Archives pour la catégorie Coup de coeur 2014

2014, quelle année !

Avant tout, je tiens à vous souhaiter une excellente année 2015. Que 2015 vous apporte toutes les joies que vous pourriez désirer, dans votre vie professionnelle ou personnelle. Que 2015 vous comblent à travers vos lectures. Je tiens aussi à vous remercier. Merci aussi à tous ceux qui suivent chaque semaine mes billets, merci pour vos commentaires, merci aux auteurs qui me contactent, merci aux éditeurs et attachés de presse qui me font confiance. Et puis, merci à tous les potos et les potesses blogueurs passionnés … je vous envoie une bise !

2014 fut une année extraordinaire quant aux lectures que j’aurais faites. Moi qui d’habitude ne donne que quatre ou cinq coups de cœur par an, j’en ai décerné douze cette année. Le constat est le même pour les chouchous. J’ai eu quatorze chouchous là où je n’en donne que onze par an. Une année pleine et surtout pleine de sentiments, de passion et de rencontres avec des lecteurs, des blogueurs que j’espère revoir bien vite.

C’est Claude Le Nocher qui disait dans un commentaire qu’il ne servait à rien de faire pour la synthèse 2014 une liste interminable des romans. Au début je pensais en citer 14 (comme 2014) mais cela aurait voulu dire que l’année prochaine, j’en citerais 15. Donc, j’ai décidé de me saigner, et d’extraire de ma liste de romans extraordinaires dix titres. Et je peux vous dire que ce fut dur, une véritable torture de sortir des titres qui m’ont fait vibrer.

Voici donc une liste des 10 romans qui m’auront fait vibrer en 2014 … sur les 26 que j’aurais adorés … sur la centaine que j’aurais chroniquée … sur les 142 que j’aurais lus. Je les ai classés par ordre alphabétique du nom de l’auteur. Et pour être honnête, je serai bien incapable d’en sortir un seul par rapport à tous les autres.

Dernière conversation avec Lola FayeDernière conversation avec Lola Faye de Thomas H.Cook (Points)

Poubelle girlsPoubelle’s girls de Jeanne Desaubry (Lajouanie) ;

Abandonnés de DieuAbandonnés de Dieu de Peter Guttridge (Rouergue) ;

Ne reste que la violenceNe reste que la violence de Malcolm MacKay (Liana Levi) ;

Aux animaux la guerreAux animaux la guerre de Nicolas Mathieu (Actes Sud) ;

Jeudi noirJeudi noir de Mickael Mention (Ombres noires)

Rouge ou mortRouge ou mort de David Peace (Rivages) ;

Des forêts et des amesElena Piacentini : Des forêts et des âmes (Au délà du raisonnable) ;

Kind of blackSamuel Sutra : Kind of black (Terriciaë) ;

3000 chevauxAntonin Varenne : Trois mille chevaux vapeur (Albin Michel) ;

Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter une excellente bascule vers 2015, à découvrir de nouveaux auteurs, à être curieux. Et n’oubliez pas le principal, lisez !

Aux animaux la guerre de Nicolas Mathieu (Actes sud)

Attention, Coup de cœur !

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles je me devais de lire ce roman. Tout d’abord, c’est un premier roman, et j’adore ça. Ensuite, les amis Claude Le Nocher et Jean Marc Lahérrère en ont parlé, voire encensé. Effectivement, c’est un roman qu’il faut lire, impressionnant.

Dans les années 60. Pierre Duruy fut un tueur de l’OAS, le genre à ne pas se poser de questions, sans pitié, le genre à tuer de sang froid une femme que l’on soupçonne de faire partie des ennemis.

De nos jours, dans les Vosges. L’usine Velocia fait vivre la petite ville, voire même la région. Tout le monde y travaille, tout le monde se connait. Martel fut soldat à l’armée avant de devenir syndicaliste à l’usine. Puis, un peu par hasard, il est entré au CE. S’occupant de sa mère gravement malade, il se saigne pour lui payer une honorable maison de retraite. Puis, il a commencé à prendre de l’argent dans la caisse du CE. Pas beaucoup, de petites sommes, mais de plus en plus souvent. A la veille du contrôle fiscal du CE, il s’aperçoit qu’il manque 15 000 euros. Comment a-t-il pu se laisser aller comme cela ?

Rita Kleber est inspectrice du travail. Elle est d’une rigueur rare et d’ailleurs, l’affaire dont elle s’occupe est celle d’un stagiaire-boucher qui se fait exploiter par son patron. Elle arrive à dénouer les mensonges du patron et le menace s’il continue son esclavagisme.

Bruce est un collègue de Martel, un mec bati comme un camion. Il passe son temps à sculpter son corps. Pour boucler ses fins de mois, il assure la sécurité de petits concerts. Bruce est le petit fils de Pierre Duruy et le frère de Lydie, jeune femme immature.

Deux événements vont bouleverser la vie paisible de cette petite ville. Une nuit, les patrons de Velocia déménagent une presse de l’atelier sans prévenir personne, pour l’envoyer dans un pays où le cout de la main d’œuvre est moindre. En parallèle, Rita récupère une jeune femme étrangère, très belle, qui semble s’être échappée de son tortionnaire.

