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La saga Michael Forsythe d’Adrian McKinty

Editeur : Gallimard Série Noire (Grand Format et format poche) ; Livre de Poche (Intégrale en format poche)

Traducteurs : Isabelle Artega et Patrice Carrer

Les titres de la rubrique Oldies de l’année 2023 sont consacrés aux éditions du Livre de Poche pour fêter leurs 70 années d’existence.

Attention, coup de cœur !

Adrian McKinty, remarqué pour son thriller La Chaine et sa série ayant pour personnage principal Sean Duffy, inspecteur de police catholique en Irlande, avait commencé sa carrière avec une trilogie mettant en scène Michael Forsythe, un jeune irlandais obligé d’immigrer aux Etats Unis et intégrant la mafia irlandaise. Pour la première fois, un recueil regroupe au format poche les trois tomes de la trilogie, A l’automne, je serai peut-être mort, Le fils de la mort, et Retour de flammes.

L’auteur :

Adrian McKinty, né le 6 août 1968 à Belfast, en Irlande du Nord, est un écrivain irlandais, auteur de roman policier et de littérature d’enfance et de jeunesse.

Il grandit à Carrickfergus, dans le comté d’Antrim (Irlande), sur la côte est de l’Irlande du Nord. Il étudie le droit à l’Université de Warwick, puis les sciences politiques et la philosophie à l’Université d’Oxford.

Au début des années 1990, il déménage aux États-Unis, vivant d’abord à Harlem, le quartier noir de Manhattan, à New York. En 1998, il fait paraître son premier roman intitulé Orange Rhymes With Everything.

À partir de 2001, il s’installe à Denver, au Colorado, où il enseigne l’anglais au secondaire et continue à écrire des fictions. À partir de 2004, il se lance dans le roman noir avec À l’automne, je serai peut-être mort (Dead I Well May Be), premier titre d’une trilogie ayant pour héros Michael Forsythe, un ancien agent du FBI, autrefois responsable de l’arrestation d’un gang de mafieux de Boston et qui tente maintenant de refaire sa vie en Irlande du Nord. Cette trilogie place McKinty parmi les représentants de la nouvelle vague du polar irlandais, aux côtés de Ken Bruen, Declan Hughes et John Connolly. Le journal britannique The Guardian le considère même comme un « maître du roman noir moderne, non loin de Dennis Lehane ». Pourtant, les romans de McKinty rappellent plutôt ceux de James Ellroy, en raison d’un recours fréquent et explicite à la violence, et ceux d’Elmore Leonard pour la présence en filigrane de l’ironie et de l’humour noir dans l’évocation lyrique de ses sombres univers.

En 2012, il amorce une série de romans policiers historiques située pendant les « Troubles » des années 1980 et ayant pour héros le sergent Sean Duffy, un flic catholique en plein Ulster. Dans Une terre si froide (The Cold Cold Ground), le premier titre de la série, peu après le décès de Bobby Sands, deux homosexuels sont assassinés et le meurtrier mutile les cadavres et arrache leur main gauche. Tous les enquêteurs croient qu’il s’agit d’un serial killer, mais Duffy flaire une solution plus paradoxale. Avec le cinquième roman de cette série, Rain Dogs, parue en 2016, il est lauréat du prix Edgar-Allan-Poe 2017 du meilleur livre de poche original.

En parallèle à ses récits criminels, McKinty publie, à partir de 2006, des ouvrages de littérature d’enfance et de jeunesse avec la trilogie The Lighthouse.

A l’automne, je serai peut-être mort :

Michael est un jeune Irlandais peu scrupuleux, qui émigre aux États-Unis. Pour survivre, il entre au service d’un gangster pour le compte duquel il accomplit de sordides missions punitives. Il convoite bientôt la maîtresse de son patron, dont il est tombé amoureux. La belle, qui n’est pas née de la dernière pluie, cède sans résister. Un crime impardonnable ! Devenu soudain l’objet d’une vengeance plus que vicieuse, Michael, avec quelques camarades, se retrouve brutalement plongé en enfer, c’est-à-dire au fond d’une immonde prison mexicaine où la police les jette sur la base d’une accusation fallacieuse. Dans Cette bâtisse construite au milieu d’une jungle marécageuse, l’horreur s’installe, car les conditions de vie s’y révèlent infectes et dangereuses. On les passe à tabac. L’épuisement les gagne. Michael n’a qu’une idée : s’échapper à tout prix pour venger ses amis, dût-il en être à jamais marqué dans sa chair…

Le fils de la mort :

Le Fils de la Mort s’ouvre sur une émeute entre hooligans anglais et irlandais à l’issue d’un match de football en Espagne. En vacances sur place, Michael Forsythe, un ancien malfrat retourné par le FBI ayant permis l’arrestation d’un gang de mafieux bostoniens, est arrêté en marge de ces violences. Alors qu’il risque une lourde peine de prison, une agente des services secrets britanniques du MI6 lui propose un marché qu’il ne peut refuser s’il veut retrouver un jour la liberté. Nous sommes en 1997 et l’IRA est sur le point d’annoncer un cessez-le-feu avec les forces armées britanniques. Le MI6 soupçonne certaines cellules dormantes établies aux Etats-Unis de refuser cet état de fait et de lancer une campagne terroriste sur le sol américain. La mission de Michael est simple : infiltrer les « Fils de Cuchulainn », un groupe de vieux Irlandais en exil basé dans les environs de Boston. Tout semble se passer pour le mieux jusqu’à ce que Michael tombe amoureux de la fille de Gerry McCaghan, le leader du groupe…

Retour de flammes :

Tous ceux qui ont croisé son chemin vous le diront : Michael Forsythe est increvable. Mais cela ne semble malheureusement pas décourager les mauvaises volontés de ses poursuivants qui veulent lui faire la peau depuis qu’il a témoigné une dizaine d’années plus tôt contre la mafia irlandaise de Boston.

