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Brève histoire de sept meurtres de Marlon James

Editeur : Albin Michel

Traducteur : Valérie Malfoy

On a beaucoup parlé de ce roman, avec des termes superlatifs, surtout dans la presse écrite spécialisée. Le fait qu’on la compare à James Ellroy était forcément un argument pour que je le lise. Le fait que ce roman soit sélectionner pour le prix du Balai d’or, organisé par le Concierge Masqué en était un autre.

Quatrième de couverture :

Kingston, 3 décembre 1976. Deux jours avant un concert en faveur de la paix organisé par le parti au pouvoir, dans un climat d’extrême tension politique, sept hommes armés font irruption au domicile de Bob Marley. Le chanteur est touché à la poitrine et au bras. Pourtant, à la date prévue, il réunit 80 000 personnes lors d’un concert historique

Construit comme une vaste fresque épique abritant plusieurs voix et des dizaines de personnages, ce livre monumental, couronné par le Man Booker Prize 2015, nous entraîne en Jamaïque et aux États-Unis, des années 1970 à nos jours. Convoquant hommes politiques, journalistes, agents de la CIA, barons de la drogue et membres de gangs, il s’interroge avec force sur les éternelles questions du pouvoir, de l’argent, de la politique et de la violence du monde.

S’affirmant ici comme le fils spirituel de Toni Morrison et James Ellroy, Marlon James signe un livre hors normes, tour à tour sombre, drôle, cru, et toujours passionnant, signe d’une rare ambition littéraire et d’un talent prodigieux.

« Un roman à la fois terrifiant, lyrique et magnifique, écrit par l’un des jeunes auteurs les plus talentueux d’aujourd’hui. »

Russell Banks

Mon avis :

Avant d’ouvrir ce roman, j’ai forcément eu un peu d’appréhension, au vu de la masse du livre, qui avoisine le kilogramme. C’est le genre de pavé que je me réserve pour mes vacances d’été, quand je veux faire du sport ! Ensuite, la comparaison avec mon Maitre James Ellroy a suscité beaucoup d’espoir, à un tel point qu’avant de lire la première page, j’envisageais de mettre un coup de cœur.

Ce roman est assez particulier, et je ne pense pas avoir jamais lu un roman structuré (ou déstructuré) de cette façon. Et on n’a pas le temps de souffler que l’on entre dans le vif du sujet. Divisé en cinq parties, celles-ci vont être découpées en chapitres narrés chacun par un personnage. Ce qui fait que nous avons plus d’une dizaine de personnages qui vont se suivre pour nous raconter à la fois leur vie, leur vision de l’histoire et leur role dans cette histoire. Et cette histoire est celle de la Jamaïque.

Dans la première partie, des membres de gangs, des agents de la CIA, des parrains de la mafia locale, le manager du Chanteur (comprenez Bob Marley), vont nous décrire un pays en prise à une violence de tous instants. Le pays est aux mains des communistes, alors les Etats-Unis veulent faire un coup d’état et arment les gangs d’armes automatiques. Ils organisent en sous-main un attentat contre la principale vedette du concert à venir le lendemain. Et ces gamins ivres de violence et de mort, qui se droguent et veulent devenir grands, se retrouvent avec des mitrailleuses et sont prêts à tuer n’importe qui.

Ces chapitres ont une grande qualité : le style de la narration varie en fonction de la personne qui parle. D’un style littéraire quand il s’agit d’un Américain, d’une expression simple quand il s’agit d’une groupie, il devient musical, rythmé et sans ponctuation quand c’est un jeune des gangs qui parle. Et ces chapitres ont un défaut : l’auteur ne fait aucun effort pour accrocher le lecteur. On sait qui parle car le chapitre porte le nom de la personne qui raconte, mais on ne sait pas où commence son histoire ni où elle se termine. C’est au lecteur de faire les efforts pour suivre l’histoire. Et ce sera de même pour la suite du roman, quand il nous racontera la guerre de crack à New York ou la Jamaïque d’aujourd’hui.

C’est donc une lecture en demi teinte pour moi, avec des chapitres extraordinaires, d’une puissance infinie, et la scène de l’attentat contre le Chanteur, écrite comme un slam de rap en est une. Et puis, il y a des chapitres moins intéressants, qui ne font pas avancer l’histoire et qui m’ont ennuyé. Mais même si elle est en demi-teinte, cette lecture restera pour moi une sacrée expérience.

Oldies : Get up ! Stand Up ! de Perry Henzell (Sonatine)

Ce roman vient tout juste de paraitre chez Sonatine, alors qu’il date de 1982. D’ailleurs, si j’ai choisi de le lire, c’est parce qu’il est mentionné que c’est Patrick Raynal qui l’a conseillé. Et de fait, pour ceux qui sont adeptes de polars politiques, ce roman est très bon dans le genre.

