Etats Unis. Leur passion, c’est la photographie : Sandy doit baiser avec les autostoppeurs qu’ils ramassent, et Carl les prend en photo avant, pendant et après leur mort prématurée. Il faut dire aussi que Sandy est la sœur de Lee Bodecker, le shérif de la ville et de la région de Ross County.

En fait, Donald Ray Pollock tisse son intrigue comme une araignée tisse sa toile. Les personnages sont vivants grâce à un style flamboyant, les décors sont incroyablement beaux, alors que les événements sont horriblement amoraux. Rarement, j’aurais été emporté par un auteur de cette façon, j’aurais bu les paroles d’un auteur sans jamais avoir eu l’impression de me lasser. Et tous ces personnages sont tellement gros que, dans les mains de Donald Ray Pollock, tout semble si vrai, si passionnant.

Au-delà de l’intrigue, que l’on peut lire au premier degré, il faut bien se rendre à l’évidence que le roman aborde le thème de la folie de la société. Tous les personnages sont de grands malades, et les seuls gens normaux vont subir une mort atroce. Et quand des personnages principaux se rencontrent, ça se termine mal, ce qui illustre que l’homme est un loup pour l’homme. Et le seul personnage à peu près normal de ce roman, le jeune Arvin que l’on va suivre pendant une vingtaine d’années, qui a été protégé pendant toute sa vie, lui aussi tombera dans la folie meurtrière. La conclusion de tout cela, Donald Ray Pollock nous l’assène en pleine face : ce monde est complètement fou, cela ne peut se terminer que dans la violence, et personne n’en réchappera.

Quelle conclusion pessimiste, quelle noirceur dans le propos, mais quel feu d’artifice dans le style ! C’est la marque de fabrique de cet auteur, qui avec ce premier roman, frappe un gigantesque coup de semonce et marque de son empreinte la littérature américaine et celle du roman noir. Ce roman est extraordinaire, laissez vous emporter par le fleuve noir de Donald Ray Pollock, il va vous emmener vers des contrées éblouissantes où vous n’aurez pas l’occasion d’aller tous les jours, cela va vous bouleverser et vous ne risquerez pas de l’oublier de sitôt. Coup de cœur, je vous dis !

Oldies : Le bal des débris de Thierry Jonquet (Points)

Dans la rubrique Oldies de ce mois-ci, voici l’un des premiers romans de l’un de nos plus grands auteurs de polars français, à savoir Thierry Jonquet. Ceux qui ont lu Mygale ne poeuvent pas ignorer que Jonquet fut un excellent auteur. Mais ce fut aussi un formidable témoin de notre société, situant ses sujets en appuyant bien fort là où ça fait mal.

Thierry Jonquet est un écrivain français, né à Paris le 19 janvier 1954 et mort à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris le 9 août 2009. Auteur de polar contemporain, il a écrit des romans noirs où se mêlent les faits divers et la satire politique et sociale. Il a également publié sous les pseudonymes de Martin Eden et Ramon Mercader, et utilisé les noms de Phil Athur et Vince-C. Aymin-Pluzin lors d’ateliers d’écriture. (Source Wikipedia).

Thierry Jonquet avait la faculté de prendre un sujet d’actualité, et de créer une intrigue grinçante, quitte à déformer la réalité, pour mieux montrer les travers dont nous n’étions même plus conscients. Je me rappelle du tollé que fut la sortie de Ils sont votre épouvante et vous ètes leur crainte, qui abordait le sujet des lycées de banlieue situés en Zone d’Education Prioritaire. Car Jonquet a toujours su choisir ses sujets parmi ceux qui, dans l’actualité, faisaient grincer des dents.

