Archives du mot-clé trafic

Free Queens de Marin Ledun

Editeur : Gallimard – Série Noire

Après avoir disséqué l’industrie du tabac dans l’excellent Leur âme au diable, Marin Ledun s’attaque à celle de la fabrication et de la vente de la bière, en se basant sur le scandale Heineken au Nigéria.

Jasmine Dooyun se fait arrêter à la Porte de Pantin à Paris pour prostitution. Etant mineure, elle risque de se faire expulser dans son pays, le Nigeria. Serena Monnier, journaliste au Monde, parvient à obtenir un entretien avec elle et apprend comment on lui a vendu du rêve, avant de la violenter pour qu’elle fasse le trottoir. Mais Jasmine veut continuer à se battre. Serena décide de poursuivre son enquête au Nigeria et est accueillie par une association féministe, les Free Queens.

Oni Goje occupe un poste de policier chargé de la circulation. Bien qu’il accepte des pots de vin, comme la plupart de ses collègues, il garde en lui une volonté d’intégrité et de justice. Il s’approche d’un attroupement géré par un cordon de policiers. En s’approchant, il découvre le corps de deux jeunes femmes assassinées que l’on a dévêtues. Il est persuadé que la police criminelle ne va rien faire et considérer que ce ne sont que des prostituées. Il décide de mener l’enquête.

Master Brewers, la multinationale qui fabrique de la bière, vient de mettre sur le marché la First. Pour son développement, elle a embauché Peter Dirksen qui va rapidement mettre en place un plan marketing. Les bières devront être présentées par des jeunes femmes peu vêtues, que ce soit dans les bars miteux ou luxueux. La stratégie est claire, « le sexe, le fric et une First » et le slogan devra faire mouche auprès de la population : la First permet d’augmenter les performances sexuelles. Peter Dirksen va donc construire un vaste réseau de prostitution en même temps qu’une campagne de corruption à tous niveaux.

Dans quasiment tous ses livres, Marin Ledun donne à ses œuvres une tonalité sociale qui ne peut qu’attirer l’œil. Son précédent roman sur l’industrie du tabac d’ailleurs a eu un fort écho et celui-ci devrait en avoir tout autant. Il revient sur un scandale qui a éclaboussé Heineken à tel point qu’ils ont dû justifier leur rôle dans le massacre des Tutsis au Rwanda, fait dont l’auteur ne parle pas ici.

Il préfère se concentrer sur le Nigéria et la façon dont les dirigeants hollandais ont décidé de déployer leur commerce en laissant les mains libres à un homme qui a vite compris que la loi et la morale devait être mise de coté. Bien que je n’aie pas été au courant de cette affaire en lisant le livre, les articles que j’ai lus depuis m’ont effaré. Car Peter Dirksen a vite choisi son camp pour remplir ses objectifs.

Marin Ledun choisit plusieurs points de vue, plusieurs personnages et le paysage qui en ressort fait froid dans le dos. Il faut se rappeler que tout se passe de nos jours, que l’on permet par l’intermédiaire de pots-de-vin d’exercer des commerces de prostitution pour améliorer les ventes de bière. Marin Ledun démontre très bien l’implication de la police, et on pouvait s’y attendre, mais aussi les hommes politiques jusqu’au plus haut niveau de l’état en passant par de grandes entreprises continentales comme Total mais aussi le PSG.

Contrairement à Leur âme au diable, Marin Ledun préfère dérouler un aspect narratif proche du polar, avec comme fil rouge la résolution du meurtre des deux jeunes filles, et s’attarde moins sur les aspects marketing. Et c’est probablement parce que cette affaire nous touche de moins près que le tabac et les cigarettes que des millions de personnes fument tous les jours.

Il n’empêche que devant toutes les horreurs décrites, ce que l’on pourrait trouver « normal, parce que ça se passe en Afrique » nous touche en plein cœur quand on a ne serait-ce qu’une once d’humanité dans le sang. Les combats des ONG pour le respect des droits des femmes ressemblent à la lutte du pot de terre contre le pot de fer. Alors, que faire ? En parler, c’est ce que fait de grande façon cet excellent polar riche et documenté.

Publicité

Shit ! de Jacky Schwartzmann

Editeur : Seuil – Cadre Noir

Chaque roman de Jacky Schwartzmann est un pur plaisir de jouissance, par sa faculté à regarder un pan de notre société par le petit bout de la lorgnette, et toujours avec un humour légèrement cynique. J’adore !

