Archives pour la catégorie Littérature marocaine

L’inspecteur Dalil à Beyrouth de Soufiane Chakkouche

Editeur : Jigal

La première enquête de L’inspecteur Dalil à Paris m’avait enthousiasmé, par son ton léger, décalé et sa vision de la France par une personne extérieure. Lire la suite me paraissait donc logique.

Alors que l’inspecteur Dalil revient enfin à Casablanca pour profiter de sa retraite, il est convoqué par le ministre de l’intérieur pour une mission risquée. Une célèbre chanteuse marocaine Nejma Anouar a été retrouvée égorgée dans sa chambre d’hôtel. Officiellement, il doit participer à l’enquête et assister la police libanaise. Officieusement, la situation est beaucoup plus complexe mais c’est bien connu : Dalil sait tout faire.

L’inspecteur Dalil est donc chargé d’identifier le lieu de stockage de missiles iraniens qui pourraient servir à un groupe terroriste algérien dans le cadre de la guérilla au Sahara occidental. Ces missiles seraient détenus par le Hezbollah aux alentours de Beyrouth, mais beaucoup de gens lorgnent sur ces armes. Si l’inspecteur Dalil n’est pas couvert pour cette opération, on lui assure le soutien d’un espion sur place.

En arrivant à son hôtel, le même que celui où a eu lieu le meurtre de la chanteuse, l’inspecteur Dalil est agréablement surpris de rencontrer son contact. Et, en fait d’espion, il s’agit d’une espionne. Nabila, dite La Chatte, l’interpelle au bar de l’hôtel et l’inspecteur Dalil est surpris d’avoir affaire à une égyptienne. Les surprises ne s’arrêtent pas là quand il est kidnappé par le terroriste Abou Jâafar, qui cherche aussi ces missiles.

Même si je ne suis pas un grand fan des romans d’espionnage, j’ai entamé ce roman sans grande appréhension. La première enquête de l’inspecteur Dalil m’avait tellement plu, m’avait tellement rire et sourire que je me suis demandé si j’allais retrouver le plaisir que j’y avais trouvé. Et puis, ce sexagénaire accompagné de la Petite Voix dans sa tête devenait forcément attachant. Eh bien, rassurez-vous, avec cette deuxième enquête, Soufiane Chakkouche passe le cap du deuxième roman avec la mention Très Bien.

Même si on peut douter de la crédibilité de l’intrigue, l’intérêt repose surtout sur le personnage de l’inspecteur Dalil, capable tel un poisson de se faufiler entre les nombreux écueils positionnés sur sa route. Et on s’aperçoit vite qu’il s’avère bien difficile pour un poisson de survivre dans un panier de crabes. Sa trajectoire, la façon dont il va mener son enquête et ses recherches, lui appartiennent ; il donne l’impression de se laisser mener par les événements, de subir la situation, ce qui est contredit au fur et à mesure de roman. Ce qui montre la grande qualité de la construction de cette intrigue.

Enfin, je retrouve dans ce roman toute la dérision, l’humour fin de l’auteur, qu’il parsème tout au long de ces pages. Même si le sujet peut sembler sérieux, l’auteur garde toujours la petite distance, place la petite remarque ou la pensée de la Petite Voix, pour désamorcer tout risque de se prendre au sérieux. La nonchalance de l’inspecteur Dalil, son regard poétique ou décalé (je n’ai jamais lu un passage aussi drôle et décalé sur une allumette que l’on allume et que l’on laisse tomber parterre), vont donc vous faire passer un excellent moment où chaque paragraphe vous fera sourire, et où même la fin vous stressera.

L’inspecteur Dalil à Paris de Soufiane Chakkouche

Editeur : Jigal

On trouve souvent sur Internet cette phrase : Jigal, découvreur de talents. On ne peut qu’être d’accord après la lecture de ce roman qui, s’il peut paraître un simple roman policier, possède un vrai style, un vrai ton et un superbe personnage que l’on espère revoir.

