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La sagesse de l’idiot de Marto Pariente

Editeur : Gallimard – Série Noire

Traducteur : Sébastien Rutés

Outre d’être une découverte, ce premier roman (sauf erreur de ma part) est une excellente surprise aussi bien dans sa forme que dans son fond, le genre de polar attachant dont l’on ressort pleinement satisfait, voire plus. Formidable !

Toni Trinidad, c’est pas le genre très malin. Orphelin très jeune, il s’est donné pour mission de protéger sa sœur Vega … et inversement. Heureusement, ils sont tombés dans une famille d’adoption qui leur a permis après un passage traumatisant dans l’orphelinat. Leur père adoptif a négocié avec le maire un poste de policier municipal pour Toni et Vega a obtenu la gestion d’une casse automobile à Ascuasà la suite de la disparition de son mari violent Chimo.

Toni a l’habitude d’aller prendre son café chez son ami Triste, et de commencer sa journée ensuite, avec une visite chez sa sœur. Mais ce matin-là, on lui apprend que Triste s’est pendu à la branche d’un de ses arbres. Quand il arrive, il observe trois traces de pneus de voiture, une de trop. Mais qui est-il, lui, pour donner des leçons à la police judiciaire alors qu’on le connait comme l’idiot du village.

Vega a un problème avec l’alcool, et un ras-le-bol de sa vie, coincée dans ce village. Comme elle utilise sa casse comme plateforme pour le trafic de drogue de l’Apiculteur, une idée émerge de garder une livraison pour elle. Elle vient justement d’apprendre qu’une voiture pleine d’argent allait transiter chez elle. Mais les hommes de Rocha, de la brigade des stupéfiants, guettent devant sa porte, sans qu’elle le sache. 

A priori, des intrigues mettant en scène un village où les habitants représentent une frange de la population se retrouvent plutôt et aisément chez les auteurs anglo-saxons. Et il est toujours surprenant de trouver des auteurs se lançant dans cette aventure sachant qu’ils se comparent aux maîtres du genre, Jim Thompson en tête. Pourtant, on retrouve dans ce roman une véritable originalité voire une liberté dans le traitement, une certaine folie déjantée et un humour grinçant à souhait typique de la littérature espagnole (dont je ne suis pas un spécialiste, je préfère le préciser).

L’idée de génie est de positionner en plein milieu de ce marasme explosif un « idiot du village » ou du moins veut-il se faire passer pour tel, tout en autodérision, en se dévalorisant à tout moment. D’ailleurs, il précise qu’il réalise une action pour faire avancer son enquête dans le but de bien se faire voir par les gens. On va voir Toni se prendre des coups voire plus jusqu’à ce qu’une étincelle fasse resurgir l’homme qui est en lui.

En termes de liberté d’écriture, Marto Pariente s’autorise tout, donnant voix à chacun des personnages comme les meilleurs romans choraux, mais variant de l’un à l’autre dans la syntaxe, la narration pour Toni, le tutoiement pour Vega, et la troisième personne pour les autres. Cela lui permet d’évoquer la vie de famille, la difficulté de vivre de son travail, la corruption, le pouvoir des politiques, la soif inassouvie d’argent des promoteurs immobiliers, la complicité des banques, la course à la promotion professionnelle …

De toutes ces intrigues mêlées avec brio, Marto Pariente nous présente une situation explosive n’attendant qu’une étincelle pour tout se transforme en catastrophe et cela ne manque pas de survenir. Et malgré l’amoralité affichée et les attitudes minables de tout un chacun, on se retrouve avec une lecture fortement addictive pleine de célérité grâce à ses chapitres ultra-courts. L’auteur se permet même de nous surprendre jusqu’à la dernière ligne, avec un événement totalement inattendu, signe d’un grand, ou futur grand du polar. A découvrir d’urgence.

Un grand merci à Coco mon dealer de livres pour ce prêt. Il a comparé ce roman à un film des frères Coen totalement déjanté.

Okavango de Caryl Ferey

Editeur : Gallimard – Série Noire

Attention, coup de cœur !

Caryl Ferey occupe une position unique dans le monde du polar. Il se positionne comme un écrivain globe-trotter humaniste et nous partage à travers des intrigues policières la vraie vie dans des pays étrangers.