Jonquet débute (sa carrière d’écrivain) avec deux récits inspirés de ses expériences hospitalières. Dans le bal des débris (1984), Fredo, mal dans sa peau de brancardier d’un établissement de gériatrie, fait la connaissance d’un patient, Alphonse Lepointre, gangster de la vieille école. Ensemble, ils montent un coup pour rafler les bijoux d’une riche pensionnaire pendant un bal masqué. L’humour affleure, mais la description de ces mouroirs et du sort réservé à leurs occupants est impitoyable, sans concession, typique de ce ton « Jonquet ». (Source Dictionnaire des littératures policières)

Ce roman, écrit à la première personne est d’autant plus marquant que, sous couvert d’humour, la situation des maisons de retraite est scandaleuse. Alors, évidemment, quand on nous propulse à la place d’un petit brancardier qui a toujours rêvé de devenir un truand, quand celui-ci peut enfin satisfaire son besoin de voler, le lecteur suit avec un sourire glacé ses intrépides aventures, et quand il relève la tête, il se rend compte de ce qu’il a lu.

C’est exactement dans cet état d’esprit que j’ai lu ce très court roman. Sourire la plupart du temps, puis dès que je fermais le roman, une sorte de honte à avoir pris du plaisir à lire la situation de ces mouroirs. C’est donc à une lecture véritablement cynique à laquelle il faut réellement s’attendre.

Et on le sent bien, le jeune Jonquet, prendre son pied à bâtir ses scènes, comme un pointilleux humoriste humaniste, à toutes les amener sur une remarque cinglante que le lecteur prendra en pleine figure. Avec, en plus, le souci de l’efficacité maximale, des dialogues déjà parfaits, ce roman laissait augurer d’un grand auteur. Ce qui est bien advenu par la suite. Bref, lisez ce roman, que les éditions Points ont eu la riche idée de rééditer et vous vous jetterez sur tout le reste de l’œuvre de Thierry Jonquet, l’un de nos meilleurs auteurs de romans noirs français, et l’un de mes auteurs favoris.

Ce roman a été publié pour la première fois aux éditions Fleuve Noir, dans la collection Spécial Police en 1984, puis réédité aux éditions Méréal en 1998, et enfin aux éditions Librio en 2000.

Pike de Benjamin Withmer (Gallmeister)

Ils se sont mis à trois pour me tenter, pour me dire qu’il fallait que je le lise. Pas un, trois à la fois. Et dans la même semaine, en plus ! Bref, quand Jean Marc, Yan et Jeanne s’y mettent, vous disent qu’il faut lire tel livre, c’est difficile, très difficile de résister. Le livre en question, c’est Pike. L’auteur c’est Benjamin Withmer. Le résultat, c’est le premier roman d’un auteur que l’on est pas près d’oublier. Retenez ce nom : Benjamin Withmer, car il est le digne héritier des plus grands noms du roman noir américain. Et quand on lit Pike, on pense forcément à Jim Thompson.

Le livre s’ouvre sur une scène de poursuite entre un jeune noir et un flic, Derrick. La ville est sombre, même pas éclairée par la neige qui recouvre les trottoirs. Derrick ne perd pas son temps à poser des questions, il descend le noir d’une balle dans le dos. Le sang va s’écouler en petite rigole sur le blanc immaculé. Derrick, c’est le flic qui a penché du coté obscur.

Pike, c’est l’inverse, le truand qui s’est rangé. Avec le jeune Rory, il essaie de se racheter une conduite, d’éduquer le fils qu’il n’a pas eu. Rory, lui, le suit telle son ombre, étant un peu son bras armé, son coté violent, puisque Rory est boxeur amateur. Quand la petite fille de Pike, Wendy débarque, Pike se rappelle qu’il a abandonné sa fille Sarah alors qu’elle avait 6 ans, il se rappelle ce qu’il a essayé d’oublier, et va se trouver une nouvelle quête : celle de comprendre pourquoi sa fille est morte d’overdose, et pourquoi Derrick semble la connaitre et s’intéresser à Wendy.

Et c’est un duel à distance auquel nous allons assister, entre le méchant qui est devenu bon et le bon qui est devenu méchant. Derrick va semer la violence autour de lui, pour faire marcher son trafic, et Pike va mener l’enquête, rencontrant de nombreux personnages, dans des paysages naturels si beaux et si bien décrits. Ce sont donc de multiples chapitres, ne dépassant pas quatre pages qui vont faire avancer l’intrigue.

