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Hôtel Carthagène de Simone Buchholz

Editeur : L’Atalante – Fusion

Traductrice : Claudine Layre

Chastity Riley, procureure à Hambourg, est un personnage formidable dont je lis toutes les enquêtes depuis sa première parution en France. A chaque fois, on a droit à une enquête coup de poing proposant des sujets sociaux cruciaux et surtout aux descriptions de la vie de cette femme libre de ses actes et en proie à des cicatrices intérieures. La liste des enquêtes de Chastity Riley figure en fin de billet.

Faller, jeune retraité, a décidé d’inviter tous ses collègues amis à son soixante cinquième anniversaire. Plutôt que d’organiser cette fête dans un petit bar, il a choisi le lounge luxueux situé au dernier étage de l’hôtel River Palace. Faller et Chastity se retrouvent donc avec ceux qu’ils considèrent comme leur famille, dont Klatsche et Inceman, les anciens ou actuels amants de la procureure. La soirée doit devenir l’occasion de boire, un peu, beaucoup, passionnément pour laisser de côté l’éventuelle gêne de se retrouver tous face à face dans un même lieu. Seul Ivo Stepanovic manque à l’appel, volontairement en retard. Alors que Chastity se coupe le doigt sur un piquant d’une feuille d’ananas de son piña-colada, douze hommes armés débarquent brusquement et prennent tout le monde en otage.

En parallèle, nous suivons l’histoire de Henning Garbarek. En 1984, Henning arpente les sombres rues du port de Hambourg, n’ayant même pas quelques deutsche marks pour se payer à boire. Il embarque à bord d’un cargo et arrive à Carthagène en Colombie. Il trouve du travail dans un bar et rencontre Esteban, un trafiquant de drogue qui vendre étendre son marché à l’Allemagne. Il charge Henning de trouver des gens fiables pouvant vendre sa cocaïne en Allemagne. En échange, Esteban lui confiera la gestion du bar. Alors que Henning met en contact Esteban avec trois de ses anciennes connaissances, il rencontre l’amour de sa vie en la personne de Mariacarmen, à qui il ne dira rien de ses troublantes relations avec le monde du trafic de drogue.

Simone Buchholz a dû se lancer un défi avant de commencer ce roman : écrire un huis-clos. Forcément, pour y voir participer toute la bande de policiers autour de Chastity Riley, cela devait se passer autour d’une célébration exceptionnelle. Et elle a dû choisir l’anniversaire de Faller, l’ancien chef et mentor de notre procureure. En fait, cela m’amuse d’imaginer la naissance d’un roman, ce qui a poussé l’auteure à écrire cette histoire.

Sauf que Simone Buchholz n’est pas une auteure comme les autres. Imaginer deux intrigues en parallèle qui se rejoignent à la fin, on connait. Mais quand on insère dans cette histoire une femme pas comme les autres, obligée de faire face à ses amants … cela devient une histoire introspective avec le côté cash de Chastity que l’on connait et que l’on adore. Rassurez-vous, ce roman, bien que dédié à Alan Rickman, ne ressemble en rien à Piège de Cristal.

Car cette prise d’otage va obliger Chastity à se voir telle qu’elle est, une femme forte certes, mais qui manipule les hommes pour son plaisir. Ce mal-être va s’accentuer avec sa blessure, sa fièvre qui va s’ensuivre, les effets de ses médicaments antidouleurs qu’elle va prendre et les quantités astronomiques d’alcool qu’elle va ingurgiter. Cela va nous permettre d’assister à des scènes délirantes poignantes.

En parallèle, Simone Buchholz narre l’histoire de Henning et on se retrouve avec un style plus classique, mais redoutablement descriptif et émouvant. Henning n’a rien demandé à personne et se retrouve dans un engrenage violent qui va détruire sa vie. Et l’auteure nous assène sa conclusion en une phrase, un véritable coup de feu en plein cœur. On retrouve là tout le talent de l’écriture de Simone Buchholz.

Avec un genre éculé de prise d’otage, avec un décor unique pour son huis-clos bien connu aussi dans le polar, Simone Buchholz arrive encore à innover, et à nous offrir un opus qui est très différent des précédents mais tout aussi fascinant et dramatique. Certes, je suis fan de Chastity Riley mais je deviens de plus en plus fan de Simone Buchholz. Vivement le prochain … l’année prochaine ?

Les enquêtes de Chastity Riley :

Les fils de Shifty de Chris Offutt

Editeur : Gallmeister

Traducteur : Anatole Pons-Reumaux

Après le formidable premier tome de cette trilogie, Les gens des collines, voici donc la suite qui est tout aussi passionnante.