Dans un restaurant de Nairobi, Rainer du Plessis accueille à sa table M.Zeng, un puissant exportateur chinois. Du Plessis lui confirme sa commande de vingt kilos de cornes de rhinocéros, qui servira à confectionner des pilules pour soi-disant améliorer les performances sexuelles. La commande s’accompagnera du Longue-Corne. Du Plessis a prévu une surprise, un cérémonial pour son invité : lui présenter son futur repas vivant, avant qu’il soit cuisiné. La cage arrive enveloppée d’un drap, qui s’efface bientôt devant un tigre mâle magnifique et impressionnant. Mais Du Plessis reçoit un coup de fil de Joost, son neveu : leur pisteur a disparu. Sans pisteur, pas de Longue-Corne. Mais rien ne peut arrêter Du Plessis, que l’on surnomme Le Scorpion, l’un des pires braconniers au niveau mondial.

Le désert Kalahari s’étend sur le Botswana et la Namibie, jusqu’aux rives du fleuve Okavango. Cette zone est classée au patrimoine mondial de la biodiversité et surveillée par des rangers à la chasse des braconniers. A sa limite, John Latham a exploité une mine de diamants avant d’y implanter une réserve naturelle appelée Wild Bunch. En faisant visiter sa réserve à des touristes américains, John et N/Kon, son ami inséparable issu du peuple San, découvrent le corps d’un homme, probablement un pisteur. Trop tard ! les touristes l’avaient vu. Mais comment est-il entré alors que Wild Bunch est protégé par des clôtures électrifiées et les entrées surveillées par des caméras ?

En tant que Ranger à la KAZA, la zone de conservation transfrontalière du Kavango-Zambèze, Solanah Betwase est dépêchée sur les lieux par le directeur de la KAZA, qui n’est autre que son mari. Elle s’y rend avec Seth, son jeune adjoint, alors qu’elle était en train de sauver une girafe d’un piège mortel. Sa mission est de découvrir si le meurtre de l’homme trouvé au Wild Bunch est un crime de braconnier ou juste une affaire criminelle.

Caryl Ferey nous a fait voyager en Nouvelle-Zélande (Haka et Utu), en Afrique du Sud (Zulu), en Argentine (Mapuche), au Chili (Condor),  en Colombie (Paz) et en Sibérie (Lëd). Il pose ses valises, s’imprègne du pays, de ses habitants, de leur mode de vie et nous ramène à chaque fois, non pas des romans, mais de vraies fresques d’aventure où l’on plonge avec avidité tant les intrigues, les personnages et les informations nous passionnant.

Pour moi, mes romans préférés de Caryl Ferey sont Zulu et Mapuche. Et je dois avouer que roman après roman, sa plume s’affirme, se précise et devient de plus en plus acérée, évidente, parfois dure, parfois poétique, en un mot littéraire. Dans tous ses romans, ses personnages sont ni bons, ni mauvais, confrontés à des choix, des situations difficiles, ni tout blancs, ni tout noirs. Enfin et surtout, Caryl Ferey sait rester en marge de ses histoires, et arrive à créer un genre à mi-chemin du documentaire et de la littérature (noire en l’occurrence, mais c’est notre monde qui veut cela).

Et ce nouveau roman vous prend à la gorge dès les premières lignes. Ma brève tentative de résumé couvre les trois premiers chapitres. La scène du restaurant pose l’enjeu dans toute son horreur. La visite de Wild Bunch pose le décor. Le sauvetage de la girafe permet de boucler le triangle des forces en présence. En trois chapitres, tout est mis en place, sans jamais juger les uns ou les autres, mais surtout, nous sommes projetés dans un autre monde, un paysage chaud, dur, et nous avons devant nos yeux grands ouverts des animaux magnifiques en toute liberté.

Outre l’intrigue impressionnante de bout en bout, j’ai adoré comment Caryl Ferey nous apprend la vie dans cette zone d’Afrique centrale. On va vivre avec les différentes peuplades, souffrir de la faim et de la soif comme eux, apprendre la loi de la nature (car non ! le Lion n’est pas le Roi des animaux !) et la politique de ces pays, leur histoire, leurs relations. Caryl Ferey nous rappelle dans ses romans que notre Monde n’est pas le Monde des Bisounours, et de grandiose façon.

Il y aura quelques scènes dures, mais Caryl Ferey s’est retenu et cela donne d’autant plus de force à son message : partout où l’Homme passe, la nature trépasse. Et même quand on a tourné la dernière page, il nous gratifie d’une note en guise de conclusion qui enfonce le clou pendant que l’on serre notre poing de rage : « Je voulais être tueur de braconniers quand j’étais petit. Je le veux toujours. Ecrire comme remède. »

Ma conclusion à moi sera plus simple : Roman indispensable, Un grand cru de Monsieur Caryl Ferey, coup de cœur !

Free Queens de Marin Ledun

Editeur : Gallimard – Série Noire

Après avoir disséqué l’industrie du tabac dans l’excellent Leur âme au diable, Marin Ledun s’attaque à celle de la fabrication et de la vente de la bière, en se basant sur le scandale Heineken au Nigéria.

