Le chouchou du mois de septembre 2016

Oyez, oyez, braves gens ! Regardez mon étal de polars, il y en a pour tous les goûts ! Il vous suffit de choisir en fonction de ce que vous avez envie de lire !

Il me parait normal de mettre en avant mon coup de cœur du moment, mon coup de cœur de l’année 2016, même si celle-ci n’est pas terminée. Cartel de Don Winslow (Seuil) n’est pas un roman extraordinaire, il est exceptionnel. Faisant suite à La griffe du chien, roman devenu culte, cet auteur arrive à nous offrir un voyage en enfer, passionnant de la première à la dernière page. Et à nous montrer le dessous des cartes concernant le trafic de drogues et les luttes de pouvoir au niveau mondial.

Dans la catégorie Oldies but excellent goodies, je ne peux que vous conseiller La bête qui sommeille de Don Tracy (Folio). Outre la dénonciation du racisme, ce roman d’une modernité époustouflante est capable de vous faire ressentir la haine d’une foule en colère. C’est une expérience qui vous le détour, voire plus.

Et si vous cherchez des frissons, mâtinés d’humour, ne cherchez plus ! La proie des ombres de John Connoly (Pocket) est fait pour vous. Cette septième enquête de Charlie Parker est une grande réussite.

Les amateurs de romans policiers pourront tester un nouvel auteur et un nouveau personnage de juge récurrent avec La revanche du petit juge de Mimmo Gangemi (Points). Ce roman fait preuve d’une grande originalité dans la forme et nous présente l’omniprésence de la mafia dans le fond. Très très intéressant !

Et si vous essayiez le dernier roman de Megan Abbott ? Avant que tout se brise (Editions du Masque) est un régal de suspense familial, nous décrivant avec beaucoup de justesse et de subtilité la psychologie d’une mère de famille, aveuglée par les talents de sa fille ainée. Ou bien, vous pouvez lire Mauvaise compagnie de Laura Lippman (Toucan), roman psychologique aussi qui aborde avec beaucoup de talent l’aspect de la présomption d’innocence.

Pour ceux qui veulent du thriller, essayez donc En douce de Marin Ledun (Ombres Noires) et je vous garantis que vous serez surpris. Car le roman se révélera au bout du compte un vrai roman social, dont je ne suis pas prêt d’oublier la dernière phrase.

On peut aussi carrément changer d’univers. Je vous propose donc un un roman de science fiction, basé sur le voyage dans le temps. Dans L’homme qui mit fin à l’Histoire de Ken Liu (Le Belial), on y aborde une vraie réflexion sur la façon d’aborder l’Histoire, au travers d’un rappel des horreurs perpétrées dans l’Unité 731.

Et pourquoi pas faire le grand saut ? Dans Ne sautez pas ! De Frédéric Ernotte (Lajouanie), cette histoire qui repose sur la personnalité de Mathias, un homme comme vous qui se découvre une responsabilité dans la société en aidant les associations humanitaires. Un roman attachant.

Le titre de chouchou du mois revient à Sur les hauteurs du mont Crève-Cœur de Thomas H.Cook (Seuil), pour sa faculté à nous faire revivre la vie dans un petit village du sud des Etats Unis en 1962, et pour cette conclusion surprenante, sans oublier le style subtil et inimitable de ce grand auteur que j’adore.

Je vous donne rendez vous le mois prochain. En attendant, n’oubliez pas le principal, lisez !

Mauvaise compagnie de Laura Lippman

Editeur : Toucan

Traducteur : Thierry Arson

Les romans, c’est souvent une rencontre avec le lecteur, réussie ou ratée. Ce roman purement psychologique est tombé au bon moment, c’est ce dont j’avais besoin. Même s’il n’est pas parfait, il pose des questions importantes sur la présomption d’innocence.

Baltimore. Ça commence comme un drame qui n’aurait jamais du avoir lieu. Ronnie et Alice sont deux jeunes filles de 11 ans qui sont à la fois voisines et copines. La proximité de leur maison fait qu’on les voit souvent ensemble. Lors d’un anniversaire d’une fille de leur classe, la mère organisatrice reprend Alice, quand celle-ci jette une poupée Barbie dans une flaque de boue. Elle refuse de la ramasser, alors la mère prend le bras de la jeune fille … peut-être serre-t-elle trop ? Alice se dégage, mais ce faisant, elle met un coup de poing à la mère. Résultat : Alice et Ronnie sont gentiment priées de rentrer chez elle et elles insistent pour faire le trajet à pied. Errant dans un quartier qu’elles n’auraient pas du arpenter, elles voient un landau avec un bébé dedans. Elles frappent à la maison pour le signaler, d’autant plus qu’il fait soleil et très chaud. Personne ne répond, alors les deux filles emmènent le bébé. Quelques jours plus tard, le corps du bébé est retrouvé …

Sept ans plus tard, Ronnie et Alice ont purgé leur peine. Elles ont été enfermées dans des centres de délinquance juvénile différents. Elles vont revenir dans leur ville de Baltimore, chacune de leur coté, chacune avec ses propres moyens. Alice est devenue une jeune femme grassouillette, Ronnie est grande et maigre. La mère d’Alice retrouve son enfant, et cherche à la protéger. Ronnie se débrouille pour trouver un travail de vendeuse.

