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Adoptons les gestes barrières de Michèle Pedinielli

Editeur : Ours éditions

Lors de ma visite du Salon du Roman Noir et Social, Michèle Pedinielli a attiré mon attention sur une maisonnette d’édition qui publie des textes courts ou très courts, à partir d’une feuille A3 judicieusement pliée et collée pour en faire un mini livre. Il vous faudra juste vous munir d’un coupe-papier pour terminer le travail.

Sur le site internet https://www.ours-editions.fr/, on trouve cette présentation :

Ours éditions est une maisonnette d’édition qui se spécialise dans l’édition de textes courts, voire très courts et qui cherche (et trouve) des solutions simples, locales et fortement basées sur le travail manuel pour produire ses ouvrages. Tous les livres édités sont imprimés en reprographie et les cahiers sont pliés et reliés à la main, chaque ouvrage est le produit d’un travail amoureux. Nous publions tous les genres de la fiction sans discrimination et des essais en sciences humaines et sociales. Nous privilégions le travail des auteur·ices en leur laissant la propriété de leurs textes dès la publication de nos ouvrages et en leur servant 50% de droits sur les ventes. Il existe actuellement cinq collections :

  • 22 222, la collection « historique » composée d’un cahier de 16 pages créé à partir d’une feuille A3 ou de deux cahiers de 8 pages créés à partir de feuilles A4, nous obtenons ainsi un livre de 16 pages au format 10,5 x 14,85 cm, simplement agrafé et livré non massicoté, les lecteur·ices retrouvant ainsi l’antique plaisir de découper leurs livres avant de se plonger dans la lecture. Une démonstration de la découpe est disponible en vidéo sur la page d’accueil de notre site. Les nouvelles de cette collection sont calibrées à 19 000 signes

Les enveloppés, des textes sur une seule face d’une feuille A3, pliée en enveloppe, le contenu est le contenant ! Destinée aux textes très courts, à la poésie ou à la bande dessinée.

  • cousu·main, à partir de cahiers créés à partir de feuilles A3 ou A4, nous obtenons des livres de 24 (27 500 signes), 32 (37 000 signes) ou 40 pages (47 600 signes) qui sont reliés avec amour et du fil à broder, au format 10,5 x 14,7 cm.
  • kraft est la « grande » collection d’Ours éditions, les livres sont composés de cinq cahiers de huit pages ou 10 de 4 pages (93 000 signes) et la couverture illustrée est en kraft. Ce qui produit des ouvrages, également cousus, de 14,8 x 21 cm.

Créée à l’occasion du FIRN 2022 de Frontignan, tête/bêche est un livre de 32 pages composé de deux textes courts (19 000 signes chacun) qui se rencontrent en son centre, l’idée est de créer une collision entre des textes antagonistes ou complémentaires, écrits par deux auteur·ices différent·es. Format 10,5 x 14,7 cm, reliure cousue à la main, bien sûr.

  • fulenn est une collection dirigée par Pascal NICOLAS-Le STRAT qui la présente en ces termes : La collection fulenn défend des écritures en sciences sociales très en prise avec les expériences (de vie, de résistance, de création, de lutte, d’entraide, de coopération…) — des écritures qui n’évacuent jamais la dimension sensible des enquêtes et analyses, et qui assument leur caractère nécessairement situé, sur le plan des rapports de classe, des enjeux de qualification/disqualification, des assignations et des émancipations de genre ou, encore, des logiques de racisation. De telles écritures intègrent donc une forte capacité auto-réflexive, à un haut niveau d’exigence, tant sur les conditions de la recherche et ses processus, que sur les prises, emprises et déprises des positions et postures. La science sociale qui intéresse fulenn est une science sociale résolument engagée dans la vie, en solidarité avec les communautés et personnes invisibilisées et minorisées, réprimées souvent, une science sociale qui ne se cache pas frileusement, parfois lâchement, derrière une prétendue neutralité, mais qui se risque et s’expose, une science sociale qui ne dissocie jamais efforts de compréhension et tentatives de transformation sociale, une science sociale farouchement arrimée à des idéaux de liberté et aux causes communes de l’égalité. Fulenn publie des autrices et auteurs qui mobilisent leur « faire recherche » pour construire et cultiver des milieux de vie encore habitables, en terme écologique et démocratique, et qui le font évidemment en coopération étroite avec les personnes immédiatement concernées. Fulenn signifie étincelle en breton, et c’est sous ce signe qu’elle place son travail éditorial : l’écriture des possibles et des alternatives, des douleurs et des joies, de la violence et de l’espérance, des luttes et des émergences, des insistances et des résistances.

Ours éditions existe, c’est évident, grâce au soutien de ses lecteur·ices mais également grâce à celui de la commune d’Aniane et de la communauté de communes Vallée de l’Hérault qui nous donnent accès à leurs imprimantes, nous sommes également équipés d’une imprimante A4 laser couleur qui nous permet une certaine autonomie.

Mais revenons à Adoptons les gestes barrières de Michèle Pedinielli :

Le confinement dû à la crise sanitaire de la COVID-19 permet à Maggie de prendre du recul par rapport à la situation sociale de la France. Surtout, avec l’interdiction de sortir de chez soi, c’est l’occasion de se débarrasser de ses voisins gênants. Avec Antoine, elle se met à l’ouvrage, et il y a de quoi faire.

D’un ton cynique, cette nouvelle noire qui alterne entre Maggie et Antoine est un vrai régal pour ceux qui aiment l’humour noir, le seul, le vrai. A 2 euros, il serait dommage de passer à coté. Et on se retrouve surpris de découvrir le talent de novelliste de Michèle Pedinielli dont on adore le personnage de Diou.

Le collectionneur de serpents de Jurica Pavicic

Editeur : Agullo

Traducteur : Olivier Lannuzel

Après l’Eau rouge et La Femme du Deuxième Etage, Jurica Pavicic nous revient cette fois-ci avec un recueil de cinq longues nouvelles qui nous montre son pays, avant, pendant et après la guerre civile.