Thibault Morel occupe un poste de CPE dans le collège du quartier de Planoise, dans la banlieue de Besançon. Il loge dans une cité et sa cage d’escalier sert de four au trafic de drogue au clan albanais Mehmeti. Cela ne le gêne pas plus que ça, si ce n’est qu’il doit montrer à Reda une quittance de loyer de moins de trois mois pour rentrer chez luitous les soirs. Et dès qu’il dit un mot, il a droit à une baffe sur l’oreille.

Une nuit, il entend un échange de coups de feu digne des meilleurs westerns. Le lendemain, il apprend que les frères Mehmeti se sont fait rectifier. Poussé par sa curiosité naturelle, il coupe les scellés sur l’appartement d’en face et découvre la réserve de pains de shit cachés derrière la baignoire montée sur vérins, ainsi que des jolis paquets de fric.

Sa voisine Madame Ramla le surprend en pleine visite et ils empruntent quelques liasses de billets. Thibault pourra aider quelques familles à payer un voyage scolaire en Espagne. Mais les deux compères savent bien qu’ils ne peuvent laisser cette fortune dormir sinon un autre clan va venir s’installer. A l’aide d’une connaissance de Madame Ramla, ils vont réembaucher Reda et remettre en route le four, ce qui leur permettra d’aider des familles dans le besoin ; une sorte de deuxième activité à hauts risques.

Comme à son habitude, Jacky Schwartzmann nous décrit des gens dont on n’entend jamais parler, et il déploie tout son talent pour rendre son intrigue bigrement réaliste et transformer un simple CPE en Robin des bois moderne. Il fait montre de son habituel humour cynique qui nous tire au minimum un sourire, et souvent des éclats de rire, dans une situation qui, il faut bien le dire, s’avère dramatique, quand on prend un peu de recul.

Basé sur un début d’intrigue proche de La Daronne de Hannelore Cayre, Jacky Schwartzmann va nous concocter une intrigue bigrement réaliste et farfelue dont le but est bien de montrer comment les gens vivent. Et avec son regard lucide, il ne se gêne pas pour envoyer des piques à tous les corps de métier et tout le monde en prend pour son grade, de l’éducation nationale aux révoltés, en passant par la police ou les racistes de tous poils… et j’en passe.

Et cela aboutit à une lecture jouissive, car il nous montre des facettes et des gens qu’on n’a pas l’habitude de côtoyer ou qu’on n’a pas envie de voir. Evidemment, le roman est amoral et cela reste un roman noir, mais pas uniquement. Il y a derrière cette intrigue tout un aspect social et politique que tout le monde devrait lire car, avec son humour, il pose des questions, et se poser des questions, c’est devenir plus intelligent. Remarquable ! Le pied intégral !

D’ailleurs, ce roman me fait penser à une réflexion de haut vol signée par les Shadocks : « A tout problème, il y a une solution. S’il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème. ». Encore faut-il vouloir trouver une solution …

Shit ! c’est le pied !

Rétiaire (s) de DOA

Editeur : Gallimard – Série Noire

Sorti en tout début d’année, ce roman que j’attendais avec grande impatience a enfin vu le jour. Initialement prévu pour être une série télévisée (pour France Télévisions pour ne pas les nommer), il en reprend les personnages et la trame mais il s’agit bien d’un roman, en forme de déflagration, tant ça décoiffe !

Alors que sa femme et sa fille ont été tuées par des trafiquants de drogue, Théo Lasbleiz de la brigade des stupéfiants se rend armé au sous-sol du 36 du rue du Bastion. Il se précipite sur Nourredine Hadjaj, l’interpelle, dégaine son arme et lui tire une balle dans la tête. Amélie Vasseur, bras droit de Théo n’a pas récupéré sa place, mais elle va leur montrer ce qu’une femme peut faire.

Lors de son élection à la tête de la Bolivie, Juan Evo Morales Ayma a supprimé le titre de république avant de faciliter la production et le commerce de la coca dont il est un cultivateur. Augmentant les surfaces cultivables, il autorise aussi le Pérou à transiter sa marchandise par son pays. La communauté croate a vite profité de cette plateforme et Ibro Kuzmic, petit fils des premiers immigrants veut élargir son panel de clients en Europe via l’Argentine, en envoyant fin 2020 plusieurs tonnes de cocaïne.

