Editeur : Agullo
Après son formidable recueil de nouvelles, Presqu’îles, on attendait avec impatience un format plus long, un vrai roman de la part de Yan Lespoux, boss du blog Encoredunoir dont j’apprécie beaucoup la plume. Quelle surprise de découvrir le sujet abordé pour ce premier roman, qui met en évidence ses passions, que sont la mer et l’histoire.
Côte du Médoc, janvier 1627. Fernando flotte, désespérément accroché à son ballot de coton. Le bateau dans lequel il voyageait a rendu l’âme devant la puissance de la tempête qui s’est abattue sur l’Atlantique. Il garde précieusement son sac à coté de lui, si précieux à ses yeux. Quand une vague le renverse, il lâche prise puis se rattrape sur une planche de bois. Soudain, sous ses pieds, il sent le sable.
Canal du Mozambique, Aout 1616. Plutôt que de mourir de faim à Lisbonne, Fernando Texeira a tenté l’aventure et se retrouve en Afrique, dans ce lieu stratégique pour le commerce entre l’Orient et le vieux continent. Le scorbut ou le cholera déciment les troupes et Fernando rencontre Simao. Les deux apprentis marins vont faire la route vers les Indes, à bord du Sao Juliao, quand ils rencontrent une frégate anglaise.
Médoc, mars 1623. La mer gagne du terrain sur les dunes et recouvre petit à petit les habitations. Son père conseille à Maris de partir et elle prend la route avec le colporteur, à destination de Bordeaux. Elle a toujours su se défendre, ce qui est bien la cause de ses malheurs : Serveuse dans une taverne, un homme la coince dans la cave pour la violer. Elle se retourne et le tue. Elle va devoir se cacher chez sa grand-mère.
Sao Salvador de Bahia, mai 1624. Diogo Silva quitte sa maison avec son père Carlos. Ils doivent réceptionner des nefs emplies de bois brésil et des bateaux transportant des Africains. La ville subit les assauts des hollandais et va bientôt sombrer. Diogo assiste à la mort de son père et s’enfuit pour arriver dans un village bahianais tenu par des jésuites et se lie d’amitié avec Ignacio, un indien.
Quand je lisais les billets de Yan sur son blog Encoredunoir (l’un parmi la dizaine que je suis avidement) j’étais sûr qu’il deviendrait un excellent écrivain. Il possède ce don de décrire naturellement des scènes ou des personnages et de les faire vivre devant nos yeux. Par contre, je ne m’attendais pas à un sujet d’une telle envergure, ni de tomber sur un roman d’aventures historiques.
Yan nous raconte donc un passage méconnu de notre histoire, la tempête de 1627, l’échouage de bateaux portugais, attendus sur le rivage par la population du Sud-ouest pour un massacre en bonne et due forme. Par sa profession, le sujet possède donc un solide socle historique, de nombreuses informations mais aussi des détails nous permettant de nous imprégner de l’époque.
Il m’est difficile de parler de civilisation tant le seul langage que les gens comprennent est la violence. Yan évite les scènes sanguinolentes mais ne nous cache rien. Il parvient à un bel équilibre entre les décors somptueux, les villes colorées et bruyantes autant que la jungle mystérieuse et dangereuse. Une scène m’a particulièrement marqué quand un soldat s’approche trop de la jungle et se fait égorger par un tigre à Goa.
Les personnages constituent les pierres angulaires du livre. Fernando y occupe une large place, étant celui qui voyage le plus ; il nous est présenté comme un être placé au mauvais endroit au mauvais moment et il va connaitre bien des horreurs. Marie nous est présentée comme une femme forte et violente comme le monde qui l’entoure ; plutôt que de plier l’échine, elle tue ceux qui lui veulent du mal. Enfin, Diogo va parcourir le monde et rencontrer les deux autres dans un final flamboyant, même si je trouve qu’il aurait mérité plus de visibilité.
Premier roman, coup de maître ! Yan remet au gout du jour les romans d’aventures avec ce qu’il faut d’exotisme et de scènes fantastiques. Il nous emmène à l’autre bout du monde et dans un autre temps et on ne se lasse pas de suivre ses trois personnages. Le seul petit reproche que je ferai, c’est que certaines scènes d’assaut auraient mérité plus de bruit et de fureur. Mais Pour mourir, le monde, est bien un des meilleurs romans de cette rentrée littéraire. Magnifique !
« Naitre petit et mourir grand est l’accomplissement d’un homme ;
C’est pourquoi Dieu a donné si peu de terre pour sa naissance
Et tant pour sa sépulture.
Un lopin de terre pour naitre ; la Terre entière pour mourir.
Pour naitre, le Portugal ; pour mourir, le Monde. »
Antonio Vieira (1608 – 1697)