S’il y a un roman à citer sur la vie d’une petite ville en temps de crise économique, je crois bien que c’est celui-là. Prenant comme principe de centrer son intrigue sur les personnages, Nicolas Mathieu passe de l’un à l’autre pour faire avancer son histoire, tout en trouvant les petits détails qui font que cette histoire sonne vraie, juste, à tout moment. Même si les personnages ne sont pas forcément sympathiques, on les suit avec un grand intérêt et surtout, on a envie d’en savoir plus.

A la fois chroniques d’un temps qui s’éteint, à la fois chroniques sociales, ce roman se distingue par ces scènes choc, non pas par leur violence mais plutôt par ces petites phrases, ces petits dialogues, qui réveillent en nous ce que certains doivent connaitre aujourd’hui. Et il y en a tellement que c’est difficile pour moi de les citer. Quand Rita négocie avec le boucher, quand elle achète des habits pour la jeune échappée, quand Martel essaie de se sauver, quand les discussions avec la direction tournent autour du déménagement de la presse, ce sont autant de scènes incroyablement justes, vraies.

Ce roman est tellement fort dans sa simplicité qu’il pourrait bien entrer au panthéon des romans sociaux sur la France d’aujourd’hui, juste à coté de Lorraine Connection de Dominique Manotti. Vous n’y trouverez pas de scènes impressionnantes, mais une intrigue implacable, montée avec des personnages simples, des gens de tous les jours comme vous et moi. Et quand vous lirez le dernier chapitre, vous ne pourrez pas oublier ce voyage dans cette petite ville des Vosges, qui vous tirera bien quelques larmes ou bien des accès de rage. Coup de cœur !

Des forêts et des âmes de Elena Piacentini (Au-delà du raisonnable)

Attention, Coup de cœur !

Je me demande bien comment j’ai pu ne pas décerner de coup de cœur au précédent roman d’Elena Piacentini, Le cimetière des chimères. Peut-être avais-je besoin d’une confirmation ? ou peut-être étais-je timoré ? ou peut-être étais-je prudent ? Pour cette nouvelle enquête du commissaire Leoni, je n’hésite pas : Coup de cœur ! Cela fait deux romans que je lis de cette auteure, et me voilà sous le charme. A tel point que j’envisage de lire ses autres romans … dans l’ordre. Car Des forêts et des âmes est en fait la sixième enquête de cet inspecteur corse expatrié à Lille.

Le roman s’ouvre sur trois chapitres présentant chacun le portrait de trois adolescents :

Mathieu, jeune adolescent effacé, est devant le cercueil de son père. Il se rappelle comment celui-ci a abusé de lui étant jeune. Refusant de s’alimenter, sa mère l’envoya dans un centre adapté pour jeunes adolescents en difficulté

Juliette était une jeune fille princesse qui, pour se faire de l’argent, accepta une proposition d’une de ses amies de se prostituer auprès de vieux hommes argentés. Quand elle arrive dans une somptueuse propriété, en pleine partouze, elle reconnait son père allongé près de la piscine avec une autre gamine.

Lucas fut toujours un jeune homme délicat. Ses parents refusaient de voir en lui un homosexuel, considérant cela comme une tare. Quand ils apprirent l’existence d’un centre pour adolescents, ils pensèrent que sa maladie pourrait être traitée par des médicaments.

Fée, qui s’appelle en réalité Aglaé Cimonard, est la spécialiste informatique de la brigade criminelle de Lille. Pendant son footing, elle est renversée par une voiture, qui prend aussitôt la fuite. Alors qu’elle est dans le coma, Pierre Arsène Leoni va mener l’enquête et s’apercevoir que Fée a changé de nom après la mort de sa mère et qu’elle venait de passer des vacances à Wissemberg dans les Hautes-Vosges où elle a rencontré Sophie Delaunay. Leoni et son amante Eliane Ducatel vont aller sur place pendant que Mémé Angèle va tenir compagnie à Fée.

Géniaux ! Les trois premiers chapitres sont des petits concentrés de pure littérature, parfaits dans leur description de la psychologie de trois adolescents et des aprioris de leurs parents. Le roman démarre très fort, très vite et suscite l’intérêt et l’envie d’en savoir plus.

Formidables ! Les personnages de ce roman le sont à plus d’un titre. On commence à connaitre les policiers de la brigade criminelle, leur psychologie, leurs habitudes, leurs hésitations, leurs qualités, leurs défauts et c’est avec un immense plaisir qu’on les retrouve ici. Mais que dire alors des personnages secondaires, tous formidablement décrits, tous formidablement vivants, tous formidablement inoubliables.

Extraordinaire ! L’intrigue est menée de main de maître, car même si les pièces du puzzle se mettent en place petit à petit, tout est remarquablement fait, avec plusieurs pistes, plusieurs personnages, plusieurs mystères. Et tout survient avec une logique qui ne heurte jamais le lecteur mais qui force le respect par un savoir faire rare.

Dénonciateur ! ce roman ne se contente pas d’être un formidable roman policier. Il montre aussi tout ce que l’industrie pharmaceutique est capable de faire, en terme de d’actions de lobby ou même de tests illégaux ou de financements de centres soi disant adaptés pour améliorer leur chiffre d’affaire et leur marge. D’ailleurs, Elena Piacentini nous explique dans un dernier chapitre le fond de l’histoire qui fait froid dans le dos, et comment la santé des gens devient un commerce.