Et le style de Benjamin Withmer est tout simplement lumineux. Il a l’art de trouver des mots magnifiquement beaux pour décrire un monde noir absolu, et je peux vous dire que certains chapitres sont de purs chef d’œuvre de simplicité, d’efficacité et de suggestion, alliés à des dialogues tout simplement brillants. Et si par moments, on a l’impression que l’on assiste à une suite de petites scènes, certes magnifiques, mais parfois trop linéaires, il n’en reste pas moins que Benjamin Withmer se pose comme un futur grand s’il continue sur ce chemin.

Et je vais finir mon petit message par un conseil : Entrez dans une librairie, ouvrez le livre au dernier chapitre, lisez le ; après vous ne pourrez que l’acheter. Car ce dernier chapitre va vous prendre à la gorge sans déflorer l’intrigue, il est aussi la parfaite illustration de la noirceur du roman et l’exemple idéal pour que vous soyez envoutés par le style de l’auteur. Benjamin Withmer : A noter du coté des espoirs du roman noir et à ne pas oublier.

Thérapie en sourdine de Jean François Thiery (Ex-Aequo éditions)

Voici un roman policier qui flirte avec le thriller qui va me donner l’occasion de découvrir un nouvel auteur français. Pour un premier roman, j’ai trouvé le résultat très intéressant, car les qualités essentielles sont là : l’art de conduire une intrigue et de créer des personnages vivants.

Aphrodite Pandora est une psychologue, qui petit à petit, s’est spécialisée dans le traitement des violences conjugales. Ce jour là, elle reçoit un dénommé Sofiane Mansouri, un propriétaire d’une entreprise de BTP. Après une petite discussion, il s’avère qu’il est déçu des relations avec sa femme et qu’il lui arrive de la frapper. Ils conviennent d’un prochain rendez-vous, et de son coté, Aphrodite va essayer de sauver Ingrid Mansouri.

Seulement, à la clinique débarque un flic, nommé Wolf. Grand, d’origine allemande, séduisant, il demande à Aphrodite de l’aider dans une affaire un peu spéciale : l’un de ses précédents patients, M.Stein, s’est suicidé. Il lui demande de rechercher dans ses anciens dossiers, sans qu’il ait besoin de demander un mandat. L’histoire se complique quand le médecin légiste annonce que Stein ne s’est pas suicidé mais qu’il a été tué, et que Mansouri connaissait en fait très bien Stein.

Le gros point fort de ce roman est indéniablement ses deux personnages. De Wolf, flic au passé mystérieux, ayant obtenu la nationalité française pour avoir fait l’armée dans les bérets verts à Aphrodite la psychologue passionnée par son métier et profondément humaniste, on ne peut que s’attacher à ce qui leur arrive. D’autant plus que leur vie privée est bien décrite et plutôt compliquée. Wolf a vu sa femme le quitter, le laissant avec un petit garçon craquant, qu’il est obligé de confier à une nounou, qui le voit plus que lui. Aphrodite, elle, est mariée à un pompier qui est donc souvent absent, ou pris dans ses réflexions, et elle a des doutes sur le fait qu’il ait une aventure extraconjugale. Bref, tous les ingrédients sont là pour que, humainement parlant, cela soit passionnant.

Ce que j’ai adoré, ce sont les dialogues, qui sont remarquablement bien faits. Jean François Thiery, dans les scènes d’analyse d’Aphrodite avec ses clients, ou plus tard entre les flics, sait rendre des dialogues longs mais passionnants, sans en dire trop, en étant très efficace. J’adore quand quelques mots dans un dialogue en disent plus que de longs paragraphes descriptifs.

Et c’est là où je veux en venir : De ces qualités, il ressort tout de même des paragraphes trop longs, trop explicites, trop démonstratifs, alors qu’il me semblait qu’il suffisait d’en faire moins pour en faire un excellent polar. Un exemple : pourquoi vouloir nous décrire l’histoire passée de Wolf, dès le début du livre alors qu’il suffisait d’en parsemer le livre par petites touches et d’en laisser pour le prochain ? C’est un premier roman, c’est aussi une première enquête d’un couple bigrement attachant, donc c’est un roman prometteur, sur un sujet extrêmement difficile que sont les violences conjugales. Et rien que pour ça, cela donne un excellent argument pour le lire.

