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Free Queens de Marin Ledun

Editeur : Gallimard – Série Noire

Après avoir disséqué l’industrie du tabac dans l’excellent Leur âme au diable, Marin Ledun s’attaque à celle de la fabrication et de la vente de la bière, en se basant sur le scandale Heineken au Nigéria.

Jasmine Dooyun se fait arrêter à la Porte de Pantin à Paris pour prostitution. Etant mineure, elle risque de se faire expulser dans son pays, le Nigeria. Serena Monnier, journaliste au Monde, parvient à obtenir un entretien avec elle et apprend comment on lui a vendu du rêve, avant de la violenter pour qu’elle fasse le trottoir. Mais Jasmine veut continuer à se battre. Serena décide de poursuivre son enquête au Nigeria et est accueillie par une association féministe, les Free Queens.

Oni Goje occupe un poste de policier chargé de la circulation. Bien qu’il accepte des pots de vin, comme la plupart de ses collègues, il garde en lui une volonté d’intégrité et de justice. Il s’approche d’un attroupement géré par un cordon de policiers. En s’approchant, il découvre le corps de deux jeunes femmes assassinées que l’on a dévêtues. Il est persuadé que la police criminelle ne va rien faire et considérer que ce ne sont que des prostituées. Il décide de mener l’enquête.

Master Brewers, la multinationale qui fabrique de la bière, vient de mettre sur le marché la First. Pour son développement, elle a embauché Peter Dirksen qui va rapidement mettre en place un plan marketing. Les bières devront être présentées par des jeunes femmes peu vêtues, que ce soit dans les bars miteux ou luxueux. La stratégie est claire, « le sexe, le fric et une First » et le slogan devra faire mouche auprès de la population : la First permet d’augmenter les performances sexuelles. Peter Dirksen va donc construire un vaste réseau de prostitution en même temps qu’une campagne de corruption à tous niveaux.

Dans quasiment tous ses livres, Marin Ledun donne à ses œuvres une tonalité sociale qui ne peut qu’attirer l’œil. Son précédent roman sur l’industrie du tabac d’ailleurs a eu un fort écho et celui-ci devrait en avoir tout autant. Il revient sur un scandale qui a éclaboussé Heineken à tel point qu’ils ont dû justifier leur rôle dans le massacre des Tutsis au Rwanda, fait dont l’auteur ne parle pas ici.

Il préfère se concentrer sur le Nigéria et la façon dont les dirigeants hollandais ont décidé de déployer leur commerce en laissant les mains libres à un homme qui a vite compris que la loi et la morale devait être mise de coté. Bien que je n’aie pas été au courant de cette affaire en lisant le livre, les articles que j’ai lus depuis m’ont effaré. Car Peter Dirksen a vite choisi son camp pour remplir ses objectifs.

Marin Ledun choisit plusieurs points de vue, plusieurs personnages et le paysage qui en ressort fait froid dans le dos. Il faut se rappeler que tout se passe de nos jours, que l’on permet par l’intermédiaire de pots-de-vin d’exercer des commerces de prostitution pour améliorer les ventes de bière. Marin Ledun démontre très bien l’implication de la police, et on pouvait s’y attendre, mais aussi les hommes politiques jusqu’au plus haut niveau de l’état en passant par de grandes entreprises continentales comme Total mais aussi le PSG.

Contrairement à Leur âme au diable, Marin Ledun préfère dérouler un aspect narratif proche du polar, avec comme fil rouge la résolution du meurtre des deux jeunes filles, et s’attarde moins sur les aspects marketing. Et c’est probablement parce que cette affaire nous touche de moins près que le tabac et les cigarettes que des millions de personnes fument tous les jours.

Il n’empêche que devant toutes les horreurs décrites, ce que l’on pourrait trouver « normal, parce que ça se passe en Afrique » nous touche en plein cœur quand on a ne serait-ce qu’une once d’humanité dans le sang. Les combats des ONG pour le respect des droits des femmes ressemblent à la lutte du pot de terre contre le pot de fer. Alors, que faire ? En parler, c’est ce que fait de grande façon cet excellent polar riche et documenté.

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De rage et de vent d’Alessandro Robecchi

Editeur : Editions de l’Aube

Traducteurs : Paolo Bellomo et Agathe Lauriot dit Prévost

Deuxième tome des enquêtes de Carlo Monterossi, après Ceci n’est pas une chanson d’amour, ce roman change totalement le ton, car on passe d’un humour cynique agressif à de la rage pure et froide. Tout aussi excellent !

Andrea Serini, en tant que propriétaire de l’agence de vente de véhicules de luxe, tient absolument à fermer sa boutique et éteindre les lumières. Ce soir-là, un bruit de mouvement l’attire, quelqu’un est entré. Il se retrouve face à un vieux camarade qui veut retrouver son argent. Sous la menace, Andrea lui donne un nom, Anna Galinda, avant de prendre un balle en pleine tête. En sortant, un moine l’aperçoit et lui intime de s’arrêter. Il s’agit du sous-brigadier Tarcisio Ghezzi, qui n’a pas le temps de sortir son arme devant la rapidité de l’homme. En deux coups, il se retrouve assommé et son arme dérobée.