Le collectionneur de serpents :

Alors qu’il vient tout juste d’ouvrir une boutique et un entrepôt de stockage, Dino, un jeune homme se retrouve convoqué dans l’armée. Il est envoyé vers Dubrovnik pour tenir une position stratégique près d’une route. Il devient ami avec deux jeunes comme lui dont l’un tue les serpents et les accroche à la branche d’un arbre.

Le tabernacle :

Un coup de fil de Bàsic leur annonce la mort d’un homme à qui on a octroyé leur appartement par réquisition. Depuis 1946, Niko et Maja ont multiplié les recours en vain. Quand ils visitent leur appartement, une des portes est définitivement fermée.

La patrouille de route :

Malgré le fait qu’ils soient frères, ils ne se ressemblent en rien. Josip Jonjic entre dans la police alors que Frane devient trafiquant. Entre les deux, une femme amènera une conclusion inattendue de cette nouvelle.

La sœur :

Deux sœurs se retrouvent séparées par la guerre, chacune habitant de l’autre côté de la frontière. Elles n’arrivent pas à se mettre d’accord pour la vente de la maison de famille idéalement située sur une île touristique.

Le héros :

Robert s’installe dans un village proche de la frontière pour y exercer son métier de géomètre. Les apparences sont trompeuses, et il va s’absenter de nuit pour aller en Serbie. Car on oublie difficilement un conflit.

Mon avis :

Si dans ses deux autres romans, Jurica Pavicic écrivait des allégories sur l’évolution contemporaine de son pays, il revient ici sur la guerre brutalement dans la première nouvelle et en toile de fond sur les autres. Tous ces récits ont en commun de parler de gens du peuple et de montrer l’impact du conflit sur leur vie quotidienne. Montrer le quotidien des gens pourrait paraitre impossible mais sous la plume de Jurica Pavicic cela devient juste et  passionnant.

Parce que, quelle que soit l’histoire ou le personnage, il prend le temps de détailler leur vie, il se met à leur niveau, ajoutant par petites touches des détails qui permettent de côtoyer ces pauvres gens, tout en évitant de les plaindre. De l’horreur de la guerre dans la première nouvelle, aux familles déchirées dans La sœur, en passant par les impacts de la guerre. On y abordera aux la réaction au conflit, certains préférant oublier, d’autres restant hantés par cette guerre.

Remarquable, c’est le terme qui me vient à l’esprit tant je suis époustouflé par la simplicité du style, son pouvoir d’évocation et cette faculté rare de créer de l’émotion pure sans en avoir l’air. Chaque nouvelle va forcément toucher le lecteur puisque on se retrouve dans au moins une des scènes. Et ce recueil, derrière sa simplicité, parvient à donner une touche universelle à la vie de ces gens qui ont subi un conflit ordonné par des puissants, et tous les ressentiments qui les accompagnent.

Plus bas dans la vallée de Ron Rash

Editeur : Gallimard – La Noire

Traducteur : Isabelle Reinharez

J’ai aimé, adoré, encensé tous les romans de Ron Rash. En guise de nouvelle parution, il nous offre juste avant Noël d’un recueil de nouvelles avec comme guest star, Serena qui nous fait un retour bref mais marquant.

Plus bas dans la vallée :

Serena Pemberton et Galloway descendent de l’hydravion en provenance du Brésil. Ils viennent superviser un chantier de déboisage qui risque de lui coûter cher. L’avenant signé de Meeks son responsable stipule qu’elle perdra 10% au moindre retard. Elle va haranguer ses troupes pour respecter ce délai dans des conditions inhumaines.

Les voisins :

Rebecca et son fils Brice vivent dans un ranch depuis que son mari est mort lors de la guerre de sécession quand elle voit des soldats débarquer. Les autres fermes brûlent et elle s’attend au pire.

Le baptême :

Le révérend Yates voit Gunter approcher de sa maison. Prévenant, il préfère avoir son fusil à portée de main, d’autant que Gunter a déjà tué sa première femme, et peut-être sa deuxième. En fait, Gunter vient demander au révérend de se faire baptiser.

L’envol :

Stacy tient le poste de garde-pêche depuis quatre mois seulement quand elle voit Hardaway sur le bord de la rivière. Celui-ci n’ayant pas de permis, elle lui dresse une amende qu’il s’empresse de jeter à l’eau. Son chef conseille à Stacy de ne pas chercher de noise à cet ancien repris de justice.

Le dernier pont brûlé :

Carlyle est en train de balayer sa boutique quand une jeune femme aux pieds nus tape à la vitrine. Méfiant, il se demande s’il doit lui ouvrir et prend son arme. Elle cherche son chemin pour aller à Nashville.

Une sorte de miracle :

Baroque et Marlboro ne font rien de leur vie et leur beau-frère Denton les oblige à le suivre : ils devront surveiller la voiture pendant qu’il a quelque chose d’important à faire, récupérer les pattes et la vésicule biliaire d’un ours.

Leurs yeux anciens et brillants :

Les trois vieux squattent la station-service de Riverside et personne ne les croient, ni eux ni les gamins qui affirment avoir vu un poisson énorme dans le plan d’eau sous le pont. Les trois vieux Creech, Campbell et Rudisell décident de leur montrer qu’il y a bien un monstre dans cette rivière.

Mon avis :

Bien entendu, les fans de Ron Rash vont acheter ce livre grâce au bandeau annonçant le retour de Serena. Et effectivement, dans la première longue nouvelle, elle est de retour et plus impitoyable que jamais. Il n’empêche que je suis resté sur ma faim car j’en aurais voulu plus, plus long, plus détaillé. Car cette nouvelle m’a donné l’impression d’un brouillon de roman où Ron Rash ne savait pas où aller.

Dans les autres nouvelles, on s’aperçoit du talent d’incroyable conteur, capable en une dizaine de pages de créer les personnages et le décor. Car ce recueil de nouvelles est surtout et avant tout une belle galerie de portraits, en les situant dans des époques diverses tout en racontant des morceaux de vie intemporels.