Mick Hardin, membre du Criminal Investigation Division de l’armée, est toujours en permission dans sa ville natale de Rocksalt dans le Kentucky. Il se remet d’un attentat à l’explosif qui l’a blessé à la jambe. Sa sœur Linda le loge alors qu’elle doit préparer sa réélection au poste de shérif. Il reste une semaine à Hardin avant son retour et il continue à consommer des médicaments antidouleurs. Il doit aussi faire face à la demande de divorce de sa femme qui vient d’avoir un bébé avec un autre homme.

Un chauffeur de taxi découvre sur un parking de supermarché abandonné le cadavre d’un homme criblé de balles. Mick et Linda se rendent sur place et s’aperçoivent que le corps a été déplacé, vue la faible quantité de sang sur place. Linda identifie rapidement le mort, Barney « Fucking » Shifty, un dealer d’héroïne du coin. Pour la police, il s’agit sans aucun doute d’un règlement de comptes entre trafiquants, donc il est inutile d’enquêter.

Alors que Linda doit assurer sa campagne pour sa réélection au poste de shérif, visiter les gens, distribuer des tracts, planter des pancartes, elle demande à Mick d’aller annoncer la nouvelle de la mort de son fils à la veuve Shifty. Celle-ci propose à Mick de l’argent pour qu’il identifie les assassins, ce que Mick refuse. Par contre, il voit dans cette enquête la possibilité d’aider sa sœur et de s’occuper l’esprit pour éviter de prendre ses médicaments addictifs, tels que l’oxycodone. Bientôt, c’est Mason, le deuxième fils Shifty qui est abattu.

Autant vous rassurer tout de suite, il n’est pas nécessaire d’avoir lu le précédent roman de cette trilogie (Les gens des collines) avant d’attaquer celui-ci. Cela vous permettra juste de vous retrouver en terrain connu et de retrouver certains personnages, surtout ceux du bureau du shérif.

Car dans cette enquête, Chris Offutt nous présente d’autres personnages (dits secondaires) comme si on les connaissait depuis toujours. Il possède ce talent de nous immerger dans la vie d’une petite ville où tout le monde se connait, au milieu d’un paysage magnifique et va nous décrire tous les trafics qui s’y déroulent. On a toujours, au détour d’une scène, une phrase magique pour faire le parallèle entre la beauté de la nature (faune ou flore) et la laideur des hommes occupés à gagner leur argent salement.

Par contre, on ressent beaucoup de tendresse envers les habitants honnêtes de cette contrée. Je prendrai comme exemple Jacky Merle, l’inventeur fou qui s’enferme dans son garage pour sortir des innovations qui faciliteront la vie de tout un chacun. Chris Offutt nous parle aussi du rôle de proximité du shérif, sa présence nécessaire pour rassurer les habitants ou même les petits problèmes auxquels Linda doit faire face comme cette fois où elle doit récupérer un chien qui a sauté d’un balcon.

Outre l’intrigue menée de façon remarquablement maitrisée, Chris Offutt met en valeur les zones rurales des Etats-Unis où l’ambiance est plutôt calme, où l’économie est en berne, où les gens survivent dans la précarité et où, sous la surface, apparaissent toutes sortes de trafics (drogues ou autres) en parallèle de ceux légaux (les médicaments addictifs). On y voit aussi des gens du cru, habitués à une vie dure, taiseux, parlant d’un hochement de tête qui remplacent des phrases inutiles.

Jamais misérabiliste ni défaitiste, Chris Offutt reste toujours factuel et nous dépeint une Amérique à deux vitesses, loin de celle des riches des villes. On y sent une fracture évidente en se concentrant sur ceux qui n’ont rien et qui se débrouillent pour survivre, tout en montrant combien la nature peut être si belle devant les saloperies dont sont capables les hommes. On gardera longtemps en mémoire ce voyage dans les paysages magnifiques du Kentucky, avec l’impression d’avoir côtoyé ses habitants, un sacré coup de force.

La sagesse de l’idiot de Marto Pariente

Editeur : Gallimard – Série Noire

Traducteur : Sébastien Rutés

Outre d’être une découverte, ce premier roman (sauf erreur de ma part) est une excellente surprise aussi bien dans sa forme que dans son fond, le genre de polar attachant dont l’on ressort pleinement satisfait, voire plus. Formidable !