Carlo Monterossi, créateur de l’émission Crazy Love pour la grande usine à merde (la télévision) où il s’agit d’étaler au grand jour les histoires d’amour du grand public, veut depuis un certain temps stopper sa collaboration. Pour lui, ce concept est devenu indécent. Mais son agente Katia Sironi insiste : il ne peut pas partir comme ça, Ils sont prêts à lui offrir un pont d’or (sur lequel un touchera un copieux pourcentage). Elle veut qu’il rencontre le Boss en personne, Luca Calleri. Et contre toute attente, Carlo accepte.

Dans le restaurant de luxe, Carlo arrive en avance et assiste à l’arrivée du « Ponte », devant qui tout le monde plie. Son temps est compté, il n’accorde pas dix minutes à quiconque, et d’ailleurs, il ne mange pas et confirme qu’il compte sur Carlo. Dépité par cette attitude, Carlo finit au bar et est accosté par une femme. Tous deux boivent et Carlo raccompagne la jeune femme chez elle, la couche sur canapé et la couvre. En sortant, il claque la porte, avec un bruit sec, un CLAC qui résonnera longtemps dans la tête de Carlo. Le lendemain, il apprend qu’elle a été torturée et tuée avec le même revolver qu’Andréa Serini.

Par rapport au premier roman, qui étalait un humour cynique que j’avais adoré, cette deuxième enquête se révèle bien plus sérieuse. On y trouve bien quelques traits d’humour dans les dialogues ou quand il s’agit de se moquer des policiers. Mais le ton est irrémédiablement noir, à l’image de cette ville de Milan, balayée par un vent glacial, qui correspond bien au titre et à l’humeur de Carlo Monterossi.

Le décor hivernal anormal, ce vent infernal, fait ressurgir une rage froide, que Carlo va ressentir, ajouté à un sentiment de culpabilité envers la mort d’Anna Galinda. Il ne cessera de se rappeler cette porte se fermant dans un CLAC fatal, croyant qu’il est à l’origine de sa mort. Il va donc se lancer dans cette croisade pour dénicher les coupables et comprendre cet engrenage mortel.

Car derrière Carlo et son humeur noire, l’auteur nous montre combien les richards se servent des pauvres et rien de plus efficace que de mettre sur le devant de la scène les prostituées. Il nous montre une caste sans aucune pitié ni humanité, une frange d’ultra-riches fiers de leur impunité, usant et abusant de gens qui, finalement, ne peuvent qu’être définitivement les perdants de cette société.

A nouveau, on trouve dans ce roman colérique un scénario remarquable, complexe à souhait où les intrigues sont menées en parallèle entre Carlo, Ghezzi et Carella, où l’auteur nous imprègne de cette ville glacée par ce vent inhabituel. Cette deuxième enquête, très différente de la première, confirme que cette série est à suivre avec impatience, avec une mention spéciale pour Katrina, la cuisinière moldave de Carlo, une vraie mama qui prend soin de son protégé. 

La sirène qui fume de Benjamin Dierstein

Editeur : Nouveau Monde (Grand format) ; Points (Format Poche)

Benjamin Dierstein a décidé de consacrer une trilogie aux années 2010, celles qui ont vu la défaite de Nicolas Sarkozy, dont deux tomes sont déjà parus. J’avais adoré le deuxième (La défaite des idoles) … eh oui, je les ai lus dans le désordre … et j’ai donc décidé de revenir en arrière avec La sirène qui fume.

Dimanche 13 mars 2011. Une Renault Espace est garée devant le Bunny Bar. La conductrice fait un signe à une jeune femme qui en sort. Elles se rejoignent et prennent la direction de la place de Clichy. Une BMW les suit. Elles se garent sur un parking de Saint Ouen. Le conducteur de la BMW empoigne un Ruger et se dirige vers la Renault. Arrivé à la porte, il tue les deux jeunes femmes de sang froid.

Samedi 19 mars 2011. Le lieutenant Christian Kertesz se traine à son bureau de la Brigade de Répression du Proxénétisme. Il se désintéresse des déclarations de viol du week-end, et rentre chez lui. Au milieu des vapeurs d’alcool médicamenteux, il entend son voisin frapper sa femme et débarquent chez eux, armé de son Sig Sauer. Le coup de téléphone d’un de ses amis corses lui demande de rendre un service : retrouver Clothilde, la fille du sénateur Edouard Le Maréchal. Cette affaire peut lui permettre de rembourser une partie de sa dette de plusieurs millions d’euros envers la mafia corse.

Lundi 28 mars 2011. Le capitaine Gabriel Prigent n’a pas encore terminé de déballer ses cartons avec sa femme Isabelle. Il arrive de Rennes et sent bien que sa fille de 15 ans, Elise, le déteste. Accueilli par la commissaire Nadia Chatel de la Brigade Criminelle, il fera équipe avec la brigadier Nesrine Bensaada pour l’exécution dans un parking de Saint-Ouen. Mais ses collègues le regardent de travers ; ils n’oublient pas qu’il a dénoncé ses collègues à al police des polices.

Même s’il s’est passé un an et demi entre ma lecture de La défaite des idoles et celui-ci, je n’ai rien oublié de l’histoire ni du style de l’auteur. Je savais donc ce à quoi je devais m’attendre, et je n’ai pas été déçu. Ces deux personnages de flic qui entament leur descente aux enfers sont juste inoubliables dans leurs excès, leurs obsessions, leurs cicatrices ouvertes et leur passé qui les hantent ; deux hommes solitaires courant après une solution non pas en guise de rédemption mais en guise de course vers un idéal inatteignable.