Léonard Serdachuk a commencé à franciser son nom quand il a immigré d’Ukraine, avant de monter une affaire de ferrailleur. Momo son petit fils a hérité du courage et de l’intelligence de son grand-père et développé son empire dans des domaines moins légaux, en particulier de shit. Pour avoir été surpris en revenant de la Costa Del Sol alors qu’il avait interdiction de quitter le territoire, il s’est fait arrêter. Il se retrouve voisin de Théo.

Ce maigre résumé peut paraitre bien pauvre par rapport à tout ce que nous raconte DOA dans les cinquante premières pages de son roman. Dès le départ, on se retrouve dans une histoire complexe avec de nombreux personnages, divers itinéraires et tout l’historique des différentes parties qui vont prendre part à ces intrigues.

Contrairement à beaucoup de ses confrères, DOA commence son roman comme un feu d’artifice, nous détaillant le contexte comme on le ferait d’un reportage. Il n’est pas étonnant d’ailleurs de lire en fin de roman la genèse de ce livre, d’abord conçu comme une série pour finir par 420 pages jubilatoires. Jamais je n’aurais lu un roman aussi proche de la réalité, avec une volonté de dire les choses comme elles sont, aussi proche qu’un The Wire.

Jamais DOA ne se montre pédant, il applique son style, parfaitement clair et descriptif, passant à des phrases hachées pour mieux rendre l’ambiance, le stress ; jamais démonstratif quand il aborde la psychologie des personnages. La lecture en devient passionnante mais surtout jouissive avec des scènes extraordinaires, impressionnantes, inoubliables.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne s’agit pas de course-poursuite, ni d’un jeu d’échecs, mais plutôt d’un jeu de cache-cache où chacun avance ses pions sans se montrer vis-à-vis des autres. La construction basée sur des spirales entrelacées et la force des personnages féminins apportent un intérêt supplémentaire, surtout quand il détaille sans vraiment les dévoiler les stratégies pour la conquête du pouvoir et de l’argent.

C’est grand, c’est fort, c’est violent, et c’est inlâchable. De la trajectoire (inattendue pour certains, il faut bien le dire) des protagonistes, DOA nous montre aussi le gigantisme de la pieuvre, de ces organisations du trafic de drogue qui sont tellement implantées partout et à tous niveaux qu’elles sont impossibles à combattre. Avec Rétiaire (s) (et quel titre !), DOA nous offre ici un des meilleurs livres de 2023 ; et l’année ne fait que commencer !

Sur un arbre perché de Gérard Saryan

Editeur : Taurnada

Cette année 2023 va décidément se positionner sous le signe de la découverte. Sur un arbre perché n’est pas le premier roman de l’auteur mais son deuxième après Prison Bank Water. Une bien belle découverte en ce qui me concerne.

Guillaume a refait sa vie avec Alice après un divorce sans anicroches. Il veut profiter d’avoir la garde de ses deux enfants Barbara et Dimitri pour s’offrir un week-end à Paris. Guillaume étant sur Paris, Alice embarque donc les deux enfants dans le TGV. Elle connait sa première frayeur quand Barbara disparait de sa place soi-disant parce que son voisin ronfle. Son statut de femme enceinte l’a transformé en mère poule attentive à ses beaux-enfants.

Dans la gare de Lyon, à Paris, le foule se dirige vers la sortie à peine le TGV arrivé à quai. Des musiciens jouent sur le piano et Alice reste avec les enfants qui le suivent. Au bout d’un moment, elle s’aperçoit que le petit Dimitri ne la suit plus. Elle est prise de panique, cherche du regard, l’appelle, court dans tous les sens. Elle appelle Guillaume au téléphone qui vient d’arriver ; elle l’aperçoit de l’autre côté de la rue et traverse en courant quand un camion la renverse.

Elle se réveille à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière, fourbue de douleurs. Guillaume est près d’elle n’osant lui avouer la vérité. Elle finit par comprendre qu’elle vient de perdre son bébé et que Dimitri a disparu, probablement enlevé. Aux informations, des messages font état d’enfants kidnappés dans les gares. Au-delà de son état de culpabilité, elle décide de chercher Dimitri et de retourner sur les lieux.