Toni Trinidad, c’est pas le genre très malin. Orphelin très jeune, il s’est donné pour mission de protéger sa sœur Vega … et inversement. Heureusement, ils sont tombés dans une famille d’adoption qui leur a permis après un passage traumatisant dans l’orphelinat. Leur père adoptif a négocié avec le maire un poste de policier municipal pour Toni et Vega a obtenu la gestion d’une casse automobile à Ascuasà la suite de la disparition de son mari violent Chimo.

Toni a l’habitude d’aller prendre son café chez son ami Triste, et de commencer sa journée ensuite, avec une visite chez sa sœur. Mais ce matin-là, on lui apprend que Triste s’est pendu à la branche d’un de ses arbres. Quand il arrive, il observe trois traces de pneus de voiture, une de trop. Mais qui est-il, lui, pour donner des leçons à la police judiciaire alors qu’on le connait comme l’idiot du village.

Vega a un problème avec l’alcool, et un ras-le-bol de sa vie, coincée dans ce village. Comme elle utilise sa casse comme plateforme pour le trafic de drogue de l’Apiculteur, une idée émerge de garder une livraison pour elle. Elle vient justement d’apprendre qu’une voiture pleine d’argent allait transiter chez elle. Mais les hommes de Rocha, de la brigade des stupéfiants, guettent devant sa porte, sans qu’elle le sache. 

A priori, des intrigues mettant en scène un village où les habitants représentent une frange de la population se retrouvent plutôt et aisément chez les auteurs anglo-saxons. Et il est toujours surprenant de trouver des auteurs se lançant dans cette aventure sachant qu’ils se comparent aux maîtres du genre, Jim Thompson en tête. Pourtant, on retrouve dans ce roman une véritable originalité voire une liberté dans le traitement, une certaine folie déjantée et un humour grinçant à souhait typique de la littérature espagnole (dont je ne suis pas un spécialiste, je préfère le préciser).

L’idée de génie est de positionner en plein milieu de ce marasme explosif un « idiot du village » ou du moins veut-il se faire passer pour tel, tout en autodérision, en se dévalorisant à tout moment. D’ailleurs, il précise qu’il réalise une action pour faire avancer son enquête dans le but de bien se faire voir par les gens. On va voir Toni se prendre des coups voire plus jusqu’à ce qu’une étincelle fasse resurgir l’homme qui est en lui.

En termes de liberté d’écriture, Marto Pariente s’autorise tout, donnant voix à chacun des personnages comme les meilleurs romans choraux, mais variant de l’un à l’autre dans la syntaxe, la narration pour Toni, le tutoiement pour Vega, et la troisième personne pour les autres. Cela lui permet d’évoquer la vie de famille, la difficulté de vivre de son travail, la corruption, le pouvoir des politiques, la soif inassouvie d’argent des promoteurs immobiliers, la complicité des banques, la course à la promotion professionnelle …

De toutes ces intrigues mêlées avec brio, Marto Pariente nous présente une situation explosive n’attendant qu’une étincelle pour tout se transforme en catastrophe et cela ne manque pas de survenir. Et malgré l’amoralité affichée et les attitudes minables de tout un chacun, on se retrouve avec une lecture fortement addictive pleine de célérité grâce à ses chapitres ultra-courts. L’auteur se permet même de nous surprendre jusqu’à la dernière ligne, avec un événement totalement inattendu, signe d’un grand, ou futur grand du polar. A découvrir d’urgence.

Un grand merci à Coco mon dealer de livres pour ce prêt. Il a comparé ce roman à un film des frères Coen totalement déjanté.

Le Diable sur mon épaule de Gabino Iglesias

Editeur : Sonatine

Traducteur : Pierre Szczeciner

J’avais beaucoup aimé son premier roman traduit chez nous, Santa Muerte ; je suis passé au travers du deuxième Les lamentations du coyote. C’est donc une session de rattrapage, poussé par mon dealer de livres Coco (Merci Vieux). Ultra-violent !

Mario vient d’apprendre que Anita, sa fille âgée de quatre ans, est atteinte d’une leucémie dans sa version rare et fulgurante. Ses allers-retours à Austin, les soins médicaux, le coût de la chambre d’hôpital et les médicaments mettent petit à petit le couple de Melisa et Mario sur la paille. Ses nombreuses absences entrainent ensuite son licenciement. Puis le spécialiste les convoque et leur annonce que la seule solution réside dans un traitement expérimental, non reconnu et extrêmement coûteux.

Brian est le seul ami de Mario à s’inquiéter de l’état de santé de sa fille. Mario est à l’agonie financièrement parlant et Brian lui propose une mission bien payée : récupérer un pistolet et tuer un homme aimant les très jeunes filles. Sans aucune solution, Mario accepte, et réalise le meurtre comme prévu. Mario n’en a ressenti aucun remords, plutôt du plaisir. Alors il récidive puis réalise une autre mission, puis une autre puis … pour quelques milliers de dollars à chaque fois.

