Le chouchou du mois de février 2018

Revoilà déjà le temps d’élire le chouchou du mois. Et c’est un choix bien difficile pour ce mois-ci, tant les lectures proposées en ce mois glacial de février furent de vrais morceaux de pur plaisir. C’est aussi un mois 100% français (ce qui est un hasard) qui montre que cette année, les éditeurs ont démarré l’année le pied au plancher pour nous proposer d’excellents polars issus du cru.

La seule exception parmi ces romans hexagonaux aura été un roman noir pour ma rubrique Oldies : Rue barbare de David Goodis (Rivages). C’est une redécouverte pour moi, trente ans plus tard. Je n’étais pas fan avant, j’ai été impressionné par l’ambiance noire et déprimée de Ruxton Street et de cet homme qui veut sauver les autres à défaut de se sauver lui-même. Un classique du Noir à ne pas rater.

La seule découverte de ce mois-ci sera à mettre à l’honneur de Les écorchés vifs d’Olivier Vanderbecq (Fleur Sauvage). Premier roman plein de passion, de fureur et de sang, ce pur roman d’action est bourré de qualités et d’ambition. Olivier Vanderbecq se dévoile dans le genre roman d’action, et ses Écorchés vifs sont un hommage aux incontournables du genre. Personnellement, je le range juste à côté des romans de JOB qui signe la préface de ce roman.

Après avoir lu Toxique, je savais que j’allais rapidement lire la suite : Fantazmë de Niko Tackian (Calmann Levy). Si le roman est plus centré sur le personnage de Tomar Kahn, il s’avère un bel hommage envers le cinéma populaire des années 80 et en particulier de Dirty Harry. Cette deuxième enquête confirme que cette série est à suivre de près.

Les trois romans suivants sont écrits par des auteurs que je suis et pour lesquels j’avoue avoir beaucoup de sympathie, d’amour, littérairement parlant, bien sur. Marche ou greffe ! d’Olivier Kourilski (Glyphe éditions) est un polar dont la forme est originale et passionnant dans le fond. C’est aussi la construction et la psychologie du personnage principal qui le rend passionnant et impossible à lâcher dès qu’on a lu la première page. Une grande réussite.

Malgré le fait que Dominique Sylvain soit une auteure connue et reconnue, Les infidèles de Dominique Sylvain (Viviane Hamy) a réussi une nouvelle fois à me surprendre. Avec une galerie de personnages hauts en couleurs, Dominique nous met mal à l’aise et nous plonge dans un milieu de menteurs professionnels. Super, vraiment super !

Et puis, je ne pouvais pas ne pas parler du dernier roman en date de Jean-Bernard Pouy. Moi qui ai lu tous ses premiers romans (des années 80 et 90), j’ai adoré retrouver ce style si particulier tout en dérision et jeux de mots. Plongeant dans une actualité brûlante, il nous présente un personnage plongé dans une machination qui fait de ce roman un très bon polar. Ma ZAD de Jean Bernard Pouy (Gallimard-Série Noire) est un roman à lire, bien sur !

Le titre (honorifique) de chouchou du mois revient donc à Xangô de Gildas Girodeau (Au-delà du raisonnable) car après Antonia, ce roman propose à nouveau un formidable portrait de femme, en jouant sur tous les genres et tous les codes pour nous proposer une enquête remarquablement écrite. Gildas Girodeau est décidément un auteur à ne pas rater et les éditions Au-delà du raisonnable une petite maison qui sait découvrir et mettre en avant de nouveaux talents.

J’espère que ce bilan vous aura aidé dans vos choix de lecture. Je vous donne rendez vous le mois prochain pour un nouveau titre de chouchou. En attendant, n’oubliez pas le principal, lisez !