Certaines nouvelles m’ont paru anecdotiques, tels L’envol ou Le dernier pont brûlé, d’autres versent dans un humour noir et froid comme Le baptême, voire burlesque avec Une sorte de miracle et ses deux imbéciles (A ce niveau-là, on atteint le championnat du monde de la connerie). Mais ce sont surtout de terribles histoires noires, qui derrière une intrigue dramatique, montrent la violence implantée dans la culture américaine.

Jesus’ son de Denis Johnson

Editeur : Christian Bourgois (Grand Format) ; 10/18 (Format poche)

Traducteur : Pierre Furlan

Afin de fêter leurs 60 années d’existence, les chroniques Oldies de cette année seront consacrées aux 10/18.

Une fois n’est pas coutume, je vous propose un recueil de nouvelles pour cette rubrique Oldies, d’un auteur américain bien peu connu chez nous.

L’auteur :

Denis Johnson, né le 1er juillet 1949 à Munich en Allemagne de l’Ouest et mort le 24 mai 2017, est un auteur américain. Il est surtout connu pour son recueil de Jesus’ Son (1992) et son roman Arbre de fumée (2007), qui a remporté le National Book Award.

Dans sa jeunesse, Denis Johnson suit son père au gré des affectations de celui-ci. Il devient dépendant ensuite à diverses substances. Finalement, il obtient une maitrise (MFA) à l’université de l’Iowa. Ses principales influences sont Dr Seuss, Dylan Thomas, Walt Whitman et T. S. Eliot. Il a reçu de nombreux prix pour ses œuvres, y compris un Prix du Whiting Writer’s en 1986 et une bourse Lannan pour la fiction en 1993.

Selon un groupe de critiques, écrivains et autres membres du milieu littéraire, son recueil Jesus’ son fait partie des meilleures œuvres de fiction américaines des 25 dernières années.

Denis Johnson fait des débuts remarqués avec la publication de son recueil de nouvelles Jesus’ Son (1992), qui a été adapté au cinéma en 1999 sous le même titre, et qui a été cité comme l’un des dix meilleurs films de l’année par le New York Times, le Los Angeles Times, et par Roger Ebert. Denis Johnson a un petit rôle dans le film, interprétant l’homme ayant été poignardé à l’œil par sa femme.

Il est titulaire en 2006-2007 de la chaire Mitte d’écriture créative à l’université d’État du Texas, à San Marcos (Texas).

(Source Wikipedia)

Quatrième de couverture :

Révélation terrifiante et admirable à la fois pour l’univers intérieur d’une certaine jeunesse américaine hantée par la violence et la drogue, les onze nouvelles de ce recueil retracent les tribulations d’un narrateur unique. Vies brisées, agonies dérisoires, accidents spectaculaires, l’auteur décrit tout cela comme autant de vignettes de l’existence quotidienne vécue par les junkies errant à travers le paysage américain. Pour Christophe Mercier (Le Point) : « L’ensemble forme comme une tapisserie pointilliste, la radiographie d’une frange, invisible à l’œil nu, de l’Amérique moyenne. Une découverte impressionnante. »

Mon avis :

Dès la première nouvelle, on est frappé par l’absence de sentiments, lors d’un accident décrit comme des images colorées. On y trouve un coté détaché, halluciné malgré la violence du propos. Le ton est donné pour tout le reste de ce recueil, une violence omniprésente et détachée comme si elle était irréelle.

L’auteur nous présente un monde qui alterne entre réalité et cauchemar, fait de passages décalés soit dans la description soit dans les remarques qui peuvent paraitre choquantes. Dans ce monde de drogués, la réalité est altérée et l’impression que l’on en retire reste toujours étrange, inimaginable, fantasmagorique, comme quelque chose qui ne peut jamais arriver en vrai.

L’auteur semble nous présenter des moments de sa vie, des cartes postales sur des rencontres (Deux hommes), dans des situations communes (Un travail, Urgences). Il y est rarement question d’amour, mais quand c’est le cas, le ton est toujours violent, désabusé et décalé. Il n’est pas étonnant que l’auteur ait rencontré un grand succès avec ces nouvelles d’un ton qui semble imagé avec un filtre imposé par les stupéfiants, avec une bonne dose de poésie. Intéressant !

Jusqu’ici tout va mal de Pascal Dessaint

Editeur : La Déviation

Le titre du recueil donne le ton pessimiste des nouvelles et propose non pas une alternative à la morosité actuelle mais plutôt un regard différent sur notre monde, entre réalisme, lucidité devant la course au profit et nécessité de prendre exemple sur la nature, toute en sérénité. Ces dix-sept nouvelles que nous offre Pascal Dessaint ressemblent à des cartes postales, des saynètes de tous les jours, des morceaux de vie, balayant des thèmes aussi divers que la solitude, la morosité, la perte de l’espoir, l’amour, l’humour, les relations humaines et la nature qu’il faut protéger, sauver. Elles ne dépassent que rarement les quatre pages mais sont suffisantes pour nous présenter un ou des personnages et marteler un message.

Certains thèmes reviennent dans plusieurs nouvelles, en particulier la difficulté de vivre ensemble et la recherche de l’amour, comme dans Une érection rassurante (Suzanne, allongée à coté de l’homme, se sent bien au milieu de ses livres, et de ce membre vigoureux), ou La corneille rôde toujours (Nathan est couché à coté d’Elodie, et pourtant, il rêve qu’elle part avec le bucheron. Et la corneille les attend dehors).

L’autre thème omniprésent est évidemment la nature et l’auteur nous démontre de grande façon son amour pour la faune et la flore tout en déplorant et dénonçant la faculté qu’a l’homme à s’évertuer à détruire son environnement. Ainsi dans Le papillon orangé, Marc poursuit un papillon lors d’une promenade en montagne et se dit, en repensant au monde, mené par les grands du CAC 40, qu’il a bien raison.