Jasmine Dooyun se fait arrêter à la Porte de Pantin à Paris pour prostitution. Etant mineure, elle risque de se faire expulser dans son pays, le Nigeria. Serena Monnier, journaliste au Monde, parvient à obtenir un entretien avec elle et apprend comment on lui a vendu du rêve, avant de la violenter pour qu’elle fasse le trottoir. Mais Jasmine veut continuer à se battre. Serena décide de poursuivre son enquête au Nigeria et est accueillie par une association féministe, les Free Queens.

Oni Goje occupe un poste de policier chargé de la circulation. Bien qu’il accepte des pots de vin, comme la plupart de ses collègues, il garde en lui une volonté d’intégrité et de justice. Il s’approche d’un attroupement géré par un cordon de policiers. En s’approchant, il découvre le corps de deux jeunes femmes assassinées que l’on a dévêtues. Il est persuadé que la police criminelle ne va rien faire et considérer que ce ne sont que des prostituées. Il décide de mener l’enquête.

Master Brewers, la multinationale qui fabrique de la bière, vient de mettre sur le marché la First. Pour son développement, elle a embauché Peter Dirksen qui va rapidement mettre en place un plan marketing. Les bières devront être présentées par des jeunes femmes peu vêtues, que ce soit dans les bars miteux ou luxueux. La stratégie est claire, « le sexe, le fric et une First » et le slogan devra faire mouche auprès de la population : la First permet d’augmenter les performances sexuelles. Peter Dirksen va donc construire un vaste réseau de prostitution en même temps qu’une campagne de corruption à tous niveaux.

Dans quasiment tous ses livres, Marin Ledun donne à ses œuvres une tonalité sociale qui ne peut qu’attirer l’œil. Son précédent roman sur l’industrie du tabac d’ailleurs a eu un fort écho et celui-ci devrait en avoir tout autant. Il revient sur un scandale qui a éclaboussé Heineken à tel point qu’ils ont dû justifier leur rôle dans le massacre des Tutsis au Rwanda, fait dont l’auteur ne parle pas ici.

Il préfère se concentrer sur le Nigéria et la façon dont les dirigeants hollandais ont décidé de déployer leur commerce en laissant les mains libres à un homme qui a vite compris que la loi et la morale devait être mise de coté. Bien que je n’aie pas été au courant de cette affaire en lisant le livre, les articles que j’ai lus depuis m’ont effaré. Car Peter Dirksen a vite choisi son camp pour remplir ses objectifs.

Marin Ledun choisit plusieurs points de vue, plusieurs personnages et le paysage qui en ressort fait froid dans le dos. Il faut se rappeler que tout se passe de nos jours, que l’on permet par l’intermédiaire de pots-de-vin d’exercer des commerces de prostitution pour améliorer les ventes de bière. Marin Ledun démontre très bien l’implication de la police, et on pouvait s’y attendre, mais aussi les hommes politiques jusqu’au plus haut niveau de l’état en passant par de grandes entreprises continentales comme Total mais aussi le PSG.

Contrairement à Leur âme au diable, Marin Ledun préfère dérouler un aspect narratif proche du polar, avec comme fil rouge la résolution du meurtre des deux jeunes filles, et s’attarde moins sur les aspects marketing. Et c’est probablement parce que cette affaire nous touche de moins près que le tabac et les cigarettes que des millions de personnes fument tous les jours.

Il n’empêche que devant toutes les horreurs décrites, ce que l’on pourrait trouver « normal, parce que ça se passe en Afrique » nous touche en plein cœur quand on a ne serait-ce qu’une once d’humanité dans le sang. Les combats des ONG pour le respect des droits des femmes ressemblent à la lutte du pot de terre contre le pot de fer. Alors, que faire ? En parler, c’est ce que fait de grande façon cet excellent polar riche et documenté.

Le chouchou du mois de mars 2023

Parlons Coups de cœur en ce mois de mars avant de voir déferler sur les étals de nos libraires favoris la première fournée des romans que vous vous devez de lire pendant vos congés estivaux.

Je me dois de mettre en avant mes coups de cœurs et ce mois-ci, nous parlerons de deux romans exceptionnels. Le parfum de Patrick Suskind (Livre de Poche), lu dans le cadre de l’hommage aux éditions Livre de Poche, fait partie des 20 meilleures lectures des Français, à la suite de l’initiative de France Télévisions. Effectivement, ce roman nous plonge dans le XVIIIème siècle, en faisant appel à tous nos sens. Rarement, je me suis trouvé dans un environnement historique de façon aussi prégnante.