Ne ratez pas l’article de Jean François Thiery sur Livresque du noir : http://www.livresque-du-noir.fr/2012/09/therapie-en-sourdine-par-jean-francois-thiery/

De même que vous pouvez trouver la suite des aventures de Wolf et Aphrodite dans L’affaire Cirrus, dont vous pouvez lire un article ici : http://www.livresque-du-noir.fr/2012/11/laffaire-cirrus-par-jean-francois-thiery/

Enfin, n’hésitez pas à aller faire un tour sur le blog de l’auteur à cette adresse-ci :
http://thieryjft.canalblog.com/

41 de Rogelio Guedea (Ombres noires)

Après Dans le ventre des mères de Marin Ledun, voici la deuxième sortie de la nouvelle maison d’édition de romans noirs Ombres Noires. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’auteur a pris le parti de l’originalité.

Colima, Mexique.  Un gamin est intrigué par une chevrolet rouge, garée depuis un certain temps dans la rue. Il s’aperçoit que du sang sort du coffre. Effectivement, la police découvre un cadavre dans le coffre. Il s’agit du corps de Ramiro Hernandez Montes, un homme connu pour être le frère du gouverneur de l’état de Colima. Donc, dans cette affaire, il est hors de question de remettre en cause les futures élections de son frère. Les choses se corsent quand la police découvre que Ramiro est connu pour être homosexuel. En outre, il a des penchants pédophiles notoires. Le commandant Obispo va prendre en charge cette affaire, aidé en cela des agents Sabino et Roman.

En parallèle de cette affaire criminelle, Alfonso Castro Bautista, un jeune homme qui se fait appeler Le Japonais ne fait rien de ses journées. Alors que ses parents, comme tant d’autres, vivent du trafic de drogue, lui arpente les salles de jeux et les bars. Il rencontre le Métallo, qui va l’initier au monde du sexe homosexuel.

On ne peut pas dire que ce roman soit facile à appréhender, tant le parti pris de l’auteur est particulier. Et la forme a tendance à prendre le pas sur le fond ce qui est bien dommage. Car la construction du roman est originale : En alternance, on va suivre le parcours du Japonais, jeune homme désœuvré, qui occupe son temps comme il peut. L’enquête, elle, va progresser au travers des procès verbaux de la police. Si cela donne de la véracité au récit, la forme s’avère, du moins en ce qui me concerne, amusante au début puis rapidement un peu longue.

Et il faut patienter jusqu’à la page 170 pour comprendre combien ce roman est véritablement subversif. Car, effectivement, c’est là que l’on se rend compte de ce que Rogelio Guedea veut dénoncer. Et la leçon est éloquente, et redoutablement frappante, car l’enquête s’avère bien secondaire, on n’en a rien à faire du nom de l’assassin, du fait qu’il ait tué cinq personnes homosexuelles à tendance pédophile. En réalité, tout est savamment orchestré par le pouvoir en place pour éviter que le gouverneur perde les élections.

De même, la vie du Japonais donne lieu à des scènes très dures, très difficile à lire, d’une violence sexuelle très explicite et choquante. D’une façon très naturelle, Rogelio nous montre la vie des Mexicains, pris entre politique et drogue, entre sexe et violence. C’est une peinture bien noire, bien désespérante aussi, et nul espoir ne transparait dans la conclusion de son roman.

Si l’on parle des policiers, on s’aperçoit vite qu’ils n’ont d’autres choix que de suivre les desiderata du procureur, et soit on suit les ordres soit on meurt. Sex, drugs and violence, c’est le menu de ce roman, et pour peu que l’on adhère à la forme, ce roman apparaitra comme un excellent roman noir mat. En tous cas, c’est un premier roman impressionnant qui donne une vision sans concession de la société mexicaine. Et ce qui finit de vous démolir le moral, c’est quand on lit au début du roman, que cette histoire est inspirée de faits réels.