Cynthia Barnes, qui a perdu son bébé est excitée par le retour des deux jeunes femmes. Pour elle, c’est une aberration. Et elle a peur car elle a eu depuis un autre enfant. Sharon, l’avocate qui a défendu Alice, a un sentiment de culpabilité vis-à-vis de son échec et de la condamnation de sa cliente. Quant à la police, dont Diane Porter, elle ne s’occupe pas de cette situation … jusqu’à ce qu’un nouveau bébé disparaisse …

Si mon résumé est si long, c’est bien parce que le contexte est important dans cette histoire, et que l’auteure prend d’ailleurs son temps pour placer les différents personnages. Il existe des romans qui racontent le retour après un séjour en prison, et ce sont plutôt des romans noirs, durs. Ici, Laura Lippman nous livre plutôt un roman purement psychologique, et se permet de détailler, par chapitres alternés les réactions de chacun.

Donc il faut s’attendre à un rythme lent, et à une description fort judicieuse de chaque attitude, même si par moments, j’ai trouvé que les réactions étaient exagérées. Mais dans l’ensemble, le traitement du sujet, ou des sujets abordés est brillant, et très maitrisé. Car le sujet du roman est bien la présomption d’innocence, la dette payée à la société qui vous poursuit toute votre vie. Je parle de sujets au pluriel, car je dois ajouter que le bébé mort est noir alors que les deux jeunes filles Ronnie et Alice sont blanches ; qu’il faut condamner ces jeunes filles à une lourde peine, pour le calme de la ville, d’autant plus qu’elles sont issues de familles pauvres alors que la petite Barnes est issue d’une famille aisée.

Tous ces sujets forment les questions que pose l’auteure dans la première moitié de ce roman. Puis, après la disparition du deuxième bébé, on retrouve les mêmes thèmes avec, en plus, les a priori de la police lors de leur enquête, et les harcèlements de la presse. Du coup, l’enquête passe clairement au second plan pour mettre en lumière les réactions exacerbées des uns et des autres, comme une sorte de meute de loups qui s’acharnent sur deux jeunes filles innocentes … mais sont-elles innocentes ? Je ne vais quand même pas tout vous dire ! Vous l’aurez compris, les fans de romans psychologiques vont être ravis. Quant aux autres, posez-vous la question : Un criminel qui a purgé sa peine est-il dans l’esprit de tous innocenté ?

L’homme qui mit fin à l’Histoire de Ken Liu

Editeur : Le Belial – Collection : Une heure lumière

Traduction : Pierre-Paul Durastanti

Je dois cette lecture à l’insistance et au prêt de Greg2. Qu’il en soit grandement remercié car ce livre est un livre choc, une de ces novellas que vous n’êtes pas prêt d’oublier. Il s’agit d’un roman de Science Fiction, flirtant sur le thème du voyage dans le temps, mais il s’agit aussi d’un brûlot, d’un de ces romans qui dénoncent en même temps qu’ils veulent faire preuve de mémoire. Un livre important, donc.

Quatrième de couverture :

Futur proche.

Deux scientifiques mettent au point un procédé révolutionnaire permettant de retourner dans le passé. Une seule et unique fois par période visitée, pour une seule et unique personne, et sans aucune possibilité pour l’observateur d’interférer avec l’objet de son observation. Une révolution qui promet la vérité sur les périodes les plus obscures de l’histoire humaine. Plus de mensonges. Plus de secrets d’État.

Créée en 1932 sous mandat impérial japonais, dirigée par le général Shiro Ishii, l’Unité 731 se livra à l’expérimentation humaine à grande échelle dans la province chinoise du Mandchoukouo, entre 1936 et 1945, provoquant la mort de près d’un demi-million de personnes… L’Unité 731, à peine reconnue par le gouvernement japonais en 2002, passée sous silence par les forces d’occupation américaines pendant des années, est la première cible de cette invention révolutionnaire. La vérité à tout prix. Quitte à mettre fin à l’Histoire.