Outre le contexte très fortement policier et formidablement bien décrit, on y découvre l’ampleur de la guerre des services de police, chacun gardant ses informations pour soi. On y découvre aussi des femmes et des hommes prêts à tout, obligés d’affronter le pire. Le fait que Prigent et Kertesz enquêtent séparément dans deux enquêtes qui vont se rejoindre se révélera plus anecdotique, tant l’aura de ces deux-là emplit tout l’espace.

On se retrouve aussi en plein contexte politique bouillonnant : la course aux élections présidentielles bat son plein, la gauche semblant pouvoir l’emporter grâce à son « champion » DSK, avant que la célèbre affaire n’éclate à New-York. L’auteur en dit d’ailleurs dans une interview que ces trois années ont été les plus importantes pour la France et que c’est pour cela qu’il veut y consacrer une trilogie.

L’ambiance, les décors, les personnages nagent donc dans un univers glauque, à base de prostitution infantile et déroule une enquête où tout le monde est impliqué et doit arranger la vérité pour sauver sa peau (ou son poste). Et cela donne un premier roman impressionnant, qui amoncelle les scènes comme on entasse les morceaux de cadavres, c’est violent, dur, aidé par une plume acerbe, rapide, hachée qui donne un rythme infernal à la lecture. On n’a pas envie de lâcher ce roman, et le plaisir qu’il procure nous rendra indulgent quant à certaines scènes de la fin du livre, quelque peu excessives. Vivement le troisième !

Pimp de Iceberg Slim

Editeur : Editions de l’Olivier (Grand format) ; Points (Format poche)

Traducteur : Jean-François Ménard

En cette année 2020, nous allons fêter les 50 années d’existence de la collection Points, et les 40 ans de Points Policier. De temps en temps, il y a des romans que je me mets de coté, par leur réputation ou par les avis publiés au moment de leur sortie. Ce roman est considéré comme culte par de nombreux jeunes gens. Voici la biographie romancée d’un maquereau.

L’auteur :

Iceberg Slim, alias Robert Beck, et de son vrai nom Robert Lee Maupin, né le 4 août 1918 à Chicago et mort le 28 avril 1992, est un écrivain américain, auteur de roman noir.

Dans la seconde moitié du XXème siècle, il est l’un des écrivains afro-américains les plus influents grâce à la publication de Pimp, son autobiographie parue en 1969, où il expose sa vie de proxénète (pimp signifiant littéralement « mac »). Ses descriptions crues et réalistes du milieu sordide et très violent où il évoluait (il battait « ses » prostituées avec un cintre en fer qu’il avait torsadé) exercent alors une grande influence sur la culture afro-américaine et sur le hip-hop en particulier (par exemple, sur des rappeurs comme Ice-T ou Ice Cube, qui lui doivent leur pseudonyme). L’écrivaine américaine Sapphire, qui a préfacé l’édition française de Pimp, écrit : « Quelle que soit la désapprobation que nous inspirent sa violente misogynie ou son analyse défaitiste des possibilités de progrès social pour les Noirs, nous sommes obligés de reconnaître qu’il y a une vérité à découvrir dans l’histoire de cet homme. »

Iceberg Slim passe la majeure partie de son enfance à Milwaukee et Rockford (Illinois) avant de retourner à Chicago à l’adolescence. Abandonnée par son mari, sa mère travaillait comme domestique et a tenu un salon de beauté. « Elle s’efforçait de maintenir en moi un peu de l’amour et du respect qu’elle m’avait inspiré à Rockford. Mais j’en avais trop vu, j’avais trop souffert. La jungle avait commencé à insuffler en moi son amertume et sa férocité. » Il évoquera le psychiatre d’une prison qui avait peut-être raison quand il lui avait dit qu’il était devenu maquereau à cause de la haine inconsciente qu’il vouait à sa mère à la suite des mauvais traitements de son père. Il relate également des abus sexuels commis par sa nourrice alors qu’il avait trois ans (c’est d’ailleurs par le récit de ces attouchements qu’il commence son autobiographie).

Au milieu des années 1930, il s’essaie brièvement à des études universitaires au Tuskegee Institute, un des premiers établissements d’enseignement supérieur destinés aux Noirs. À dix-huit ans, il adopte son pseudonyme d’Iceberg Slim et reste souteneur dans la région de Chicago jusqu’à l’âge de quarante-deux ans. Il est incarcéré plusieurs fois et, après avoir passé dix mois seul dans une « cellule de confinement », à la maison de correction de Cook County, il décide de se ranger et de se consacrer à l’écriture à partir de 1960.

Il déménage ensuite en Californie afin de mener une vie « normale ». Il y adopte le nom de Robert Beck, utilisant le patronyme du mari de sa mère.

Dans Mama Black Widow, il décrit la vie d’un travesti noir.

(Source Wikipedia)

Quatrième de couverture :

Robert Beck, alias Young Blood, est un jeune vaurien de Milwaukee.

Il y a longtemps que son père est allé traîner ailleurs ses guêtres blanches et son chapeau melon. Sa mère, elle, tient un salon de beauté fréquenté par les filles de joie du quartier. Entre deux séjours en maison de correction, Young Blood s’initie à la vie. Il découvre le monde des gigolos, des macs et des putains, les cabarets où l’on écoute du jazz jusqu’au petit matin, la drogue, les hôtels louches.