Les écorchés vifs d’Olivier Vanderbecq

Editeur : Fleur Sauvage

J’ai connu Olivier Vanderbecq, virtuellement, dans une autre vie. Il avait ouvert une petite librairie à Lille, Humeurs Noires. Je lui avais même proposé mes coups de cœur pour son site et j’avais visité sa librairie. Malheureusement, il n’était pas là. Je n’allais pas rater le deuxième rendez vous, littéraire, celui là, à savoir son premier roman, Les écorchés vifs. Ce roman était sorti en 2014 chez Amalthée, le voici dans une nouvelle mouture, avec une couverture jaune et trois clous plantés. On peut donc s’attendre à ce que ça cogne fort. Et ça cogne TRÈS fort.

Damien Glob est un enquêteur doué, passionné par son métier. Il a des statistiques à faire pâlir les meilleurs. Il a d’ailleurs fait des miracles lors de son affectation à Nantes. Quand il a voulu changer d’air, voir plus grand, il a débarqué à Lille, dans le service d’un commissaire qui ne fait rien d’autre de ses journées que de faire reluire ses chiffres. Damien se retrouve obligé de consigner le moindre de ses gestes, d’avoir l’aval pour la moindre de ses décisions. Mais il n’est pas comme ça. Il parvient d’ailleurs à identifier un tueur, un conseiller bancaire, pendant ses congés. Il lui met tellement la pression que le conseiller bancaire se suicide. Mais d’où lui vient cette volonté d’aller au bout des choses et de se mettre sans arrêt en danger ?

Pierre (on apprendra son prénom plus tard dans le livre) doit assurer une livraison dans une voiture de luxe. L’avantage de l’Europe, c’est qu’il n’y a plus de frontières. De retour de Belgique, il fait une pause à Lille pour dîner dans un restaurant de luxe. En sortant, des jeunes gens sont en train de lui voler sa voiture. D’une façon tout à fait cordiale, il leur propose de l’argent, quand leur chef débarque avec une jeune fille, Alicia. Pierre propose encore plus d’argent pour la voiture et Alicia. La négociation va se terminer dans une course poursuite d’enfer.

Damien et Pierre vont emprunter deux chemins différents. Leur route va se percuter dans un petit village perdu dans les Alpes.

Voilà l’exemple type de roman qui me conforte dans la volonté de lire des premiers romans (et je l’ai déjà dit maintes et maintes fois, mais je revendique le fait de radoter). Car au-delà des quelques défauts que l’on peut y trouver, il y a une passion, une envie de bien faire, de convaincre le lecteur, de l’embarquer dans son monde. Les écorchés vifs entre totalement dans cette catégorie des romans marquants qui donnent envie de lire la suite. Non pas parce qu’il est trop court, mais bien parce que cette histoire est convaincante, aussi bien dans la forme que dans le fond. Comme le dit Maître Yoda : « Oh oui, tu auras peur ! ».

Ce roman n’est pas un roman d’horreur ; il ne faut pas prendre au pied de la lettre tout ce que je dis. Mais c’est un roman tout en célérité, un vrai bon roman d’action, avec des scènes incroyablement visuelles. On pourrait presque baisser la tête par moments, pour éviter de se prendre une balle. C’est indéniablement le gros point fort de ce roman, l’alternance de rythme parfaitement maîtrisé donne plus de force aux scènes d’action, qui décoifferaient le plus chevelu des lecteurs.

Ça va vite, ça claque, ça tire, ça pulse de l’adrénaline dans les veines, ça fait monter le rythme cardiaque. Il y a de la rage dans ce roman, comme dans Elijah de Noël Boudou. C’est aussi bon que les scènes d’action (réussies) de John Woo (ressortez donc The killer au lieu de regarder la télévision) ou Quentin Tarantino. Et si je cite Woo ou Tarantino, c’est aussi bien pour insister sur le coté visuel du style de Olivier Vanderbecq, que pour signaler les dialogues, formidablement maîtrisés. C’est simple : dans la littérature française, pour moi, seul Jacques Olivier Bosco, dit JOB, arrive à me surprendre dans ses romans par ses scènes d’action impressionnantes. Eh bien, Olivier Vanderbecq vient se situer juste à coté, et se partager la marche de mon podium personnel.