Caché par le FBI dans le cadre du programme de protection des témoins, Michael vit sous une fausse identité dans la ville de Lima, au Pérou. Mais Bridget Callaghan, dont il a abattu le fiancé douze ans plus tôt et qui a repris les rênes de la mafia de Boston, a réussi à retrouver sa trace.

Aussi, quand ses tueurs tendent le téléphone à Michael pour qu’il lui parle, croit-il qu’elle souhaite simplement le narguer ?

En réalité, plongée dans le désespoir par la disparition de sa fille, Bridget veut donner à Michael une occasion de se racheter. Tout ce qu’il a à faire, c’est rentrer en Irlande et retrouver sa gosse, qui vient de se faire kidnapper. S’il la sauve, il pourra vivre. Il ne lui reste plus que 24 heures chrono…

Mon avis :

Ce recueil nous propose les aventures de Michael Forsythe au complet, soit une trilogie complète au prix d’un grand format, 1500 pages soit trois livres pour le prix d’un. Déjà, chaque tome en vaut la peine, alors quand on nous en propose trois, le rapport Qualité / Prix est indéniable. Comprenons-nous bien, ces romans s’adressent aux fans de hard-boiled, de romans d’action violents non dénués d’émotions extrêmes, ni d’humour froid et cynique typiquement irlandais.

Même si les quatrièmes de couverture dévoilent beaucoup d’éléments de l’intrigue, il faut vraiment lire les romans pour en apprécier le ton donné par l’auteur et l’évolution du personnage lors de ces trois aventures, et se laisser malmener par le rythme incessant additionné à la paranoïa de Michael Forsythe. Et vous placerez ce personnage parmi les inoubliables de la littérature noire.

Dans A l’automne, je serai peut-être mort, l’histoire commence en Irlande dans les années 80. Etant catholique, Forsythe n’a pas le droit d’occuper deux métiers pour vivre. Alors qu’il trouve un boulot de serveur dans une réception mondaine, un photographe l’immortalise au second plan et cette photo finit par être publiée dans les journaux. Pour éviter la prison, il n’a d’autres choix que d’immigrer aux Etats-Unis où un oncle se chargera de lui trouver un travail, qui s’avère lié à la mafia irlandaise. Son humour et sa faculté de se lier aux autres vont lui permettre de progresser dans la hiérarchie jusqu’à ce qu’il rencontre la future femme du parrain pour qui il travaille.

Le fils de la mort nous montre Forsythe en fuite après sa vengeance sanglante et son statut de traitre. Il a en effet passé un marché avec le FBI et devient un témoin protégé avec une nouvelle identité. Mais sa tête est mise à prix par la mafia irlandaise dirigée par son ex-amante et par la police mexicaine, après s’être échappé de leur geôle. Il doit malgré tout reprendre du service pour le compte du MI6.

Retour de flammes clôt ce triptyque avec logique et fureur. Depuis l’épisode précédent, ses seuls ennemis sont la mafia irlandaise pour laquelle il a travaillé à son arrivée aux Etats-Unis. Une opportunité va lui permettre d’envisager une nouvelle vie propre mais elle sera dangereuse et bien sanglante.

Si dans le premier tome, on découvre un jeune homme immature et ne comprenant pas le milieu dans lequel il nage, on adore son humour, et son sens de la débrouille. Son passage dans les geôles mexicaines va le transformer en monstre de vengeance, sans foi ni loi, ne se posant jamais la question et n’hésitant pas à foncer droit devant. Et cette première aventure est une sacrée découverte.

A partir du deuxième tome, on le découvre paranoïaque, ne se liant avec personne car il existe un risque que chaque personne soit un traitre prêt à le tuer. Sa réponse est toujours immédiate, la mort. Ce deuxième tome est un vrai coup de cœur, tant par le rythme que par les dialogues, et on le suit dans son périple sanglant, luttant pour l’espoir que son casier judiciaire soit lavé. On fond aussi devant les sentiments qu’il ressent envers l’agente de MI6 et qui nous donne la possibilité de lire des scènes effroyablement émotionnelles.

Le troisième tome clôt de magistrale façon cette trilogie, en reprenant les qualités des deux premières aventures et en renvoyant Forsythe dans son pays natal, un pays déchiré par des clans à la recherche de tous les moyens pour gagner de l’argent. Comme pour toutes les autres aventures, Forsythe est malmené, torturé, obligé d’employer des moyens extrêmes et se conclut dans une scène dans le brouillard inoubliable.

Avec cette trilogie, Adrian McKinty mettait le pas dans le monde du roman noir violent, n’hésitant pas à créer des scènes ultra-violentes à coté de dialogues d’une drôlerie rare, avec cet humour froid que l’on adore chez les auteurs irlandais. Le rythme est incessant, le personnage intéressant et cette trilogie un incontournable pour les amateurs de romans d’action. Enfin, on comprend mieux la genèse du personnage de Sean Duffy qu’il créera juste après.

Coup de cœur !

La cité des rêves de Don Winslow

Editeur : Harper & Collins

Traducteur : Jean Esch

Deuxième tome de la trilogie des Cités de Don Winslow, après La cité en flammes, nous poursuivons l’itinéraire de Danny Ryan, obligé de quitter Providence et de s’engager dans un exil vers l’Ouest américain. Si vous n’avez pas lu le premier tome, je vous conseille très fortement de le faire ! Mon résumé va d’ailleurs en spolier une partie.