Anita meurt et le couple se délite. Malencontreusement, dans un mouvement d’humeur, alors que Melisa l’engueule, Mario se retourne et lui donne un coup de coude dans le nez. Melisa décide de quitter le foyer et Mario se demande comment s’excuser. Alors que Brian lui propose un coup juteux de plusieurs centaines de dollars, Mario y voit une possibilité de s’en sortir mais il va mettre la main dans un engrenage de cinglés.

Le début du roman (et donc mon résumé) peut laisser penser à un roman familial dramatique. A partir du moment où Mario accepte cette affaire qui doit lui permettre d’obtenir les moyens de reconquérir sa femme, l’intrigue verse dans une folie sans fin, un cauchemar ultra-violent, sanguinolent. Pour ceux qui ont lu Don Winslow et son Cartel, on sait la folie meurtrière des cartels de drogue mexicains.

Donc, après nous avoir plongé dans la psychologie de cet homme qui a tout perdu, on va suivre Mario le narrateur dans un périple où les scènes sont plus horribles les unes que les autres. Malgré l’aspect sanglant (limite gore) de ces passages, je me suis surpris à continuer à le suivre dans son itinéraire mortel, comme une descente aux enfers mais il vous faudra imaginer ce que peut être l’enfer et je vous assure que vous serez encore loin du compte. Sauf que l’on croit à ce personnage de Mario et qu’on continue.

Avec son personnage mexicain, Gabino Iglesias va nous parler de racisme aux Etats-Unis, où un homme basané riche en costume sera toujours mieux considéré qu’un homme blanc et pauvre habillé d’un jean troué. Il conserve aussi sa culture spirituelle hispanique et insère des aspects fantastiques, des fantômes flottant au-dessus du sol et autres présences de la mort elle-même.

Gabino Iglesias confirme avec ce roman et appuie fort dans un style qui lui est personnel, tant au niveau des scènes que de la violence rencontrée. Il appuie même très fort tant certaines scènes sont insoutenables et qu’il vaut mieux avoir le cœur bien accroché. Mais on ne peut lui reprocher d’avoir un talent pour peindre des personnages vrais plongés au milieu d’une société devenue animale … pour le pire.

Priya, le silence des nonnes de Marie Capron

Editeur : Viviane Hamy

La curiosité m’a poussé vers ce roman, la deuxième enquête de Priya Dharmesh, après La fille du boucher. N’ayant pas lu la première enquête, ce sera pour moi une découverte de l’univers de Marie Capron. Et le moins que je puisse dire, c’est que ça saigne !

Petits enfants du célèbre chimiste de la French Connection, Tristan et Bérénice Martinez tiennent une entreprise de savons artisanaux. En réalité, dans leur sous-sol, ils tentent de mettre au point la drogue idéale, qui serait réalisable simplement avec des produits du commerce. Leur voisin McKay leur rend parfois visite et son but en tant qu’agent dormant de la CIA est de les surveiller.

Suite à son enquête précédente, la commissaire Priya Dharmesh, malgré sa cinquantaine bien entamée, a décidé d’engager les démarches administratives pour adopter Lison Ober, la fille maltraitée des tueurs en série. Priya se rend à un entretien avec sa mère Pandialé, une femme forte et fière. La psychologue ne parait pas commode, voire réticente à ce dossier. Effectivement, en plein entretien, Priya reçoit un coup de fil du « Boss ».

Elle doit se rendre avec son adjoint Ziad au carmel de Montmartre où des nonnes sont enfermées dans une salle sans accès. Une fois la porte ouverte, les corps affreusement découpés laissent penser qu’elles se sont entretuées et dévorées. La seule explication avancée serait qu’elles auraient été droguées à leur insu. Tout de suite, Priya pense à un empoisonnement de l’eau.

Habituellement, je ne serais pas allé au bout de cette lecture, car je vous garantie qu’il faut avoir le cœur bien accroché. Certaines scènes sont réellement gore, même si leur description est succincte. Sauf que voilà, je me suis laissé emporter par le style frappeur, comme des séries incessantes d’uppercuts, tapant sans arrêt sans nous laisser un seul moment de répit.