Impressionnant ! Le roman l’est de A jusqu’à Z. Car ce roman, d’une subtilité rare, avec un style d’une finesse et d’une évidence éblouissantes démontre qu’Elena Piacentini se situe sur le dessus de la pile des auteurs de romans policiers. Cette auteure est d’ailleurs une de mes plus impressionnantes découvertes depuis Thomas H.Cook ou Megan Abbott. Elle est capable, au travers d’une intrigue policière minutieuse, d’aborder des sujets de société graves, tout en nous faisant partager le quotidien de personnages simples et formidables. Je ne peux pas faire autrement que de lui décerner un coup de cœur Black Novel !

Reflex de Maud Mayeras (Anne Carrière)

Attention, coup de cœur ! Je comprends mieux l’engouement qu’a engendré ce roman, qualifié sur la couverture de thriller. Thriller, certes, surtout dans la deuxième partie du roman, mais aussi formidable roman noir psychologique, dur, âpre, presque cruel.

Cela se passe de nos jours. La narratrice Iris Baudry est photographe pour la police scientifique. Elle est appelée sur les scènes de crimes, pour prendre minutieusement les images qui aideront par la suite les enquêteurs dans la quête du coupable d’un crime. Sauf que le coup de téléphone de ce matin-là, elle aurait préféré ne jamais le recevoir : elle va être obligée de retourner dans son village d’enfance, qu’elle a quitté il y a plus de 11 ans, suite à la perte de son enfant, Swan, assassiné par un serial killer.

Pour ne rien arranger à l’affaire, c’est le corps d’un gamin, abandonné près de voies ferrées qu’elle va être obligée de photographier. Ian Reisse, le policier en charge de l’enquête, la connait bien : c’est lui qui l’a repérée quand elle faisait ses études ; c’est lui qui l’a formée. Par contre, il n’est pas heureux de l’accueillir là, car il a peur que le gamin retrouvé mort rappelle à Iris la disparition de son propre fils.

Iris va aussi retrouver son village, les gens qui l’habitent, et aller voir sa mère. Celle-ci est devenue sénile et est enfermée dans une chambre d’asile, attendant sa fin toute proche. Cette femme, dure et intraitable, a tellement fait subir de souffrances à Iris, que celle-ci ne souhaite qu’une chose : sa mort.

SILENCE. Entre deux chapitres, se glisse une autre histoire, toute aussi dramatique : Cette histoire familiale commence en 1919. Julie est une adolescente comme les autres, qui rentre chez elle. Sur le chemin, deux hommes l’entrainent et la violent. Elle tombera enceinte, et ses parents poussés par les rumeurs des voisins, de la bonne société, vont se débarrasser d’elle en l’envoyant chez les bonnes sœurs, où elle va subir bien des sévices.

Je vous préviens, ce roman est d’une dureté rare, tant les faits qui y sont racontés touchent au plus près de nos sentiments. Alors, on ne va pas y trouver de scènes sanguinolentes, pas de scènes gores et gratuites. Tout se passe ici au niveau des ressentis, de ce que la narratrice éprouve devant des événements qu’elle va subir, mais aussi des réactions des gens qui, bousculés dans leurs croyances, leur moralité ou leurs valeurs vont avoir des avis et des façons de réagir disproportionnées, mais oh ! Combien réalistes.

Car on pourrait penser que ce que nous narre Maud Mayeras est exagéré. Mais n’avez-vous jamais connu dans certains villages, deux familles qui se détestaient parce que deux de leurs aïeux avaient eu une altercation plusieurs dizaines d’années auparavant ? Ne connaissez vous pas de gens qui médisent sur d’autres, parce qu’ils sont juste différents ? N’avez pas entendu parler d’une jeune fille mère qui a déshonoré telle ou telle famille ? Et ce qui est terrible dans ce roman, c’est que tout le talent de Maud Mayeras est de nous montrer tout cela de façon tellement naturelle, que c’en est d’autant plus violent pour le lecteur !

Ce roman est une véritable claque dans la gueule. Et si on regarde l’étiquette que l’on colle à son roman, on peut y lire : Thriller. Alors oui, on a droit à une histoire de serial killer. Mais c’est pour mieux nous amener à un final époustouflant. C’est autant pour respecter certains codes, que pour raconter une véritable histoire dramatique, de vrais portraits fouillés de nos semblables, un regard terriblement neutre sur notre société, sur notre façon d’être mais aussi sur notre façon de regarder les autres et de les juger. Car le scenario est implacable, aussi implacable que ce qui arrivé à Iris et Julie … et les autres.

Fichtre ! je m’attendais à un roman fort, et j’en ressors avec un roman extraordinaire, qui pêche parfois un peu dans l’excès mais qui au bout du compte, laisse derrière mes rétines des scènes incroyablement vraies, et surtout des sentiments très forts, trop forts, tellement forts qu’à l’écriture de ce billet, j’en ai encore le rythme du cœur qui s’accélère. Rares sont les thrillers qui reçoivent un coup de cœur sur Black Novel, mais je ne peux pas faire autrement. Que d’émotions !

Oldies : Un enfant de Dieu de Cormac McCarthy (Points)

Il était temps que je lise ce roman, et j’en attendais tellement que mon niveau d’exigence était énorme. Et je n’ai pas été déçu, c’est effectivement un roman énorme, dérangeant, et c’est aussi une lecture exigente, qui se mérite. Mais je vous garantis que c’est une lecture marquante, c’est le moins que l’on puisse dire.