Diplômé de la rue, il devient Iceberg Slim, le prince des maquereaux, et règne sur un harem qu’il tient d’une main de fer. Il a une Cadillac blanche, des costumes sur mesure, de la cocaïne plein les poches, sa bouteille réservée dans les meilleurs clubs de Chicago. Mais il y a ce je-ne-sais-quoi qui le sépare des autres…

Mon avis :

Avant de me lancer dans cette lecture, je savais ce qui m’attendait mais j’étais loin d’imaginer la force d’évocation de cette écriture. Je croyais que le style rythmerait les phrases dans un slam proche du rap ; en fait, ce roman est porté par une écriture très littéraire faisant place aux dialogues mais aussi à des scènes très explicites. Ce n’en fut que plus surprenant.

En tant que biographie, j’ai trouvé le roman mal équilibré, puisqu’il parle beaucoup de l’enfance de ce maquereau, beaucoup de son ascension et des rencontres qui vont lui apprendre les règles du métier (hum, hum) et que sa chute va s‘orchestrer dans les dernières centaines de pages. Par contre, l’aspect psychologique est fort bien fait, l’auteur prenant le recul nécessaire pour décrire son monde d’ignobles pourris.

Dans le fond, j’ai trouvé ce lire choquant, (et pourtant, il m’en faut beaucoup) par le racisme qu’il montre (anti-blanc, anti-noir), la façon dont il montre les femmes, la façon dont il les traite. Iceberg Slim se décrit comme un commercial qui, en vitrine vend ses putes, et dans l’arrière boutique les maltraite à coups de pied et les drogue. Et pour les flics, rien de plus facile que de leur verser quelques dollars …

Ce ne sont pas tant les scènes que l’implication qui en ressort, cette façon de traiter les êtres humains comme des serpillères, uniquement par attrait du fric. Le roman évite la caricature (sauf une scène) et conserve sa puissance tout au long de ces 410 pages. Mais on reste accroché à cette histoire pour connaitre la fin, après les trahisons et les séjours en prison. D’ailleurs, l’auteur ne montre jamais aucun remords, il se voit comme un patron qui fait travailler ses ouvrières. Bref … On ne peut retirer à ce livre sa force indéniable même s’il faut avoir le cœur bien accroché.

Ange de Philippe Hauret

Editeur : Jigal

Dès qu’un nouveau roman de Philippe Hauret sort, je saute dessus. J’adore ses histoires simples, ses personnages si réels et son style d’apparence évidente mais si expressif. Le petit dernier en date est encore une fois une belle réussite.

Ayant des attraits féminins irrésistibles, Ange a vite compris le bénéfice qu’elle pouvait en tirer auprès de la gent masculine. Elle a rendez-vous au Georges Five avec le PDG d’une start-up pour une soirée tarifée. Après le repas, ils prennent la direction de la suite de monsieur et Ange verse un somnifère apte à endormir un éléphant dans la coupe de champagne. Comme il se montre pressé avec un ton violent, elle lui ordonne de s’allonger sur le lit et le menotte. Il finit par rejoindre les bras de Morphée et en profite pour lui faire les poches consciencieusement.

Quand elle rentre chez elle, son colocataire Elton s’est endormi dans le canapé. Elton remplit ses journées à ne rien faire, scotché devant la télévision ou à jouer. Elton annonce la bonne nouvelle du jour : il doit se présenter pour un entretien d’embauche chez LIDL. Ce poste lui permettra de lui procurer de l’argent pour assouvir sa procrastination. L’entretien est un succès, Elton doit commencer dès le lendemain.

Ange se rend à un vernissage et est surprise de sentir dans son dos Thierry Tomasson, le présentateur vedette provocateur de la télévision. N’étant pas dupe, elle l’écoute attentivement, surtout quand il lui annonce chercher des chroniqueurs qui attirent la caméra par leur regard pour sa nouvelle émission. Comme elle ne couche pas le premier soir, ils se retrouvent quelques jours plus tard, mais Tomasson fait trainer sa décision.

Une nouvelle fois, Philippe Hauret s’intéresse à des gens communs dont le seul espoir réside dans le moyen de trouver de l’argent. Et à chaque fois qu’ils ont l’impression de décrocher la timbale, ils vont tomber sur un os (c’est de l’humour noir, et quand vous lirez le livre, vous comprendrez). Philippe Hauret ne montre pas des personnages entamant une descente aux enfers, mais plutôt comment le destin malmène ceux qui n’ont rien demandé à personne.

Muni d’un scénario en béton, rempli d’imagination, ce roman est un pur plaisir de lecture par la volonté de l’auteur de flinguer les images des vedettes du petit écran. On s’aperçoit vite que leur statut de « star » cache en fait de bien sombres secrets que l’on est loin d’imaginer. Sans en rajouter plus que ça, Philippe Hauret adore se moquer de ces personnes intouchables avec un plaisir communicatif et vicieux.

Au milieu de ces gens plein de fric, nos deux héros, Ange la forte et Elton le faible, vont subir mais toujours trouver des solutions (souvent mauvaises) et prendre des décisions (souvent mauvaises). J’ai aussi particulièrement apprécié les personnages secondaires, que ce soient les deux truands Ariel et Malo, mais aussi Melvil, le flic qui ressemble à s’y méprendre à Colombo.

J’ajouterai enfin que chaque chapitre porte le titre d’une chanson populaire, qu’elle soit française ou étrangère et illustre parfaitement le sujet. Cela donne une cohérence d’ensemble à ce roman qui se révèle un vibrant hommage à la culture populaire, où l’on ne juge pas les gens, où l’on rit beaucoup, une lecture jouissive et cynique. Ce roman est une nouvelle fois une belle réussite.