Ce roman se révèle une excellente surprise, autant pour son scénario que par l’écriture fluide et bigrement agréable. Grâce à ses chapitres courts, on ressent une réelle urgence, une rapidité et une tension monter en suivant les pérégrinations d’Alice. Ayant une psychologie de battante, ne s’avouant jamais vaincue, elle va vivre des aventures incroyables, menées à un rythme élevé.

Le scénario est particulièrement impressionnant, et complexe à souhait. Des souterrains de la gare de Lyon en passant par Saint Denis et les camps de nomades, de l’Albanie à la Suisse, Alice va découvrir des réseaux qu’elle n’aurait jamais imaginés. Bien qu’aveuglée par sa culpabilité, elle va creuser quitte à mettre sa santé en danger. J’ai juste regretté le passage en Albanie où des coïncidences vont la mettre sur le bon chemin trop facilement et le nombre de fois où l’auteur maltraite son héroïne. .

Par contre, quand on croit en avoir fini avec cette histoire, la dernière partie rebat les cartes et on s’aperçoit qu’une machination que l’on n’aurait pas imaginé est à l’œuvre. Du coup, on repense aux éléments parsemés dans le livre, et à cette conclusion menée de main de maitre. Pour un deuxième roman, ce roman passionnant impressionne et je ne peux que vous conseiller sa lecture.

Un coup dans les urnes de Julien Hervieux

Editeur : Alibi

Le précédent roman, Sur les quais, nous présentait Sam et Malik et leur façon de monter leur trafic de drogue de façon moderne, comme une vraie entreprise. Un coup dans les urnes poursuit donc l’histoire …

Sam Ramiro, ancien directeur marketing, a vite compris qu’il pouvait appliquer les règles du marketing au trafic de drogue. Avec son comparse Malik Rojas, il a monté un commerce de cocaïne Haut-de-Gamme à destination de la jet set parisienne, qu’ils ont nommée Cut It Yourself. A Sam le montage financier, à Malik la logistique. Pour couvrir cette activité, Malik dirige en parallèle la revente de shit dans la cité des Deux-Chênes.

Pour faire bonne mesure et s’acheter une tranquillité, ils ont passé un accord avec le capitaine Blanchard en lui servant un plateau des saisies et parfois de petits dealers … enfin, ceux qui commencent à être dangereux pour Malik. Officiellement, Sam gère sa société de marketing et Malik une galerie d’art où il vend des graffitis, ce qui fait vivre la cité et permet de blanchir les quantités colossales d’argent sale générées par la cocaïne.

Les élections municipales approchant, Madelon, sombre directeur de cabinet au ministère de l’intérieur, prend contact avec Sam. Il a mis des équipes pour mettre à jour le trafic des deux comparses et leur demande de l’aider à se faire élire maire à la place de Mme Grégeois grâce aux voix des habitants de la cité des Deux-Chênes. Les deux amis se retrouvent face à un chantage qui n’en porte pas le nom.

Moi qui n’ait pas lu Sur les quais, je n’ai ressenti aucune gêne dans ma lecture. Je dirais même que c’est intelligemment écrit pour présenter la situation sans en avoir l’air. En un chapitre, on a tout compris grâce à une scène intelligemment construite et des dialogues bigrement intelligents. Tout ceci nous permet de plonger directement, dès le deuxième chapitre, dans le cœur de l’intrigue.

Le sujet du roman se situe au niveau de la politique locale, des luttes intestines pour obtenir les clés d’une municipalité. Mais, rassurez-vous, tout cela est construit et mené comme un polar, avec juste ce qu’il faut de rebondissements et de solutions imaginatives, aidés en cela par un parfait équilibre entre la narration et les dialogues. Cela en devient juste savoureux, on se délecte des aventures de nos deux comparses et des solutions qu’ils trouvent pour s’en sortir.

Le livre est à la a fois rythmé par les étapes menant aux élections, premier et second tour, et par des chapitres venant en alternance et nous présentant les pensées de Sam ou Malik, ce qui permet de voir leur amusement devant ce qu’il faut bien appeler un gigantesque bordel orchestré pour en faire bénéficier quelques uns. La morale de l’histoire devient dès lors très simple : dès que vous obtenez le pouvoir, vous avez tous les droits … mais quelle lutte acharnée il faut mener au préalable !

