Editeur : Rivages
On a peu l’habitude de voir Gérard Lecas sur les étals des libraires, et j’avais découvert sa plume avec Deux balles, un court roman au style coup de poing paru chez Jigal. Changement de temps, changement de décor, nous voilà transportés à Marseille en 1962.
Juillet 1962. Alors que l’Algérie vient d’accéder à son indépendance, de nombreux réfugiés débarquent dans le port de Marseille. Ils se retrouvent rejetés de toutes parts, expulsés de leur pays de naissance et détestés par les marseillais. La situation politique n’est pas plus calme : L’OAS devant cet échec envisage des actions terroristes sur le sol français et devient la cible du SAC, le service armé du Général de Gaulle. Le paysage civique se retrouve aussi scindé entre communistes et extrême droite, entre résistants et collaborateurs ; Gérard Lecas situe donc son roman dans un lieu et une période explosive.
Le ministère de l’Intérieur décide de nommer Louis Anthureau à la police criminelle de Marseille, surtout par reconnaissance pour son père qui fut un résistant émérite aujourd’hui décédé et dont la mère à disparu. Il a en charge aussi de surveiller Jacques Molinari, un ancien résistant cinquantenaire proche de l’extrême droite. Ces deux-là ressemblent à s’y méprendre à une alliance du feu avec de l’eau.
Louis assiste à une fusillade sur un marché et reconnait Jacques parmi les assassins, mais il décide de ne rien dire. Il ne sait pas que Jacques joue sur plusieurs tableaux, de l’OAS à l’extrême droite en passant par les parrains locaux qui veulent monter un laboratoire d’affinage de drogue avec plusieurs centaines de kilogrammes en transit. Louis et Jacques vont devoir faire équipe sur une enquête compliquée : un maghrébin a été retrouvé avec un jerrican à coté plein de son sang.
Voilà typiquement le genre de roman que j’adore. Je trouve que peu de romans traitent de cette période mouvementée alors que c’est un décor idéal pour un polar. Alors il faudra de l’attention pour bien appréhender les différents personnages et les différentes parties mais j’ai trouvé cela remarquablement clair, et le mélange entre les personnages réels et fictifs m’a semblé parfait.
On ressent à la lecture le savoir-faire d’un grand scénariste, tant les événements vont s’enchainer sans que l’on puisse réellement déterminer jusqu’où cela va nous mener. Devant toutes les factions en lutte, Louis et Jacques sont montrés beaucoup moins monolithiques et plus complexes qu’il n’y parait. Personne n’est tout blanc ou tout noir, ni gentil ni méchant. Un véritable panier de crabe dans une situation inextricable dont je me demande toujours comment on sen est sorti ! Et je suis resté béat d’admiration devant les dialogues justes et brillants.
L’intrigue va se séparer en trois : Les meurtres de maghrébins, la recherche de la mère de Louis et la recherche du chargement de drogue qui a été dérobé. Ceci permet de montrer la lutte politique et policière en œuvre dans cette région qui ressemble à s’y méprendre à un baril de poudre où la mèche a été allumée depuis belle lurette. Avec ce roman, Gérard Lecas nous offre un roman bien complexe, bien passionnant, bien costaud, bien instructif. Le sang de nos ennemis est clairement à ne pas rater pour les amateurs d’histoire contemporaine.