L’auteur :

Cormac McCarthy est un écrivain américain né le 20 juillet 1933 à Providence, Rhode Island (États-Unis). On le compare régulièrement à William Faulkner et, plus rarement, à Herman Melville.

Cormac McCarthy est le troisième d’une fratrie de six enfants. Son père, juriste, travaille de 1934 à 1967 pour la Tennessee Valley Authority, entreprise américaine chargée de la gestion et du développement économique de la vallée du fleuve Tennessee. Après ses études, il rejoint en 1953 l’armée de l’air américaine pour quatre ans, dont deux passés en Alaska, où il anime une émission de radio. En 1957, il reprend ses études à l’université. Il épouse Lee Holleman, étudiante, en 1961, dont il a un fils, Cullen. Il quitte l’université sans aller jusqu’au diplôme, et s’installe avec sa famille à Chicago, où il écrit son premier roman, The Orchard Keeper.

Divorcé de Lee Hollman, il rencontre Anne DeLisle durant l’été 1965, sur un bateau en route pour l’Irlande. Ils se marient l’année suivante au Royaume-Uni. Grâce au soutien financier de la Fondation Rockefeller, il voyage également dans le sud de l’Europe, avant de séjourner quelque temps à Ibiza, où il écrit son deuxième roman, Outer Dark, publié en 1968. En 1969, McCarthy et sa femme s’installent à Louisville, dans le Tennessee. Il y écrit Child of God.

McCarthy et Anne DeLisle se séparent en 1976, et l’écrivain déménage pour El Paso au Texas. En 1979, le roman sur lequel il travaille depuis près de vingt ans, Suttree est enfin publié. Blood Meridian, roman souvent considéré comme son meilleur, paraît en 1985.

McCarthy vit aujourd’hui dans le Tesuque (en), au nord de Santa Fe, Nouveau-Mexique, avec sa troisième épouse, Jennifer Winkley, épousée en 2006, et leur fils John. Il vit dans une relative discrétion et accorde très rarement des interviews.

Son dernier roman, The Road, La Route, publié en 2006, obtient le prestigieux prix Pulitzer, et le pousse à sortir de sa campagne en accordant pour la première fois un entretien télévisé, conduit par la journaliste américaine Oprah Winfrey, et diffusé le 5 juin 2007.

McCarthy revient en 2013, en tant que scénariste de Cartel (The Counselor), réalisé par Ridley Scott. McCarthy signe là son premier scénario original pour le cinéma. Cartel raconte l’histoire du conseiller, un avocat (incarné par Michael Fassbender) profitant du trafic de cocaïne à la frontière Américano-Mexicaine.

(Source Wikipedia)

Quatrième de couverture :

À quel moment Lester est-il devenu un monstre ? Chassé de chez lui, il erre dans les montagnes comme un charognard guettant ses proies. Ses raisonnements se simplifient, les actes laissent place aux pulsions et ses gestes deviennent ceux d’un animal traqué. Un monologue où se mêlent insultes et sanglots s’élève dans sa grotte peuplée de cadavres ; le grognement à peine humain d’un enfant de Dieu.

« L’ultime musique terrestre. Celle de McCarthy, lyrique, dépouillée, tragique, est un très grand moment de littérature. » Lire

Mon avis :

Un enfant de Dieu est clairement un de ces romans que l’on n’oublie pas. A travers l’itinéraire et la vie de Lester Ballard, Cormac McCarthy nous questionne sur l’homme, sur la subtile différence entre l’homme et la bête. Car du jour où Lester est expulsé de sa maison, il va vivre dans les bois, trouver refuge dans une caverne et petit à petit devenir une bête en quête de survie.

Le style de Cormac McCarthy va osciller entre brutalité et poésie, mais jamais il ne va prendre position. L’auteur va juste alterner la narration avec des témoignages, sans toutefois le dire explicitement, ce qui fait que le lecteur cherche les explications lui-même. Chaque action est explicite, directe, il n’y a pas de place pour l’émotion, comme si on était dans un tribunal, mais un tribunal où l’accusé n’est pas Lester, celui-ci étant plutôt une possible conséquence de la société et de ses règles, un dommage collatéral. Cette volonté d’intransigeance dans le style va probablement rebuter des lecteurs, mais je le répète : c’est une lecture qui se mérite, et la découverte est au bout du tunnel. On n’y trouvera pas non plus de scènes gore ou sanglantes, tout étant suggéré plus que décrit, en une phrase.

Parfois, Cormac McCarthy nous donne des pistes, ou du moins nous donne le véritable sujet de fond de son roman, telle cette citation tirée de la page 145, d’une conversation entre deux hommes (Pour votre information, le texte est complètement respecté, recopié tel quel et ne comporte aucune ponctuation particulière signalant un dialogue) :

Vous pensez qu’à l’époque les gens étaient pires qu’ils ne sont maintenant ? dit l’adjoint.
Le vieil homme contemplait la ville inondée. Non, dit-il. Je pense que les gens n’ont pas changé depuis le jour que le bon Dieu les a créés.

De la même façon, quand j’ai tourné la dernière page du livre, je me suis retrouvé face à la couverture, devant ce titre, que finalement j’ai trouvé comme un dernier coup de poing au ventre : Un enfant de Dieu.