Accompagné de quelques anecdotes, ou de précisions sur le règlement des lois régissant les municipalités, l’auteur en profite en grossissant le trait (parfois) pour laisser Sam et Malik s’en amuser et se moquer de ce qu’on appelle « la démocratie ». Alors, si je ne peux que conseiller ce roman qui m’a beaucoup amusé (parce que je suis un cynique de base), je ne suis pas sûr (du tout) qu’il donne envie à ses lecteurs d’aller voter. Et finalement, cela me donne furieusement envie d’aller lire les autres écrits de Julien Hervieux ! Excellent !

Mortels trafics / Overdose de Pierre Pouchairet

Editeur : Fayard / Livre de Poche

Prix du quai des Orfèvres 2017, ce roman a été adapté par Olivier Marchal sous le titre Overdose et réédité à cette occasion au Livre de Poche. Nous faisons donc connaissance avec Léanne Vallauri.

La base militaire anglaise du détroit de Gibraltar est en émoi : un Zodiac navigue dans leur direction. Par peur d’un attentat, la caserne se mobilise, avant de s’apercevoir que le bateau se dirige vers la plage toute proche. Ahuris, les militaires assistent à distance, à travers leur paire de jumelles au débarquement de nombreux paquets de drogue sur la plage réservée aux touristes.

A l’hôpital Necker de Paris, la brigade criminelle est appelée d’urgence. Deux enfants ont été assassinés et on a peint sur les murs « Allahu Akbar » avec le sang des victimes. Le commandant Patrick Girard va être chargé de cette affaire, pour savoir s’il y a un lien avec les réseaux extrémistes. Quand ils vont rendre visite à la mère d’un des jeunes enfants qui loge chez un cousin, ils s’aperçoivent qu’elle a disparu.

La brigade des stupéfiants de Nice s’apprête à arrêter un réseau de trafiquants de drogue, dès qu’ils passeront la douane. Un de leurs indics les a prévenus que des BMW vont faire le trajet de Marbella à la France comme de simples touristes … finis les Go-Fast. Avec l’aide des autorités espagnoles, la commandante Léanne Vallauri va suivre la progression des véhicules jusqu’à ce qu’un accident sur l’autoroute ne chamboule leur plan.

Comme tous les lauréats du Prix du Quai des orfèvres, ce roman offre une bonne intrigue et nous montre tous les rouages du système policier en respectant les relations entre la police et la justice et ici, particulièrement, les relations entre les différents services. Contrairement à d’autres romans, on ne va pas assister à une guerre entre services mais bien à une collaboration entre la police judiciaire et la brigade des stupéfiants.

J’ai particulièrement apprécié les personnages et la façon dont Pierre Pouchairet les a créés, avec Léanne que l’on retrouvera ensuite dans la série des Trois Brestoises et Patrick Girard. Malgré le grand nombre de personnages, on ne se retrouve jamais perdu et on alterne entre les différents lieux avec une aisance remarquable, aidés en cela par un style fluide et une construction maitrisée.

Et dès le début du roman, on se sent pris par le rythme de l’action. Malgré le fait que l’on parle d’un « Go-Slow », on ressent une célérité, une vitesse, un rythme qui nous empêche de lâcher ce roman. Du transfert de la drogue à l’enquête sur les meurtres d’enfants, les pièces du puzzle vont se mettre en place avec en filigrane une certaine urgence à boucler les dossiers pour cause de réduction de budget. Pierre Pouchairet nous offre avec Mortels Trafics (ou Overdose) un polar agréable, costaud, bien fait.

Dans les règles de l’art de Makis Malafékas

Editeur : Asphalte

Traducteur : Nicolas Pallier

Cela faisait un petit bout de temps que je ne m’étais pas penché du côté de chez Asphalte. Il a suffi que mon dealer de livres attire mon attention sur ce premier roman pour que je plonge aussitôt. Accrochez-vous, ça va vite.

Ecrivain grec vivant à Paris, Mikhalis Krokos profite du lancement de son dernier roman consacré un musicien de jazz John Coltrane pour revenir à Athènes. Tout est prévu pour que le livre soit annoncé en grandes pompes lors de la Documenta, la grande exposition d’art contemporain, qui est pour la première fois décentralisée en Grèce.