« Ken Liu est un génie. » Elizabeth Bear

Ken Liu est né en 1976 à Lanzhou, en Chine, avant d’émigrer aux États-Unis à l’âge de onze ans. Titulaire d’un doctorat en droit (université de Harvard), programmeur, traducteur du chinois, il dynamite les littératures de genre américaines depuis une dizaine d’années, collectionnant distinctions et prix littéraires, dont le Hugo, le Nebula et le World Fantasy Award. En France, son recueil La Ménagerie de papier (Le Bélial’, 2015) est lauréat du Grand Prix de l’Imaginaire 2016.

Mon avis :

Revenons pour commencer sur le titre : Je me demande si, s’il avait été en lettres minuscules, l’auteur aurait écrit histoire avec un h minuscule ou un H majuscule. Car il est bien question d’Histoire. En Anglais, le titre n’offre pas de doute, c’est bien The man who ended History. Car il est bien question, avec ce sujet sur un voyage dans le temps à un endroit et un moment particulier et bien défini, de l’Histoire. Et c’est bien la question que l’auteur nous pose : La possibilité de vérifier de visu certains événements passés nous permettrait-elle de confirmer certains passages de l’Histoire ? Ou au contraire, cela ne ferait-il que semer la discorde et laisser libre cours aux négationnistes de tous poils sous prétexte que les participants à cette expérience ne sont que des témoins, donc faillibles.

En ce qui concerne le titre, l’auteur (et la version française, mais pas sur la couverture) a ajouté The man who ended History : A documentary. Effectivement, la forme de cette novella est construite comme un documentaire. Chaque plan y est décrit et passe d’un témoin à l’autre, donnant même la parole aux scientifiques ou à leurs conjoints. Quelle bonne idée d’avoir construit le roman de cette façon, donnant ainsi plus de force et de véracité à ce qui y est raconté, rendant ainsi chaque chapitre, chaque témoignage passionnant.

Le sujet central est l’Unité 731, ce laboratoire créé dès 1932 à Pingfang, localité proche de la ville de Harbin au Mandchoukouo (actuelle province du Heilongjiang en République populaire de Chine), où les Japonais se sont livrés à des expérimentations sur des Chinois vivants, soit disant pour étudier des maladies. On y trouve quelques passages difficiles tant ils sont cruels mais le principal n’est pas là. Il est bien sur dans ce qu’il advint après, tous ces soldats innocentés pour peu qu’ils reconnaissent ce qu’ils avaient faits, ces pseudo-chirurgiens qui ont été réhabilités par le Japon ou les Etats Unis pour peu qu’ils partagent leur savoir. Ce livre contient des témoignages de certains d’un camp ou de l’autre et même des opposés à cette expérimentations qui affirment, arguments à l’appui, que cela n’a aucune importance.

En un peu plus de 100 pages, Ken Liu nous pond un roman impressionnant, passionnant, dont le but est surtout de nous faire réfléchir sur l’Histoire, sur les réactions des uns et des autres et nous pose la grande question : Qu’est-ce que l’histoire ? Pour ma part, j’ai trouvé un peu réducteur de dire ou laisser entendre que l’histoire est un amoncellement de faits. Je pense qu’il faut plutôt trouver le déroulement logique qui amène à de telles exactions, en trouver les causes pour éviter que cela n’arrive à nouveau. Mais ce n’est que mon avis. En tous cas, c’est une novella à ne manquer sous aucun prétexte.

Cartel de Don Winslow

Editeur : Seuil

Traduction : Jean Esch

Attention, coup de cœur, gros coup de cœur, énorme coup de cœur !

J’ai bien peur que ce billet s’adresse à ceux qui ont lu La griffe du chien. Pour les autres, dépêchez vous de rattraper votre retard, car Cartel en est la suite, et c’est un MONUMENT ! La griffe du chien fait partie de mon Top 10 de tous les livres que j’ai pu lire, et c’est forcément avec un peu d’appréhension, de crainte, que j’ai commencé cette lecture. Je dois dire qu’il y avait aussi un peu de peur, celle de trouver ce roman bien, mais sans plus, de ternir ce fantastique livre qu’est La griffe du chien.

Il n’en est rien. Cartel se révèle au niveau de son prédécesseur, sans se répéter ou paraphraser l’épopée précédente. Alors que La griffe du chien racontait l’ascension inéluctable du trafic de drogue, approuvé par les Etats Unis, à travers un duel devenu personnel entre Art Keller et la famille Barrera, entre 1975 et 2000, Cartel raconte la guerre civile (ou presque parce que non reconnue comme telle) qui a ravagé le Mexique. Il balaie donc la période qui va de 2004 à 2012.

Le livre s’ouvre sur une liste plus de 200 personnes, 200 journalistes qui sont morts pour avoir enquêté ou parlé des événements qui se sont passés au Mexique pendant son écriture. Comme entrée en matière, ça plombe l’ambiance et après avoir lu Cartel, on comprend que Don Winslow a voulu rendre hommage à tous ces gens qui luttent pour informer, qui veulent faire éclater la vérité, en relatant les faits.