Il ne faut pas croire que la psychologie est absente. D’ailleurs, c’est elle qui donne son titre au livre, et c’est elle qui fait que le roman fonctionne si bien. Et quel titre ! S’il rappelle la chanson de Noir Désir, il montre des personnages qui m’ont fait penser à des volcans, prêts à exploser à la moindre faille. Les causes de cet aspect psychologique m’ont paru un peu faciles mais elles donnent une consistance et une épaisseur à Pierre et Damien. Cela ajoute aussi quelques scènes où affleure l’émotion … mais affleure seulement.

Olivier Vanderbecq aura joué son va-tout, annoncé le banco dans ce premier roman. C’est surtout dans sa construction où il aura misé gros. Faire deux grandes parties mettant en scène chacun des deux personnages, et raconter l’histoire à la première personne du singulier est un sacré pari. Il faut être aussi intéressant dans la première que dans la deuxième partie, il faut que les deux personnages soient aussi vrais l’un que l’autre, il faut enfin justifier la relation qui va les faire se rencontrer. La relation sera faite par un groupe de roms. Le choc des deux itinéraires par Petru, leur chef. Et la scène finale sera à la hauteur de l’attente : apocalyptique.

Ce roman aura créé chez moi une sorte d’addiction, d’attente pour le prochain. Car il y a tant de promesses qu’on ne peut qu’être assuré que le prochain sera un grand roman. Je voudrais y voir moins d’évidences, moins de volonté de tout décrire, et des dialogues plus efficaces. Car dès qu’on attaque des scènes de fusillade, il n’y a rien à retoucher. Malgré ces quelques petits défauts, ce roman, c’est de l’adrénaline pure, un roman d’action avec des scènes incroyables et du pur plaisir de lecture. Merci M.Vanderbecq !

A noter que la préface est écrite par Jacques-Olivier Bosco (comme par hasard !)

Les infidèles de Dominique Sylvain

Editeur : Viviane Hamy

Avec Dominique Sylvain, je peux vous garantir qu’on voyage ! On passe dans ses derniers romans de la France au Japon pour revenir en France avec ce nouveau livre. Outre les lieux géographiques, on fait aussi le grand écart avec des sujets très différents et surtout une façon différente de les aborder dans la forme et le fond.

Alice Kleber vit dans sa propriété en Bourgogne. Depuis son anévrisme, elle s’est inventée une amie imaginaire, Bella. Pour entretenir ses jardins et nourrir son chien Willy, elle héberge Lucien dans une maison attenante. Elle est la créatrice et gérante du site lovalibi.com, qui fournit clé en main des excuses aux adeptes de l’adultère.

Salomé est la nièce d’Alice. Elle est entrée en tant que journaliste chez TV24, dirigée par Alexandre Le Goff grâce à sa tante. Elle fait plutôt de petites piges mais elle annonce qu’elle est en train de monter un reportage retentissant.

Valentin vit chez Alexandre et Dorine Le Goff. Il adore Salomé, pour son coté garçon manqué et aussi parce qu’elle est toujours gentille, lui dont le cerveau fonctionne au ralenti.

Barnier est commandant à la brigade criminelle. Il vient d’accueillir un petit nouveau, le lieutenant Maze, d’une beauté de rock-star avec des yeux magnifiques et profonds. Barnier essaie d’oublier se femme, encore de mauvaise humeur hier soir.

Il est obsédé par le monde virtuel. Le monde est un gigantesque jeu où rien n’a d’importance. Il s’est lui-même renommé MoiToi.

Le corps de Salomé est découvert dans une poubelle, frappé violemment à la tête. Son meurtrier a du la tuer et se débarrasser du corps rapidement. La poubelle est située juste à coté de l’hôtel de la Licorne, où Salomé avait réservé une chambre. Mais, ce qui étonne Barnier, c’est qu’on ne retrouve ni portable, ni ordinateur dans la chambre de Salomé.