Les méfaits de l’homme et ses conséquences sont bien présents plusieurs fois, dans La passion des chauves-souris (Germain accoudé à sa balustrade observe sa voisine faire l’amour et pense à la chauve-souris européenne qui a décimé ses cousines américaines), dans Lettre à un vieux naturaliste (Un amoureux de la nature montre son désespoir devant le pouvoir de destruction de l’homme), Le seau bleu (son voisin vient de lui apporter un seau d’écrevisses de Louisiane et Antoine ne se sent pas de les manger), ou même Pour des pommes (Simon se balade en bord de rivière quand il entend un homme abattre un pommier).

Il est même étonnant voire amusant de trouver dans certaines d’entre elles de l’humour, Une pêche prometteuse (Marion est chargée de récupérer un caïman en compagnie de deux pompiers Timothée et Maxence et se demande avec lequel elle va finir la nuit), et Une belle victoire (Francis aime en découdre et entre dans un bar qui retransmet un match de football) ou même Connaitre un poète (Luc vient de se faire larguer et raconte à son ami le poème qu’il lui a écrit).

On retrouve dans ces morceaux de vie de nombreux passages sur des gens solitaires en quête de l’amour comme dans Les mains parlent parfois plus que les lèvres (Yvette vient de quitter sa maison, sonnée et entre dans un bar musical où elle va rencontrer un homme), Le désir de Juliette (Le plaisir de Juliette se résume à la rencontre avec des inconnus) ou Elle pensait (Son plaisir est de faire l’amour à des inconnus avec le consentement de son mari).

Il ressort de ce recueil un ton moins de désespoir que de désabusement face à la direction que prend ce monde. Le ton est noir dans Les arbres font guérir plus vite (Laurent rend visite à Ghislain, allongé sur son lit d’hôpital. Ghislain, pour son dernier voyage, veut juste voir les arbres), révolté dans Jusqu’ici tout va mal (Gaëtan, pris de peur, s’est jeté hors du lit pour prendre son fusil et tirer par la fenêtre. Depuis, les gendarmes tiennent le siège) et sans concession dans La bernache et le faucon (Sylvain pense au faucon pèlerin qui fond sur une bernache sans arriver à la tuer) où Pascal Dessaint nous assène l’affirmation suivante :  « La nature sans l’humain serait magnifique ».

Je lis rarement un recueil de nouvelles d’une traite, préférant piocher au hasard, ce qui n’est pas le cas ici. J’ai adoré la puissance du discours, l’apparente simplicité de la plume toute en finesse expressive, et la force émotionnelle qui ressort de ces lignes. On y trouve dans ce décor désespéré une lueur d’espoir comme dans Le zizi chante le soir (Tom, en observant les oiseaux, se rend compte que l’espoir réside dans la nature). Vivre ensemble et respecter la nature sont les messages forts de ce recueil parfait.

Arsène Lupin, gentleman cambrioleur de Maurice Leblanc

Editeur : Archipoche

Le Père Noël ayant bien fait les choses, il m’a apporté le coffret édité par les éditions Archipel que je trouve formidablement beau dans sa sobriété. Le coffret comporte donc 7 livres, regroupant treize histoires du plus célèbre cambrioleur :

  1. Arsène Lupin, gentleman-cambrioleur, suivi de Les Confidences d’Arsène Lupin ;
  2. Arsène Lupin contre Sherlock Holmes, suivi de L’Aiguille creuse ;
  3. Le Bouchon de cristal, suivi de La Demoiselle aux yeux verts ;
  4. Les huit coups de l’horloge, suivi de La Demeure mystérieuse ;
  5. L’île aux trente cercueils ;
  6. 813 : la double vie, suivi de 813 : les trois crimes ;
  7. Les Milliards cachés d’Arsène Lupin.

Cette année, nous allons donc parler d’Arsène Lupin sur Black Novelet nous commençons par le premier roman de la série, qui est en fait un recueil de nouvelles parues en feuilletons et regroupées en un roman, avec une belle unité. Les neuf nouvelles composant ce recueil sont les suivantes :

L’Arrestation d’Arsène Lupin : Ce récit est un huis-clos se déroulant à bord du transatlantique La Provence. Au cours de la traversée, un télégramme révèle qu’Arsène Lupin se trouve parmi les passagers.

Arsène Lupin en prison : Alors qu’il est incarcéré à la prison de la Santé, Arsène Lupin organise le cambriolage d’une collection d’art inestimable.

L’Évasion d’Arsène Lupin: Par une incroyable ruse, Arsène Lupin parvient à s’évader de la prison de la Santé.

Le Mystérieux Voyageur : Alors qu’il voyage à bord d’un train, Arsène Lupin est victime d’un voleur.

Le Collier de la reine : Ce récit tourne autour du vol du collier de la Reine des Dreux-Soubise, et donne forme à l’enfance d’Arsène Lupin.

Le Sept de cœur :  Le narrateur, journaliste, se voit mêlé par hasard à une affaire d’espionnage militaire.

Le Coffre-fort de madame Imbert : Après avoir simulé une agression, Arsène Lupin est sauvé par Ludovic Imbert qui l’invite à manger.

La Perle noire : Quand Arsène Lupin investit cet appartement de l’avenue Hoche, il découvre la comtesse d’Andillot assassinée et la perle noire qui était sa cible disparue.

HerlockSholmès arrive trop tard : Georges Devanne, fier de ses richesses accumulées, fait appel à Herlock Sholmès pour arrêter Arsène Lupin.

Mon avis :

Bien que ce recueil soit composé de nouvelles parues sous la forme de feuilletons dans des journaux du début du 20ème siècle, il est remarquable de se rendre compte de la cohérence apportée entre toutes les nouvelles. On y trouve une vraie cohérence entre les différentes aventures, les personnages se retrouvent et il y fait un rappel des affaires précédentes. Cela donne l’impression de lire un vrai roman et non pas un recueil de nouvelles. A tel point que mon fils de 13 ans, quand il a lu ce roman, a été étonné quand je lui ai expliqué la genèse du roman.