La poule borgne de Claude Soloy (Editions Lajouanie)

Ce roman là, vous n’aurez jamais l’idée d’aller le chercher. Déjà, la couverture vous fait de l’œil, un œil rouge qui passe au travers d’un trou percé dans une caisse en bois et ça fait peur … Ensuite, si vous tournez le livre pour lire la quatrième de couverture, vous y verrez une histoire de borgne qui rencontre une poule. Rassurez-vous, tout ceci est vrai, terriblement vrai.

L’homme faisait du vélo quand il rencontra une poule. Dans cette rencontre, qui fut aussi un accident, la poule y perdit un œil, là où l’homme l’avait déjà perdu. Il l’adopta, ce qu’elle sembla accepter, et quand il l’appela « Saloperie », elle tourna la tête. C’est ainsi qu’elle fut baptisée.

L’homme habitait un petit village, a vingt cinq ans, et allait se distraire au bar La Louvette. Outre qu’il y allait pour boire un coup, il y allait aussi pour rencontrer Geneviève, la jeune serveuse de quinze ans. Elle l’appelait « son petit mari », et lui faisait l’honneur de lui accorder des faveurs dans l’arrière salle. Il faut dire que le patron ne demandait en échange que la modique somme de quinze euros …

L’homme se rappelait sa jeunesse : son père alcoolique qui rentrait beurré chaque soir, sa mère qui acceptait les coups et fermait sa gueule, sa sœur qui aidait sa mère et supportait les regards lourds du père. Il se rappelait quand il avait cassé un verre et que le père lui avait envoyé une baffe à cause de laquelle il avait perdu son œil. Mais tout cela était bien oublié, entre son boulot de chantier et ses virées au bar … jusqu’à ce que deux gars de la ville ne débarquent …

Outre la couverture, le sujet et la façon de le traiter va vous surprendre, et je dirai même vous secouer. Avec Claude Soloy, on ne s’ennuie pas, et on n’est pas là non plus pour faire du politiquement correct. On est donc plongé dans une histoire dont le personnage principal est un borgne … pendant les deux tiers du livre. En effet, sur la dernière partie, sommairement appelée chapitre 5, on suit l’enquête d’un inspecteur appelé Dumbo, que l’on nomme ainsi pour ses oreilles, et qui va résoudre (on se demande comment) le meurtre … mais je ne vous en dis pas plus.

Donc, le sujet, s’il faut en donner un, est un personnage solitaire, brusque, sauvage, que le patron du bar nomme Macon, mais peut-être est-ce un surnom. Par ses descriptions minimalistes, on devine que l’on est dans un village. En fait, on a plutôt affaire avec les réflexions et les actes des personnages. Et ça parle cru, et ça cause vulgaire, et ça cause gras. Pour autant, le but n’est pas de se moquer des gens de province, mais plutôt dans un atmosphère le plus simplement possible.

Et le langage va bien avec cette série de personnages déjantés, sales, méchants, tous autant les uns que les autres. Et ça prostitue la petite pour faire plaisir à la clientèle, et ça se tape sur la gueule quand on n’est pas d’accord, et ça picole. Ils sont tous aussi cons les uns que les autres mais ont tous un point commun : Ils n’en ont rien à faire des autres, seule leur gueule compte. Au milieu de cette troupe de salauds, Macon et Geneviève font figure de nouveaux nés innocents, avec leur amour qui illumine ce monde crade et dégueulasse.

Alors, on se fout de l’intrigue, même s’il y en a une. On passe un vrai bon moment à s’enivrer de bons mots, d’expressions salaces, ou de scènes très visuelles et d’autant plus choquantes (je pense en particulier à celle où Macon se fait attaquer par les deux gars de la ville). Et que l’on soit clair, ce roman est de la couleur de la Terre, il est sale, et quand on l’a refermé, on en a pris plein la tête, et surtout on s’aperçoit qu’on a les mains sales, et l’âme aussi. Car ceux qu’on a aimé ne sont pas ce qu’ils paraissent être et ceux que l’on a détesté aussi. C’est vraiment un livre à part, original de bout en bout, qui n’est pas là pour vous plaire, et qui ne brosse pas dans le sens du poil. A noter que quelques scènes de sexe et de violence font qu’il vaut mieux réserver ce livre à un public averti.