2004, au Nouveau Mexique. Art Keller a quitté la DEA et s’est reconverti en apiculteur dans un monastère. Pour tenter d’oublier son passé, sa vie, mais aussi pour fuir.

2004, San Diego. Adan Barrera, l’ancien roi de la drogue, passe 23 heures par jour dans sa cellule. Son avocat vient lui annoncer la mort de sa fille Gloria, atteinte de Lymphangiome kystique qui engendre une malformation de la tête. Adan veut assister aux obsèques à tout prix. Il demande à son avocat de négocier sa présence contre des informations sur les cartels mexicains. Au retour de l’enterrement, Adan Barrera promet la tête d’Hugo Garza, le leader du cartel du Golfe, à la condition d’être extradé dans une prison au Mexique.

Dans la prison de Puente Grande, Adan organise sa cellule avec un coin bureau et a même droit à une cuisine individuelle avec cuisinier. Il reprend le métier, organisant les transports et recevant toutes les informations sur ses ordinateurs personnels. Il met la tête d’Art Keller à prix, pour deux millions de dollars, car il veut avant tout éliminer son pire ennemi. Dans la nuit de réveillon, il organise une rébellion et en profite pour s’échapper.

Art Keller a été prévenu par deux agents de la DEA. Sa tête est mise à prix. Alors, il reprend la fuite, changeant tous les jours d’hôtel, abattant de jeunes drogués qui lui courent après. Mais la fuite n’a qu’un temps. Il se résigne à retourner voir Taylor, son ancien chef à la DEA, et lui propose ses services pour arrêter Adan Barrera. Car c’est avant tout une question d’honneur et de survie.

Après quelques dizaines de pages pour introduire l’histoire, Don Winslow entre dans le vif du sujet, ou plutôt il nous plonge brutalement dans le Mexique des années 2000, un pays livré aux cartels de la drogue, qui se font la guerre entre eux, engendrant un massacre (et je pèse mes mots !) qui s’apparente plus à un génocide qu’à une guerre civile. Chaque région étant détenue par un cartel, les combats deviennent une guerre de territoire, chaque camp se construisant une véritable armée de milliers de tueurs sanguinaires, chaque camp étant soutenu soit par la police municipale, soit la police fédérale, soit par l’armée. Bref, chaque événement est l’occasion d’engendrer une vague de crimes dont les innocents sont plus nombreux au sol que les coupables eux-mêmes.

Cartel, c’est un livre de fou, qui réussit à nous faire vivre de l’intérieur cette situation inédite d’un pays qui a perdu le pouvoir face au crime organisé comme des armées de mercenaires, des soldats sans aucune humanité.

Cartel, c’est un livre qui vous montre que derrière les horreurs, derrière les compromissions, derrière les corruptions, derrière les hypocrisies des grands pays industrialisés, il y a des hommes et des femmes qui se battent pour vivre, car ils veulent vivre honnêtement.

Cartel, c’est un livre qui démonte tous les mécanismes, toutes les décisions prises si haut au sommet de tous les états (de la Maison Blanche à l’Europe) qui soit disant font tout pour lutter contre la drogue, mais qui en sous-main facilitent le trafic par l’ouverture des frontières pour laisser passer des camions ou des bateaux remplis de cocaïne.

Cartel, c’est un gigantesque roman de guerre politique et économique, comme un énorme jeu de plateau où chacun avance ses pions, fait des alliances avec ses ennemis d’hier pour mieux récupérer une région ou mieux trahir un ami d’hier, tout cela au nom du pouvoir et non de l’argent, puisqu’ils sont immensément riches et ont placé leur argent dans les entreprises industrielles mondiales.

Cartel, c’est un livre qui prend votre tête pour la plonger dans le sable du désert, où sont enterrés des milliers de personnes ; pour vous emmener dans un trajet de bus quand une bande armée débarque et tire dans le tas, qui vous montre que l’on peut élever des enfants de 11 ans et en faire des machines à tuer.

Cartel, au-delà du souffle épique et de son incroyable densité, c’est aussi des personnages, tous plus sublimes les uns que les autres ; qu’ils soient du bon coté ou du mauvais, ils sont tous à vos cotés, ils vous montreront leur vie, leur logique. Au premier rang d’eux, il y aura des femmes, formidables de courage (Marisol en particulier) qui vont reconstruire un village ; il y aura des journalistes grandis par leur courage et à l’espérance de vie si courte ; il y aura des policiers corrompus, des paysans, des barmen, des caïds, des mercenaires, des enfants, et tant de morts.