Bien que je l’aie lu dans les années 80 (il y a quarante ans !), je dois avouer que j’ai découvert certaines affaires, les ayant oubliées mais certaines sont restées intactes dans mon esprit. J’ai été aussi et surtout surpris par l’écriture de Maurice Leblanc, que, vu mon grand âge, j’ai pu apprécier la qualité de la langue et sa faculté à nous créer des décors et des personnages formidablement visuels.

Cette lecture a été pour moi un vrai plaisir de lecture, autant dans les aventures que la façon de les aborder. L’auteur va ainsi utiliser des narrateurs différents, passant d’Arsène Lupin lui-même à la victime, ou même son bibliographe et ami. Ce recueil de nouvelles est une excellente introduction aux aventures de ce personnage unique.

Par le trou de la serrure d’Harry Crews

Editeur : Finitude

Traducteur : Nicolas Richard

Pour tout lecteur de polars ou de romans noirs, Harry Crews tient une place à part dans le paysage littéraire américain, celui d’un auteur humaniste qui a été capable de décrire comme personne la vie des marginaux, des pauvres que le Rêve Américain a laissé sur le bord de la route.

Né en 1935, il a offert au monde entier une vingtaine de romans comme autant de fulgurances noires (et je ne connais pas toute son œuvre, loin de là) avant de nous quitter en 2012. L’éditeur nous apprend comment il a eu ce recueil inédit entre les mains :

« C’est Byron Crews, le fils de Harry, qui a confié à Finitude le manuscrit de ce livre inédit. Quand on lui a envoyé Péquenots (Finitude, 2019), qui est la traduction d’un recueil paru en 1979, le livre lui a beaucoup plu. Il nous a alors appris qu’il avait retrouvé dans les papiers de son père un manuscrit prêt pour la publication. Harry Crews avait rassemblé quelques grands reportages parus dans la presse dans les années 80 (Playboy, Esquire, Fame…), auxquels il avait ajouté certains textes plus autobiographiques. Il avait révisé l’ensemble… puis il était mort. Et depuis, personne ne s’était intéressé à ce manuscrit. »

La « gueule » (excusez moi du terme, je ne trouve pas d’autre mot pour exprimer ce que je ressens quand je la regarde) de l’auteur vous accueille avec ces zones d’ombre, l’air de nous dire : « voilà, je vous présente ce que j’ai vécu ». L’objet livre est fait d’une couverture en carton brut comme s’il s’agissait d’un objet rare, précieux. Et les textes présentés nous rappellent combien Harry Crews était indispensable.

Composé d’articles publiés dans des magazines et de textes plus personnels, on peut penser à des nouvelles disparates. Et pourtant, on y trouve deux points communs parmi tous les textes de ce recueil : cette faculté à observer les gens et à les évoquer sans les juger et enfin cette envie de découvrir le monde qui l’entoure quitte à côtoyer un monde qui n’entre pas dans sa conception de la vie. Harry Crews ne se place pas au dessus des personnes qu’il rencontre, il se met à leur niveau, ne les justifie pas mais explique, entre autres sujets, le rejet des gens différents, la haine des étrangers, le besoin viscéral de violence, mais surtout cette culture américaine qui pousse à amasser toujours plus de fric.

Parmi ces 27 nouvelles, on y trouvera donc des portraits de personnages célèbres, tels ceux du Show-Business (Madonna, Sean Penn, Mike Tyson) où Harry Crews y insère son admiration pour ces personnes à la marge qui ont réussi ou sont tombés dans le cas de Tyson. Et on y trouve ceux de personnages manipulant les pauvres pour mieux profiter de leur argent (David Ernest Duke du Ku Klux Klan, Jerry Falwell à la tête des Partenaires de la Foi ou Garner Ted Armstrong télévangéliste). Dans l’Amérique reaganienne, tout est bon pour faire du fric, et Harry Crews se retient de tourner ces dirigeants en ridicule, mais il ne se gêne pas pour montrer le ridicule de leur discours et de leurs actes.

A coté de ces articles, on y trouve des textes plus personnels où Harry Crews nous explique ses racines et son éducation. Il évoque donc son oncle Cooter et les parties de pêche dans le marais d’Okefenokee comme des leçons de vie, de sa mère, mais aussi sans rien nous cacher, de la mort de son fils, noyé dans la piscine des voisins et de ses relations avec son fils cadet. Dans ces derniers, Harry Crews ne se cache pas, mais se révèle incapable de creuser sa douleur pour analyser les conséquences sur sa vie de famille, dans des passages terriblement émouvants.

Enfin, on y trouve ces scènes de la vie de tous les jours, ces moments qu’il nous fait partager où, en arpentant les routes, il découvre des bars, des poivrots, des bikers, des putes, des gens qui n’hésitent pas à exprimer leur opinion, raconter leur vie ou défendre leur bout de terrain.

Quelque soit le texte, on s’assoit tranquillement, et on laisse Harry Crews nous raconter un morceau de son histoire. On n’y trouve aucune grandiloquence, (comme le dit l’éditeur, Harry Crews écrit à hauteur d’homme), et on croit entendre sa voix rauque nous conter ces moments comme on écouterait un grand parent nous raconter des morceaux de sa vie. Je vais vous dire honnêtement : il est rare que je lise un recueil d’une traite. Habituellement, je lis une nouvelle ou deux entre deux romans. Là, je l’ai lu en une seule fois, parce que j’avais hâte de le retrouver, d’imaginer ce vieil homme assis en face de moi en train de m’expliquer ce qu’est la vraie Amérique. Joseph Incardona signe la postface, intitulée « Harry Crews, mon ami », et on ne peut qu’acquiescer à tous ses arguments. Passionnant.