Black flies de Shannon Burke (Sonatine) est une réédition de 911 sous un nouveau titre, suite à la sortie du film du même nom. J’en ai profité pour vous rappeler cette lecture, cette pression de tous les instants, cette tension que ressentent les ambulanciers dans des quartiers déshérités tels que ceux de Harlem. Un roman à lire en apnée que l’on ne peut oublier, indubitablement marquant.

Je l’avais annoncé, 2023 sera pour moi l’année des découvertes de nouveaux auteurs. Rien que pour le mois de mars, je compte six nouveaux auteurs, tous dans des genres fort différents et tous très intéressants.

Pourquoi tu pleures ? d’Amélie Antoine (Muscadier Noir) nous narre une jeune mère qui découvre la disparition de son mari et de sa fille de 4 mois. Enlèvement, fuite de son mari, assassinat, les options ne manquent, les questions s’accumulent. Comme la narration est faite par Lilas, l’auteure joue à fond la carte de la subjectivité et nous réverve son lot de surprises dans ce roman psychologique passionnant.

Duel à Beyrouth de Mishka Ben-David (Nouveau Monde) se rangera parmi les romans d’espionnage, nous proposant une relation élève / mentor dans un groupe d’intervention du Mossad. Les fans de John Le Carré apprécieront la volonté de créer une intrigue au plus proche du terrain et la méticulosité apportée dans les descriptions.

Le club des mamans mortes de Paul Hurling (Alibi) nous propose un club d’adolescents ayant pour point commun d’avoir perdu leur mère. Dans une ambiance grunge, bourré de références (Nirvana, Hole …) ce club sous l’impulsion de l’une d’entre eux va les entrainer dans une spirale criminelle. Ce roman est une bien belle découverte et agréable à lire.

Le livre de l’Una de Faruk Sehic (Agullo) n’est pas forcément le livre le plus facile à aborder, et nous parle d’un vétéran de la guerre serbo-croate qui préfère parler de sa jeunesse, de la nature plutôt que des horreurs qu’il a connues. Ce roman ressemble plus à un gigantesque poème, une ode à la vie, à la nature, à la paix, à l’humanisme, un roman pas comme les autres, à découvrir.

La dernière maison avant les bois de Catriona Ward (Sonatine) est aussi un roman particulier qui, dès les premières pages, va intriguer. Une jeune enfant disparait, un homme reclus dans sa maison, un chat qui parle, tout est fait pour nous désarçonner, nous intriguer. Pendant 300 pages, on se demande où l’auteure veut en venir, et les 100 dernières pages vont juste nous époustoufler. Ëtes vous prêts à tenter l’aventure ?

Le vol du boomerang de Laurent Whale (Au diable Vauvert) nous propose une course de véhicules à énergie solaire à travers l’Australie. Utilisant cette intrigue, l’auteur aborde de nombreux thèmes parmi lesquels le massacre des aborigènes, l’écologie, le harcèlement sexuel, et se pose en défenseur des grandes causes humanistes, ce qui a suffi pour emporter mon adhésion.

Je n’avais pas publié mon avis sur Respire de Niko Tackian (Calmann-Levy / Livre de Poche), et je profite de sa sortie au format poche pour rappeler cette intrigue à l’ambiance particulière d’un homme qui se retrouve sur une île après avoir avalé une pilule lui faisant oublier son passé. J’adore cet auteur même si dans ce roman, j’ai trouvé la fin un peu trop facile.

Harlem Shuffle de Colson Whitehead (Albin Michel) est annoncé comme le premier tome d’une trilogie mettant en valeur le quartier de Harlem. Nous sommes plongés dans les années 60, suivons un receleur harcelé entre sa volonté d’être honnête, de faire vivre sa famille, et une affaire dans laquelle il est entrainé par son cousin. Colson Whitehead est un conteur hors pair, et nous fait revivre le Harlem de cette époque en convoquant nos sens. On attend al suite avec grande impatience.

Le titre du chouchou du mois revient donc à Rétiaire (s) de DOA (Gallimard – Série Noire) parce que c’est grand, c’est fort, c’est violent, et c’est inlâchable. Avec ce roman construit comme un entrelacement de spirales, DOA nous offre ici un des meilleurs livres de 2023 à la rythmique infernale.

J’espère que ces avis vous auront été utiles dans vos choix de lectures. Je vous donne rendez-vous le mois prochain pour un nouveau titre de chouchou du mois. En attendant, n’oubliez pas le principal, protégez-vous, protégez les autres et surtout lisez !