Cartel, c’est avant tout un grand, un énorme roman, qui se base sur une documentation impressionnante, qui arrange les faits pour faire avancer son intrigue et qui débouche sur une scène finale de feu d’artifice. D’ailleurs, je remercie Damien Ruzé pour m’avoir signalé ce site qui lui relate la situation du Mexique : http://www.borderlandbeat.com/. Parce que, ne croyez pas que c’est fini. La guerre de la drogue est d’ors et déjà perdue. Et les responsables de la situation mexicaine sont aussi à chercher de l’autre coté de la frontière.

Cartel, c’est tout simplement ma meilleure lecture de 2016.

Coup de cœur !

Ne ratez pas les avis des amis Jean-Marc et Yan.

 

Sur les hauteurs du Mont Crève-Cœur de Thomas H.Cook

Editeur : Seuil

Traducteur : Philippe Loubat-Delranc

Le dernier roman en date de Thomas H.Cook, que j’adore pour son talent et sa subtilité à faire revivre des époques passées est une merveille de roman social et s’intéresse aux années 60, dans le Sud des Etats Unis. Suspense et surprises au rendez vous !

« Voici le récit le plus tragique qu’il m’ait été donné d’entendre. Toute ma vie, je me suis évertué à le garder pour moi. » Ainsi commence ce roman, ainsi parle Ben Wade …

Cette histoire dramatique nous est contée par Ben Wade, médecin à Choctaw, une petite ville d’Alabama où il a passé toute son enfance. Quand il était jeune, il aidait son père à remplir les rayons de l’épicerie. Puis, il a fait ses études au lycée de Choctaw avant de poursuivre ses études de médecine ailleurs. Ben se rappelle l’année scolaire 1961-1962, celle qui a tout décidé de son avenir.

Ben a toujours été un très bon élève. C’est pourquoi le directeur a pensé à lui pour devenir le rédacteur en chef du journal du lycée, le Wildcat. Ben accepte cette charge et quand il en parle à Luke Duchamp, son meilleur ami, celui-ci lui dit qu’on lui a forcé la main. Ben s’en défend, arguant que cela allègera la charge de Mlle Carver qui s’en occupait jusqu’à maintenant. En tous cas, Ben espère rehausser le niveau intellectuel du journal.

Cette année là, une nouvelle élève est arrivée du Nord, de Baltimore Kelli Troy. Bien qu’elle fût de nature discrète, tout le monde la remarquait grâce à ses cheveux blonds, ses yeux bleus. Tout la différenciait car elle venait du Nord, d’une grande ville et était élevée seulement par sa mère. Tout cela alimentait les on-dit, mais personne n’aurait pu imaginer ce qui allait se passer en cette année 1962.

A la fin de l’année 1962, on a retrouvé le corps de Kelli en haut du mont Crève-Cœur. C’est Lyle Gates qui a été arrêté et accusé pour ce méfait, un jeune à la réputation de violent. Ben avait remarqué Kelli, il ressentait de l’attirance pour elle, surtout parce qu’elle venait d’ailleurs. Quand elle vint lui proposer un poème pour le Wildcat, ils devinrent amis et collaborateurs pour le journal …

A chaque roman de Thomas H.Cook, je me laisse embarquer par cette façon de poser un personnage, une situation, un événement dramatique et de dérouler son intrigue en insérant intelligemment des scènes du passé qui vont donner de l’épaisseur à l’ensemble. Ben Wade est un personnage foncièrement bon, reconnu et apprécié dans sa petite ville de Choctaw. Et pourtant un événement le mine. A partir de ce début si simple, Thomas H.Cook nous décrit un homme « adulé » mais si triste à l’intérieur. Et, au début, on croit à une bluette sur un amour de jeunesse …

Mais c’est mal connaitre cet auteur, ce grand auteur, manipulateur né. Ce début d’histoire lui donne l’occasion de revenir en 1962, dans le sud des Etats Unis, où finalement, l’égalité entre blancs et noirs n’est qu’un mirage. Certes, vu de loin, tout se passe bien, mais en réalité, certaines petites remarques, certaines attitudes, ou même la présence de si peu de noirs au lycée viennent montrer subtilement au lecteur que la réalité est plus moche que ce que l’on imagine.

Thomas H.Cook navigue avec une telle facilité dans la description de ce petit microcosme, qu’on a l’impression de faire un voyage dans le temps. L’apparition de Kelli, jeune fille passionnée pour l’égalité des chances vient certes mettre de l’huile sur le feu, et on en vient à regretter que l’auteur situe ses origines dans le Nord, car je trouve qu’il n’était pas utile de grossir le trait dans ce roman là. Vous avouerez que c’est un bien petit reproche !