Toucher le noir (Collectif)

Voici donc le troisième recueil de nouvelles consacré aux cinq sens et dirigé par le Maître de la critique du thriller, Yvan Fauth, taulier du blog Gruznamur. Après avoir écouté et vu, il a réuni une douzaine d’auteur pour nous apprendre à toucher le noir.

8118 – Envers Laurent Scalèse et Franck Thilliez :

Dans un monde futuriste, où la criminalité est maitrisée par des robot-chiens, Tom Croft sort du métro après sa journée à l’usine de fabrication d’armes. Alors qu’il traverse un terrain vague, un homme le menace d’une arme et des robot-chiens interviennent, mais trop tard. George Wood, le patron de la Police Anti-Criminalité apprend la nouvelle et arbore un sourire.

Mon avis : Quand deux maîtres de Noir français s’allient, on ne s’attendait pas à tant d’audace. Raconter cette histoire à rebours est un sacré pari (réussi) dans lequel on ressent le plaisir des auteurs à avoir créé cet exercice de style. La version à l’endroit se trouve en fin de livre sous le titre 8118 – Endroit et c’est presque une autre histoire.

Retour de soirée de Valentin Musso :

Sandrine et Paul sont invités au restaurant en compagnie de leurs amis Louis, Dimitri et Claire. Ils vont dans un restaurant qui est plongé dans le noir et où les serveurs sont non voyants. Après la soirée, Sandrine détache la ceinture de sécurité de Paul et jette volontairement sa voiture contre un arbre, tuant Paul sur le coup.

Mon avis : Voilà une histoire simple, qui donne la parole successivement aux trois personnages principaux pour une chute inattendue.

L’ Ange de la Vallée de Solène Bakowski :

Dans un paysage bucolique, une jeune fille emmène ses chèvres paitre dans la montagne, quand elle est surprise par une meute de loups. N’écoutant que son courage, elle les menace à l’aide d’un morceau de branche avant de tendre la main vers eux et de les calmer. Le curé qui assiste à cette scène est persuadé de voir un miracle et la ramène avec l’assentiment de la mère en tant que renouveau de Dieu.

Mon avis : Alors que cette histoire commence comme une poésie, elle se poursuit comme une sorte de conte pour se terminer dans l’horreur, illustrant la folie des hommes. Cette terrible nouvelle est un des meilleurs morceaux de ce recueil à mon avis.

Signé de Benoit Philippon :

La signature de Marcy, artiste peintre, se reconnait entre mille et sa cote atteint des sommets vertigineux. Elle réalise aussi des tatouages et des policiers viennent l’interroger suite à la découverte de corps dépecés : l’assassin a voulu récupérer le tatouage de l’artiste aujourd’hui incontournable.

Mon avis : On peut regretter sa taille, trop courte, et pourtant, sous ses dehors de nouvelle policière, elle se révèle féroce avec une fin que je qualifierai de géniale tant elle est surprenante. Excellent.

Mer Carnage d’Eric Cherrière :

N’ayant pas connu ses parents massacrés par un assassin lors de l’élection de Mitterrand, il est devenu le ponte du plastique. Alors qu’il est en galante compagnie, un visiteur lui annonce que quelqu’un a des révélations à lui faire sur ses parents.

Mon avis : Une nouvelle classique

No smoking de Michaël Mention :

5 juillet 1971. Deux hommes montent dans un ascenseur. Ils ne se connaissent pas. L’un d’eux est Richard Kross, directeur de l’Alpha Oil Company, l’une des plus grosses entreprises de négociation de gisements de pétrole. Soudain, l’ascenseur s’immobilise … c’est la panne.

Mon avis : Cette nouvelle donne l’occasion à Michaël Mention de lister les interventions américaines pour assouvir leur souveraineté au monde. Découpée en courts chapitres représentant chacun une minute, elle va comporter suffisamment de rebondissements pour nous tenir en haleine. Dans le fond et dans le forme, c’est une grande réussite. Un huis-clos que je verrais bien adapté en pièce de théâtre.

Doigts d’honneur de Danielle Thiéry :

Sasha, Martin et Anna concourent pour le prix Chopin du meilleur jeune pianiste. Ludo le gardien de la salle Pleyel leur accorde l’accès au piano en douce. Ce soir-là, c’est au tour de Sasha de s’entrainer. En sortant, il se fait agresser, et les malfaiteurs lui coupent les doigts. La douleur intense entraine une crise cardiaque. La police enquête sur cette mort.

Mon avis : Ecrit de façon remarquablement fluide, l’auteure nous construit une intrigue policière où les personnages sont parfaits de crédibilité et débouche sur une fin d’un cynisme que j’adore.

L’ombre de la proie de Ghislain Gilberti :

La Bête suit Géraldine, une jeune fille de onze ans pour assouvir ses instincts les plus bas. Marchant à distance, dans les ombres, ses pulsions montent et la Bête sent que le jour est venu, sa patience est à bout. Non loin de là, une voiture avec deux personnes à l’intérieur guettent.

Mon avis : Parmi les auteurs français qu’on me conseille de lire, et dont je n’ai pas encore abordé les livres, Ghislain Gilberti est situé pas loin du haut de la pile. Cette nouvelle remarquable ressemble à s’y méprendre à un roman d’horreur jouant sur les ambiances et les scènes d’action sont justes impressionnantes tant elles sont prenantes. Excellent.

Une main en or de Jacques Saussey :

Alors qu’il purge une peine de prison conséquente, Enzo Gniani est convoqué chez le directeur Alberto Bozzini. Bozzini lui montre alors une esquisse du tableau de Dali, La Licorne. Il lui annonce qu’il l’a dénichée dans une brocante. Comme Bozzini connait le talent de Gniani pour la peinture, il lui demande de peindre pour lui.

Mon avis : Voilà un auteur dont j’attends avec impatience des nouvelles. On retrouve dans cette nouvelle tout l’art de peindre des personnages, un décor (ici plusieurs et ne ratez pas le tunnel infesté de rats) ainsi qu’une intrigue. Pour le coup, on aurait aimé que cette nouvelle soit un peu plus longue !