Marie Capron a un vrai ton personnel, et aussi un univers personnel. Elle situe son intrigue dans un futur proche, une sorte de mélange entre la situation actuelle et un futur proche qui pourrait être probable. Cela lui donne l’occasion de trouver des astuces pour faire avancer l’enquête sans avoir l’air de sortir des indices du chapeau magique. Elle va aussi insuffler un brin d’espionnage, faisant intervenir la CIA et les magouilles entre les pays, la manipulation des média pour faire croire au peuple des inepties, uniquement pour que les gouvernements puissent se sortir de la mouise dans laquelle ils se sont mis eux-mêmes.

Mais à travers son histoire, Marie Capron, avec son style frondeur, s’octroie tous les droits dont celui de donner son avis sur notre société actuelle ou celle qu’elle pourrait devenir. On apprend que le gouvernement français a fait marche arrière sur la privatisation de la police ! Que la France sombre dans l’islamophobie, que les hôpitaux manquent drastiquement de moyens, que l’école est laissée à l’abandon, laissant libre place au développement des écoles privées réservées aux riches. Et que dire des fausses informations disséminées par les pouvoirs publics eux-mêmes sur les réseaux sociaux, du trafic de drogue dont les dirigeants profitent à plusieurs niveaux, des difficultés d’adoption où les futurs parents sont jugés avec des raisonnements psychologiques à deux balles ?

J’ai plus été intéressé par ces aspects sociologiques que par l’intrigue réellement sanglante mais je reconnais à Marie Capron un réel talent dans l’écriture de son roman, renouant avec les pulp américains. Et je retiendrai ces scènes remarquables, ces personnages inoubliables avec une mention spéciale pour Pandialé sans oublier ce groupe policier qui vit comme s’ils étaient une famille, soudée devant l’adversité. Une belle découverte mais il faut avoir le cœur bien accroché.

Les affreux de Jedidiah Ayres

Editeur : Les Arènes – Equinox

Traducteur : Antoine Chainas

Je ne vous cache pas que le titre m’a tout de suite interpelé et que les conseils de Bruno le Mulot et de Clete ont fait beaucoup dans le choix de cette lecture. Ce roman propose une belle (ce n’est peut-être pas le bon terme) description des campagnes américaines. Direction le Missouri !

Terry Hickerson traine toujours avec Cal Dotson. Leur discussion du jour porte sur le Spring Break où de jeunes filles décompressent de leurs études et jouent les délurées. Ils prennent la direction de Joplin et finissent dans une boite de nuit, aveuglés par les stroboscopes. Alors que Cal va faire son truc avec une fille, Terry aborde une jeune fille trop belle pour le coin, qui se balade avec un 9 mm.

Chowder tient un magasin d’appâts pour la pêche. Ça, c’est pour la galerie. Il possède aussi un bordel miteux, appelé le Chéri-Chéri, situé à quinze kilomètres. Accessoirement, il trafique toutes sortes de drogues et héberge une salle de jeux clandestins. Ce matin-là, il reçoit deux hommes venus lui proposer un marché de la part de la mafia de Memphis.

Le shérif Mondale a reçu un tuyau de Chowder, l’adresse du laboratoire clandestin d’Earl Sutter. Même si Mondale sait que la méthamphétamine ne sert qu’à sa consommation personnelle, cela peut éviter à Chowder une concurrence déloyale et permettre d’inscrire un fait d’armes sur le CV du shérif. Après l’arrestation, son ex-femme Shirley lui annonce que leur fille cadette Eileen a encore fugué.

Le procureur adjoint Dennis Jordan a assez perdu de temps. Il bâtit son rêve, sénateur, puis gouverneur puis procureur général. Pour cela, il a besoin d’un coup d’éclat : faire tomber le shérif Jimmy Mondale.

Les auteurs américains sont décidément trop forts quand il s’agit de créer une intrigue située dans un village perdu en pleine campagne. On a lu beaucoup de romans noirs ruraux, comportant des trafiquants de tous genres, des paumés, un shérif corrompu. La vie s’écoule tranquillement jusqu’à ce que soit lâché un chien dans le jeu de quilles qui va créer la zizanie.

On va suivre ces quatre personnages dans leur quotidien, avec des personnalités bien marquées, Terry dans le rôle du perdant, Chowder dans le rôle de « l’entrepreneur » et Mondale dans celui du flic pourri. Jedidiah Ayres va les imbriquer dans un scénario d’une drôlerie irrésistible (la façon dont Terry et Cal vont trouver une bonne façon de se faire du fric vaut le détour) avec toujours des phrases qui font mouche et des dialogues fantastiques. Jusqu’à une conclusion inoubliable.