Ami lecteur, que tu connaisses ou pas Thomas H.Cook, sache que ce n’est pas un roman revendicateur, ni même un roman témoignage, même s’il en a tous les atours, mais avant tout une belle histoire avec de beaux personnages, des mystères opaques et une fin … franchement, je croyais m’attendre à tout sauf à ça ! Après avoir tourné la dernière page, je me suis dit : « Avec tous les livres que j’ai lus de cet auteur, je me suis encore fait avoir ! ». Excellent, une fois encore c’est excellent. Lisez ce roman, vraiment !

La Revanche du petit juge de Mimmo Gangemi

Editeur : Seuil (Grand format) ; Points (Format poche)

Traduit par : Christophe Mileschi

C’est suite aux avis des amis Jean-Marc, Yan et Claude que ce roman m’a attiré. Ils disent en effet qu’il a un ton original, et je me devais de tester cette lecture. Je ne fus pas déçu, bien au contraire.

Don Mico Rota est en prison depuis plus de 14 ans, condamné à perpétuité pour de nombreux meurtres. Il faut dire qu’il est le chef suprême de la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise. De par son statut, il est le maître incontesté, à la fois dans la prison mais aussi à l’extérieur, puisqu’il arrive à gérer ses affaires en étant enfermé. A l’âge de 75 ans, il espère sortir pour raison médicale, et finir sa vie tranquillement chez lui, puisqu’il lui reste quatre mois à vivre.

Le juge Giorgio Maremmi ne se fait pas d’illusion quant à la décision qu’il doit prendre, concernant le sort de l’assassin Francesco Manto. Quand il est condamné, Manto menace le juge en plein procès : « Infâme et fils d’infâme. T’en as marre de vivre ? T’es mort, tu piges ? T’es mort. ». Ces menaces ne devraient pas le toucher mais le frère de Manto étant en liberté, cela l’ébranle tout de même.

Giorgio Maremmi se mit à sortir moins, pour éviter tout risque. Il accorde juste quelques heures, lors de repas, à son ami et juge aussi Alberto Lenzi et à Lucio Cianci Faraone, riche exploitant de l’oliveraie familiale. Alberto Lenzi est plutôt le genre fainéant, fêtard et sans aucune ambition. Deux jours plus tard, Maremmi sort à la pharmacie pour s’acheter des bonbons à la menthe, pour calmer sa toux. Au retour, un homme s’immisce dans l’entrée de son immeuble et l’abat de deux balles.

Alors que les recherches s’orientent vers le frère de Manto, Alberto Lenzi va devoir abandonner ses parties nocturnes de poker pour essayer de savoir qui a pu tuer son ami et juge Maremmi. D’autant plus que l’on retrouve bientôt le cadavre du frère de Manto …

C’est une sacrée découverte que ce premier roman de Mimmo Gangemi, car c’est un roman pour le moins surprenant. L’auteur prend le temps d’installer ses personnages, tout en prenant un soin particulier à décrire cette partie de l’Italie si belle, si aride, avec ses belles plantations d’arbres, balayées par le vent du Nord.

C’est aussi dans sa façon de mener son intrigue que l’auteur arrive à imprimer un ton très personnel à son histoire. Il prend en effet un nouveau personnage, décrit sa vie, sa façon quotidienne de passer ses journées, puis l’insère dans l’histoire globale, tout cela dans un chapitre en plein milieu de l »histoire. C’est donc toute une galerie de personnages à laquelle nous avons droit qui sont tous des personnages aussi importants qu’Alberto Lenzi qui sert lui de liant à tout cela.

Alberto Lenzi justement, est une sacrée figure, puisque nous avons à faire avec un antihéros dans toute la noblesse du terme. Il ne cherche rien, ne voulant juste que profiter de la vie. Sans aucune ambition, divorcé avec un enfant qu’il ne voit jamais car il n’en voit pas l’intérêt, il est une sacrée figure de personnage immature, ou du moins un personnage qui sait qu’il ne peut pas changer la société dans laquelle il vit.

La société, justement, est totalement gérée par la mafia, la ‘Ndrangheta. Celle-ci est comme une pieuvre, comme un lézard qui, même si on lui coupe une patte, la retrouve après qu’elle ait bien vite repoussée. Cette situation est remarquablement retranscrite au travers de tous les habitants, qui savent tout, mais ne disent rien, qui résolvent leurs problèmes en faisant appel à la mafia plutôt qu’à l’état.

Ceci est remarquablement mis en évidence grâce au personnage de Don Mico Rota, qui gère la société du fond de sa cellule, qui va convoquer le juge Alberto Lenzi pour lui donner des bribes d’information qui vont faire avancer son enquête, au moyen de paraboles toutes plus belles et amusantes les unes que les autres. Car ce roman est écrit avant tout sans prendre parti et avec beaucoup de dérision, avec une légèreté qui donne à l’ensemble une facilité de lecture et un ton définitivement original. Comme je vous l’ai dit, c’est une sacrée découverte, et j’ai hâte de lire la deuxième aventure d’Alberto Lenzi qui s’appelle Le pacte du petit juge et qui est sorti au Seuil.

