Editeur : Denoël
Quand j’ai rencontré Olivier Bordaçarre lors du Festival du Roman Noir et Social de Vitry-Sur-Seine, il m’a annoncé la sortie de ce roman et je lui avais dit que je le lirai sans faute tant j’adore la plume et les thèmes abordés par cet auteur. Bingo, une nouvelle fois !
2004. Dans la famille Raybert, Alain, le père, dirige son propre garage, La Générale. Nadine, la mère, élève des enfants de l’Assistance Sociale ce qui lui permet d’arrondir les fins de mois du couple. Leur fils unique Gabin se trouve donc un rôle de protecteur envers ces enfants qui ont subi des maltraitances dans leur famille d’origine. Justement, cet été là, ils accueillent Gustave, que Gabin va prendre sous son aile.
Mardi 16 avril 2024, 20H04, dix heures et trente-quatre minutes après la disparition d’Hervé Snout. Odile Snout attend son mari pour le dîner ; le bœuf bourguignon qu’elle a préparé la veille mijote doucement. Ses deux enfants Eddy et Tara, jumeaux dizygotes, sont dans leur chambre. Ne manque plus à l’appel Hervé Snout, directeur des établissements Snout. Certes il les a habitués à des retards mais Odile commence à être inquiète.
Mercredi 17 avril 2024, 16H044, un jour, sept heures et quatorze minutes après la disparition d’Hervé Snout. Après sa journée de travail à la mairie en tant que secrétaire de l’adjoint à la culture, Odile très inquiète se rend à la gendarmerie, accueillie par Simon Malassi, qui a réussi le concours après une lourde période de dépression. Simon se veut rassurant, ne songe pas à en parler au capitaine Daniel Obrisky pour le moment et lui conseille de revenir le lendemain. Mais Hervé Snout ne réapparait pas.
Tout commence comme une chronique familiale, une classique disparition du « chef de famille », dans une famille classiquement aisée. Outre le prologue sur Gabin et Gustave, on profite pleinement de l’humour caustique et cynique d’Olivier Bordaçarre et de son talent à nous décrire chaque personnage par un paragraphe ravageur qui ne peut que nous tirer qu’un rire jaune (alors que les Chinois n’y sont pour rien dans cette histoire).
En l’absence de Hervé, Odile s’inquiète mais pas trop ; Eddy en profite pour s’émanciper dans son rôle de mâle alpha violent ; et Tara s’isole dans ses courses de fond qui lui permettent de fuir cette famille carnivore, elle qui se veut végétarienne. Car Hervé Snout est le directeur d’un abattoir … Quelle idée de génie ! Sans compter l’itinéraire de Malassi pour arriver gendarme ou même les bas-du-front Kevin Declerk et Zachary Pinoche qui, par échecs scolaires successifs, se sont vus proposer de poursuivre leurs études en CAP de mécanique automobile … Une voie de garage !
Toute la première partie qui décrit les conséquences de la disparition d’Hervé Snout est à l’avenant, d’une drôlerie irrésistible. Pour la deuxième partie, nous allons plonger dans le quotidien de l’abattoir, avec la vie des ouvriers. Outre leur présentation, on retrouve Gabin et Gustave qui y travaillent aussi. Dans cette partie, l’auteur détaille la difficulté de ce travail, les relations entre les employés, la violence inhérente à cette usine, les concurrences entre les différentes équipes.
On y découvre aussi un Hervé Snout que l’on ne connaissait pas et pour lequel on s’était pris d’affection, uniquement parce qu’il avait disparu et qu’il ne pouvait que jouer le rôle de victime. Erreur ! il s’avère être un petit chef hautain, imbu de son autorité, dictatorial dans ses décisions et distant dans ses relations avec ses subordonnés. Méprisable, dégoûtant, et surtout horrible quand il demande à certains ouvriers de s’en prendre à Gustave, trop tendre pour le métier à son goût. Puis nous allons avoir l’explication de la disparition d’Hervé Snout dans des scènes violentes, très violentes que l’on peut passer sans enlever le plaisir de la lecture. Je ne vous en dis pas plus.
Derrière son ton cynique, l’auteur parle de souffrance au travail (et quelle formidable idée d’avoir situé l’intrigue dans un abattoir !) mais pas seulement. De la maltraitance des enfants ou des animaux à la vie en couple, des raisonnements de l’extrême droite aux petits arrangements aux marges de la légalité, de la position de la femme dans le couple à celle dans la société, Olivier Bordaçarre flingue avec son humour ravageur tous ses personnages en nous les faisant connaitre jusque dans leur intimité. Ce roman peut mettre mal à l’aise autant qu’il en devient jubilatoire, jouissif dans son cynisme noir (ou rouge, c’est selon). Un excellent roman plus profond qu’il n’en a l’air.