On lit trop rarement des auteurs qui sont capables d’une telle créativité dans leur intrigue, et qui nous proposent un style direct et efficace comme Jedidiah Ayres. Par ses qualités d’auteur, on trouve une filiation avec Jake Hinkson et même le Grand Jim Thompson. Et ce roman-là est une vraie pépite noire. C’est crade, c’est sale, c’est brutal et j’adore ça. Il ne me reste qu’à dénicher son précédent roman !

Florida de Jon Sealy

Editeur : Les Arènes – Equinox

Traductrice : Mathilde Helleu

Si vous cherchez un polar bien ficelé et prenant, alors ce titre devra faire de vos bagages estivaux. C’est signé Jon Sealy et c’est publié aux Arènes, une sacrée découverte encore à mettre au crédit de cette petite maison d’édition.

Années 80, Floride. Les Etats-Unis sont toujours en lutte à distance envers Cuba, le pays communiste le plus proche. La CIA ne prend pas le sujet à la légère, entre menace potentielle des immigrés cubains pouvant fomenter une révolte et financement d’une éventuelle révolte pour faire tomber Fidel Castro. Mais ne peut être fait au grand jour, donc elle finance une société légale chargée de gérer les fonds au cas où …

Cette société se nomme Artium. Son directeur financier Bobby West est chargé d’investir cet argent dans des entreprises de façon à ce que les liquidités soient disponibles rapidement. West est passionné par son travail, il croit à la ligne directrice de la CIA et à la défense des Etats-Unis mais il est bien peu doué en ce qui concerne les placements financiers, car Artium est un véritable gouffre.

Alexander French va le contacter pour lui proposer un marché : blanchir l’argent de la drogue venant d’Afghanistan. De façon subtile, il arrive à lui montrer que cette activité est totalement patriotique puisqu’elle coupera l’herbe sous les pieds des trafiquants cubains. Et Bobby West a dramatiquement besoin d’argent pour combler le trou qu’il a créé, quitte à en emprunter quelques liasses pour lui-même.

Il stocke donc des millions de dollars chez lui, dans un coffre qu’il a fait aménager et en donne une partie à un homme de main de French chaque semaine. Sa fille Holly avec qui il est en froid va faire une fugue avec un jeune homme pas très futé et en profiter pour lui « emprunter » le contenu du coffre. A tous les étages, c’est la panique. Bobby West et sa femme vont engager un détective privé ; la police est sur les dents, Alexander French va demander à ses hommes de retrouver l’argent tout en engageant Chekhov, une tueuse à gages.

Ah ! les années 80, l’omnipotence affichée des Etats-Unis sur le monde, l’impunité de ses actions extraterritoriales, le titre autoproclamé de « gendarme du monde », le règne de l’argent Roi, le No limit … Faire du fric à tout prix et se débarrasser une bonne fois pour toutes du communisme, seule idéologie politique pouvant leur faire un peu d’ombre. Voilà le contexte historique de ce roman.

On pourrait croire que Bobby West soit le personnage principal de ce roman mais il n’en est rien. Chacun va avoir droit à ses chapitres et dans une construction effrénée consistant en diverses courses poursuites. Tous, quels qu’ils soient sont de véritables truands, des espions, des mafieux, des barbouzards, des tueurs courant après l’argent de la drogue. Et dans ce milieu-là, on ne plaisante pas.

Dans une ambiance chaude et lourde, l’auteur nous fait courir (et rire) à une vitesse folle, pour une lecture jouissive où on ne prête aucune sympathie à aucun des protagonistes, puisqu’ils sont tous coupables à leur niveau. Florida, c’est une sorte de Chamboule-tout qui dézingue à tous les étages sans aucune pitié. Et sous ses airs de divertissement Haut-de-gamme, Jon Sealy nous offre un roman brillant, intelligent et remarquablement instructif. Une lecture obligée pour votre été.

Heroïna de Marc Fernandez

Editeur : Harper & Collins

Depuis l’abandon des enquêtes de Diego Martin, on attendait la direction qu’allait prendre Marc Fernandez par la suite. Nous prenons donc la direction d’Acapulco, la célèbre station balnéaire mexicaine, minée par les guerres entre cartels de drogue.

Luis Mariano nous enchantait avec Acapulco :

« Sous le soleil couchant

C’est un ravissement

C’est l’heure des amants

Les fleurs ont des couleurs

Les femmes une fraîcheur

Qu’elles n’ont pas ailleurs »

Le paysage d’Acapulco dépeint par Marc Fernandez n’a plus rien à voir avec celui de Luis Mariano. Aujourd’hui, la station de rêve connait des règlements de compte entre les différents gangs de trafic de drogue. Dans sa monumentale trilogie, Don Winslow nous expliquait comment les cartels s’étaient développés et avaient mis à feu et à sang le Mexique. Et Acapulco n’est plus une exception de nos jours. Des bandes armées peuvent débarquer et tirer dans la foule, faisant des dizaines de victimes. Les plages paradisiaques se retrouvent de plus en plus envahies de drogués à la recherche d’argent pour se payer leur dose.