Oldies : La forme de l’eau de Andrea Camilleri (Pocket)

Je me rappelle parfaitement pourquoi j’avais mis ce livre dans mes lectures obligatoires de 2012. Lors de mon billet sur Meurtres aux poissons rouges, Jean Marc avait été très surpris que je n’ai jamais lu de romans de Andrea Camilleri. La forme de l’eau est en fait le premier roman de la série des enquêtes du commissaire Salvo Montalbano, un roman à lire d’urgence.

Andrea Camilleri, né le 6 septembre 1925 (87 ans) à Porto Empedocle (la Vigàta de ses romans), dans la province d’Agrigente, en Sicile, est un metteur en scène et un écrivain italien. Il connaît un énorme succès en Italie comme ailleurs, notamment grâce à ses romans mettant en scène le commissaire Montalbano. Ses livres sont entrés dans la collection des Meridiani, la « Pléiade » italienne. (Source Wikipedia)

Salvo Montalbano est un personnage de fiction récurrent de l’œuvre d’Andrea Camilleri, un commissaire de police de la bourgade (fictive) de Vigata (en fait Porto Empedocle), en Sicile. Il s’exprime dans un mélange d’italien et de sicilien, inimitable (exemple, il se présente en disant en italien Montalbano sono, litt. Montalbano, je suis, en mettant le verbe être à la fin de la phrase comme en syntaxe sicilienne). Ses colères, sa boulimie (pour les plats typiques, en particulier les arancini), son amour contrarié avec la Génoise Livia, ses enquêtes sur la mafia et sur les faits sociaux siciliens (drogue, réfugiés, faits divers) ont conquis le public italien (…) Il tirerait son nom de l’auteur espagnol Manuel Vázquez Montalbán, dont Camilleri appréciait le personnage de Pepe Carvalho. (Source Wikipedia)

Dans la préface de La forme de l’eau, Serge Quadruppani, son traducteur décrit le contexte et tout le charme de l’écriture de Camilleri : « Andrea Camilleri raconte que le jour où il a appris que son père allait bientôt mourir, il a joué toute la journée au flipper dans un état second et que c’est après qu’il a décidé d’écrire dans la langue même de son géniteur, cette langue que, spontanément, il retrouvait, quand il parlait avec lui ».

Le sujet est assez simple : un matin, à proximité de Vigata, deux balayeurs découvrent dans une BMW de luxe, le corps d’un homme. Il s’agit de l’ingénieur Luparello, célèbre homme politique local. Vraisemblablement, la cause de la mort est naturelle, puisqu’il a succombé à une crise cardiaque après un acte sexuel. Le souci, c’est que la BMW est garée à proximité du Bercail, sorte de haut lieu de la prostitution, du travestissement et de la drogue, et que plusieurs détails vont gêner le commissaire Montalbano.

Ce roman est un roman policier, un vrai de vrai. A partir d’une intrigue simple, d’une mort classique, il va montrer une partie de la vie italienne, et une grande partie de la politique sicilienne. Les pistes vont se mêler, s’emmêler, jusqu’à un dénouement plus qu’inattendu. Les fans vont être gâtés, car il y a de quoi se tordre les neurones comme un torchon à essorer pour comprendre ce qui s’est réellement passé.

Et comme c’est le premier roman d’une série, quoi de mieux qu’une excellente intrigue policière pour donner envie d’y revenir. On va assister à toute une galerie de personnages, hauts en couleurs, facilement identifiables, avec ce caractère brut de cette ile, isolée de tout, avec ses politiques véreux, et la mafia en toile de fond comme un arrière plan de tableau. Le commissaire Montalbano règne en maitre dans ce roman : à la fois bourru et humoristique, têtu et cachotier, rusé et attendrissant, charmeur et intraitable, un sacré mélange détonnant.