La guerre entre la mafia italienne et la mafia irlandaise s’est conclue avec un lourd tribut pour le clan Murphy dont Dany est devenu par hasard et obligation le chef. Avec son fils Ian, son père vieillissant et ses soldats, il doit fuir loin et prend la route vers l’Ouest. En chemin, il renoue contact avec sa mère et lui confie Ian en attendant qu’il ait trouvé un point de chute acceptable pour un jeune enfant.

Il atterrit donc à San Diego et vit de petits boulots quand deux agents fédéraux lui proposent de dévaliser une planque de trafiquants de drogue mexicains en échange de l’impunité pour lui et ses gars. Si l’affaire se déroule comme prévu, Danny impose à tout le monde de faire profil bas pendant six mois, avant de continuer sa route vers Los Angeles et Hollywood. Peut-être va-t-il pouvoir recommencer sa vie ?

A chaque nouveau roman de Don Winslow, je suis pris de la même frénésie de lecture, celle de ne pouvoir lâcher le roman tant que mes yeux ne se ferment pas pour entamer ma nuit. Il m’aura fallu deux jours pour avaler ce deuxième tome (429 pages) qui reprend les personnages du premier et les envoie dans l’usine à rêves d’Hollywood, une usine à rêves dont on s’aperçoit bien vite que derrière l’écran, cela tient plutôt du cauchemar.

Je reviens sur mon conseil en début de billet. Au commencement du roman, Don Winslow résume La cité en flammes et nous décrit tous les personnages qui sont apparus ou vont apparaitre dans ce deuxième tome. Par conséquent, vous vous devez de lire le premier avant d’entamer celui-ci. Et puis, une fois que vous entrez dans l’histoire, vous ne pourrez plus vous arrêter.

Car lire Don Winslow se compare à planer, voyager dans un autre monde, être emmené par la magie des personnages, l’enchainement des scènes, entendre les dialogues claquer comme des évidences, et ressentir des joies, des fiertés, des tristesses, des sentiments amoureux, croire à des jours meilleurs, des espoirs qui, comme souvent dans la vie, se transforment en drames.

Don Winslow montre une grande humilité dans sa narration et se contente de faire preuve d’humanité envers ses personnages. Avec son style résolument moderne (j’en ai déjà parlé dans mes précédents billets) et bonifié par la traduction de Jean Esch, chaque roman de Don Winslow procure un plaisir de lecture incomparable, ce qui en fait l’un voire le meilleur auteur de polars contemporains.

Au passage, je vous rappelle qu’il vous faut absolument lire son chef d’œuvre, La griffe du Chien, premier tome de sa trilogie sur le trafic de drogue entre le Mexique et les Etats-Unis. Vous lirez dans la foulée les deux autres tomes, Cartel et La Frontière, tout aussi géniaux.

Bonnes lectures.

Florida de Jon Sealy

Editeur : Les Arènes – Equinox

Traductrice : Mathilde Helleu

Si vous cherchez un polar bien ficelé et prenant, alors ce titre devra faire de vos bagages estivaux. C’est signé Jon Sealy et c’est publié aux Arènes, une sacrée découverte encore à mettre au crédit de cette petite maison d’édition.

Années 80, Floride. Les Etats-Unis sont toujours en lutte à distance envers Cuba, le pays communiste le plus proche. La CIA ne prend pas le sujet à la légère, entre menace potentielle des immigrés cubains pouvant fomenter une révolte et financement d’une éventuelle révolte pour faire tomber Fidel Castro. Mais ne peut être fait au grand jour, donc elle finance une société légale chargée de gérer les fonds au cas où …

Cette société se nomme Artium. Son directeur financier Bobby West est chargé d’investir cet argent dans des entreprises de façon à ce que les liquidités soient disponibles rapidement. West est passionné par son travail, il croit à la ligne directrice de la CIA et à la défense des Etats-Unis mais il est bien peu doué en ce qui concerne les placements financiers, car Artium est un véritable gouffre.

Alexander French va le contacter pour lui proposer un marché : blanchir l’argent de la drogue venant d’Afghanistan. De façon subtile, il arrive à lui montrer que cette activité est totalement patriotique puisqu’elle coupera l’herbe sous les pieds des trafiquants cubains. Et Bobby West a dramatiquement besoin d’argent pour combler le trou qu’il a créé, quitte à en emprunter quelques liasses pour lui-même.

Il stocke donc des millions de dollars chez lui, dans un coffre qu’il a fait aménager et en donne une partie à un homme de main de French chaque semaine. Sa fille Holly avec qui il est en froid va faire une fugue avec un jeune homme pas très futé et en profiter pour lui « emprunter » le contenu du coffre. A tous les étages, c’est la panique. Bobby West et sa femme vont engager un détective privé ; la police est sur les dents, Alexander French va demander à ses hommes de retrouver l’argent tout en engageant Chekhov, une tueuse à gages.

Ah ! les années 80, l’omnipotence affichée des Etats-Unis sur le monde, l’impunité de ses actions extraterritoriales, le titre autoproclamé de « gendarme du monde », le règne de l’argent Roi, le No limit … Faire du fric à tout prix et se débarrasser une bonne fois pour toutes du communisme, seule idéologie politique pouvant leur faire un peu d’ombre. Voilà le contexte historique de ce roman.

On pourrait croire que Bobby West soit le personnage principal de ce roman mais il n’en est rien. Chacun va avoir droit à ses chapitres et dans une construction effrénée consistant en diverses courses poursuites. Tous, quels qu’ils soient sont de véritables truands, des espions, des mafieux, des barbouzards, des tueurs courant après l’argent de la drogue. Et dans ce milieu-là, on ne plaisante pas.