La spirale du mensonge, voilà le titre que je donnerais à ce roman.

A lire la quatrième de couverture, on pourrait se croire dans un roman policier classique, dont le sujet serait l’adultère. Eh bien pas du tout ! Enfin pas tout à fait. Certes, tous les personnages sont liés aux tromperies conjugales et / ou profitent de ce marché lucratif. Que ce soit Alice Kleber qui a inventé une entreprise chargée de fournir des excuses aux maris ou aux femmes trompées, que ce soit Salomé qui prépare un reportage sur ce business, ou même l’ami amant d’Alice qui a inventé un site de réservation de chambres d’hôtel pendant les heures creuses pour permettre les ébats des infidèles, tous y gagnent bien leur vie ; très bien même.

Mais alors, dans un monde qui prône l’amour, qui a tué Salomé, la nièce d’Alice, qui préparait un reportage sur ce commerce de la tromperie. C’est là que Dominique Sylvain a construit sa toile d’araignée, nous présentant un nombre de suspects potentiels quasiment sans limites, et des personnages principaux tous plus troubles les uns que les autres. Car plus on avance dans le roman, plus on s’aperçoit que tout le monde ment, et la lecture devient de plus en plus malsaine, au sens où on ne peut se raccrocher à personne.

Car même si on pense que celui en qui on peut faire confiance, à savoir le commandant Barnier, est un personnage solide, on est vite déstabilisé quand on s’aperçoit que sa vie de couple bat de l’aile et qu’il passerait bien une nuit avec son lieutenant, qui est beau comme un apollon grec. Tout est fait pour que le lecteur perde ses repères habituels, et se retrouve face à une troupe de menteurs professionnels.

A cela, j’ajouterai que, dans toutes ces scènes de faux-semblants, l’ambiance s’avère feutrée. Dominique Sylvain a adapté son style à son sujet, donnant à ses phrases des tons sucrés, pour mieux nous endormir, un peu comme le serpent dans Le livre de la jungle. On se laisse endormir, on se laisse envoûter par ces phrases charmantes, séduisantes et pleines de promesses, mais c’est pour mieux dissimuler des indices précieux pour le dénouement de l’affaire.

Le roman est construit en courts chapitres, chacun mettant en scène un des personnages, comme une sorte de roman choral. Cela participe aussi à la subjectivité dans la narration de l’histoire. Et tout cela mis bout à bout m’a bigrement impressionné, tant le fond s’allie, se love et se marie avec la forme. D’une acuité psychologique rare, ce roman est bien plus qu’un simple roman policier. C’est une belle analyse des autres et une belle réflexion sur l’être et la paraître.

La spirale du mensonge, voilà le titre que je donnerais à ce roman.

Ne ratez pas l’avis de Quatre Sans Quatre et polar.blog.lemonde

Aidons les Balais d’Or

Comme vous le savez probablement, je fais partie du jury pour élire tous les ans les Balais d’Or. Pourquoi ? Parce que c’est un prix créé par un ami, un ami personnel et un ami du polar. Ensuite, parce que ce prix récompense des auteurs écrivant des œuvres originales. Et dans la plupart des cas, ce sont les Balais d’Or qui leur donnent leur premier Grand Prix, avant que d’autres titres leur reviennent.

Organiser un Prix a un coût, il ne faut pas se le cacher. Richard Contin a pendant longtemps assuré seul, sur ses propres fonds ces charges. Aujourd’hui, il se tourne vers nous, lecteurs, pour l’aider dans la poursuite de sa passion : Récompenser les auteurs.