Andrea Camilleri ne va pas s’étendre dans des descriptions sans fin. Tout y est direct, brut de décoffrage, et les dialogues montrent tout le respect qu’il a envers ces gens simples et leur parler si particulier. D’ailleurs, la volonté du traducteur de rester dans ce ton donne des morceaux droles et bizarres parfois mais c’est pour se situer au plus prêt du texte original. Bref, la lecture de ce roman correspond exactement à ce que j’attendais, et je peux vous dire que je me suis acheté le deuxième de la série. Je ne peux que vous conseiller de plonger dans le monde de Andrea Camilleri et sa ville imaginaire de Vigata.

Le monde à l’endroit de Ron Rash (Seuil)

Ma très chère petite souris,

Comme tu as eu la gentillesse de me prêter Le monde à l’endroit de Ron Rash, je ne pouvais que te parler de cette lecture bouleversante et qui marquera ma (petite) culture littéraire. Mais que puis-je, ou du moins que dois-je ajouter à ton article publié sur ton blog Passion-polar ? J’ai l’impression qu’il me suffirait de crier à la face du monde : Lisez Ron Rash !

Car dès Un pied au paradis, on sentait la patte d’un grand auteur. Quelle façon de maitriser son intrigue à plusieurs voix, de peindre une Amérique des petits, des insignifiants, de petit à petit dévoiler un drame qui de toute façon est inévitable. Et c’était son premier roman. Avec Serena, il frappait (à mon avis) encore plus fort, avec un personnage féminin incroyablement noir dans un environnement composé uniquement d’hommes, où on avait l’impression que le monde est animal et a engendré le mal, une formidable illustration de L’homme est un loup pour l’homme.

Le monde à l’endroit est sorti aux Etats Unis juste avant Serena. Et quand tu as sorti ton billet, tu m’as proposé de me le prêter. Et je ne peux que paraphraser ce que tu en as dit. Pourtant, tu sais bien que je n’aime pas répéter ce que les autres ont dit. Car ce roman est un grand moment, qui confirme que Ron Rash est un grand, un très grand auteur.

De cette histoire dramatique et noire, je n’en dirai qu’un mot : Travis Shelton, un jeune homme de 17 ans, va découvrir un plan de marijuana en allant à la pêche. Il va en voler quelques plans pour les vendre à Leonard, ancien professeur reconverti en dealer de drogue. Les vrais propriétaires sont les Carlton et ils vont piéger Travis et lui couper l’envie de recommencer en lui coupant le tendon d’Achille. Travis va se rétablir et s’installer chez Leonard, qui va le pousser à avoir son BAC.

Tu le sais, ma petite souris, qu’il y a des thèmes qui me touchent particulièrement. La relation Père-Fils fait partie de ceux-là. Travis en rupture avec sa famille va se trouver un nouveau mentor qui lui ouvre les yeux sur ses possibilités mais aussi sur ses conséquences. On ne peut pas sauver quelqu’un qui ne le veut pas. C’est aussi le poids du passé, l’influence des racines et leurs conséquences sur les hommes d’aujourd’hui. En effet, à Shelton Laurel pendant la guerre d’indépendance en 1863, eut lieu un massacre d’innocents uniquement sous prétexte qu’ils appartenaient à l’autre camp. Cet héritage ne s’efface jamais complètement, il y reste toujours des cicatrices.

Par contre, ma petite souris, il y a une chose que je n’aime pas beaucoup. Et je n’ai pas dit que c’est ce que tu fais. Certains mettent une étiquette de Nature Writing à Ron Rash, sous prétexte qu’il écrit et décrit des personnages et des situations qui se passent dans la campagne profonde, et mettant en scène des gens simples. Certes, la nature est omniprésente, dans sa dualité, belle et dangereuse, inégalable et mortelle. Mais Nature writing ou pas, c’est juste de la grande littérature. Et peut-être Ron Rash se pose-t-il la question suivante : L’homme est-il vraiment l’animal le plus évolué sur Terre ? Une question parmi tant d’autres, tant ce roman en regorge.