Janvier noir d’Alan Parks

Editeur : Rivages

Traducteur : Olivier Deparis

J’étais passé au travers de ce roman, qui était pourtant un premier roman fortement conseillé par Velda et Claude. Mon ami Richard m’a rattrapé au bond en le qualifiant pour les finalistes du Grand Prix Du Balai de la Découverte.

Harry McCoy est demandé à la prison de Glasgow à la demande d’un prisonnier, qu’il connait pour avoir participé à son arrestation. Il n’a aucune idée de la raison pour laquelle il lui a demandé de venir. Et il est très surpris d’apprendre de la bouche d’un prisonnier qu’une jeune fille va être assassinée. Il ne connait que son prénom, Lorna et sait qu’elle travaille dans un restaurant de luxe. McCoy ne prend pas cela bien au sérieux et va passer la soirée avec une jeune prostituée Janey.

Le lendemain, il décide tout de même de chercher cette Lorna, et découvre rapidement où elle travaille, où elle habite, mais ne la trouve pas. C’est devant la gare routière qu’il la trouve, menacée par un jeune homme, qui sans hésiter, la tue avant de retourner l’arme contre lui. Pour Murray, le chef de McCoy, l’affaire est claire : une femme s’est fait tuer par un homme qui s’est suicidé. Mais pourquoi ?

McCoy, réputé pour sa persévérance, va mener son enquête et découvrir que Lorna Skirving était bien serveuse au Malmaison, mais elle profitait de ce poste pour se prostituer auprès de la clientèle riche, afin d’arrondir ses fins de mois. L’autopsie démontre même qu’elle avait subi des coups, ce qui fait penser à des relations sado-maso. Quand l’indic en prison se fait égorger dans les douches, la langue coupée, McCoy part en croisade …

Dès les premières pages, on sait que l’on est dans un roman anglo-saxon. Dès les premières pages on sait que l’on est dans un très bon roman. Dès les premières pages, on sait que l’on va en prendre plein la tête. Car on est jeté dans le bain dès les premières pages et le bain n’est pas vraiment chaud ni accueillant. Si le début est surprenant, bien vite, le décor est bien glauque et les événements bien crades.

Le personnage central McCoy est imposant, charismatique et c’est le genre de personnage que l’on vet absolument retrouver. Son passé va au fil des pages nous être révélé : sa mère est morte tôt, son père est violent, il a connu une enfance dans des centres sociaux, maltraité mais toujours protégé par Stevie Cooper, son meilleur ami. Aujourd’hui, avec 30 années au compteur, il est le mentor du tout jeune inspecteur Watson, dit Wattie, et marine sa haine envers le clan Dunlop, les ultra-riches de Glasgow qui se croient tout permis.

Tout y est bien fait dans ce roman, à tel point que l’on a des difficultés à croire que ce n’est qu’un premier roman. Tout y est aussi un peu classique, entre l’inspecteur cassé par la vie, son penchant et ses liens avec le côté obscur, le combat des pauvres contre les riches, la corruption de la police et des flics. Mais cela est bigrement bien fait, avec cette sensation que l’auteur improvise, se contente de suivre son personnage principal partout où il l’emmène.

Alors, on se passionne pour ce roman, pour cet univers infernal, ce Glasgow noir et sanglant, avec au milieu un personnage humain, avec ses qualités et ses faiblesses. Car ce McCoy est terriblement attachant et l’on n’a qu’une envie : le retrouver dans une prochaine aventure. Ça tombe bien : February’s son est sorti en Angleterre cette année. Nul doute qu’on le retrouve chez nous l’année prochaine. Et je serai au rendez-vous.

Ne ratez pas l’avis de Velda, et Yan

Et tout sera silence de Michel Moatti

Editeur : HC éditions

Après Tu n’auras pas peur, Michel Moatti revient avec ses deux personnages de journalistes, Trevor Sugden et Lynn Dunsday. Enfin, surtout Lynn puisque Trevor est malade. Si dans le premier, l’auteur comparait le journalisme en ligne avec le journalisme papier, dans celui-ci il utilise une intrigue forte pour montrer la dérive violente de notre société. Un roman coup de poing !

Lynn Dunsday est toujours journaliste pour le journal en ligne Le Bumper. Alors qu’une vague de meurtres déferle sur Londres, visant des jeunes femmes tuées à l’arme blanche, aux armes blanches devrais-je dire, Lynn est chargée par son patron Tony Grant. Ce sont vingt neuf corps, retrouvés dans la rue, dans les toilettes des pubs ou dans les gares. Aucune relation apparente entre toutes ces exécutions, si ce n’est que les jeunes femmes ne semblent pas s’être défendues.

Le compagnon de Lynn, Andy Folsom, est toujours lieutenant à la section criminelle de la Metropolitan Police. Il est sur des charbons ardents, rentre peu à la maison, fait des heures impossibles. Le dernier cas en date est une fille poignardée au tournevis dans un pub. Andy en dit peu à Lynn, de peur qu’elle le publie pour le Bumper. Il lui lâche quand même le nom de la victime et la possibilité qu’elle ait participé à un scandale sexuel mettant en cause un parlementaire. Et Lynn va être bouleversée par un événement inattendu : son test de grossesse est positif.