Il nous montre aussi les réactions des gens, de tout un chacun, méfiant envers les gens qui sont différents d’eux, la façon dont on juge les autres, de façon juste et factuelle ou bien émotionnelle. Et l’auteur ne répondra pas à la question du livre pour savoir pourquoi Lester est devenu un psychopathe, mais il nous met brutalement devant les yeux la question essentielle : Quelle est la différence entre un homme et une bête ? La société n’engendre-t-elle pas finalement ses monstres ?

Pour moi, ce roman est un coup de cœur. Le sera-t-il pour vous ?

Trois mille chevaux vapeur de Antonin Varenne (Albin Michel)

Attention, coup de cœur ! Enorme coup de cœur !

D’Antonin Varenne, j’aurais lu tous ses romans. Parce que, le jour où je suis tombé sur Fakirs, j’ai eu un choc, j’ai trouvé un auteur formidable capable de créer des personnages incroyables et une ambiance glauque au possible. Avec Le Mur, le Kabyle et le Marin, on changeait de dimension avec un roman sur la guerre d’Algérie, mais toujours avec des personnages aussi forts. Déjà, dans ses deux précédents romans, on pouvait sentir cet amour de raconter des histoires basées sur des personnages. Antonin Varenne, c’est un auteur de personnages.

Lors d’une rencontre aux Quais du Polar, je lui avais fait remarquer qu’il avait toujours dans ses romans trois personnages. Quel pied de nez avec ce roman, le personnage principal de Trois mille chevaux vapeur est seul, solitaire même. Je lui avais dit aussi que sa description de la société contemporaine était bigrement noire et glauque. Quel pied de nez avec ce roman. Nous nous retrouvons balancés en plein 19ème siècle. Avec ce roman, Antonin Varenne ne monte pas une marche supplémentaire, il a carrément grimpé tout l’étage et nous offre un grand roman.

De personnages, Antonin Varenne nous en offre un, mais quel personnage ! Arthur Bowman est de ces hommes qu’on n’oublie pas, qu’on le rencontre en vrai ou en roman. Il a ce regard acéré qui lui permet de savoir quand la personne qui est en face de lui ment. Et les autres le savent. Sergent à la Compagnie des Indes, il se bat contre les Birmans. Si le stress est permanent, les combats font rage et le bateau de Bowman est en renfort au large … jusqu’à ce qu’on lui confie une mission : diriger une barque sans armes, déguisés en locaux, pour mener une mission étrange. Mais voilà, être sur le fleuve, dans la savane, entourés d’ennemis, cela ressemble à un arrêt de mort. Le village cible va être incendié, il y aura des milliers de morts et Bowman et ses hommes faits prisonniers.

Quelques années plus tard, Bowman est de retour, policier à Londres. Il n’a pas oublié les tortures, ses hommes qui sont morts, et d’ailleurs, il est victime d’une crise d’épilepsie dès que le stress monte. Un corps est retrouvé dans les égouts, torturé comme seuls savent le faire les Birmans. Sur la scène du crime, un mot est inscrit avec le sang du mort : SURVIVRE… Evidemment, tout accuse Bowman, alors que lui sait que le coupable est un de ses hommes. Il va donc poursuivre les dix hommes qui en sont revenus.

Quel sujet, et quel portrait d’homme ! Cet homme droit comme la justice, soldat exemplaire au sens où il obéit à tout ordre qui lui est donné, cet homme trahi par les siens, torturé qui revient dans la civilisation, marqué à jamais. Si Bowman se jette dans cette enquête, ce n’est pas tant pour se disculper, car il n’a plus de but dans la vie, il survit comme ses dix compatriotes, s’il poursuit cette quête, c’est un peu une rédemption mais aussi un espoir, celui de stopper enfin le cauchemar qui le poursuit jour après jour, nuit après nuit. Ce personnage est incroyable de justesse, d’émotions, mais aussi d’actualité tant on pense à des événements récents.

Et puis il y a les pays traversés par Bowman. De la Birmanie à Londres, sans oublier la traversée des Etats Unis, Antonin Varenne nous convie à un voyage non seulement dans le temps, mais aussi autour du monde. Autant la savane birmane est inquiétante, mystérieuse, sombre et humide, autant Londres est sale, noir de suie, les rues moites de caniveaux qui déversent leur pourriture, autant la traversée des Etats Unis pendant la conquête de l’ouest est sèche, chaude et on en prend plein les yeux (dans tous les sens du terme).

De ce roman, Antonin Varenne a certainement voulu changer de genre, changer de style. Et pour autant, les fans vont s’y retrouver dans ce style qui est un excellent mélange entre description et efficacité. En une phrase, il est capable de vous faire traverser un continent, un siècle, un personnage. Et ce roman se veut aussi une vraie réflexion sur la société et la solitude, sur les buts que se fixent les hommes, sur la folie des hommes, sur les massacres qu’ils sont capables de créer uniquement pour un peu de calme, de sécurité. De ce roman, on retiendra que l’homme n’est rien d’autre qu’un animal, que si les soldats sont fous, leurs chefs le sont plus et que la vie de tous les jours n’est rien d’autre qu’une guerre sans merci où seul le décor change. Dans ce roman, Antonin Varenne n’est plus loin d’un Steinbeck ou d’un McCarthy. Je n’aurais jamais cru un auteur français capable d’écrire une telle aventure avec un tel souffle épique. Antonin Varenne l’a fait.