Enfin, chère petite souris, tu sais combien je suis attaché au style. C’est pour moi ce qui fait la différence entre un bon roman et un excellent roman. On n’y trouvera rien pour relever la tête du lecteur. Le style est brut voire brutal, sec, cherchant l’efficacité, le bon nom, l’adjectif juste ; bref, on est dans l’orfèvrerie, dans le pointillisme, l’obsession de la perfection. Par moment, il m’a fallu reprendre quelques phrases, je te l’avoue, mais dans l’ensemble, je suis époustouflé, impressionné, ébahi devant tant de talent. Tout cela pour te dire que je trouve que c’est une lecture qui se mérite.

Et moi qui n’aime pas mettre des étiquettes, je ne peux m’empêcher de rapprocher ce roman des meilleurs romans des grands auteurs américains. Et en particulier Père et fils de Larry Brown. D’ailleurs, je n’avais pas lu de roman aussi fort sur les pauvres gens depuis bien longtemps. Tu l’auras compris, j’ai adoré. Alors que puis-te dire ? Merci, un grand merci, un énorme merci ! Et comment puis je te remercier ? Ma foi, en publiant cette lettre, telle quelle, et en te dédiant ce billet. Petite souris, cette humble et misérable prose est pour toi, mon ami du Sud.

A bientôt. Pierre

Ainsi puis-je mourir de Viviane Moore (10/18)

Ce roman est donc le dernier de mes lectures pour le prix du meilleur roman français de Confidentielles.com. Je l’avais mis en dernier car la quatrième de couverture me faisait penser à un roman à l’eau de rose, comme on dit. Finalement, ce n’est pas du tout le cas, même si j’ai un peu de mal à le définir.

Quatrième de couverture :

Comme dans les contes de fées, il y a une rencontre magique : celle de Gabrielle, la romancière, et de Philip Sedley, un mariage et, bien sûr, un château. Sauf qu’ici, non loin de Cherbourg, dans ce pays de bocages et de légendes, entre ces murs épais, quatre cents ans plus tôt, a vécu une autre femme, Marguerite, qu’une passion tragique a menée à la mort. En faisant de ce destin le sujet de son nouveau roman, Gabrielle ne peut se douter qu’elle va en devenir la prisonnière. La fiction se mêle au réel, le passé au présent. L’histoire semble se répéter, telle une malédiction, et menace de faire de la jeune femme la dernière victime du château des Ravalet.

Mon avis :

La première chose que je voudrais dire de ce bouquin, c’est que c’est fluide et très bien écrit. l’auteur mélange les styles en fonction des époques, agrémente ses dialogues d’expressions d’une autre époque, et c’est un vrai plaisir à lire. Même si on peut se demander pourquoi Gabrielle se marie si vite (au bout d’un mois) sans connaitre ni son mari, ni sa future belle famille, on est vite emporté par les événements de l’intrigue et intrigué sur la destination que veut nous faire prendre l’auteure.

D’ailleurs, c’est bien là où je me pose des questions : ce livre m’a donné l’impression de toucher plusieurs sujets sans vraiment en choisir un. Du travail d’une écrivaine, et de ses relations avec la vie réelle, Viviane Moore penche par moments vers de l’angoisse en nous faisant voir un fantôme sur les marches de l’escalier, puis elle nous emmène vers la jalousie avec l’arrivée de sa belle sœur, avant de nous sortir la tête de l’eau avec des passages du livre de Béatrice. Puis c’est à nouveau le mystère qui revient avec un mari cachotier voire bizarre. Bref, j’ai trouvé cette histoire difficile à suivre, à force d’être malmené comme une balle de ping-pong. D’un coté, chacun peut y trouver son compte, d’un autre, c’est très déstabilisant et il m’a été difficile de me passionner pour ce livre. Bref, Viviane Moore, ça n’a pas l’air d’être pour moi. Et pour vous ?