Il retrouve Christina, sa grande amie, qui lui demande un service. Lors d’une soirée orgiaque, leur ami Harry a demandé à ses invités de dessiner sur un tableau pour créer une œuvre nouvelle. Alors qu’elle avait abusée d’alcool et de drogues, elle a fait un pari de dérober le tableau, ce qu’elle a fait. Mais, pleine de remords, elle voudrait le rendre à Harry et ne sait pas comment le faire.

Le lendemain matin, malheureusement, Christina se rend compte que quelqu’un a pénétré chez elle et a dérobé le tableau. Krokos, par gentillesse, accepte de rendre visite à son ami Harry dans sa luxueuse villa d’Hydra pour savoir s’il est l’auteur du vol ou s’il tient vraiment à récupérer cette peinture sans aucun intérêt. Krokos vient de mettre un doigt dans un engrenage qui va le dépasser.

Ce roman comporte tous les ingrédients d’un polar pour me plaire. On se retrouve avec un personnage principal jeté en pâture dans une affaire qui au départ peut paraitre simple et qui va se compliquer au fur et à mesure. On apprécie le style simple et rythmé ainsi que les événements qui s’enchainent et qui créent un tourbillon qui nous entraine dans sa course folle. Bref, c’est du pur plaisir.

J’ai été surpris de la facilité de l’auteur à nous faire vivre l’ambiance chaude (cela se passe en été) d’Athènes, à nous décrire la ville et à nous présenter le festival, les coulisses, les antis qui montent leur propre contre festival. Et on a droit aussi à des fêtes, toutes plus orgiaques les unes que les autres, avec drogues, alcools et sexe à gogo, ce qui entre en opposition avec l’état de délabrement du pays.

Et c’est ce chemin là que Makis Malafékas nous propose d’emprunter avec le trafic d’œuvres d’art, élargissant même son propos au niveau international, dans lequel il ne se gêne pas pour montrer une Grèce plus victime que proactive sur ce terrain. Je ne sais pas si ce qu’il raconte à des bases réelles, le fait est que j’ai passé un bon moment avec ce roman et que je le recommande chaudement (je vous rappelle que cela se passe à Athènes en été !). Et puis, un auteur qui cite Richard Brautigan est forcément à suivre !

L’or vert du Sangha de Pierre Pouchairet

Editeur : Alibi (Ex-Filatures)

Et si avec L’or vert du Sangha, Pierre Pouchairet avait été son grand roman. Je ne lui souhaite pas car j’espère lire encore beaucoup de romans de cet auteur prolifique de ce niveau là. Pour ce faire, il a créé un pays africain de toutes pièces et nous dresse un état actuel des pays de l’Afrique noire.

Le Sangha est un pays d’Afrique centrale bordé par l’Océan atlantique. Il est richement doté de ressources naturelles, telles que le pétrole, le gaz, les minerais ou les bois précieux. Bien qu’il soit considéré comme une démocratie, le pays se prépare aux élections qui vont opposer le président sortant Honoré-Martin Atangana, qui en est déjà à son sixième mandat à une ancienne star du football Luc Otsiemi.

Luc Otsiemi s’est fait prendre la main dans le sac de cocaïne par la Police Judiciaire. Alors qu’il s’attendait à faire de la prison, on lui propose de jouer le rôle du challenger dans les élections du Sangha. On lui octroie pour l’occasion un chef de campagne, Jacques Lavergne, rompu à ce genre d’événements. Depuis, avec son slogan promettant le pouvoir au peuple et l’arrêt de la corruption, sa côte monte en flèche.

Claire Dorval se voit proposer un reportage pour suivre les élections présidentielles par son patron Jean-Michel Mebareck. Arrivée à l’aéroport de Bénoué, elle est « fraichement » accueillie par les officiers des douanes avant de retrouver son chauffeur Abou. Après sa rencontre avec Otsiemi, elle décide de revenir an France pour enquêter sur sa jeunesse. Mais elle doit bien vite retourner au Sangha quand on retrouve le corps dévoré par des crocodiles de Jean-Pierre Mounier, un collègue journaliste.