Rétiaire (s) de DOA

Editeur : Gallimard – Série Noire

Sorti en tout début d’année, ce roman que j’attendais avec grande impatience a enfin vu le jour. Initialement prévu pour être une série télévisée (pour France Télévisions pour ne pas les nommer), il en reprend les personnages et la trame mais il s’agit bien d’un roman, en forme de déflagration, tant ça décoiffe !

Alors que sa femme et sa fille ont été tuées par des trafiquants de drogue, Théo Lasbleiz de la brigade des stupéfiants se rend armé au sous-sol du 36 du rue du Bastion. Il se précipite sur Nourredine Hadjaj, l’interpelle, dégaine son arme et lui tire une balle dans la tête. Amélie Vasseur, bras droit de Théo n’a pas récupéré sa place, mais elle va leur montrer ce qu’une femme peut faire.

Lors de son élection à la tête de la Bolivie, Juan Evo Morales Ayma a supprimé le titre de république avant de faciliter la production et le commerce de la coca dont il est un cultivateur. Augmentant les surfaces cultivables, il autorise aussi le Pérou à transiter sa marchandise par son pays. La communauté croate a vite profité de cette plateforme et Ibro Kuzmic, petit fils des premiers immigrants veut élargir son panel de clients en Europe via l’Argentine, en envoyant fin 2020 plusieurs tonnes de cocaïne.

Léonard Serdachuk a commencé à franciser son nom quand il a immigré d’Ukraine, avant de monter une affaire de ferrailleur. Momo son petit fils a hérité du courage et de l’intelligence de son grand-père et développé son empire dans des domaines moins légaux, en particulier de shit. Pour avoir été surpris en revenant de la Costa Del Sol alors qu’il avait interdiction de quitter le territoire, il s’est fait arrêter. Il se retrouve voisin de Théo.

Ce maigre résumé peut paraitre bien pauvre par rapport à tout ce que nous raconte DOA dans les cinquante premières pages de son roman. Dès le départ, on se retrouve dans une histoire complexe avec de nombreux personnages, divers itinéraires et tout l’historique des différentes parties qui vont prendre part à ces intrigues.

Contrairement à beaucoup de ses confrères, DOA commence son roman comme un feu d’artifice, nous détaillant le contexte comme on le ferait d’un reportage. Il n’est pas étonnant d’ailleurs de lire en fin de roman la genèse de ce livre, d’abord conçu comme une série pour finir par 420 pages jubilatoires. Jamais je n’aurais lu un roman aussi proche de la réalité, avec une volonté de dire les choses comme elles sont, aussi proche qu’un The Wire.

Jamais DOA ne se montre pédant, il applique son style, parfaitement clair et descriptif, passant à des phrases hachées pour mieux rendre l’ambiance, le stress ; jamais démonstratif quand il aborde la psychologie des personnages. La lecture en devient passionnante mais surtout jouissive avec des scènes extraordinaires, impressionnantes, inoubliables.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne s’agit pas de course-poursuite, ni d’un jeu d’échecs, mais plutôt d’un jeu de cache-cache où chacun avance ses pions sans se montrer vis-à-vis des autres. La construction basée sur des spirales entrelacées et la force des personnages féminins apportent un intérêt supplémentaire, surtout quand il détaille sans vraiment les dévoiler les stratégies pour la conquête du pouvoir et de l’argent.

C’est grand, c’est fort, c’est violent, et c’est inlâchable. De la trajectoire (inattendue pour certains, il faut bien le dire) des protagonistes, DOA nous montre aussi le gigantisme de la pieuvre, de ces organisations du trafic de drogue qui sont tellement implantées partout et à tous niveaux qu’elles sont impossibles à combattre. Avec Rétiaire (s) (et quel titre !), DOA nous offre ici un des meilleurs livres de 2023 ; et l’année ne fait que commencer !

Plus bas dans la vallée de Ron Rash

Editeur : Gallimard – La Noire

Traducteur : Isabelle Reinharez

J’ai aimé, adoré, encensé tous les romans de Ron Rash. En guise de nouvelle parution, il nous offre juste avant Noël d’un recueil de nouvelles avec comme guest star, Serena qui nous fait un retour bref mais marquant.

Plus bas dans la vallée :

Serena Pemberton et Galloway descendent de l’hydravion en provenance du Brésil. Ils viennent superviser un chantier de déboisage qui risque de lui coûter cher. L’avenant signé de Meeks son responsable stipule qu’elle perdra 10% au moindre retard. Elle va haranguer ses troupes pour respecter ce délai dans des conditions inhumaines.

Les voisins :

Rebecca et son fils Brice vivent dans un ranch depuis que son mari est mort lors de la guerre de sécession quand elle voit des soldats débarquer. Les autres fermes brûlent et elle s’attend au pire.