Je vous laisse le message qui figure sur la cagnotte Leetchi :

https://www.leetchi.com/c/projets-de-richard-contin-le-concierge-masque

Depuis 2011 Richard CONTIN a créé un nouveau prix littéraire , qui récompense soit un roman policier, soit un polar ou un thriller. Ce prix intitulé «Balai d’or » est issu de la création d’un blog, « Le concierge masqué », né de la rencontre avec David BOIDIN, lors du festival « Quai du polar ».

En 2013 Richard décide développer ce projet avec la création d’un second prix « Balai de la Découverte » qui récompense un premier roman. Enfin en 2017 arrive «le Prix du Balai de Diamant » qui récompense un roman en auto édition.

Comme vous le savez, cette activité engendre des coûts et nous sommes actuellement à la recherche de partenaire pour pérenniser à bien ce projet.

Merci à tous.

Vous pouvez retrouver toutes les informations et même plus encore sur le site du Concierge Masqué, http://www.concierge-masque.com/

Vous y trouverez entre autres tous les autres lauréats et leurs interviews.

Les auteurs ayant remporté le Balai d’Or sont, pour rappel :

2011 : Roger Smith pour Mélanges de sang (Calmann Levy)

2012 : Paul Colize pour Back-Up (Manufacture de livres)

2013 : Sam Millar pour On the brinks (Seuil)

2014 : Samuel Sutra pour Kind of Black (Flamant Noir)

2015 : Karen Maitland pour La Malédiction du Norfolk (Sonatine)

2016 : Roger J Ellory pour Papillon de nuit (Sonatine)

2017 : Tove Asterdal pour Dans le silence enterré (Rouergue)

Fantazmë de Niko Tackian

Editeur : Calmann Levy (Grand Format); Livre de poche (Format Poche)

fantazmë

Lors de ma lecture de Toxique, j’étais tombé amoureux de son personnage principal Tomar Kahn, qui était sa première enquête. Je n’allais pas laisser passer beaucoup de temps avant de lire la suite. Voici donc Fantazmë.

Tomar Kahn se balade dans une forêt qu’il connait bien. Il fouille la terre, à un endroit bien précis et déterre un crane qui lui parle : « Dis bonjour à Papa ! ». Il se retourne quand un couteau s’enfonce dans son ventre, lui procurant une brûlure de douleur … Tomar ouvre les yeux ; décidément, ces cauchemars reviennent le hanter de plus en plus souvent. A ses cotés, Rhonda qu’il vient de réveiller s’inquiète de ces images qui reviennent de plus en plus souvent.

Janvier 2017, Boulevard de la Villette. Assan passe sous les arches du métro, où s’étalait un camp de migrants quelques jours auparavant. Assan vit de ventes de cigarettes de contrebande au métro Stalingrad. Sur le bord du quai, il remarque une silhouette vêtue d’une capuche noire. Il décide de s’enfuir mais l’autre le rattrape et lui assène un énorme coup de poing au ventre, avant de le finir en frappant sa tête contre le trottoir … sans un mot.

Tomar et son équipe arrivent rue Caillé et descendent dans la cave, par où doivent passer toutes sortes de trafics. Le corps comporte une tête en bouillie. Rhonda trouve un papier de mande d’asile au nom d’Assan Barazi, originaire d’Alep. Apparemment, on l’a torturé avant de l’achever. De retour au bureau, un homme débarque : Le lieutenant Belko de l’Inspection Générale des Services demande à voir Rhonda. Des ennuis en perspective …

Il faut appréhender les enquêtes de Tomar Kahn comme une vraie série, avec un début et … une fin, peut-être ; mais espérons que la fin arrive le plus tard possible. Je dis tout cela parce que je vous encourage fortement à lire la première enquête, Toxique, avant d’entamer Fantazmë. En effet, les personnages sont les mêmes et on retrouve dans ce roman des conséquences de quelques événements et décisions qui sont advenus dans le premier. Donc, si vous n’avez pas lu Toxique, arrêtez de suite votre lecture et courez l’acheter, car il vient de sortir au Livre de Poche.