L’auteur :

Perry Henzell est né le 7 mars 1936 à Port Maria en Jamaïque. Il suit des études cinématographiques au Canada puis rentre en Jamaïque dans les années 1950 où il tournera plusieurs documentaires et des spots publicitaires.

Dans l’idée de créer un film retraçant la vie d’Ivanhoe Martin, mieux connu sous le nom de Rhygin, rude boy (caïd) très populaire de Trenchtown, le principal ghetto de Kingston, il demande au chanteur Jimmy Cliff d’écrire une bande-son reggae appropriée. Ne trouvant pas d’acteur, il décide de recruter Jimmy Cliff pour le rôle de Rhygin.

Ce film sort en 1972, dont la bande-son est composée de chansons de Jimmy Cliff, Desmond Dekker, Toots and the Maytals etc., peut être considéré comme le seul grand classique jamaïcain.

Perry Henzell est mort des suites d’un cancer la veille de la projection de No Place Like Home au Flashpoint Film Festival, un film tourné dans les années 1970, qu’il n’avait jamais pu finir à cause de problèmes financiers. Perry Henzell envisageait également de réaliser l’adaptation de son roman Power Game (1982), qui devait clôturer sa trilogie jamaïcaine, mais le cancer aura eu raison de cette ambition.

Quatrième de couverture :

Un pays des Caraïbes, qui fait fortement penser à la Jamaïque. D’un côté, une caste privilégiée qui tient le gouvernement, l’armée, les médias, la justice et toutes les richesses locales, une élite corrompue, qui oscille entre volonté d’indépendance et soumission aux riches investisseurs étrangers. De l’autre, le ghetto, les gangs, le trafic de ganja, une misère de plus en plus noire. Un mélange explosif qu’une seule étincelle suffirait à faire exploser. Et si celle-ci venait de Zack Clay, une star du reggae de retour au pays après un triomphe international ? Lui seul a en effet le pouvoir de rassembler les gangs et la rue pour venir à bout de l’oppression, des injustices et des inégalités. Mais entre un message prophétique de paix et le passage à la lutte armée, le fossé est grand. Zack devra ainsi faire un choix dont pourrait dépendre le sort de l’île tout entière.

Mêlant musique et politique, Perry Henzell nous offre un portrait sans concession d’une société dévorée par les inégalités et la corruption. On reconnaîtra à travers la figure de Zack l’ombre de Bob Marley.

Mon avis :

Dans le genre polar politique, ce roman est un bon exemple du genre. Prendre une ile des Caraïbes, sans la citer, créer des personnages crédibles représentant chacun un pouvoir en place, ajouter une étincelle qui va mettre le feu aux poudres et vous aurez la recette de ce polar paru injustement si tard chez nous.

Du coté des personnages, Percy est le premier ministre de cette ile, qui ne comporte aucune richesse, si ce n’est la culture de la marijuana. La hausse du prix du pétrole met cette ile en grand danger. Le gouvernement repose sur les deux frères Bernard : Winston est le ministre des finances et Mark est le ministre de la sécurité. Ils représentent les riches politiques de l’Ile. La femme de Winston se nomme Michèle et détient les rênes de la radio locale. A eux trois, ils représentent le pouvoir.

Du coté des particuliers, Eddie, le frère de Michèle est riche grâce à ses trafics de drogue essentiellement, mais aussi avec ses clubs. Enfin, il y a le ghetto, pauvre, désœuvré et ne survivant que grâce à de petits boulots ou au trafic de drogue. Ils sont représentés par deux personnages Yzion et Wire, appartenant à 2 ghettos différents. Le fragile équilibre de l’ile va être mis à mal le jour où l’armée va abattre une vingtaine de jeunes issus des ghettos.

Ce roman est une excellente surprise, au sens où je ne connaissais rien de cet auteur, et où il sait mettre en place de nombreux personnages représentant leur milieu. Nous avons affaire là à un polar politique, au centre duquel l’auteur place Michèle, parce qu’elle détient les medias mais aussi parce qu’elle croit au pouvoir de la musique. Elle va faire éclore un nouveau talent, Zack Clay, et compte sur lui pour clamer la population.

Il est réellement difficile de lâcher ce roman, tant c’est à la fois bien écrit et bien mené. Et même si cela peut paraitre parfois naïf, parfois simpliste (parce que daté de 1982), si on n’est pas au niveau de ce qu’a fait James Ellroy, ce roman peut aisément assouvir les besoins des fans du maitre ou plus simplement les amateurs de polars politiques.