Le baptême :

Le révérend Yates voit Gunter approcher de sa maison. Prévenant, il préfère avoir son fusil à portée de main, d’autant que Gunter a déjà tué sa première femme, et peut-être sa deuxième. En fait, Gunter vient demander au révérend de se faire baptiser.

L’envol :

Stacy tient le poste de garde-pêche depuis quatre mois seulement quand elle voit Hardaway sur le bord de la rivière. Celui-ci n’ayant pas de permis, elle lui dresse une amende qu’il s’empresse de jeter à l’eau. Son chef conseille à Stacy de ne pas chercher de noise à cet ancien repris de justice.

Le dernier pont brûlé :

Carlyle est en train de balayer sa boutique quand une jeune femme aux pieds nus tape à la vitrine. Méfiant, il se demande s’il doit lui ouvrir et prend son arme. Elle cherche son chemin pour aller à Nashville.

Une sorte de miracle :

Baroque et Marlboro ne font rien de leur vie et leur beau-frère Denton les oblige à le suivre : ils devront surveiller la voiture pendant qu’il a quelque chose d’important à faire, récupérer les pattes et la vésicule biliaire d’un ours.

Leurs yeux anciens et brillants :

Les trois vieux squattent la station-service de Riverside et personne ne les croient, ni eux ni les gamins qui affirment avoir vu un poisson énorme dans le plan d’eau sous le pont. Les trois vieux Creech, Campbell et Rudisell décident de leur montrer qu’il y a bien un monstre dans cette rivière.

Mon avis :

Bien entendu, les fans de Ron Rash vont acheter ce livre grâce au bandeau annonçant le retour de Serena. Et effectivement, dans la première longue nouvelle, elle est de retour et plus impitoyable que jamais. Il n’empêche que je suis resté sur ma faim car j’en aurais voulu plus, plus long, plus détaillé. Car cette nouvelle m’a donné l’impression d’un brouillon de roman où Ron Rash ne savait pas où aller.

Dans les autres nouvelles, on s’aperçoit du talent d’incroyable conteur, capable en une dizaine de pages de créer les personnages et le décor. Car ce recueil de nouvelles est surtout et avant tout une belle galerie de portraits, en les situant dans des époques diverses tout en racontant des morceaux de vie intemporels.

Certaines nouvelles m’ont paru anecdotiques, tels L’envol ou Le dernier pont brûlé, d’autres versent dans un humour noir et froid comme Le baptême, voire burlesque avec Une sorte de miracle et ses deux imbéciles (A ce niveau-là, on atteint le championnat du monde de la connerie). Mais ce sont surtout de terribles histoires noires, qui derrière une intrigue dramatique, montrent la violence implantée dans la culture américaine.

L’âme du fusil d’Elsa Marpeau

Editeur : Gallimard La Noire / Folio

Auréolé d’avis élogieux chez la plupart de mes collègues blogueurs, je me devais de lire le dernier opus en date d’une auteure dont j’apprécie particulièrement la plume.

Philippe a passé vingt ans dans une entreprise agro-alimentaire à mettre des pains au lait dans des cartons, avant de se faire remercier brutalement. Il commence à chercher un emploi avant de se rendre compte que, la quarantaine passée, on est déjà trop vieux pour le marché du travail. Alors, il vit du salaire de sa femme infirmière Maud et regarde son adolescent de fils Lucas s’abrutir sur son téléphone.

Sa passion, c’est la chasse avec les copains du village. La préparation, les réunions au bar devant un verre de vin, les discussions pour refaire le monde, l’ouverture tant attendue et les battues pour ramener du gibier à cuisiner. Philippe ne désespère pas de former son fils, de le sortir des limbes d’Internet où on ne rencontre personne en vrai, de ce monde virtuel où rien n’existe.

Alors qu’il arpente les bois, il débouche sur le lac, où il vient y chasser les canards. Quelle surprise éprouve-t-il en apercevant un jeune homme nu en train de se baigner. Philippe ne peut s’empêcher de l’épier, et, prenant son courage à bras le corps, il accoste Julien le citadin, et lui apprend qu’il doit mettre de la paille pour que les petits canetons puissent manger. Puis, il va inviter Julien à un repas avec les copains de la chasse. Il ne sait qu’il vient d’enclencher une mécanique dramatique.

Elsa Marpeau va prendre son temps pour installer le décor et les personnages, de façon totalement naturelle, et presque poétique quand elle va aborder la nature. L’auteure a décidé de présenter ce roman sous la forme d’une confession de Philippe à son neveu Pierre, ce qui m’a posé quelques problèmes d’incohérence, car j’en attendais plus de termes argotiques par exemple, alors que le style est plutôt littéraire.

