Editeur : Rivages
La question que je me pose est la suivante : le message de la mort lente de l’Humanité peut-il mieux porter grâce à la littérature ? je ne vais pas vous seriner avec le réchauffement climatique, les guerres, les famines, les pénuries de matières (toutes, en fait). Le fait est que l’on voit fleurir nombre de romans « d’anticipation » qui vont tous dans le même sens : le futur imaginé et imaginaire sera la disparition de l’Humanité et la dictature.
Hervé Le Corre, plutôt auteur de romans noirs et un des plus doués de l’hexagone, choisit ce sujet pour son dernier livre en date en situant son intrigue sur une centaine d’années, de la fin du vingt-et-unième siècle au milieu du vingt-deuxième. Pour ce faire, il va choisir de suivre trois générations dans un décor de fin du monde où la population terrestre, dévastée par un virus, diminue inexorablement.
2051. Après la décimation due à un virus, et la baisse de la natalité, Rebecca et Martin s’enferment dans leur appartement avec leur bébé Alice. La coupure d’électricité à laquelle ils se sont habitués n’en finit pas de durer. Dehors, l’anarchie règne, les coups de feu pleuvent, l’armée défile pour faire respecter le couvre-feu, en tirant à vue. Martin sort pour aller chercher de la nourriture et de l’eau mais ne revient pas.
Après la mort de Rebecca, Alice vit dans un mort totalitaire, géré par des milices appelées les Vigilants. Majoritairement masculines, ces milices font vivre un enfer aux habitants résignés, allant jusqu’à les vendre aux enchères. Avec Abdel, ils auront un bébé, Nour, qui représente l’avenir d’une société sans avenir qu’il faut fuir, les femmes devenant des ventres pour engendrer des enfants.
2121. Le mot d’ordre devient la survie à tout prix dans un monde qui ne respecte plus aucune règle. Nour et sa fille Clara parcourent le monde à la recherche de nourriture en cherchant à éviter les bandes organisées qui n’hésitent pas à tuer pour survivre. Elles rencontrent marceau et son fils Léo et décident de faire la route ensemble. Sans destination, fuir vers nulle part devient leur sens de la vie.
Autant vous prévenir, la construction du roman propose de suivre trois générations dans des chapitres alternés sans aucune mention, si ce n’est le nom des personnages. Une fois que l’on a intégré le principe, le roman se déguste comme un nectar, avec toute la poésie noire dont Hervé Le Corre est capable. Pour son retour dans l’anticipation, après Copyright (Merci Jean Lisi) c’est une belle réussite.
Le roman repose sur des personnages féminins forts que l’auteur positionne comme les derniers défenseurs et le dernier espoir de l’Humanité. Ces trois témoins vont nous montrer l’évolution possible sur trois générations, dans des scènes d’une force et d’une poésie noire, frappante et émotionnellement puissante. Le résultat est d’autant plus frappant sur la vision pessimiste que l’auteur donne de notre futur, quand il laisse éclater ses craintes, ses visions, et j’en prends pour exemple la page 295 :
« Toute la fin du siècle dernier et au début de celui-ci les alertes ont été données, sonnées, gueulées. Il fallait changer de logique, cesser la fuite en avant de l’avidité, de la rapacité des puissants de ce monde qui saccageaient la planète et les peuples par tous les moyens possibles. Catastrophes climatiques, famines, pandémies, guerres. La misère et la barbarie partout. On voyait chaque jour le monde imploser mais on était trop peu nombreux à se rebeller. Les gens s’imaginaient qu’ils échapperaient au pire. Ils achetaient des climatiseurs, des téléphones neufs, ils prenaient des avions, ils regardaient les guerres sur leurs écrans, soulagés qu’elles se déroulent loin d’eux, pleurnichant de temps à autre sur les malheurs du monde pour mettre à jour leur bonne conscience. Pendant ce temps perdu, les maîtres de ce monde-là conduisaient à pleine vitesse vers le bord de la falaise et nous demandaient à nous, pauvres cons, de retenir le bolide pour l’empêcher de basculer. Ils pensaient peut-être qu’ils parviendraient à sauter en marche et quelques-uns ont dû le faire … »
Si par moments, j’ai été un peu perdu dans les époques évoquées, si j’ai eu l’impression que cela tournait en rond, j’adhère totalement sur le propos et la façon de le présenter. Hervé Le Corre nous présente son probablement le plus personnel, où il expose ses craintes, ses peurs devant la direction que nous prenons. S’il avait écrit un roman contemporains, le message aurait été moins explicite. Montrer le problème de la dégradation de la Terre des mains de l’Homme sur plusieurs générations s’avère non seulement la bonne façon mais la preuve du génie de l’auteur, allier la forme et le fond.
Comprenons-nous bien : qui se soucie du devenir de la prochaine génération ou même de celle d’après quand il prend sa voiture pour faire 500 mètres pour acheter sa baguette de pain ? Qui est prêt à sacrifier son confort pour sauver ses arrières petits enfants qui n’existent pas encore ? Qui est prêt à diminuer ses revenus pour aider les pays en voie de développement à polluer moins ? Pourquoi ne nous explique-t-on pas tout cela clairement ? Car la problématique est à situer au niveau local et global, tout le monde est et doit être concerné.
Loin d’être un donneur de leçons, Hervé Le Corre déploie tout son talent poétique pour nous alerter sur ses peurs de l’avenir, quand il regarde notre trajectoire. Il semblerait que de nombreux auteurs crient cette même mise en garde, chacun avec sa vision mais tous avec la même peur. Le roman d’Hervé Le Corre se place parmi les plus personnels, les plus intelligents et les plus effroyablement réalistes.