Olivia a remporté le titre de Miss Acapulco quand ses amis l’avaient inscrite à son insu, quinze ans auparavant. Cela lui a permis d’entrer dans le domaine fermé du mannequinat. Elle rencontre alors Roberto Aguilàr, propriétaire d’une entreprise de BTP et l’épouse. Un enfant va naitre de cette union, Pablo, qui s’apprête à entrer au lycée dans quelques mois.

Olivia est consciente que son mari a élargi petit à petit son entreprise au trafic de drogue, et elle en a bien profité. Roberto est devenu El Bobby, à la tête d’un des cartels les plus impitoyables d’Acapulco. Sa connaissance des mécanismes financiers lui a permis de blanchir son argent sale dans des investissements, en particulier des commerces et des prises de participation dans des entreprises légales.

Pour Olivia, son fils représente tout ce qui compte pour elle dans ce monde. Quand elle surprend son mari en train d’apprendre à couper les doses de cocaïne à son fils, les peser et préparer les petits sachets en plastique, elle sait que cela doit changer mais elle ne sait pas comment. Sa rencontre avec le juge Martin Calderon, ami d’enfance et procureur en charge de la lutte anti-drogue.

Changement d’éditeur, changement de personnage et changement de style pour Marc Fernandez qui continue à nous parler du continent sud-américain. Le défi est de taille, surtout quand on parle du Mexique et que l’on vient après Don Winslow, le maître du genre (Lisez La Griffe du Chien, bon sang !). Dans ce roman d’environ 200 pages, l’auteur place au premier plan la femme d’un chef de cartel de nos jours.

Ceci permet de s’écarter de ses prédécesseurs et de nous proposer une intrigue simple, rapide et efficace. Le roman raconte l’angoisse d’une mère, de sa prise de conscience et de sa recherche d’une solution pour sauver son fils à tout prix. On trouve peu de dialogue, et une psychologie d’Olivia intéressante, ainsi qu’une peinture de la situation actuelle de la région d’Acapulco en évitant les scènes sanguinolentes. Un bon polar, un bon cru et un excellent divertissement.

Le sang de nos ennemis de Gérard Lecas

Editeur : Rivages

On a peu l’habitude de voir Gérard Lecas sur les étals des libraires, et j’avais découvert sa plume avec Deux balles, un court roman au style coup de poing paru chez Jigal. Changement de temps, changement de décor, nous voilà transportés à Marseille en 1962.

Juillet 1962. Alors que l’Algérie vient d’accéder à son indépendance, de nombreux réfugiés débarquent dans le port de Marseille. Ils se retrouvent rejetés de toutes parts, expulsés de leur pays de naissance et détestés par les marseillais. La situation politique n’est pas plus calme : L’OAS devant cet échec envisage des actions terroristes sur le sol français et devient la cible du SAC, le service armé du Général de Gaulle. Le paysage civique se retrouve aussi scindé entre communistes et extrême droite, entre résistants et collaborateurs ; Gérard Lecas situe donc son roman dans un lieu et une période explosive.

Le ministère de l’Intérieur décide de nommer Louis Anthureau à la police criminelle de Marseille, surtout par reconnaissance pour son père qui fut un résistant émérite aujourd’hui décédé et dont la mère à disparu. Il a en charge aussi de surveiller Jacques Molinari, un ancien résistant cinquantenaire proche de l’extrême droite. Ces deux-là ressemblent à s’y méprendre à une alliance du feu avec de l’eau.

Louis assiste à une fusillade sur un marché et reconnait Jacques parmi les assassins, mais il décide de ne rien dire. Il ne sait pas que Jacques joue sur plusieurs tableaux, de l’OAS à l’extrême droite en passant par les parrains locaux qui veulent monter un laboratoire d’affinage de drogue avec plusieurs centaines de kilogrammes en transit. Louis et Jacques vont devoir faire équipe sur une enquête compliquée : un maghrébin a été retrouvé avec un jerrican à coté plein de son sang. 