Pour autant, elle ne juge pas les chasseurs, nous les montrant même amoureux de la beauté de la nature et respectueux des règles. Elle y emploie d’ailleurs des termes judicieux qui montrent sa grande connaissance de la faune et de la chasse (et je ne suis pas chasseur !). Toutes ces qualités en font un livre très agréable à lire. D’autant que l’on sent un drame arriver.

Et ce drame va subvenir dans les vingt dernières pages du livre, au demeurant relativement court (182 pages). Là encore, Elsa Marpeau va rester factuelle, ne dégageant de ses mots que peu d’émotions pour rester très factuelle. Par contre, le drame en lui-même est surprenant et on ne s’y attend pas. Cela donne une lecture très agréable, tout en respect envers le monde rural et ses habitants, faisant ressortir les émotions brutes des personnages et sans effets impressionnants, un bon roman dont j’attendais probablement plus de passion.

Le rouge et le vert de Jean-Bernard Pouy

Editeur : Gallimard Folio

Rien de tel qu’un roman de Jean-Bernard Pouy pour se redonner le sourire, même si dans le cas présent, il peut sembler décousu.

Adrien, surnommé Averell par sa compagne Violette, a l’inconvénient d’être daltonien et l’avantage d’être un nez. Cela lui permet de travailler en indépendant auprès des grands créateurs de parfum et d’avoir du temps libre, beaucoup de temps libre, pour apprécier les romans noirs, dont il est friand et d’observer notre monde.

Violette est invitée chez son responsable, Bernard, chercheur en sociologie au CNRS, pour un diner. Adrien sait qu’il ne doit pas faire d’impair, mais devant l’attitude hautaine et bavarde du maître de maison, il intervient et répond du tac au tac. Il s’invente orphelin puis riche héritier par pure provocation.

La discussion vire bientôt sur les romans d’enquête, seuls romans ouverts sur le monde, et Bernard le prend au mot. Il est prêt à l’embaucher afin qu’il enquête. La seule contrainte, c’est qu’Adrien devra trouver le sujet de son enquête. Le provocateur provoqué va se lancer à corps perdu dans la recherche d’une intrigue qui n’existe pas.

Avez-vous déjà lu un polar, un roman à enquête, sans meurtre, sans suspense, sans mystère ? c’est le pari relevé par Jean-Bernard Pouy, qui nous a habitué à ces romans sortis de nulle part. Ce sera l’occasion pour l’auteur de nous montrer l’importance d’observer les gens, pour mieux les comprendre.

Sans en avoir l’air, il construit donc un microcosme autour du « nez », et lui laisse la parole pour nous parler du temps, des informations, du monde mais surtout des gens, leurs habitudes, leurs travers mais aussi leurs qualités. D’un hommage pour le roman noir, il en tire une leçon de vie, provoquant parfois, critiquant souvent mais surtout montrant un esprit d’ouverture plein de bon sens.

Libéré d’une intrigue toute faite, mathématiquement construite, il nous bouscule avec humour dans ce récit débridé, provocateur comme son personnage, mais aussi questionneur sans donner de leçons. A force de courir sans savoir sa destination, le monde tourne de moins en moins rond et c’est peut-être bien la leçon à retenir de cette fable, à déguster pour peu que l’on apprécie les récits décousus.

Le coup tordu de Bill Pronzini

Editeur : Gallimard – Série Noire

Traducteur : Michel Deutsch

Bill Pronzini est un auteur prolifique que je n’avais lu, alors qu’il a abordé tous les genres. Le coup tordu est donc une découverte pour moi.

Le détective privé narrateur de cette histoire a rendez-vous à Tamarack Drive, dans une riche propriété. Peu habitué à ce luxe, il admire le jardin impeccable et la résidence imposante. Il a rendez-vous avec M.Martinetti et est accueilli par son secrétaire particulier Dean Proxmire.

En entrant, il s’aperçoit que Louis Martinetti est accompagné d’Allan Channing. Les deux hommes ont fait fortune grâce à de gros investissements, Martinetti se fiant à son instinct, plus tête brûlée alors que Channing préfère les placements sûrs. Les deux hommes vont lui présenter la mission qu’ils vont lui confier.

Le matin-même, un dénommé M.Edmonds s’est présenté à l’académie militaire Sandhurst avec une lettre demandant à ce que le jeune Gary Martinetti lui soit confié. Quelques heures plus tard, une rançon de 300 000 dollars était demandée. Martinetti va lui confier la tâche d’amener la somme d’argent aux ravisseurs. Evidemment, rien ne va se passer comme prévu …

Ce roman est le premier de la série du « Nameless », le détective sans nom. Dès les premières pages, j’ai été agréablement surpris par la fluidité du style mais aussi de la grande qualité de la traduction. On peut aussi rapprocher ce roman de la veine behavioriste, puisque la psychologie des personnages est définie par leurs actes.