Dans une ambiance chaude et lourde, l’auteur nous fait courir (et rire) à une vitesse folle, pour une lecture jouissive où on ne prête aucune sympathie à aucun des protagonistes, puisqu’ils sont tous coupables à leur niveau. Florida, c’est une sorte de Chamboule-tout qui dézingue à tous les étages sans aucune pitié. Et sous ses airs de divertissement Haut-de-gamme, Jon Sealy nous offre un roman brillant, intelligent et remarquablement instructif. Une lecture obligée pour votre été.

Harlem Shuffle de Colson Whitehead

Editeur : Albin Michel

Traducteur : Charles Recoursé

Je n’ai pas encore entamé Underground Railroad que le nouveau roman de Colson Whitehead est déjà sorti. Après deux Prix Pulitzer, Harlem Shuffle est annoncé comme le premier tome d’une trilogie, dont le deuxième tome sortira aux Etats-Unis dès cet été.

Raymond Carney ne veut pas faire comme son père, un truand alcoolique et violent travaillant pour la pègre de Harlem. Il érige en règle de vie une volonté de rester honnête, et de faire vivre sa famille composée de sa femme Elisabeth et de sa fille May. A la mort de sa mère, il a été élevé par sa tante et ressent une responsabilité envers son cousin Freddy, qui cultive l’art de se retrouver dans des embrouilles à cause de ses petits larcins.

Ray Carney a acheté une petite boutique de vente de meubles, son objectif étant de développer son commerce et de proposer à sa clientèle des produits de meilleure qualité. Pour cela, il faut forcément de l’argent, et il lui arrive d’accepter des produits « tombés du camion » qui lui permettent de survivre. Pour lui, tout l’argent mis de côté doit lui permettre d’acheter un appartement plus grand pour sa famille.

Ray aurait dû refuser la proposition de Freddy de faire le receleur pour sa prochaine affaire. Surtout qu’il s’agit du casse de l’hôtel Theresa, une résidence de luxe qui compte comme clientèle toutes les stars de Harlem, mais aussi les membres de la mafia. Mais Freddie va l’entrainer bien malgré lui dans cette (més) aventure, le désignant auprès de ses comparses comme son receleur officiel.

Colson Whitehead nous présente son roman en trois parties, trois facettes d’un seul homme, trois époques mais une seule facette de Harlem, personnage à part entière de cette fresque sur l’évolution de la cause noire aux Etats-Unis. Harlem Shuffle se veut le portrait d’un quartier, et il va balayer la période allant de 1959 à 1964. Et à travers le personnage de Ray, nous allons assister à la vie de ce quartier noir, parallèle remarquablement bien fait.

Colson Whitehead arrive à nous immerger dans ce quartier exclusivement noir dans les années 60, et nous montre sa vie, ses couleurs, ses ambiances, ses bruits, par l’évocation des décors et des personnages. Si Ray est au centre de cette histoire, Harlem en ressort clairement comme son comparse, bien au-delà d’un simple faire valoir.

Ray, justement, personnage complexe, attire à lui la sympathie du lecteur. Simple père de famille dont la seule ambition est d’améliorer le quotidien de sa femme, veut développer son commerce en toute légalité ; mais en toute hypocrisie aussi quand il s’agit de revendre des équipements « tombés du camion ». Au-delà du refus de tomber dans la délinquance comme son père, il se retrouve obligé de suivre son cousin par loyauté familiale.

De 1959 à 1964, en trois parties, nous allons suivre trois facettes de Ray, la première qui concerne la présentation du personnage et de son environnement, la deuxième où Ray montre son coté sombre, pour conclure sur la troisième et la conclusion finale des deux cousins. Des petits trafics à la grande délinquance, la trajectoire de Ray va suivre celle du quartier de Harlem.

Si ce roman apparait plus comme une gigantesque fresque de Harlem, contrairement à ses deux précédents plus engagés pour la cause noire, on retrouve ici quelques remarques acerbes non dénuées d’humour cynique, tels ces pontes de la mafia qui réservent les drogues dures pour les Noirs. On trouvera aussi l’assassinat d’un jeune noir par la police, entrainant une émeute, comme quoi rien ne change, ni là-bas, ni ici. Pour tout vous dire, je piaffe d’impatience de lire la suite …

L’or vert du Sangha de Pierre Pouchairet

Editeur : Alibi (Ex-Filatures)

Et si avec L’or vert du Sangha, Pierre Pouchairet avait été son grand roman. Je ne lui souhaite pas car j’espère lire encore beaucoup de romans de cet auteur prolifique de ce niveau là. Pour ce faire, il a créé un pays africain de toutes pièces et nous dresse un état actuel des pays de l’Afrique noire.

Le Sangha est un pays d’Afrique centrale bordé par l’Océan atlantique. Il est richement doté de ressources naturelles, telles que le pétrole, le gaz, les minerais ou les bois précieux. Bien qu’il soit considéré comme une démocratie, le pays se prépare aux élections qui vont opposer le président sortant Honoré-Martin Atangana, qui en est déjà à son sixième mandat à une ancienne star du football Luc Otsiemi.

Luc Otsiemi s’est fait prendre la main dans le sac de cocaïne par la Police Judiciaire. Alors qu’il s’attendait à faire de la prison, on lui propose de jouer le rôle du challenger dans les élections du Sangha. On lui octroie pour l’occasion un chef de campagne, Jacques Lavergne, rompu à ce genre d’événements. Depuis, avec son slogan promettant le pouvoir au peuple et l’arrêt de la corruption, sa côte monte en flèche.