L’inspecteur Dalil coule une retraite paisible en pêchant au bord de la plage avec sa chienne quand une silhouette se dirige vers lui. La petite voix qui lui donne des conseils dans sa tête lui indique qu’il s’agit de l’inspecteur Brahim, son ancien collègue. Celui-ci lui propose de reprendre du service dès aujourd’hui afin de résoudre une enquête qui pourrait bien revêtir une importance vitale pour son pays, le Maroc. Sa petite voix saute de joie à l’idée de retravailler,

Il est reçu par Ali Aliouate, le directeur du Bureau Central d’Investigation Judiciaire, l’équivalent du FBI marocain. Bien vite, Aliouate donne à Dalil une carte de police officielle ainsi qu’une arme. Mais Dalil ne veut pas d’arme, et il n’en a jamais voulu. Aliouate connait bien le dossier de Dalil, et le taux de réussite de ses enquêtes de 100%. L’affaire qu’il lui propose concerne le terrorisme et la France.

Un jeune homme a été enlevé devant une mosquée en plein Paris. Il s’appelle Bader Farisse et est étudiant en transhumanisme. La France accuse le Maroc de ne pas en faire assez contre le terrorisme. L’inspecteur Dalil va être envoyé à Paris pour faire équipe avec le commissaire Maugin, la crème du 36 Quai des Orfèvres. Dalil est accueilli par le commissaire mais bien vite, les petits gestes de Maugin montrent bien que la méfiance est à l’ordre du jour entre les deux hommes.

On aurait pu imaginer un couple de flics dépareillés dans ce roman, mais on a plutôt affaire à deux personnages forts qui font chacun leur enquête dans leur coin, et cela, surtout parce qu’ils se méfient l’un de l’autre. Quoiqu’il en soit, ce roman est un vrai roman policier qui repose sur deux personnages forts, en plaçant au premier plan l’inspecteur Dalil. Et quel personnage que ce Marocain exilé au milieu des fous, c’est-à-dire en France.

Cet inspecteur, habitué à tâter du poisson loin du vacarme de la ville, se retrouve en plein Paris. Si l’on ajoute à cela qu’il parle souvent tout seul, pour répondre à la petite voix qui fait des remarques dans sa tête, cela nous donne des scènes d’une drôlerie irrésistible. Ajoutons à cela qu’il est un fin psychologue, puisqu’il arrive à tirer les vers du nez du plus récalcitrant juste en menant ses questions d’une façon fort intelligente, et vous avez un personnage de flic qu’il va falloir suivre de très près à l’avenir.

Ceci démontre que les dialogues sont extrêmement bien faits, et que l’intrigue est menée avec une maîtrise qui force l’admiration. Et puis, je ne peux que louer ces remarques sur notre mode de vie, ces évidences que l’on ne voit plus puisque la vie parisienne est vue par un provincial étranger. Il n’y a qu’à apprécier ces passages sur le métro, ou la désolation de l’inspecteur Dalil devant les gens qui demandent de l’argent pour manger.

Si le sujet est grave et tout de même bien flippant, la faculté d’implanter une puce connectée à Internet dans votre cerveau, le ton se révèle dans l’ensemble léger, drôle et lucide, même si la scène finale est noire. D’une plume fluide, Soufiane Chakkouche fait une entrée fracassante dans le monde du polar avec un ton remarquablement neuf et rafraîchissant. Ce roman est totalement bluffant et je suis d’hors et déjà fan. Vivement la suite !

Ne ratez pas les avis de Yves et Psycho-Pat

Et si on parlait de l’Afrique …

Je vous propose deux romans dont le contexte, au moins en partie, parle de l’Afrique. Deux romans courts qui logent dans une poche, certes, mais deux romans émotionnellement forts et deux romans édités par deux petits éditeurs. Comme quoi, il faut aller chercher les pépites ailleurs que sur les étals de supermarchés.

African Queens de Patrice Montagu-Williams

Editeur : Les chemins du hasard

Ayaan a décidé de quitter la Somalie après la mort de sa sœur survenue lors de son excision et quand son père lui a présenté un vieil homme comme son futur mari. Avec son autre sœur Zohra, elle a connu tous les déboires que connaissent les migrants, les voyages en bateau, en camion, les passeurs insistants et même le manque de nourriture. Elle arrive à Barbès et tombe dans un réseau de prostitution géré par la Hyène.

Boris Samarcande est commissaire dans le 18ème arrondissement, à la tête d’une cinquantaine de policiers. Il aime son quartier, même s’il a affaire à tous les trafics en tous genres. Lors d’un contrôle de papiers anodin, une de ses équipes tombe sur un homme transportant des organes humains.