Zeru Zeru de Maud Mayeras :

Bibi est une jeune enfant qui n’a pas connu sa mère. Elevée, chouchoutée par son père, elle a grandi en l’aidant dans les champs, loin des autres enfants. Quand un matin, son père l’emmène voir le gourou …

Mon avis : Terrible en même temps qu’attachante, cette histoire nous éclaire sur un phénomène dont personne ne parle : l’albinisme. Cette nouvelle, aussi subtile qu’intrigante, fait partie des meilleures de ce recueil.

Ska cru 2021 :

Comme tous les ans, je vous propose une petite revue des derniers titres parus chez Ska, ou du moins certains d’entre eux. Voici donc quelques lectures électroniques noires, pour notre plus grand bien. L’ordre des billets ne respecte pas mon avis mais l’ordre de mes lectures. Tous ces titres et plus encore sont à retrouver sur le site de Ska : https://skaediteur.net/

Je voudrais juste vous signaler deux choses : La saison 2 d’Itinéraire d’un flic de Luis Alfredo sera traitée dans un billet à part, ainsi que la nouvelle série écrite par plusieurs auteurs à la manière d’un Poulpe et qui s’appelle : Il était N.

Sous la carapace d’Aline Baudu :

Lulu, Lucienne, vit avec son mal-être, et ses dizaines de kilogrammes en trop. Après avoir commencé par un médicament, elle en prend vingt deux aujourd’hui, et intègre un centre d’amaigrissement.

En quelques pages, l’auteure se met à la place de cette jeune femme, malheureuse de son physique, et qui ne se rappelle plus pourquoi elle pèse si lourd, pourquoi elle se sent si mal, pourquoi elle avale tant de barres sucrées. D’une expression si simple, Aline Baudu arrive à atteindre ce qu’il est si difficile à réaliser : une honnêteté et une véracité et les deux font mouche directement dans notre cœur.

Inch’Allah de Jean-Luc Manet :

Romain a pour seule habitation un banc situé non loin du commissariat du 5ème arrondissement. Tous les matins, le commissaire vient le saluer et Virginie lui raconte avoir connu sa femme, libraire morte du cancer. Il va faire ses emplettes chez Menad, qui tient une petite épicerie. Après une nuit alcoolisée, les flics l’embarquent. Menad vient d’être tué à coups de boite de conserve.

Jean-Luc Manet arrive avec beaucoup de simplicité à créer un lien entre le lecteur et ce SDF. Cette histoire sonne juste, elle nous atteint directement au cœur, nous fait visiter l’autre Paris, celui des mendiants, et on s’embarque dans cette nouvelle accompagné de personnages attachants. On termine cette trentaine de pages l’air satisfait, heureux d’avoir lu une belle histoire en se rendant compte qu’on a eu entre les mains une formidable perle noire qu’on n’oubliera pas de sitôt.

Deux anges en enfer de Sébastien Gehan :

L’auteur nous brosse une peinture très stylisée et littéraire de la ville du Havre au sortir de la première guerre mondiale. Les petites rues, les jeunes revenus estropiés ou défigurés nous montrent un avenir bien sombre et cette nouvelle débouche sur une conclusion qui tient en quelques mots, en guise de dernière phrase. Du grand art !

Condé de Jérémy Bouquin (4 nouvelles) :

Une colline avant l’enfer : A voir Damien, on comprend vite qu’il a connu l’enfer du front avec sa mâchoire en cuivre rafistolée de fils de fer. Ses supérieurs l’envoient enquêter sur des meurtres de prostituées.

Folles années : Carmen, un ancien amour de jeunesse, devenue patronne d’une usine de voitures, fait appel à Damien après avoir reçu un tract appelant à la grève générale.

Jour de dérouille : Le Condé est appelé en bord de mer, dans un petit port pour y retrouver un suspect nommé La Grenouille, alors que sont organisés des combats de boxe. Ce soir, c’est jour de dérouille.

Ô Madeleine : Marguerite tient sa ferme avec son benêt de fils Pierrot depuis que son mari Gabin est parti pour la guerre. Non loin, dans un fossé, ils découvrent un corps de femme, qu’ils décident de déplacer dans les bois pour ne pas avoir d’ennuis.

Comme le style sec et haché de Jérémy Bouquin fait merveille dans ces 3 nouvelles mettant en scène un monstre au milieu d’un monde monstrueux. Dans la première histoire, on est plongé au front, dans le bruit et la fureur. Dans la deuxième, l’avènement du capitalisme, de l’anticommunisme et du travail à la chaine tiennent le haut du pavé. Dans la troisième, l’auteur rappelle l’absurdité de la guerre. Les énigmes sont simples et Damien un sacré fin limier pour découvrir l’indice qui lui permettra de mettre la main sur le coupable.

Vlad de Pascal Pratz :

Vladimir passe ses dimanches en famille, considérant en bon délégué CGT qu’on ne doit pas travailler … au moins un jour par semaine. Ce jour-là, son adjointe Gaëlle lui demande de l’aide : on vient de découvrir un corps auquel on a prélevé le foie … au moins.

Cette novella est probablement ma plus belle découverte de ce cru 2021. L’auteur y va à fond, dès le début, créant un personnage de flic borderline, qui assume sa vie de couple ratée et ses envies extrêmes. Le style est à l’avenant, phrases rapides, dialogues frappants, et on n’a qu’une hâte, continuer l’enquête … que l’on trouve trop courte. Et même si parfois, Pascal Pratz grossit le trait, on lui pardonne les deux ou trois écarts trop faciles par rapport au plaisir que l’on a ressenti. Voilà un personnage que l’on a hâte de retrouver !

Chères familles de Jean-Hugues Oppel :

A travers quatre nouvelles, Jean-Hugues Oppel nous offre quatre éclats de rire irrésistibles, que ce soir Conseil de famille avec son ton féroce et sans appel, Maman a toujours raison, portrait d’un vrai con irrattrapable, Le Père Noël est en or pur qui offre une belle collection d’imbéciles ou enfin 2500 votes, une nouvelle surprenante et très drôle jusqu’à sa conclusion excellente. Bref dans ce recueil, nous avons droit à quatre bijoux noirs et hilarants.