Claire Dorval se voit proposer un reportage pour suivre les élections présidentielles par son patron Jean-Michel Mebareck. Arrivée à l’aéroport de Bénoué, elle est « fraichement » accueillie par les officiers des douanes avant de retrouver son chauffeur Abou. Après sa rencontre avec Otsiemi, elle décide de revenir an France pour enquêter sur sa jeunesse. Mais elle doit bien vite retourner au Sangha quand on retrouve le corps dévoré par des crocodiles de Jean-Pierre Mounier, un collègue journaliste.

Il ne faut pas avoir peur devant les 440 pages de ce pavé, surtout quand on y voit la police de caractère de petite taille. Car dès les premières pages, on sait que l’on a devant les yeux un polar costaud, un polar d’aventure, un polar politique, un polar engagé. Et nous retrouvons après une centaine de pages les deux personnages principaux de ce roman, Claire Dorval et le commissaire Kuate, en charge du meurtre de Jean-Pierre Mounier.

Evidemment, les deux enquêtes vont se dérouler en parallèle, et les deux personnages se rencontrer pour mettre en commun leurs informations. Et si les chapitres ne sont pas courts (comme dans un thriller), on sent bien que Pierre Pouchairet a pris son sujet à bars le corps et y a insufflé sa passion pour des pays qui se font exploiter par toutes les grandes puissances du monde.

D’ailleurs, on ne s’y trompe pas, on y verra la présence des chinois, des russes, des turcs sans compter les corses et les italiens, tout cela pour y exercer des trafics en tous genres tels que la drogue ou le bois, du bois rare de plusieurs centaines d’années, dont la coupe et le commerce est soi-disant réglementé. Et on peut passer d’un personnage à l’autre, d’un pays à l’autre, que l’on se rassure : Pierre Pouchairet est un conteur hors-pair, capable de nous emmener au bout du monde.

Plus que costaud, je qualifierai ce roman de génial tant j’y ai trouvé tout ce que j’attends d’un polar politique. Les situations sont réalistes, les personnages plus vrais que nature dans leurs réactions, les dialogues formidables, et la tension croissante jusqu’à une scène (presque finale) dans le port décoiffante. Et ne croyez pas que ce roman se terminera à l’eau de rose, le Sangha, comme tous les pays d’Afrique, est sans pitié où chacun essaie de rattraper un peu de la manne financière qui lui passe sous le nez.

Forcément, on prend énormément de plaisir à parcourir ces pages, on espère, on a peur, on est enchanté par la façon dont les scènes s’enchainent, et surtout, on a la rage au ventre de voir ces populations exploitées, spoliées, décimées. On a envie de hurler devant le massacre des forêts africaines dont on ne parle jamais (la forêt amazonienne est plus à la mode), de dire STOP !

Le fric ou l’éternité de Paul Chazen

Editeur : Jigal

Jimmy Gallier, propriétaire des éditions Jigal, a pour habitude de nous dégotter de nouveaux auteurs du Noir. C’est toujours très intéressant de rester à l’affut de ces nouveautés, pleines de verve. Le roman de Paul Chazen est porteur de promesses à venir.

Quand un nait dans une cité, son avenir est tout tracé, devenir chômeur ou trimer toute sa vie dans des postes mal rémunérés. Socrate passe donc d’un petit boulot à l’autre et il vient de se faire virer, ce qui lui arrive pour la première fois. Quand il voit son père se tuer au travail, cela ne lui fait pas envie. Mais il n’a aucune idée de ce qu’il pourrait faire, sans pour autant subir sa vie.

Dans un bar, il rencontre Nino, un membre de la Famille. A force de discussions, ce dernier lui propose un travail très facile, éliminer quelqu’un mais il devra faire en sorte que cela ait l’air d’un accident. Après quelques journées de surveillance, quelques heures de réflexion, quelques minutes de réalisation, la mission est parfaitement réalisée. Socrate coupe le circuit de freinage, mais pas complètement, et le conducteur s’écrase dans un virage ; l’accident parfait.

A partir de ce moment là, Socrate devient l’exécuteur attitré de la Famille. Il ne ressent aucune émotion, n’a aucun remords, il débarrasse la surface de la Terre de quelques personnes comme d’autres vont au travail le matin. Quand la morale s’efface au profit de l’individualisme, le personnage présenté par Paul Chazen en devient le meilleur exemple.

Car derrière cette intrigue noire, se cache une vraie question. A partir du moment où on baisse le niveau de l’éducation au ras des pâquerettes, à partir du moment où on laisse trainer un brouillard sur les débouchés potentiels des jeunes, où on donne des titres pompeux à des postes que personne ne comprend, il devient impossible d’intéresser les jeunes au monde du travail.

Le contexte posé, Paul Chazen déroule son intrigue à partir de ce postulat, grossit un peu le trait, mais reste toujours juste dans son expression, extrêmement précis. Paul Chazen a voulu son roman comme un coup de poing, c’est un uppercut ; mais pas un uppercut dans le gras du bide, un direct au menton. Son style évite toute phrase superflue, pour n’en garder que la viande nécessaire autour de l’os.

Il est à noter que les têtes de chapitres sont extraites des 36 stratégies qui est un traité chinois qui décrit les ruses et les méthodes qui peuvent être utilisées pour l’emporter sur un adversaire. Le traité a probablement été écrit au cours de la dynastie Ming (de 1366 À 1610). Les stratagèmes sont applicables à une action militaire ou à un conflit de la vie quotidienne.

http://www.taopratique.fr/wp-content/uploads/Les_trente-six_strategies.pdf

Derrière ses atours de roman noir, ce petit roman laisse augurer de promesses intéressantes mais pose aussi de vraies questions quant à l’avenir sociétal, un sujet qui me passionne autant que la démographie ou la géopolitique, vous vous en doutez bien. Alors, Le fric ou l’éternité ? A vous de choisir, mais après avoir acheté ce roman !