Ne sautez pas ! de Frédéric Ernotte

Editeur : Editions Lajouanie

Son premier roman C’est dans la boite était d’une originalité indéniable, son intrigue était d’une maitrise impressionnante et son style … trompeur puisque lié à l’intrigue. Ces qualités lui ont permis de remporter le Balai de la Découverte. Voici donc le deuxième roman de Frédéric Ernotte … et il est très différent du premier, mais aussi surprenant. Comme l’indique la couverture du livre, ce n’est pas un roman policier, quoique …

Mathias Von Rosten est laveur de vitres. Son père lui avait dit, quand il était jeune, que tout un chacun avait un talent. Celui de Mathias est de ne pas souffrir de vertige mais aussi une certaine insouciance. C’est un personnage ordinaire qui vit avec Elisa, qui est entouré d’amis et qui est d’une nature plutôt positive, évitant de polluer sa bonne humeur par les journaux télévisés et autres événements extérieurs à sa petite vie.

A la suite d’un excès de vitesse pour lequel il est passé devant le tribunal, il fut condamné à des heures de Travaux d’Intérêt Général et proposa de passer ces heures à aider des organismes humanitaires. Il doit donc faire du porte à porte pour vendre des petits personnages, sortes de poupées miniatures qui ne servent à rien, si ce n’est de ramener de l’argent à de bonnes œuvres. Et Mathias ne manque pas d’idées, ni d’arguments pour vendre ses gadgets.

Ce jour-là, il est assis en haut d’un immeuble de Bruxelles, les jambes pendant dans le vide. Un homme habillé en costume le supplie de ne pas sauter dans le vide. C’est probablement le responsable de la sécurité de l’immeuble qui a peur de perdre son boulot ! Alors, Mathias, qui n’a aucune envie de sauter, joue le jeu et lui demande un chèque de 5000 euros à adresser à l’ordre d’une association caritative. Cet événement va changer la vie de Mathias et lui donner une idée … mais rien n’est aussi simple qu’il l’imagine.

D’un roman policier à énigme, Frédéric Ernotte nous écrit un roman plutôt introspectif, raconté à la première personne, avec un personnage jeune et irresponsable. Quoique … En fait, le premier tiers du livre consiste à entrer dans la philosophie de ce personnage, qui a une vie centrée sur lui-même et qui se découvre des possibilités d’améliorer celle des autres. C’est une belle philosophie qui remet un certain nombre d’idées en place, car on peut vivre sa vie et penser aux autres.

En cela, le personnage est plus complexe qu’il n’y parait, puisque Mathias nous montre ses propres contradictions. Pour autant, il n’est pas désagréable, toujours de bonne humeur, et nous assène quelques vérités bien senties sur des travers de notre société mais sans aucune revendication, puisque c’est son avis à lui. Aussi, ce n’est pas un roman qui dégouline de bons sentiments, une sorte de roman à l’eau de rose moderne, mais juste une bonne histoire qui n’a d’autre but que de se laisser suivre avec un contexte qui doit nous mettre en face de nos responsabilités en tant que citoyen.

Est-ce forcément mal de ne pas faire le bien ? C’est bien le sujet de ce livre, dont le deuxième tiers va montrer comment Mathias va développer son idée, qui oscille d’un coté à l’autre de la ligne jaune de la légalité, avant d’arriver au troisième tiers plus stressant, plus dramatique, par un brusque retour à la dure réalité. C’est donc un roman intéressant à lire, passionnant à lire, important à lire, qui, grâce à son style humoristique, cynique et sautillant, vous fera passer un excellent moment de lecture et qui vous fera réfléchir aussi.

Avant que tout se brise de Megan Abbott

Editeur : Editions du Masque

Traduction : Jean Esch

Ce n’est un secret pour personne : je suis un fan de Megan Abbott. Depuis quelques romans, elle choisit de fouiller la psychologie des gens comme vous et moi, nous montrant le quotidien de ses personnages par petites touches. Ce nouveau roman s’intéresse à une famille dont la fille va devenir gymnaste et c’est l’occasion de regarder comment les parents et leur entourage va réagir face à des rebondissements. Une vraie réussite !

Dans la famille Knox, ils sont quatre. Eric le mari, Katie la mère, Devon la fille ainée et Drew le petit dernier. Quand elle était petite, Devon s’approcha trop près de la tondeuse à gazon, et elle eut quelques doigts de pied coupés. Ses parents furent choqués, marqués à vie par cet événements, et, à partir de ce jour, ils ont tout fait pour que Devon réussisse. Ayant un talent inné pour des figures et son équilibre, sa petite taille et sa musculature la dirigeait naturellement vers la gymnastique. Surtout, Devon faisait montre d’un esprit de fer, d’une volonté inébranlable.