Il ne faut pas avoir peur devant les 440 pages de ce pavé, surtout quand on y voit la police de caractère de petite taille. Car dès les premières pages, on sait que l’on a devant les yeux un polar costaud, un polar d’aventure, un polar politique, un polar engagé. Et nous retrouvons après une centaine de pages les deux personnages principaux de ce roman, Claire Dorval et le commissaire Kuate, en charge du meurtre de Jean-Pierre Mounier.

Evidemment, les deux enquêtes vont se dérouler en parallèle, et les deux personnages se rencontrer pour mettre en commun leurs informations. Et si les chapitres ne sont pas courts (comme dans un thriller), on sent bien que Pierre Pouchairet a pris son sujet à bars le corps et y a insufflé sa passion pour des pays qui se font exploiter par toutes les grandes puissances du monde.

D’ailleurs, on ne s’y trompe pas, on y verra la présence des chinois, des russes, des turcs sans compter les corses et les italiens, tout cela pour y exercer des trafics en tous genres tels que la drogue ou le bois, du bois rare de plusieurs centaines d’années, dont la coupe et le commerce est soi-disant réglementé. Et on peut passer d’un personnage à l’autre, d’un pays à l’autre, que l’on se rassure : Pierre Pouchairet est un conteur hors-pair, capable de nous emmener au bout du monde.

Plus que costaud, je qualifierai ce roman de génial tant j’y ai trouvé tout ce que j’attends d’un polar politique. Les situations sont réalistes, les personnages plus vrais que nature dans leurs réactions, les dialogues formidables, et la tension croissante jusqu’à une scène (presque finale) dans le port décoiffante. Et ne croyez pas que ce roman se terminera à l’eau de rose, le Sangha, comme tous les pays d’Afrique, est sans pitié où chacun essaie de rattraper un peu de la manne financière qui lui passe sous le nez.

Forcément, on prend énormément de plaisir à parcourir ces pages, on espère, on a peur, on est enchanté par la façon dont les scènes s’enchainent, et surtout, on a la rage au ventre de voir ces populations exploitées, spoliées, décimées. On a envie de hurler devant le massacre des forêts africaines dont on ne parle jamais (la forêt amazonienne est plus à la mode), de dire STOP !

L’aigle noir de Jacques Saussey

Editeur : Fleuve Noir

Il ne doit me rester qu’un ou deux romans de Jacques Saussey, dont les plus célèbres sont le cycle consacré à Daniel Magne et Lisa Heslin. Il s’agit d’un changement d’éditeur pour cet auteur aux intrigues foisonnantes avec ce roman orphelin, qui nous convie à un voyage à la Réunion.

2016, Ghana. La jeune femme s’est endormie en bord de plage alors qu’un homme l’observe. Irrésistiblement attiré par elle, il s’approche. Quand elle se réveille, il est au dessus d’elle et prend peur. Sans hésiter, avec sa machette, il lui tranche la tête et s’enfuit dans la forêt en entrainant sa fille qui jouait à coté.

2020, Toulon. Hubert Bourdenais, directeur de la société chargée du traitement des déchets ménagers, accueille chez lui Paul Kessler, qu’il utilise pour régler de menus trafics orchestrés par ses ouvriers. Bourdenais sait que Paul a perdu son fils et que cette perte l’a fait démissionner de la police. Il lui propose une enquête en sous-main, inofficielle, celle de connaitre les causes de la mort en hélicoptère de son propre fils, Pierre Bourdenais. Le rapport légiste a conclu à un accident alors qu’il était un as du pilotage.

2020, Ecole Jacques Brel, La Réunion. Jean-Denis Pavadé, nouvellement nommé professeur des écoles, surveille les enfants dans la cour de récréation. Il voit la petite Louna dans un coin, en train de dessiner. Quand il lui demande de regarder ses œuvres, elle s’enfuit. Il est surpris de voir des croquis de monstres sur chaque page. Chloé la psychologue scolaire essaie de faire dire à l’enfant la raison de ces dessins, mais elle reste mutique. Chloé et Jean-Denis font part de leurs soupçons à la directrice de l’école.

Dès le départ de ce roman, l’auteur nous présente une multitude de personnages, pas loin d’une dizaine, dans des lieux et des contextes différents. Et chaque personnage va amener son lot de mystères, d’énigmes à résoudre, ce qui va forcément aiguiser l’esprit du lecteur de roman policier ou de thriller. Heureusement, Paul Kessler va faire le lien en progressant petit à petit dans sa propre enquête.