Les rues de Santiago de Boris Quercia (Asphalte)

Attention ! Coup de cœur !

Ce roman a été encensé par Bernard Poirette, qui tient la rubrique C’est à lire le samedi matin à 8H20 sur RTL, disant que c’était un pur joyau noir et à partir de ce moment là, il me fallait forcément le lire.

Quand j’ai ouvert le livre, je me suis aperçu que le premier chapitre faisait quatre page et ne comprenait qu’un seul paragraphe. Et là, je me suis dit que ça allait être une mauvaise pioche … jusqu’à ce que je le commence. On y lit à la première personne la planque de Santiago Quenones, sous une voiture qui attend un gang de braqueurs. Il est mal placé, est serré, stressé et a des crampes. Il a peur, et ne veut pas tuer quelqu’un aujourd’hui. Puis, il pense à sa compagne Marina qui, à cette heure matinale, doit se lever, aller à la douche, pour aller travailler. Puis, tout s’accélère. Les braqueurs sortent, une course poursuite s’engage. Mais la distance est trop grande, il va falloir utiliser son flingue. Doit il tirer dans les jambes, ou dans le bras. A cette distance, c’est risqué. Et dire que Marina ne se doute de rien ! Dans une ruelle, il tire et atteint le braqueur au cou.

Au bout de quatre malheureuses pages, le décor est planté. Le personnage principal est bigrement humain, réel, et le lecteur que je suis, finit ce premier chapitre à bout de souffle, épuisé par la course imposée par Boris Quercia. Et cela va durer cent cinquante pages, serrées comme un expresso. Avec un style expressif et efficace, Boris Quercia parvient à nous plonger dans le quotidien des Chiliens, mais aussi dans le quotidien des policiers. Et cela marche parce que l’on croit à ce personnage, on s’attache à lui, et on a envie de le suivre.

De toute évidence, Boris Quercia a lu les auteurs américains, les plus grands d’entre eux, et il a transposé leur univers dans le sien, mais il s’est surtout approprié les Hard-Boiled, leurs intrigues, leurs personnages, leur univers, tout en se démarquant par son univers propre et son style. L’ensemble est une formidable réussite, où, outre Santiago, on y rencontrera une femme fatale, des tueurs qui en veulent à Santiago, des pourris de toutes sortes.

S’il n’y avait que cela, ce serait un très bon polar. Là où il dépasse le genre, ou du moins, là où il se démarque, c’est dans les petites remarques subtiles sur l’état de la société chilienne, qui font que ce roman devient fort. De la violence continue à laquelle les habitants sont obligés de s’habituer et de s’adapter à la corruption généralisée, tout cela est passé en revue dans l’intrigue sans que cela ne soit réellement le sujet premier du roman. Un exemple : il est hallucinant que les policiers soient réduits à de la chair à canon, voire même à des cibles pour des tueurs qui peuvent trouver leurs armes chez le marchand du coin.

Encore une fois, les éditions Asphalte ont découvert un formidable auteur, qui nous écrit là un formidable premier roman noir, un vrai polar condensé, comme on aimerait en lire plus souvent. Je n’aurais qu’un conseil, allez dans une librairie, lisez le premier chapitre et vous tomberez sous le charme de cette plume exceptionnelle. Bernard Poirette sur RTL disait : « Ça fait du bien de lire ça : court, net et sans bavure, c’est un petit bijou tout noir venu de l’autre bout du monde. » Je n’ai qu’une chose à ajouter : C’est une petite perle noire à ne pas rater. Coup de cœur !

Jeudi noir de Michael Mention (Ombres noires)

Attention, coup de cœur !

J’avais 16 ans quand a eu lieu ce match mémorable. A l’époque, nous n’avions pas le droit de regarder la télévision (en noir et blanc) car il y avait école le lendemain. Mon frère et moi nous intéressions au football, surtout parce que notre père supportait le Stade de Reims. Alors nous avions choisi une équipe pour avoir le même centre d’intérêt que lui. Mon frère avait choisi Nantes, j’avais choisi Nancy six ans auparavant, quand le club était encore en division 2. J’avais vu, ou plutôt suivi, les débuts de Michel Platini à la télévision, le dimanche sur la première chaine, dans Téléfoot. Eh oui, à l’époque, il y avait du football à la télévision ! J’avais vécu le départ de Michel Platini à Saint Etienne comme une trahison, à tel point que je m’en rappelle encore aujourd’hui.

En 1982, c’était la coupe du monde de football, en Espagne. Nous regardions les matches le week-end. Je dois dire que je ne me rappelle pas qu’il y ait eu une ferveur comparable à celle que nous avons connu en 1998. Ce que je suis sur, c’est que ce match France Allemagne fut la première fois où nous avons eu le droit de regarder un match un soir de semaine. Et toute la petite famille était réunie dans la salle à manger, à regarder cet affrontement qui fut et reste encore aujourd’hui pour moi un immense moment d’émotions. Ce fut aussi un terrible traumatisme, à un point tel que je suis incapable de regarder ce match quand il est proposé lors de rediffusions aujourd’hui.