La cité en flammes de Don Winslow

Editeur : Harper & Collins

Traducteur : Jean Esch

Don Winslow se lance dans un nouveau projet, une nouvelle trilogie mettant en scène deux clans de mafia, l’une irlandaise, l’autre italienne dans l’état de Rhode Island. Ce roman doit faire partie de vos lectures estivales, du Don Winslow en grande forme.

Danny Ryan est le fils du parrain de la mafia irlandaise de Providence. Ce dernier ayant laissé sa place à Murphy, Danny est relayé au rôle de recouvreur de dettes. S’il connait tous les membres depuis l’école, on l’accepte surtout parce qu’il a épousé la fille de Murphy, Terri. Murphy détient les docks et les syndicats. En face, la mafia italienne, les Moretti, a le monopole des jeux et de la prostitution.

Le marché est bien partagé entre les deux clans, le calme est même accepté du côté des parrains de Boston et New-York. Tous les jeunes des deux clans se connaissent depuis longtemps, boivent des coups ensemble dans les bars, font des barbecues ensemble, en toute cordialité. Mais le calme n’est qu’apparence et il suffit d’une étincelle pour que ce coin paisible en bord de mer se transforme en champ de guerre ?

Quand Danny voit sortir une superbe femme en bikini de l’eau, il sent que les problèmes vont survenir. Sa femme Terri le charrie mais sait bien que son mari l’aime à la folie. Plus tard, lors d’un barbecue fortement arrosé avec les Murphy et les Ryan, Paulie Moretti présente au groupe sa nouvelle compagne, Pamela, la femme de la plage. Plus tard, Liam Murphy emmène Pamela et la pelote. En guise de représailles, Paulie et ses copains tabassent Liam et le laissent pour mort. C’est le début d’une escalade infernale.

Fascinant. Don Winslow lui-même le dit et le martèle depuis toujours : le polar vient des tragédiens grecs et de William Shakespeare. Dans cette histoire, on ne peut qu’y voir un hommage et une volonté de retranscrire les grandes histoires de la littérature dans le monde d’aujourd’hui (même si l’action se situe en 1986). On y retrouve l’affrontement de deux clans qui n’attendent qu’une étincelle pour jeter aveuglément dans une guerre fratricide et meurtrière sans limites.

Fascinant. Don Winslow est un conteur hors pair, probablement l’un des meilleurs actuellement dans le monde du polar. On ne peut qu’être pris dans cette histoire, dès le début avec ce cliché de la femme qui sort de l’eau en bikini. On est emporté par ces personnages qu’il se permet de ne pas présenter dans le détail, nous laissant le soin de les placer sur l’échiquier. On suit avec avidité la tornade qui va balayer ces deux familles, les thèmes de la loyauté, de l’amitié, les non-dits, les décisions difficiles, l’amour plus que tout, la famille, les sacrifices au nom des règles ancestrales, les chocs des générations …

Fascinant. L’enchainement des événements est parfait, presque logique, mécanique, et Don Winslow nous montre les raisonnements des uns et des autres, les raisons de l’escalade, mais aussi le respect (on appelle ça un cessez le feu), en particulier quand il y a un enterrement. Il aborde aussi le thème qui lui est cher, l’arrivée du trafic de drogue qui pourrit tout et fait croire à de l’argent facile, sans risques et qui autorise toutes les horreurs. Il introduit l’implication des politiques, de la police, des services fédéraux, ce qui offre un roman moderne et complet.

Fascinant. Le style de Don Winslow s’est adapté au thème de son livre, et à l’ambition qu’il veut afficher. Il s’avère moins haché que d’habitude, même si à la fin, il se laisse aller, ce qui donne une impression de rapidité. Il adopte une fluidité remarquable, se rapprochent de la grande littérature, ce qui ajoute un plaisir supplémentaire à la lecture, aidé en cela par une traduction impeccable de Jean Esch.

Vous l’avez compris, ce nouveau roman de Don Winslow est juste fascinant, et on attend avec impatience le deuxième tome. S’il est un ton en dessous de sa trilogie La Griffe du Chien, Cartel et La Frontière, il fait partie de ses meilleurs romans.

Harry Bosch 5 : Le cadavre dans la Rolls de Michael Connelly

Editeur : Seuil & Calmann-Levy (Grand Format) ; Points & Livre de Poche (Format Poche)

Traducteur : Jean Esch

Après Les égouts de Los Angeles, La glace noire, La Blonde en béton, et Le dernier coyote, voici la cinquième enquête de Hieronymus Bosch, dit Harry, qui va continuer à mettre en place les personnes entourant l’inspecteur.

Après dix-huit mois de dépression, Harry Bosch revient aux affaires et se retrouve propulsé Chef de groupe, au bureau des cambriolages de la police de Hollywood, Suite à la décision de la nouvelle lieutenante Grace Billets, Bosch aura sous ses ordres Jerry Edgar et Kizmin Rider. Bosch est appelé aux alentours du Dodger stadium où se déroule la finale de football américain.

Bosch est accueilli l’agent Powers qui est chargé de surveiller la voiture, à l’intérieur de laquelle on a retrouvé un corps. Le mort s’appelle Anthony Aliso et a été abattu de deux balles dans la tête, ce qui ressemble à une exécution de la mafia. Aliso est connu pour être un producteur de films de série Z. Powers tient à prévenir Bosch et son équipe qu’il a laissé ses empreintes dans la voiture en ouvrant le coffre.