La savate à Marceau de Jean-Marc Demetz :

Marceau était doué pour la boxe française, jusqu’à ce qu’il rencontre le Molosse. En ces temps troubles de 1916, le conflit laissera des traces et la vengeance est programmée.

Adoptant le rythme des coups de pied, Jean-Marc Demetz arrive avec cette courte nouvelle à ajouter juste quelques coups de pinceau pour nous faire ressentir la sueur, les coups et les victimes de la Grande Guerre. Il faudra compter aussi sur une chute fort bien trouvée.

Jours de neige d’Etel :

Germaine prépare sa soupe alors que son mari Albert somnole devant son verre de vin de table, de l’Oberlin. Quand il s’impatiente, c’est la goutte (de vin) qui fait déborder le vase.

D’un drame domestique, Etel tire une histoire simple mais remarquablement construite. Car après le drame, il nous donne à lire les témoignages de ce couple à propos duquel personne n’aurait pu deviner ce qui allait arriver. A la fois original et bigrement réaliste, Jours de neige est une excellente nouvelle.

Carnaval *** de Jean-Hugues Oppel :

La signorina Pescatore se fait arrêter pour un contrôle de papiers par des gendarmes. Ils la laissent partir avant de stopper une voiture conduite par un Allemand. Ils vont lui demander de se garer sur la place du village où on organise une fête.

Avec son humour noir qui le caractérise, Jean-Hugues Oppel commence par une scène commune pour mieux nous surprendre dans une conclusion bigrement horrible. La facilité à peindre le décor et le contexte, c’est un pur plaisir de lecture féroce.

Une mort trop douce d’Odile Marteau-Guernion :

Alex, complexé dans sa jeunesse pour son poids et sa lenteur, est devenu un trader à succès. Alors qu’il boit un café avec son collègue Francis, il aperçoit dans une vitre une jeune femme dont il tombe amoureux.

Encore une fois, la simplicité de narration l’emporte dans cette histoire terriblement d’actualité, et va se dérouler d’une façon limpide jusqu’à un dénouement tout à fait inattendu, où le sang va couler. Excellent.

La maison à claire-voie de Brice Tarvel

Editeur : Zinedi

Je ne connaissais pas cet auteur, pourtant prolifique, auteur de nombreuses Bandes Dessinées, nouvelles et romans, comme le précise L’Oncle Paul dans son billet. La première chose qui m’a frappé à l’ouverture de ce recueil, c’est cette écriture remarquablement littéraire, du vrai pur plaisir appliqué au roman d’angoisse.

La maison à claire-voie :

Kimi est une jeune femme qui a cru dans le grand Amour, Matt. Elle a même cherché à s’en persuader mais elle a dû rendre à l’évidence : abusant d’alcool, Matt a commencé à montrer de la mauvaise humeur puis a proféré des insultes. Quand il l’a frappée, elle s’est résolue à partir. Au volant de leur vieille guimbarde, elle a taillé la route sans destination prédéfinie, jusqu’à ce que la voiture tombe en panne au milieu de nulle part. Hors de question pour elle de revenir en arrière, alors elle s’enfonce dans les environs et tombe sur une vieille maison faite de morceaux de planches. Un géant aux grandes mains la surprend et lui propose de lui présenter les habitants de cette étrange demeure.

La plus longue des nouvelles de ce recueil s’apparente à un mini-roman qui démarre doucement avant de basculer dans un cauchemar digne des meilleurs romans d’horreur. On pense tout de suite à Stephen King mais aussi à des films comme Massacre à la tronçonneuse. Mais l’auteur a le bon goût d’éviter de nous jeter de l’hémoglobine à la figure et de privilégier un stress permanent qui vient rapidement pencher vers de l’angoisse pure.

L’assassin viendra ce soir :

Le père est affalé dans le fauteuil avec son pack de bière à proximité. La mère somnole, et la fille s’enferme dans sa chambre. Le fils observe la passion que la famille montre pour la nouvelle émission télévisée. « L’assassin viendra ce soir » propose un tirage au sort d’un téléspectateur qui aura la chance de recevoir la visite d’un tueur professionnel à domicile. Et le portrait qui s’affiche sur l’écran est celui du père.

D’une chronique familiale qui a tendance à flirter avec l’humour vache, cette nouvelle se transforme en un excellent moment d’angoisse qui nous rappelle les peurs enfantines quand notre chambre était noire et qu’un bruit insolite et inattendu se faisait entendre quelque part dans la maison.

Le Persan bleu :

Dans la cité, les immeubles sont si proches que l’on peut voir ce que font les voisins. Florian décide de pénétrer chez la vieille au chat, un beau Persan bleu. Il ouvre doucement la porte de celle-ci et avance à la lueur de sa lampe de poche pour lui voler ses économies. Mais tout ne va pas se dérouler exactement comme il l’aurait souhaité.

Cette nouvelle est la plus classique, avec une scène d’ouverture visuellement impressionnante et une chute pleine d’humour noir. Un très bon moment de lecture.

Les chiens noirs :

Lester se retrouve sur la paille, ayant liquidé tout son argent dans du liquide à boire. Il emmène sa famille, Rachel sa femme et Choupette sa fille chez Tante Rosanna, éleveuse de poulets. L’orage se déchainant, la visibilité réduite conduit à un accident de la route où tous s’en sortent … pour le moment. Un gros pick-up s’arrête avec à son volant un homme patibulaire et sur le plateau du véhicule trois gros chiens noirs …

A l’instar de la première nouvelle, l’aspect visuel se révèle frappant dès les premières lignes. Les personnages sont vite présentés et l’orage devient l’élément stressant de cette histoire une nouvelle fois angoissante et bien stressante. Une excellente nouvelle.

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