Nameless, en bon détective privé, va s’attacher aux détails, on le trouve d’emblée pointilleux dans sa façon de regarder les décors, d’analyser les réactions de ses interlocuteurs. Se portant bien, pour ne pas dire obèse, il a passé 15 années dans la police avant de travailler à son compte. Bill Pronzini prend à rebours les codes de l’époque, avec un détective ni alcoolique, ni déprimé.

Bien que l’intrigue soit d’une simplicité extrême, ce roman nous fait passer un très agréable moment et nous réserve une fin bien surprenante. Et je dois remercier mon ami du sud qui m’a donné ce roman, il se reconnaitra.

La face nord du cœur de Dolores Redondo

Editeur : Gallimard – Folio Policier

Traducteur : Anne Plantagenet

Sélectionné parmi les finalistes du trophée du meilleur roman étranger de l’Association 813, j’avais acheté ce roman à sa sortie suite à de nombreux conseils de mes collègues et amis blogueurs. Ils avaient raison !

En aout 2005, Amaia Salazar, sous-inspectrice de la police de Navarre, vient suivre une conférence au siège du FBI à Quantico. Son objectif est d’acquérir des compétences dans la détermination des profils de tueurs en série et devenir ainsi profileuse. La conférence est assurée par l’agent spécial Duprée, reconnu comme étant un génie dans les analyses de serial killers.

Lors de la présentation d’un cas réel, Amaia qui semble être d’un caractère réservé, participe activement à l’activité proposée et impressionne Duprée. En proposant une nouvelle façon d’analyser les indices, elle met en lumière une nouvelle piste potentielle. Duprée l’aborde donc lors d’une pause au restaurant et lui propose d’intégrer leur groupe d’enquête sur la chasse au tueur qu’ils vont maintenant dénommer Le Compositeur.

Ce dernier profiterait en effet des catastrophes naturelles pour s’immiscer dans des familles en détresse et d’assassiner des familles entières, composées de deux parents, trois enfants et de la grand-mère. La situation devient urgente quand on leur annonce un cyclone de niveau 1, nommé Katrina, se dirige vers la Nouvelle Orléans et va bientôt devenir un des ouragans les plus dévastateurs que les Etats-Unis ont connu.

Il ne faut pas avoir peur de se jeter à corps perdu dans ce pavé de 750 pages, tant on se retrouve rapidement emmené dans ces enquêtes menées par deux génies policiers. Et il n’est pas nécessaire d’avoir lu la trilogie de Betzan pour aborder ce prequel, qui va nous présenter la jeunesse d’Amaia, mais aussi celle de Duprée et l’obsession de ce dernier dans la recherche de jeunes filles disparues en Nouvelle Orléans.

A base d’allers-retours entre présent et passé, entre les deux personnages principaux mais aussi des autres enquêteurs du FBI, Dolores Redondo nous passionne à nous décrire la démarche utilisée, la façon d’utiliser les indices à la disposition des agents du FBI pour essayer de déterminer la psychologie du tueur, et en déduire sa façon d’opérer. On va ainsi passer plus de temps à assister à des brainstormings qu’à une course poursuite effrénée, dans la première partie.

Puis arrive l’ouragan, et le décor change pour devenir un champ de désolation, que l’auteure va nous faire vivre par les yeux d’Amaia, seule personne extérieure (car non américaine) et seule personne choquée par la façon dont les gens sont traités, ou devrais-je dire non secourus. A coté, la façon d’aborder le vaudou dans l’enquête de Duprée parait un peu pâlotte. C’est dans cette deuxième partie que l’on trouve cette phrase extrêmement explicite et que je garderai longtemps en mémoire :

« Des terroristes détruisent le World Trade Center et le pays bascule dans le malheur, mais quand une ville entière à forte population noire disparaît sous l’eau, qu’est-ce que ça peut faire ? Aurait-on trouvé normal que quatre jours après la destruction des tours jumelles l’aide ne soit toujours pas arrivée ? »

La face nord du cœur, « le lieu le plus désolé du monde », comme l’annonce Dolores Redondo en introduction, se révèle un excellent thriller, irrémédiablement bien construit et original dans sa façon d’aborder une enquête sur un serial killer. En ayant décrit les racines d’Amaia, elle nous donne envie de nous plonger dans la trilogie de Betzan qui va suivre ces événements et publiés antérieurement.