On retrouve donc Tomar en proie à ses démons, hanté par le personnage de son père et embringué dans une enquête sur un tueur qui pourrait bien être un justicier solitaire … comme lui. Cet épisode est plus centré sur Tomar et sa relation avec Rhonda, et donc, on ne voit pas apparaître son frère Goran, ni leur relation fraternelle que j’avais beaucoup aimé. Tomar devient de plus en plus le centre de cette série, cerné par deux cercles, l’un ami et l’autre ennemi.

Du premier tome, il nous reste tout de même Ara, la mère de Tomar, et leur relation trouble entre apaisement et protection. Ara représente la part humaine qui reste enfouie au fond de Tomar. C’est elle aussi qui va introduire l’un des grands thèmes de ce roman, à savoir le sort des migrants en France, et leur difficulté à survivre loin du pays qu’ils ont quitté. Niko Tackian va nous décrire les conditions insalubres et scandaleuses de leur vie, montrant un Paris de misère, de rues sales, de bas-fonds sombres, peuplé par des âmes en peine mourant de froid.

C’est au niveau du style et de la construction de l’intrigue que Niko Tackian étonne. Le style est plus direct, plus imagé. On retrouve de moins en moins des paragraphes interminables pour retrouver des décors très visuels. De même, l’intrigue est plus solide, plus construite et les différents points de vue permettent d’accélérer le rythme de lecture. Enfin, on devine, on ressent les influences de Niko Tackian, des séries populaires comme The Shield (que j’adore) aux films tels que les Dirty Harry (que j’adore aussi), une culture populaire bienvenue à laquelle ce roman rend un bel hommage.

Toute l’originalité tient dans la magie de la construction et dans le personnage de Tomar qui recycle des thèmes connus en les modernisant dans une période actuelle de moins en moins humaine. Car Niko Tackian, sans prendre ouvertement partie (sauf à la toute fin, ce qui était évitable) livre ici une deuxième enquête formidablement réussie. Il ne reste plus qu’à prendre son mal en patience pour lire la troisième enquête.

Ne ratez pas l’avis de Black Kat :

https://livrenvieblackkatsblog.wordpress.com/2018/02/04/fantazme-niko-tackian/

Marche ou greffe ! d’Olivier Kourilsky

Editeur : Glyphe éditions

Cela fait maintenant quelques années que j’ai la chance de lire les romans du Docteur K., comme il se surnomme, qui suivent les enquêtes de l’équipe du commandant Chardon, en alternant les personnages mis en avant, selon les histoires. La force de cet auteur est de créer des intrigues originales dé-corrélées les unes des autres, ce qui fait qu’on peut les lire indépendamment les unes des autres.

Le docteur Séverine Dombre est une néphrologue (dont la spécialité est les maladies de reins) reconnue. Elle a clairement mis sa profession au cœur de sa vie et ne voit jamais son fils, Vincent, qui est élevé par son père. Ce matin là, elle reçoit un homme âgé accompagné de deux gardes du corps qu’elle surnomme Black Ice et Blue Ice, en rapport avec la couleur de leurs yeux. M.Dibra est Albanais et est prêt à tout pour se faire greffer un rein, quitte à prendre en charge la totalité des frais chirurgicaux.

Outre la rapidité avec laquelle M.Dibra obtient ses résultats médicaux, Séverine va subir quelques désagréments qui vont faire monter la pression. Elle est tout d’abord convoquée par le service de R=répression des fraudes qui l’accusent de favoriser un laboratoire pour l’achat d’azote. Puis on lui vole sa carte bleue. Au poste de police, elle reconnait son agresseur sur la vidéo du guichet de retrait. Et le lendemain, c’est un homme abattu d’une balle de .22 Long Rifle qui l’attend à l’hôpital, dans lequel elle reconnait son voleur.