On louera donc la construction qui, si elle peut s’avérer complexe de prime abord, va ressembler à une toile d’araignée que nous allons parcourir en commençant par les fils extérieurs. Et Jacques Saussey sait comment nous tenir en haleine, comment mener une intrigue, nous passionner par dialogues remarquablement efficace, et utiliser les codes du thriller quand il le faut avec des chapitres courts.

Contrairement à beaucoup de ses confrères, Jacques Saussey ne prend pas son lectorat pour des imbéciles : j’en prends pour exemple les mentions des dates et des lieux en tête de chapitre qui ne sont présents que quand on en a besoin. De même, il a conçu son intrigue avec beaucoup de pistes à suivre, des trafics en tout genre, et l’itinéraire de Sobgwe sur quatre années sans jamais perdre l’intérêt du lecteur.

Enfin, on y trouve une description des deux facettes de la Réunion (sans que l’auteur n’y ait mis les pieds, il l’avoue en fin de roman), l’une faite de belles maisons pour les riches, l’autre plus misérable avec tout ce que cela comporte comme horreurs (même s’il reste très évasif et non démonstratif dans le glauque). L’aigle Noir est donc un thriller de très bonne facture de la part d’un auteur au savoir-faire incontestable, trop injustement méconnu à mon goût.

Et dire qu’il y a encore des cons qui croient que la Terre est ronde ! de Maurice Gouiran

Editeur : Jigal

Je ne sais pas pour vous, mais avec un titre pareil, avec une telle couverture, on ne peut résister à ce nouveau roman de Maurice Gouiran, qui remet en selle Clovis Narigou son personnage récurrent et la capitaine Emma Govgaline, son amante.

Vendredi 4 décembre. Le marché de santons bat son plein sur le port de Marseille. Quasiment personne ne s’aperçoit que Claudette Espatouffier s’est écroulée sur son stand avant de découvrir son chemisier rougir. Puis, un homme parmi les clients tombe, avant qu’un deuxième ne fasse de même. La panique atteint la foule qui fuit de tous coté, ne sachant pas d’où proviennent les tirs. Dans la débandade, deux autres victimes passent de vie à trépas.

Depuis un mois, des paquets fort bien emballés s’échouent sur les plages environnantes de Marseille. Pour donner un coup de main à l’Office central de répression du trafic de stupéfiants, Atallah, Esposito et Urbalacone du commissariat de Marseille leur donnent un coup de main, sur ordre du commissaire Arnal. Avec le massacre qui vient d’avoir lieu, ils vont réintégrer leur poste.

En 2001, Clovis voyageait vers Kaboul pour réaliser un reportage sur les mensonges qui ont suivi la chute des tours du World Trade Center et avait découvert à cette occasion l’émergence de groupes de personnes érigeant une méfiance envers les informations données par les médias. Avec l’avènement des réseaux sociaux, cette tendance s’est accélérée et Norbert F., du magazine Histoire du présent, lui demande une pige ce drame des tours.

Comme à son habitude, Maurice Gouiran nous offre un roman policier dans la plus pure tradition, et nous propose de revenir sur certains événements de notre histoire contemporaine, avant de creuser un aspect moderne, celui des complotistes et autres révisionnistes. Et comme d’habitude, c’est à la fois instructif et passionnant, surtout quand ces idioties ne visent qu’à une chose : l’avènement du Quatrième Reich.

Pour autant, l’enquête sur les complotistes, le trafic de drogue et le massacre sur le port de Marseille n’ont que peu de points communs, et on ne pourra qu’apprécier l’habileté de Maurice Gouiran à nous fournir une intrigue remarquablement ficelée qui va faire monter la mayonnaise et lier tous ces ingrédients. La seule chose que l’on peut regretter, c’est que le polar soit moins drôle que son titre.

Donc une fois encore, Maurice Gouiran arrive à nous passionner, nous tenir en haleine pendant plus de 250 pages. Je tiens juste à signaler que Clovis semblait désemparé devant la bêtise du monde ; ici, on le retrouve en pleine forme, avec toute sa verve, toute sa hargne et sa volonté de résoudre ces affaires … pour les beaux yeux d’Emma bien sûr … et pas que ses yeux, d’ailleurs. Bref, je préfère le voir en pleine action, et ne baissant jamais la tête devant l’adversité.