Magdalena Lewandowska est polonaise. A Sopot, dans le quartier de Karlikowo, elle va rejoindre une camionnette. On lui a promis de rejoindre un pays occidental, peut-être l’Angleterre, de trouver du travail dans une agence de voyage ou dans un restaurant. On lui a promis une formation après un voyage à travers l’Europe. Mais l’Enfer ne fait que commencer, de caravanes en camps de dressage.

Il y a une constance dans les romans de Michel Moatti, c’est le décor : l’Angleterre. Après son précédent thriller, Tu n’auras pas peur, il continue à creuser le sujet du journalisme moderne, et le rôle qu’il doit ou devrait prendre à l’avenir. Nous retrouvons Lynn, qui va occuper la place centrale de ce roman. Elle rencontrera bien Trevor dans deux ou trois scènes mais l’auteur a choisi cette jeune femme pour une bonne raison : Enceinte, elle se demande s’il est bien raisonnable d’avoir un enfant dans ce monde-là.

Je vous rassure tout de suite, il n’est pas nécessaire d’avoir lu le précédent pour apprécier celui-ci. Mais ce serait dommage, bien dommage. Et je vous préviens, ce roman est dur, très dur : deux scènes en particulier sont non pas décrites et sanglantes mais humainement difficile à accepter. Nous sommes dans un contexte dur, ultra violent, inhumain. Dit comme ça, ça ne fait pas envie pour certains, cela en enchante d’autres. Mais sachez que ce roman dit beaucoup de choses, pose beaucoup de questions. Il démontre une nouvelle fois que le thriller, mâtiné de roman noir a des choses à dire, quitte à ce que ce ne soit pas des choses agréables.

Comme dans le premier roman, Michel Moatti creuse la difficile relation entre la police et le journalisme. Le peuple a un droit à l’information et celle-ci passe par la police, qui ne peut pas tout dire. Parfaitement illustré par les deux personnages principaux, c’est l’un des thèmes du roman, formidablement bien traité et mis en évidence bien que bien connu. Il est même illustré par le titre, qui est une citation de Shakespeare.

De silence, il en est aussi question lors de l’enquête, et à plusieurs niveaux. Tout d’abord, il n’y a aucun témoin ou quelqu’un qui daigne parler. Ensuite, dans le quartier est-européen, peu de gens parlent anglais. Enfin, le sort de jeunes filles émigrées clandestinement n’intéresse personne. Les journalistes ne parlent de cette affaire que parce qu’elle peut impliquer un parlementaire. Les blogs (dont l’auteur insère des pages du blog Lulubelle) ne parlent que de gens connus, de soirées d’inauguration ou des nouveaux maquillages, plein d’insouciance, voire d’inconscience. Comme c’est facile de fermer les yeux !

Ce décalage entre ceux qui pensent à eux et la réalité de jeunes qui meurent sous les coups est éloquent et fait mal au bide. La meilleure façon de le dire, c’est encore de lire sur la quatrième de couverture : « Enlèvements, trafic d’êtres humains, séquestrations, abus sexuels, meurtres … Il y a un monde à côté du nôtre, invisible, effrayant, silencieux et pourtant terriblement réel. Ça se passe aujourd’hui en Europe, et tout le monde ferme les yeux. Alors, il faut bien que quelqu’un en parle. »

Oui, ce roman est effrayant, non seulement par ce qu’il montre mais aussi par et pour ce que cela implique. Tout le monde le sait, et personne ne fait rien. ON trouve une documentation effarante dans ce livre, dont celle-ci qui m’a choqué : la Pologne exporte plus de jeunes filles à destination de la prostitution que de bouteilles de vodka. Avec ce roman Michel Moatti confirme mais surtout se place parmi les meilleurs auteurs de thrillers ayant des messages à passer. Sa description des deux mondes contemporains (celui du plaisir simple, insouciant et l’autre noir, violent sans humanité) est terrifiant, pour qu’il vous reste une once d’humanité. Vous avez le choix : lire ce livre ou allumer la télévision et regarder votre série favorite. J’ai choisi.

Ne ratez pas l’avis de mon ami Jean le Belge

Oldies : Adios Muchachos de Daniel Chavarria

Editeur : Rivages Noir

Traducteur : Jacques-François Bonaldi

C’est une rubrique Oldies en forme d’hommage que je vous propose puisque Daniel Chavarria nous a quitté le 6 avril dernier. Je ne connaissais ni l’homme, ni ses écrits, et pour l’occasion, Claude Mesplède Himself m’a fait l’honneur de me fournir un billet que j’aurais la chance de vous proposer dès vendredi.

L’auteur :

Daniel Chavarría est né à San José de Mayo, en Uruguay.

En 1964, lors du coup d’état militaire, Daniel Chavarría qui vivait au Brésil, s’enfuit pour travailler avec les chercheurs d’or en Amazonie. Plus tard, il s’est enfui à Cuba. Là, il a commencé à travailler comme traducteur et enseignant de latin et de grec. Par la suite, il a commencé sa carrière en tant qu’écrivain. Daniel Chavarría se définit comme un citoyen uruguayen et un écrivain cubain.

Le style d’écriture de Chavarría s’inscrit dans la tradition latino-américaine des écrivains politiques, tels que Gabriel García Márquez. Il a mentionné que lorsqu’il était enfant, il lisait Jules Verne, Emilio Salgari et Alexandre Dumas, et leur influence peut être détectée dans ses écrits. Par exemple, dans Tango pour un tortionnaire, l’influence du Comte de Monte-Cristo est claire.

La vie et les écrits de Chavarría montrent clairement son passé communiste et révolutionnaire. Il était un partisan bien connu de la révolution cubaine.