C’est cette demi-finale que Michael Mention nous propose de revivre dans son roman, avec toute la verve dont il est capable. Le principe est simple : reprendre le déroulement du match, en se mettant à la place d’un des joueurs. Pour ne pas prendre parti, Michael Mention se positionne bien sur le terrain, mais en lieu et place d’un joueur fictif. Nous avons alors droit à toutes les actions, et surtout toutes les pensées des joueurs français, de l’esprit battant aux désillusions du résultat final.

Car ce match est réellement spécial, à part parmi toutes les compétitions de football. Là où Michael Mention est fort, c’est de m’avoir permis de revivre toutes les émotions qui nous ont traversé en tant que spectateur. Du début fonceur des Allemands au redressement des Français en première mi-temps, de cette fin de première mi-temps aussi où nous les avons dominé aux ballons qui heurtèrent les poteaux, de cette agression de Schumacher aux oublis de l’arbitre, de ces prolongations où nous étions épuisés comme les joueurs jusqu’aux tirs au but sacrificiels.

Michael Mention profite de ce match pour montrer ce que fut cette société, ce qu’allait devenir le football mais aussi des passifs entre ces deux nations, de la guerre en passant par les racismes bas du front. Tout juste aurait-il pu rappeler que François Mitterrand a tout fait pour monter le Front National, ce qui monopolisait une partie de l’électorat de droite. Il montre aussi comment un simple match de football est devenu une lutte à mort pour la gloire d’une nation, comment le sport peut devenir une guerre.

Après ce match, pardon, ce livre, la seule chose que je veux dire, c’est Merci Michael de m’avoir permis de revoir ce match. Car si je ne peux pas le revoir à la télévision, son roman m’aura permis de me l’imaginer, grâce à ce style si direct, précis et imagé. C’est aussi en lisant ce livre que je m’explique pourquoi je suis dégoutté du football actuel. Les jeunes me diront que je suis un vieux dans ma tête, que je dis que « c’était mieux avant ». Mais quand on voit comment ces joueurs là sont allés au bout de leurs forces, au bout de leur volonté, au bout de leur âme, j’ai du mal à imaginer qu’aujourd’hui ils seraient capables de réitérer un match comme celui là. Même si vous n’aimez pas le football, vous vous devez de lire ce roman réellement hors du commun.

Coup de cœur !

Kind of black de Samuel Sutra (Terriciaë)

Attention, coup de cœur !

La dernière page vient de se tourner, les mains de pianiste qui s’immiscent sur la couverture se tendent vers moi. Je prends le roman, l’ouvre au hasard, mais pas tout à fait, attrape un effluve de chapitre et commence (ou plutôt recommence) ma lecture. Je retrouve Jacques, cet inspecteur en vacances, qui plonge dans cette affaire ténébreuse, au fin fond d’une cave enfumée, bercé par une douce musique légèrement nonchalante et infiniment triste.

J’entame à peine les premières phrases du chapitre 21 qu’une musique caresse mes oreilles. D’un accord parfait, d’une introduction musicale d’une douceur inégalée, les phrases débouchent sur une voix, celle de l’auteur, de son amour pour le jazz, de son amour pour les mélodies, pour les histoires de gens. Malgré le fait que je ne sois pas fan de jazz, Samuel Sutra m’a attiré dans ses filets, comme une sorte d’initiation à la vie.

Ce roman, c’est aussi une histoire de personnages. La pierre centrale, c’est Stan Meursault, ce pianiste de génie qui n’est pas reconnu à sa juste valeur, mais que beaucoup admirent dans le milieu. Il est la pierre angulaire du Night Tavern, cette cave au pied de Montmartre où, tous les soirs se déroulent des concerts de jazz. Stan est tiraillé entre sa joie de retrouver Sarah Davis, cette chanteuse partie chercher et trouver la gloire aux Etats Unis et son appréhension de la retrouver après plusieurs années de séparation. Car ces deux là se sont connus, se sont aimés et se sont quittés au nom de la reconnaissance, du succès, de la gloire si éphémère mais si importante.

Sarah Davis a accepté de venir faire un set d’une trentaine de minutes au Night Tavern, en ne chantant que des classiques pour éviter les problèmes de droits d’auteur. Ce sont d’ailleurs les détails que doit régler Baker, l’agent de Sarah Davis et compagnon de la chanteuse. Sarah Davis a aussi permis à Stan d’enregistrer le concert, pour qu’il puisse le vendre à une maison de disque, s’il le veut.

Stan et ses deux acolytes contrebassiste et batteur laisse Sarah Davis dans la loge et montent sur scène. Ils ne voient pas le public, éblouis qu’ils sont par les projecteurs. Stan débute par If you wait too long, la célèbre chanson qui a révélé et consacré Sarah Davis. Il joue comme jamais, ses doigts volant sur les touches du piano, les notes qui sortent du piano semblant rendre hommage à cette chanteuse devenue diva du jazz. L’introduction reste suspendue dans l’air, et plus les secondes passent, plus l’atmosphère devient lourde, pesante. Stan se sent obligé de présenter « La grande, l’immense Sarah Davis … » mais elle n’apparait pas. Le silence tombe, assourdissant cet espace de musique magique ; on entend de l’agitation et la sanction tombe : Sarah Davis a été poignardée.