Bosch ne tient pas à prévenir l’OCID, le département chargé de la lutte anti-mafia. Mais sur l’insistance de Jerry, il les appelle et leur communique la découverte du corps. Dom Carbone qui est de permanence lui assure que l’OCID n’est pas intéressé. Bosch fait donc rapatrier la voiture avec le corps dedans pour ne pas affoler la foule. Bizarrement, rien n’a été volé, et Aliso avait loué sa voiture à Las Vegas, où il gérait ses affaires de cinéma.

Avec cet épisode, qui commence comme une banale affaire de meurtre, on sent que Michael Connelly veut faire d’Harry Bosch un personnage récurrent et qu’il veut le faire durer longtemps. Il va ainsi introduire le personnage d’Eleanor Wish, une ancienne compagne de Bosch, ex-agent du FBI qui sort tout juste de prison. Nous avons droit donc à des retrouvailles, liées à cette enquête.

L’intrigue démontre que Michael Connelly a acquis un savoir-faire et qu’il déroule les pistes, vraies ou fausses, avec le naturel du grand auteur qu’il est. Il est toujours aussi précis dans sa description des processus policiers et nous montre ici les liens de la mafia dans l’industrie cinématographique pour blanchir leur argent sale. Il nous montre aussi la main mise de Chicago sur Las Vegas malgré les purges annoncées par les politiques.

Enfin, il n’épargne pas les différents services de police, les guerres internes entre la brigade criminelle, la lutte anti-mafia et la police des polices. Bosch aura fort à faire avec des attaques venant de toutes parts, pour résoudre cette affaire dans les toutes dernières pages et pour se défendre. Il est à noter aussi le personnage de Grace Billets, la nouvelle lieutenante que Bosch apprend à connaitre et qui se place d’emblée dans son camp. Et tout cela est raconté avec un naturel, un allant et une simplicité qui forcent l’admiration, pour donner un excellent polar.

Les ombres de Wojciech Chmielarz

Editeur : Agullo

Traducteur : Caroline Raszka-Dewez

Attention, coup de cœur !

Cinquième roman de Wojciech Chmielarz, ce roman clôt surtout un cycle en donnant à l’ensemble une cohérence impressionnante et une analyse des maux de la société polonaise, mêlant la police, la justice, les politiques et la mafia. Grandiose !

Jakub Mortka dit le Kub est appelé sur le lieu d’un assassinat dans une petite maison des environs de Varsovie. Une jeune femme et sa mère ont été retrouvées abattues dans ce qui ressemble à une exécution en bonne et due forme. Sur place, les policiers ont trouvé l’arme de service de Darek Kochan, le collègue du Kub, réputé pour être violent et frapper sa femme. Même s’il n’a pas l’intention de lui trouver de circonstances atténuantes, le Kub ne croit pas à la culpabilité de Kochan et veut découvrir la vérité. Sauf que Kochan a disparu …

De son côté, la lieutenante Suchocka, dite la Sèche, n’en finit pas de regarder une vidéo, enregistrée sur une clé USB, qu’elle a conservée suite à sa précédente affaire. Sur le film, on y voit trois hommes entrainer un jeune homme, vraisemblablement drogué, et le violer. La Sèche ne veut pas confier ce film à ses collègues, car elle sait que les trois hommes, facilement identifiables et très riches, s’en sortiraient en sortant quelques liasses de billets. Et elle fera en sorte qu’ils ne s’en sortent pas …

L’allure de Borzestowski dit Boro fait penser à un colosse. Lui qui dirige de main de maître tous les trafics imaginables à Varsovie, a intérêt à ce qu’on retrouve une preuve qui pourrait l’accuser d’un meurtre. L’inspecteur Gruda de la section Criminalité et Antiterrorisme de la police métropolitaine lui rend visite dans son hôtel, proche de l’aéroport. Il vient lui transmettre le message de quitter la Pologne mais la menace tombe à l’eau. Boro lui demande de faire taire Mieszko, actuellement en prison et de passer le message au directeur adjoint de la police Andrzejewski. Sinon Boro parlera de la découverte des corps de trois chefs de gangs par Kochan. De son coté, Andrzejewski et Gruda vont se mettre à la recherche d’un costume tâché du sang d’une victime de Boro que Mieszko a précautionneusement caché.

En guise de préambule, je dois vous dire que ce volume, le cinquième donc, peut se lire indépendamment des autres. De nombreuses références sont faites aux précédentes enquêtes, et sont suffisamment explicites pour que l’on puisse suivre. Ceci dit, ces cinq romans s’emboitent parfaitement, et trouvent une conclusion magnifique dans ce cinquième tome. Il serait donc dommage de ne pas avoir lu les autres romans qui sont : Pyromane, La ferme des poupées, La colombienne et La cité des rêves. Personnellement, il m’en reste un à lire.

Quand on attaque un roman de Wojciech Chmielarz, on a affaire à une enquête policière que l’on pourrait qualifier de classique. Ici, elle part sur au moins quatre axes différents : la recherche de l’innocence de Kochan, la recherche des coupables du viol du jeune homme, les manigances des responsables de la police pour se débarrasser du témoin gênant dans le cadre du procès de Borzestowski, et les magouilles de ce dernier pour se sortir des griffes de la justice.