En 2010, Chavarría a remporté le Prix national de littérature de Cuba.

Chavarría est décédé à La Havane le 6 avril 2018, âgé de 84 ans.

(Source Wikipedia version anglaise traduit par mes soins)

Quatrième de couverture :

A Cuba, Les Jineteras sont des jeunes filles qui chassent le riche touriste étranger dans l’espoir qu’il les entretiendra pour un temps, ou mieux, leur proposera le mariage. Alicia a une méthode bien à elle qui consiste à porter un short très étudié et à monter sur une bicyclette… C’est ainsi qu’elle ramène dans ses filets un certain Juanito. Ils vont former un beau tandem ! Après Un thé en Amazonie, Daniel Chavarria nous offre un polar cent pour cent cubain où il manie un humour qui n’est pas sans rappeler celui de Donald Westlake.

Mon avis :

C’est au travers de la vie d’une jeune fille Alicia que Daniel Chavarria nous présente la vie à Cuba et la façon qu’ont les jeunes femmes de vivre face à l’ouverture au tourisme de cette île communiste. C’est l’humour omniprésent tout en dérision et en cynisme noir qui fait que l’on s’attache à ce roman dès les premières lignes. Après quelques chapitres sur Alicia, la rencontre avec John King, beau comme Alain Delon, va lancer l’intrigue sur des rails … surprenants.

Car l’histoire ne va jamais dans le sens où on l’espère ou du moins où on peut le penser. Les arnaqueurs sont en concurrence avec des arnaqueurs, tout le monde a au moins deux noms différents. Ce qui fait que l’on se rend vite compte que tout est bon pour arnaquer et récupérer de l’argent au détriment de l’autre. Malgré le fait que ce roman soit court, il s’y passe beaucoup de choses et l’on s’amuse de bout en bout.

Ce roman est finalement une belle démonstration : c’est l’argent et le sexe qui font tourner le monde ! Et il faut se méfier, les victimes ne sont pas forcément celles que l’on croit ! Avec son style alerte et ses remarques acerbes, tournant en ridicule les attitudes de ses personnages, ce roman s’avère un petit joyau de littérature noire et une lecture tout simplement jouissive.

La dernière chose que je dirai, c’est que j’ai eu beaucoup de difficultés à le trouver, puisqu’il est épuisé. Je ne peux que souhaiter de le voir réédité pour que tout le monde puisse le redécouvrir et redonner un peu de justice pour ce roman foncièrement et méchamment drôle.

115 de Benoit Séverac

Editeur : Manufacture de livres

Vincent, mon ami de toujours, avait bien raison de m’inciter à lire Benoit Séverac. J’étais déjà passé à coté de son précédent roman, Le chien arabe, qui vient d’être réédité en format poche chez Pocket sous le titre Trafics, alors je ne pouvais passer à coté de son petit dernier, 115, comme le numéro d’urgence pour les Sans-abris. Impressionnant.

Fin 2015, Hiésoré a traversé la mer adriatique pour arriver en France, avec son fils Adamat. Les passeurs lui ont demandé en échange de trois années de travail, deux pour elle et une pour son fils. Ce qu’ils n’avaient pas précisé, c’est qu’elle devrait se prostituer pour eux. Elle a bien tenté de refuser mais ils sont venus à bout de ses résistances en la tabassant. Elle a gardé un esprit de révolte et réussi à s’enfuir, pour se réfugier dans un abri où elle se croit à l’abri. De toute façon, elle ne craint rien avec son fils.

Nathalie Decrest est responsable de la Brigade Spécialisée de Terrain, et réquisitionnée en ce mois de janvier 2016 pour une descente dans un regroupement de gens du voyage. Afin d’éviter les problèmes, la BAC, les CRS et Sergine Hollard vétérinaire ont été réquisitionnés. Leur descente a pour objectif d’interdire les combats de coqs. L’opération se déroule sans encombre, les équipes de la vétérinaire récupérant un certain nombre de volatiles camés.

Alors que Sergine s’enfonce un peu plus dans le camp, elle voit un container en acier dont la porte est fermée par un cadenas. Elle arrive à ouvrir la porte et voit deux jeunes femmes, visiblement étrangères et un enfant, tous trois en état de choc. Apparemment, ce sont des albanaises. Sergine n’insiste pas quand elle voit les flics emmener les femmes à l’abri. Elle vient sans le savoir de mettre un doigt dans un engrenage infernal.

Voilà une sacrée découverte en ce qui me concerne, car j’ai trouvé beaucoup de qualités dans ce roman, de celles qui laisseront de beaux souvenirs de lecture. A commencer par ces deux personnages féminins aussi marquants qu’ils sont opposés dans leur psychologie et leur façon de mener leur vie. Nathalie Decrest voue sa vie à son boulot, en délaissant sa vie personnelle, ce dont elle se rend parfaitement compte. Elle est dure et froide mais cherche surtout à se blinder face à son quotidien. Sergine Hollard est plus humaine, plus tournée vers les autres. Prise de pitié, par volonté aussi de bien faire, elle va créer un centre vétérinaire gratuit.

Bien que ces deux personnages soient à l’opposé l’une de l’autre, l’auteur montre deux façons différentes d’aborder la vie actuelle, dans une société où il y a de plus en plus de sans-abris et où tout le monde s’en fout. Pour autant, les deux femmes sont concernées, elles ont juste deux façons d’aborder leur ressenti par rapport à ce problème. Et c’est bien parce que leur psychologie est très bien faite que le roman nous place devant nos responsabilités, en nous posant frontalement la question.