Je n’oublierai que bien difficilement ces formidables personnages, ni Stan et ses doigts magiques, éternel maudit de la vie, ni Jacques ce policier consciencieux, obligé de travailler en marge de sa passion, la musique ; ni Lisa si belle et si parfaite dans le regard de Jacques ; ni Baker ce personnage si antipathique ; ni les autres collègues de Jacques si bien dessinés, si vivants, si attachants. Je n’oublierai pas cette douce musique portée par le style fluide et entêtant comme une ritournelle, cette histoire racontée comme un morceau de musique, où on prend le temps d’ouvrir le capot du piano, où l’introduction vous prépare au meilleur, où le corps du morceau vous emmène petit à petit, où la fin, la conclusion du morceau vous cloue au poteau, tant c’est beau, noir et imparable. Voilà, je l’ai dit, les dernières pages de ce roman m’ont détruit.

Coup de cœur !

Samuel Sutra décline son talent dans l’humour avec les aventures de Tonton et sa bande : Le pire du milieu, Les particules et les menteurs, et Akhanguetno et sa bande. La quatrième aventure de Tonton vient de sortir aux éditions Flamand Noir et s’appelle Le bazar et la nécessité. Kind of Black vient d’être réédité par les éditions Flamant Noir.

Rouge est le sang de Sam Millar (Points)

Attention, Coup de cœur !

« Paul Goodman se sentait comme un condamné, tandis qu’il s’avançait vers l’abattoir à travers l’herbe détrempée. Un rosaire de nœuds s’accrochait à son estomac et le serrait un peu plus à chaque pas. La pluie et un froid vicieux lui pinçaient la peau. Un frisson involontaire lui parcourut l’échine et les boyaux à l’idée que, dans moins d’une minute, il serait à l’intérieur du bâtiment, à l’intérieur de l’énorme ventre de la bête. »

Paul Goodman est au chômage depuis un an. Le seul espoir qu’il lui reste est d’être embauché à l’abattoir. Quand il va passer les portes de ce gigantesque et inquiétant bâtiment, il ne sait pas qu’il va mettre les pieds dans son plus atroce cauchemar … et le lecteur avec lui.

Car Rouge est le sang (ou Redemption Factory édité en 2010 aux éditions Fayard) est avant tout une histoire de personnages, tous plus horribles et horrifiques les uns que les autres :

Il y a Shank le propriétaire de l’abattoir, le maitre des lieux, qui attire et emmène derrière lui toute une troupe de monstres, tout droit sortis de l’imagination délirante de l’auteur, un homme étrange, violent, sans état d’âme. Il a engendré deux filles, Violet, une psychopathe aussi belle qu’elle est dangereuse, et Geordie, une infirme affublée de prothèses pour ses jambes qui est aussi horrible de l’extérieur qu’elle est pure à l’intérieur.

Il y a Taps, l’homme de main de Shank, un pur tueur à gages, un homme de main à la fidélité à toute épreuve, un boucher qui aime la viande bien découpée, qu’elle provienne d’un animal ou d’un être humain.

Même Philip Kennedy, qui tient une boutique d’objets anciens et qui est le seul à ressembler à un être humain normal, est affublé d’une femme monstrueuse, sorte de bibendum couché sur son lit, recluse dans sa chambre en haut des escaliers poussiéreux, avec un esprit cynique et méchamment mortel.

Paul Goodman (Homme bon) est comme un extraterrestre dans ce monde d’horreurs, le seul à paraitre normal, à se faire un ami comme Lucky Short, un jeune homme malchanceux, qui porte son nom comme on porte son fardeau, car il ne sert à rien d’avoir de la chance pour se sortir d’un monde d’horreurs. Son seul rêve est de devenir un champion de snooker, son pire cauchemar est de proter le poids de son passé et de sa destinée.

La plume de Sam Millar est magnifique dans son épouvantable réalité, montrant des lieux aussi inquiétants qu’effrayants, nous plongeant dans une atmosphère lourde et poisseuse, nous faisant renifler des odeurs à base de fer et de sang, nous jetant à la figure des tableaux rouge sang dans des scènes hallucinantes et hallucinées.

Le choix des adjectifs sont effroyablement évocateurs, aussi bien avec les images que les odeurs ou les sons. Pour preuve ce nouvel extrait pioché au milieu du roman : « L’odeur lourde des bouses se mêlait à celle, enivrante, du foin et du grain moisi, et flottait dans l’air, presque visible, ponctuée par la puanteur âcre du sang frais ». Et on ne peut que rendre hommage à Patrick Raynal pour avoir rendu cette œuvre si monstrueusement belle.

Ce roman n’est pas seulement un roman fantastique (dans tous les sens du terme), surfant entre le roman noir, le roman d’horreur ou le fantastique. Il ressemble à un cauchemar que Sam Millar a longtemps porté en lui, une sorte de vision qu’il a de son pays, après une absence longue. Il pose la question de la rédemption, celle que Paul Goodman recherche après la disparition inexpliquée de son père, celle de Geordie envers son père, celle de Kennedy envers sa propre vie, celle que Sam Millar voudrait donner à son pays, celle que l’on ne veut pas lui accorder.

D’un roman très personnel, et pour autant très positif, car Sam Millar trouve dans chaque monstre peuplant ses scènes, des raisons d’y croire, de trouver la beauté, la pureté, il en a fait un tableau fait de plusieurs scènes marquantes, et a construit une œuvre au-delà de tout genre, au-delà de toute classification, unique, incroyable, d’une lecture presque biblique. Tous les ingrédients pour faire de ce roman un coup de cœur, un formidable coup de cœur.