Voilà typiquement le genre de roman que j’adore. Je trouve que peu de romans traitent de cette période mouvementée alors que c’est un décor idéal pour un polar. Alors il faudra de l’attention pour bien appréhender les différents personnages et les différentes parties mais j’ai trouvé cela remarquablement clair, et le mélange entre les personnages réels et fictifs m’a semblé parfait.

On ressent à la lecture le savoir-faire d’un grand scénariste, tant les événements vont s’enchainer sans que l’on puisse réellement déterminer jusqu’où cela va nous mener. Devant toutes les factions en lutte, Louis et Jacques sont montrés beaucoup moins monolithiques et plus complexes qu’il n’y parait. Personne n’est tout blanc ou tout noir, ni gentil ni méchant. Un véritable panier de crabe dans une situation inextricable dont je me demande toujours comment on sen est sorti ! Et je suis resté béat d’admiration devant les dialogues justes et brillants. 

L’intrigue va se séparer en trois : Les meurtres de maghrébins, la recherche de la mère de Louis et la recherche du chargement de drogue qui a été dérobé. Ceci permet de montrer la lutte politique et policière en œuvre dans cette région qui ressemble à s’y méprendre à un baril de poudre où la mèche a été allumée depuis belle lurette. Avec ce roman, Gérard Lecas nous offre un roman bien complexe, bien passionnant, bien costaud, bien instructif. Le sang de nos ennemis est clairement à ne pas rater pour les amateurs d’histoire contemporaine.

Shit ! de Jacky Schwartzmann

Editeur : Seuil – Cadre Noir

Chaque roman de Jacky Schwartzmann est un pur plaisir de jouissance, par sa faculté à regarder un pan de notre société par le petit bout de la lorgnette, et toujours avec un humour légèrement cynique. J’adore !

Thibault Morel occupe un poste de CPE dans le collège du quartier de Planoise, dans la banlieue de Besançon. Il loge dans une cité et sa cage d’escalier sert de four au trafic de drogue au clan albanais Mehmeti. Cela ne le gêne pas plus que ça, si ce n’est qu’il doit montrer à Reda une quittance de loyer de moins de trois mois pour rentrer chez luitous les soirs. Et dès qu’il dit un mot, il a droit à une baffe sur l’oreille.

Une nuit, il entend un échange de coups de feu digne des meilleurs westerns. Le lendemain, il apprend que les frères Mehmeti se sont fait rectifier. Poussé par sa curiosité naturelle, il coupe les scellés sur l’appartement d’en face et découvre la réserve de pains de shit cachés derrière la baignoire montée sur vérins, ainsi que des jolis paquets de fric.

Sa voisine Madame Ramla le surprend en pleine visite et ils empruntent quelques liasses de billets. Thibault pourra aider quelques familles à payer un voyage scolaire en Espagne. Mais les deux compères savent bien qu’ils ne peuvent laisser cette fortune dormir sinon un autre clan va venir s’installer. A l’aide d’une connaissance de Madame Ramla, ils vont réembaucher Reda et remettre en route le four, ce qui leur permettra d’aider des familles dans le besoin ; une sorte de deuxième activité à hauts risques.

Comme à son habitude, Jacky Schwartzmann nous décrit des gens dont on n’entend jamais parler, et il déploie tout son talent pour rendre son intrigue bigrement réaliste et transformer un simple CPE en Robin des bois moderne. Il fait montre de son habituel humour cynique qui nous tire au minimum un sourire, et souvent des éclats de rire, dans une situation qui, il faut bien le dire, s’avère dramatique, quand on prend un peu de recul.

Basé sur un début d’intrigue proche de La Daronne de Hannelore Cayre, Jacky Schwartzmann va nous concocter une intrigue bigrement réaliste et farfelue dont le but est bien de montrer comment les gens vivent. Et avec son regard lucide, il ne se gêne pas pour envoyer des piques à tous les corps de métier et tout le monde en prend pour son grade, de l’éducation nationale aux révoltés, en passant par la police ou les racistes de tous poils… et j’en passe.

Et cela aboutit à une lecture jouissive, car il nous montre des facettes et des gens qu’on n’a pas l’habitude de côtoyer ou qu’on n’a pas envie de voir. Evidemment, le roman est amoral et cela reste un roman noir, mais pas uniquement. Il y a derrière cette intrigue tout un aspect social et politique que tout le monde devrait lire car, avec son humour, il pose des questions, et se poser des questions, c’est devenir plus intelligent. Remarquable ! Le pied intégral !

D’ailleurs, ce roman me fait penser à une réflexion de haut vol signée par les Shadocks : « A tout problème, il y a une solution. S’il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème. ». Encore faut-il vouloir trouver une solution …

Shit ! c’est le pied !