Au club BelStars, Devon est devenue la star. Tout la regardait, l’adulait. Coach Teddy avait mis tous ses espoirs en elle. Rapidement, elle atteint le niveau 10 et il proposa d’entrainer leur fille pour qu’elle passe les qualification pour devenir Elite Junior, ce qui concerne 65 filles aux Etats Unis, les meilleures. Les entrainements étaient incessants, durs, et les parents de Devon avaient même installés des appareils d’entrainement dans leur sous-sol. Le jour des qualifications, Devon rata sa réception, la faute à ce maudit pied auquel il manquait deux orteils.

Loin de se laisser abattre, voulant le meilleur pour leur fille, et rongés par la culpabilité, Eric et Katie prirent les rênes du club de gymnastique et poussèrent le club à investir dans une fosse de réception : Puisque leur fille avait raté le concours Elite Junior, elle se préparerait pour celui d’Elite Sénior dans deux ans. C’est là qu’un beau jeune homme Ryan apparut, participant à la construction de la fosse. Alors que Devon travaillait d’arrache pied pendant les 18 mois suivants, Ryan fut découvert mort un soir, renversé par une voiture. Coupable d’un délit de fuite, le chauffard ne s’était pas arrêté. Ryan était le petit ami de Hailey, la nièce de Coach Teddy. Cette nouvelle bouleversa le petit monde qui gravite autour de BelStars.

Alors que je n’avais pas aimé son précédent roman, Fièvre, dans lequel je trouvais des répétitions et surtout beaucoup de sujets évoqués sans en creuser aucun, et abandonnant trop la psychologie des personnages à mon gout, je retrouve dans ce roman tout ce que j’aime dans la façon d’aborder une intrigue chez Megan Abbott. L’auteure prend quelques personnes comme vous et moi, et les regarde vivre, interagir avec leur environnement, en ajoutant quelques anecdotes liées à leur passé, ce qui permet de construire leur personnalité souvent trouble et à plusieurs facettes.

Et surtout, je retrouve cette subtilité dans les mots choisis, cette faculté de décrire une scène simplement, mais en rajoutant un ou deux mots ou adjectifs qui changent tout dans notre façon de percevoir le lieu et les pensées des protagonistes. Il faut être clair : le rythme est lent, et c’est un roman psychologique dans lequel on trouvera quelques événements en guise de rebondissement, mais le principal n’est pas là, car tout se situe dans les réactions des uns et des autres, leur amour ou leur haine de Devon (c’est selon), les petites cachoteries, les vacheries que les adolescentes s’envoient, les motivations des uns et des autres et leurs mensonges ou devrais-je dire les fausses vérités.

On va trouver dans ce roman toute une galerie de personnages, une bonne vingtaine, sans que l’on ne soit perdu, et ils vont créer le décor autour de la famille Knox. Car le sujet de ce roman, c’est bien la famille et le prix que les parents sont prêts à payer pour amener leurs enfants au succès, ou du moins à faire leur vie. Si Eric est rongé par culpabilité depuis que Devon s’est coupé 2 orteils, et s’il va faire tout ce qui est en son pouvoir pour corriger son erreur, Katie va quant à elle voir en sa fille sa deuxième victoire, la première étant d’avoir épousé son mari. Pour elle rien n’est trop beau, tout doit être fait pour que la victoire de sa fille devienne la sienne. Katie est aussi aveuglée par sa famille, par sa fille et c’est elle, en personnage principale qui va découvrir les dessous de la communauté et perdre ses illusions. Devon, quant à elle, est une jeune adolescente qui, après avoir raté son concours, va se dévouer à son sport, avant de découvrir le regard des autres et les émois liés à son âge. Quant à Drew, le petit dernier, il est un peu laissé à part et fera son apparition sur le devant de la scène dans la deuxième partie du roman.

Ce roman, comme je l’ai dit précédemment, est écrit avec toute la subtilité et la justesse que j’aime chez Megan Abbott. C’est un exercice bien difficile de créer des personnages communs et de les faire vivre de façon réaliste, et ici, c’est une nouvelle fois une grande réussite, comme dans Vilaines filles. C’est un pur roman psychologique qui, l’air de rien, fait monter la tension au fur et à mesure de l’évolution de l’intrigue, un petit régal de suspense familial et j’en redemande. Je tiens à signaler l’excellent travail du traducteur Jean Esch, qui a su retranscrire le choix subtil des mots de l’auteure pour nous faire apprécier toute l’intelligence de cette écriture.