Annoncé comme le premier roman d’une série de quatre, African Queens mérite amplement le détour, pour peu que vous ne soyez pas trop sensibles. Et je vais vous expliquer mon ressenti. Tout d’abord, les chapitres sont très courts et les dialogues réduits au strict minimum. Cela donne une impression d’urgence et permet d’avoir beaucoup de scènes. Ce roman est donc à réserver à ceux qui aiment ce style « coup de poing », dont je fais partie.

En parlant de style, il est plutôt à classer du coté des behavioristes, c’est-à-dire que l’auteur ne s’étend jamais sur les sentiments des uns ou des autres, mais préfère rester en retrait et laisser les actes de ses protagonistes parler pour eux-mêmes. En cela, African Queens est plus proche d’un reportage réalité, qui aurait pour titre « Bienvenue dans l’enfer de Barbès ».

Et ce style clinique, voire chirurgical rend la lecture émotionnellement pénible, pour moi en tous cas. Car je me suis attaché à Ayaan, je l’ai suivi dans son périple, dans sa nouvelle vie. Et lire ce qui va lui arriver, sans une goutte de sang, je tiens à le préciser, dans des scènes où il n’y a pas un brin d’émotions, cela reste tout de même un sacré morceau à avaler pour un être humain normalement constitué, c’est-à-dire avec une petite dose d’humanité. Je ne veux pas dire que l’auteur va trop loin, mais il a décidé d’être franc, de montrer une certaine réalité et il vaut mieux être prévenu que la réalité n’est pas belle à lire.

Ne ratez pas l’avis de l’Oncle Paul

La dernière chance d’Abdelilah Hamdouchi

Editeur : Nouveau monde

Traductrice : Valentine Leys

Sophia Beaumarché a 73 ans et a toujours aimé les jeunes hommes. Elle s’est mariée à un Marocain qui l’a persuadée d’ouvrir un restaurant au Maroc, Chez Sophia. Depuis, elle est à la tête d’un lieu où tout le monde s’arrache les places pour déguster de bons plats. Cinq ans auparavant, elle a découvert que son mari la trompait et s’est remariée avec Othmane, un jeune juriste de 30 ans au chômage. Mais Othmane a fait cela pour avoir de l’argent. Il a en fait une amante Namia bien plus jeune que la septuagénaire.

Alors qu’ils rentrent après le service du soir, dans la villa Sophia, Othmane déclare aller promener leur chien. En réalité, c’est pour retrouver son amante Namia. Quand il revient, il trouve Sophia avec un couteau planté dans le ventre. Sous le coup de l’émotion, il enlève le couteau et appelle la police. Comme il est le bénéficiaire du testament, Othmane fait figure de coupable idéal.

C’est le premier roman policier marocain que je lis et c’est une belle surprise. Certes, pour les habitués du genre, ce roman va passer pour un modèle du genre. L’auteur y respecte en effet tous les codes et réussit à enchaîner les scènes avec une logique très plaisante. On peut même dire que l’auteur a écrit ce roman avec beaucoup d’application, de respect et d’amour pour le genre policier. Cela n’empêche pas de faire preuve de créativité dans le déroulement de l’intrigue, bien au contraire. Car on y retrouve un excellent équilibre entre la narration et les dialogues.

On va donc suivre deux personnages principaux puis trois, mais je ne vous parlerai que d’Othmane et d’Alwar, l’avocat arrivant plus tard dans le roman. Othmane est un jeune qui veut se sortir de la mouise et voit qu’il peut profiter de l’argent d’une septuagénaire pour survivre. Alwar est l’inspecteur chargé de l’enquête et on découvre un personnage extrêmement rigoureux et appliqué dans son travail. Dans les deux cas, les psychologies des personnages, bien que simples, sont remarquablement bien faites.

Ne croyez pas que ce roman se contente d’avoir une intrigue policière, aussi bien construite soit-elle. Abdelilah Hamdouchi ne va pas s’étendre sur les pauvres qui vont vendre leur corps aux riches des pays « civilisés » mais plutôt sur l’omnipotence de la police, du fait qu’ils ont tous les droits et qu’ils peuvent tout se permettre. Et je vous passe les détails sur la façon dont ils parlent aux gens, et en particulier aux femmes qui n’ont pas droit à la parole. Finalement c’est un roman très intéressant.