Car ce roman aborde beaucoup de sujets épineux, auxquels il est sans doute difficile de trouver une et une seule solution. De la condition des gens qui vivent dans la rue aux maltraitances des femmes, de la prostitution aux malversations de certaines organisations soi-disant humanitaires, Benoit Séverac avance sur un terrain miné en pointant ouvertement le doigt là où ça fait mal. Et c’est aussi grâce à cette originalité dans la façon de mener son intrigue qu’il arrive à accrocher le lecteur et à le questionner sur son humanisme (si souvent enfoui bien profondément dans les limbes de l’oubli). Car en avançant par des chemins détournés, Benoit Séverac donne l’impression de faire progresser son histoire à coups de marteau sur le clou, tapant doucement tout d’abord pour finir rageusement par enfoncer … le clou, justement. Et bien brutalement.

Encore une fois, la Manufacture de livres a trouvé un auteur original mais précieux qui nous livre ici un roman social, tout à la fois noir, brutal, mais aussi humain et terriblement lucide. Je ne peux que vous conseiller de lire ce roman, pas pleurnichard pour un sou, mais bigrement réaliste et totalement important. Un roman humaniste et moral comme je les aime.

Ne ratez pas les avis de l’ami Claude, Velda , Nyctalopes et Psycho-Pat

Lagos Lady de Adenle Leye

Editeur : Métaillié (Grand Format) ; Points (Format poche)

Traducteur : David Fauquemberg

Si ce roman a fait l’objet du cadeau annuel aux abonnés de l’association 813 (Merci 813 !), il fait l’objet de la sélection pour les Balais d’or 2017 de mon ami le Concierge Masqué. D’ailleurs, c’est lui qui me l’avait conseillé l’année dernière. Et comme le résumé de l’éditeur est très bien fait, je vous le mets en guise de résumé :

Quatrième de couverture :

Mauvaise idée de sortir seul quand on est blanc et qu’on ne connaît rien ni personne à Lagos ; Guy Collins l’apprend à ses dépens, juste devant le Ronnie’s, où il découvre avec la foule effarée le corps d’une prostituée aux seins coupés. En bon journaliste, il aime les scoops, mais celui-là risque bien de lui coûter cher : la police l’embarque et le boucle dans une cellule surpeuplée, en attendant de statuer sur son sort.

Le sort, c’est Amaka, une splendide Nigériane, ange gardien des filles de la rue, qui, le prenant pour un reporter de la BBC, lui sauve la mise, à condition qu’il enquête sur cette vague d’assassinats. Entraîné dans une sombre histoire de Juju, la sorcellerie du cru, notre journaliste à la manque se demande ce qu’il est venu faire dans cette galère, tandis qu’Amaka mène la danse en épatante femme d’action au milieu des notables pervers.

Hôtels chics, bars de seconde zone, jungle, bordels, embouteillages et planques en tout genre, Lagos bouillonne nuit et jour dans la frénésie highlife ; les riches font tinter des coupes de champagne sur Victoria Island pendant que les pauvres s’entretuent à l’arme lourde dans les bas quartiers.

Mon avis :

Sachez que ce roman est un premier roman, et à ce titre, je peux vous dire que l’avenir de cet auteur est tout tracé ! Prenant des personnages principaux auxquels on s’attache rapidement, mais laissant planer quelque doute au début du roman, nous allons suivre les tribulations d’un reporter anglais au Nigeria qui va se retrouver embringué dans des affaires criminelles qui vont le dépasser …

Que du classique, me direz-vous ? A la fois oui, à la fois non, ai-je envie de répondre. Les chapitres courts et l’efficacité du style en font un polar fort agréable à lire, voire même passionnant. Il se démarque des polars américains du même genre par le fait qu’il évite ce rythme préfabriqué, ce mélange d’action / pause / action en mettant au premier plan ses personnages.

De personnages, il y a certes Guy Collins, mais il y a surtout Amaka, jeune fille qui se bat pour la justice des femmes de son pays, mais pas de la façon dont vous pourrez l’imaginer (et je vous laisse le découvrir). On y trouvera aussi en alternance de nombreux chapitres mettant en scène les chefs de gangs, mais aussi les flingueurs et autres rabatteurs, dont la présence est surtout là pour montrer la situation catastrophique d’un pays où les femmes se prostituent (toutes ?) pour survivre.

C’est d’ailleurs ce qui ressort de ma lecture. Le fait de centrer son intrigue sur les prostituées en négligeant les autres aspects de la société nigériane, nous donne à croire qu’il n’y a que des prostituées au Nigeria. J’aurais aimé être plongé dans ce pays de façon plus réaliste. D’autre part, le roman est écrit pour moitié à la première personne par Guy et pour moitié à la troisième personne quand il s’agit des gangs de truands. Et ce passage de l’un à l’autre, cette hésitation (?) fait que cela m’a sorti de l’histoire par moments. Bref, j’aime moyennement.

Sinon, c’est un roman qui est très bien mené, bien écrit, qui va vite et qui nous apprend beaucoup de choses. Et la finalité de cette intrigue, même si elle m’a rappelé un autre roman, reste intéressante par le fait qu’elle tire un signal d’alarme. Et puis, rien que pour Amaka, une sacrée battante, ce roman vaut le coup d’être lu !