A travers cette intrigue à multiples facettes, l’auteur montre l’ampleur de la puissance de la mafia dans la société polonaise, la main mise sur la police au plus haut niveau, sur la justice, sur la politique. Il nous montre comment les puissants de ce pays, ceux qui détiennent l’argent et le pouvoir peuvent tout se permettre et passer entre les mailles du filet à chaque fois. Pour cela, Wojciech Chmielarz a construit des personnages forts et détaillé leurs tactiques pour mieux montrer de quoi ils sont capables.

Le personnage de Lazarowitch, dit Lazare est à cet égard le parfait exemple de la situation. Par ses relations, les services qu’il rend aux uns et aux autres, les informations qui lui servent de chantage, il arrive à regrouper entre ses mains un pouvoir aussi invisible que gigantesque, que ce soit chez les truands comme chez les gens qui dirigent la société. Lazare est présenté comme le pendant de Boro, la seule différence résidant dans le fait que Lazare a les mains propres et que personne ne le connait dans le grand public. Dans le rôle des Don Quichotte de service, on trouve le Kub et la Sèche.

L’intrigue nous balance de droite et de gauche, introduit des personnages pour appuyer le propos, créé des scènes avec une limpidité et une inventivité impressionnantes, et malgré le nombre de protagonistes, malgré le nombre d’événements, malgré le nombre de lieux visités, on n’est jamais perdus. Ce roman m’a impressionné par ce parfait équilibre qu’on y trouve entre les descriptions et l’avancement de l’intrigue, entre les impressions ou les sentiments des personnages et les dialogues. Quant à la scène finale, elle se situe dans un abri antiatomique et vaut son pesant d’or. Et surtout, ce cinquième tome se place comme la pièce finale d’un puzzle, sorte de conclusion d’un cycle qui fait montre d’une incroyable lucidité et d’un implacable constat sur le niveau de corruption générale.

Rares sont les romans qui arrivent à me laisser sans voix devant l’ampleur de l’œuvre. En lisant ce roman, on le trouvera excellent. Après avoir lu les cinq tomes, cela en devient impressionnant, impressionnant. Il ne reste plus qu’à savoir si on reverra le Kub et la Sèche dans un nouveau cycle. Car la fin du roman semble pencher en ce sens plutôt qu’une fin de la série complète. Enfin, j’espère !

Coup de cœur, je vous dis !

L’ivresse des flammes de Fabio Benoit

Editeur : Favre éditions

Même si ce n’est pas son premier roman, cette Ivresse des flammes constituera pour moi la découverte d’un auteur, commissaire de police à Neuchâtel en Suisse. A en croire la quatrième de couverture, il s’agit du troisième roman de l’auteur et du troisième roman d’un triptyque qui comporte Mauvaise personne et Mauvaise conscience. Et effectivement, ce roman peut se lire indépendamment des autres.

Un homme attend patiemment, puis se dirige vers l’écurie, lesté de ses jerricanes emplis d’essence. Frotter l’allumette contre le grattoir procure des frissons, voir les flammes le réchauffe. Le bruit assourdissant le remplit de puissance, de plaisir.

Marc-Olivier Forel, commissaire à la Police Judiciaire de Neuchâtel, est appelé pour constater la mort d’un jeune homme, accidentelle lors d’une fête nocturne en plein air. Etant de permanence, il doit ensuite se rendre sur les lieux d’un suicide avant d’être appelé pour un incendie.

Nina se réveille dans son appartement, et se remémore son père mort aujourd’hui après lui avoir montré la voie, s’affranchir des règles et toujours avancer. Aux cotés d’Angelo Chiesa, employé municipal à la déchèterie, elle file le parfait amour.

Angel pourrait être assimilé à une cafetière : si on la laisse trop longtemps sur le feu, elle explose. Ce matin-là, une camionnette se fait pressante derrière lui, dans le tunnel de la Vue-des-Alpes. Respirant calmement, Angel est sorti, a retrouvé le chauffard et lui a calmement enfoncé son poing dans le nez. Il a beaucoup progressé en termes de maitrise de ses nerfs, grâce à Nina. Il a beaucoup changé ; avant, il était jeune et innocent, et s’appelait Efisio Piras.

Les amateurs de roman choral vont être ravis, car il possède une construction complexe et fort bien menée. Le fait que l’on n’ait pas besoin de lire les précédents romans est aussi à mettre à son crédit. Certains faits passés sont rappelés brièvement, en indiquant les seuls éléments permettant de suivre cette histoire. Ce roman est donc écrit avec un certain classicisme, respectant les codes du genre.

L’écriture se révèle aussi fort plaisante. Les descriptions laissent la place aux personnages, à leurs impressions, leurs sentiments, faisant avancer l’intrigue relativement doucement. Si par moments, on sent le travail derrière les phrases, nous avons à faire avec un style méticuleux, fort travaillé et littéraire. J’ai trouvé un vrai plaisir à lire un livre bien écrit, bien construit, bien fait, plaisant.

Les chapitres étant relativement courts, moins d’une dizaine de pages, cela se lit vite et l’attrait supplémentaire vient des parties consacrées au passé d’Angelo, qui viennent en alternance avec les enquêtes en cours. L’auteur va y décrire la vie des habitants de la Sardaigne, leur façon de réaliser des enlèvements, mais aussi et surtout l’invasion de la mafia pour y instaurer leur trafic de drogue. D’intéressants, ces passages en deviennent passionnants.

N’apportant pas de révolution dans le polar, ce roman comporte suffisamment d’éléments pour que l’on s’y attache et qu’on n’ait pas envie de le lâcher. Remarquablement bien construit, bien écrit, avec des personnages vivants et réalistes, il est parfois bon de revenir aux fondamentaux avec ce polar de bonne facture.