Editeur : Albin Michel
Traducteur : Charles Recoursé
Je n’ai pas encore entamé Underground Railroad que le nouveau roman de Colson Whitehead est déjà sorti. Après deux Prix Pulitzer, Harlem Shuffle est annoncé comme le premier tome d’une trilogie, dont le deuxième tome sortira aux Etats-Unis dès cet été.
Raymond Carney ne veut pas faire comme son père, un truand alcoolique et violent travaillant pour la pègre de Harlem. Il érige en règle de vie une volonté de rester honnête, et de faire vivre sa famille composée de sa femme Elisabeth et de sa fille May. A la mort de sa mère, il a été élevé par sa tante et ressent une responsabilité envers son cousin Freddy, qui cultive l’art de se retrouver dans des embrouilles à cause de ses petits larcins.
Ray Carney a acheté une petite boutique de vente de meubles, son objectif étant de développer son commerce et de proposer à sa clientèle des produits de meilleure qualité. Pour cela, il faut forcément de l’argent, et il lui arrive d’accepter des produits « tombés du camion » qui lui permettent de survivre. Pour lui, tout l’argent mis de côté doit lui permettre d’acheter un appartement plus grand pour sa famille.
Ray aurait dû refuser la proposition de Freddy de faire le receleur pour sa prochaine affaire. Surtout qu’il s’agit du casse de l’hôtel Theresa, une résidence de luxe qui compte comme clientèle toutes les stars de Harlem, mais aussi les membres de la mafia. Mais Freddie va l’entrainer bien malgré lui dans cette (més) aventure, le désignant auprès de ses comparses comme son receleur officiel.
Colson Whitehead nous présente son roman en trois parties, trois facettes d’un seul homme, trois époques mais une seule facette de Harlem, personnage à part entière de cette fresque sur l’évolution de la cause noire aux Etats-Unis. Harlem Shuffle se veut le portrait d’un quartier, et il va balayer la période allant de 1959 à 1964. Et à travers le personnage de Ray, nous allons assister à la vie de ce quartier noir, parallèle remarquablement bien fait.
Colson Whitehead arrive à nous immerger dans ce quartier exclusivement noir dans les années 60, et nous montre sa vie, ses couleurs, ses ambiances, ses bruits, par l’évocation des décors et des personnages. Si Ray est au centre de cette histoire, Harlem en ressort clairement comme son comparse, bien au-delà d’un simple faire valoir.
Ray, justement, personnage complexe, attire à lui la sympathie du lecteur. Simple père de famille dont la seule ambition est d’améliorer le quotidien de sa femme, veut développer son commerce en toute légalité ; mais en toute hypocrisie aussi quand il s’agit de revendre des équipements « tombés du camion ». Au-delà du refus de tomber dans la délinquance comme son père, il se retrouve obligé de suivre son cousin par loyauté familiale.
De 1959 à 1964, en trois parties, nous allons suivre trois facettes de Ray, la première qui concerne la présentation du personnage et de son environnement, la deuxième où Ray montre son coté sombre, pour conclure sur la troisième et la conclusion finale des deux cousins. Des petits trafics à la grande délinquance, la trajectoire de Ray va suivre celle du quartier de Harlem.
Si ce roman apparait plus comme une gigantesque fresque de Harlem, contrairement à ses deux précédents plus engagés pour la cause noire, on retrouve ici quelques remarques acerbes non dénuées d’humour cynique, tels ces pontes de la mafia qui réservent les drogues dures pour les Noirs. On trouvera aussi l’assassinat d’un jeune noir par la police, entrainant une émeute, comme quoi rien ne change, ni là-bas, ni ici. Pour tout vous dire, je piaffe d’impatience de lire la suite …