Les déboires ne s’arrêtent pas là quand M.Dibra débarque dans son bureau, en lui annonçant que le jeune homme abattu est compatible avec lui pour sa greffe. Séverine ne comprend pas comment il a pu obtenir ces résultats plus vite qu’elle, mais elle a bien reçu le message : M.Dibra est prêt à tout pour faire cette greffe au plus tôt. Et elle n’est pas suffisamment armée pour faire face à quelqu’un dont elle soupçonne de faire partie de la mafia albanaise.

Si ce roman est à classer du coté du roman policier, le fait que le personnage principal soit Séverine Dombre en fait plutôt un polar, construit d’une façon à nouveau fort originale. Et c’est bien ce personnage féminin qui va rendre ce roman bigrement prenant. Sa psychologie n’est pour autant pas lourde à lire, mais brossée par petits traits, sans nous imposer de conclusions évidentes, à nous lecteurs.

Ce que j’ai aimé avec ce personnage, c’est sa complexité en même temps que ses contradictions, passant d’une personne froide et distante à une femme se découvrant mère vis-à-vis de Vincent. Il en est de même pour les flics qui vont intervenir tardivement dans le roman. Psychologiquement, c’est impeccablement fait.

C’est surtout la façon de mener l’intrigue qui est remarquable ici. Menée par Séverine, les rebondissements sont nombreux, et le style acquiert une efficacité qui, dès les premières pages, impose un rythme et une tension qui rendent ce roman prenant. Vous connaissez le syndrome du voyageur en transports en commun qui est content quand il y a des problèmes dans le RER qui vont rallonger son temps de parcours de 15 à 20 minutes ? Vous connaissez le syndrome du cinglé qui rate (volontairement ou non, nul ne le saura) quelques stations pour allonger son temps de lecture ? Ou bien celui du fada qui fait deux fois le tour du paté de maison avant de rentrer chez lui pour finir son chapitre ? Eh bien, il m’est tombé dessus tout cela à la fois, auxquels je rajoute les deux heures de sommeil qui m’ont manqué pour finir le livre. Eh oui, vous avez bien lu : j’ai lu ce roman en une journée et cela ne m’était pas arrivé depuis un certain temps. C’est vous dire si c’est un excellent roman prenant !

Ne ratez pas les avis de L’oncle Paul et de Claude

Xangô de Gildas Girodeau

Editeur : Au-delà du raisonnable

Antonia, le précédent roman de Gildas Girodeau, Coup de cœur Black Novel, m’avait énormément impressionné par son portrait de femme qui se découvre. A tel point que je lui avais donné un coup de cœur ! Je ne pouvais décemment passer à coté de son petit dernier Xangô. Et quand je dis petit, c’est pour ses 200 pages, car je devrais plutôt dire grand !

1er juillet 2016, Perpignan. Laurence Guéguen rentre de courses dans son petit appartement. Après des études de doctorat de psychologie, qu’elle a brillamment terminées, elle est entrée dans la police judiciaire après avoir réussi le concours d’entrée. Le lendemain, elle allait débuter sa journée par une convocation chez son chef, le commandant Meyer.

C’est un coup de téléphone qui la réveille : son collègue lui annonce qu’une voiture va venir la chercher. On leur a signalé un meurtre sur la plage de Canet. Le corps trouvé par des amoureux a été décapité, juste au bord de la mer. A coté, d’étranges symboles ont été dessinés dans le sable. Sa thèse s’appelant Crimes et symboles, elle est toute désignée pour faire partie du groupe qui va enquêter sur cette affaire. Il faut faire vite, la DGSI va bientôt débarquer, puisque tout meurtre horrible est pris en charge en tant qu’acte terroriste potentiel.

Lors du briefing au commissariat, Laurence décrit à l’équipe la signification des symboles. Un peuple de l’Afrique de l’Ouest, les Yorubas, vénère un Dieu, Olodumare, qui a envoyé sur Terre des demi-dieux. Les signes dessinés sur le sable rappellent un demi-dieu Yoruba. Laurence conseille donc à l’équipe de se mettre en chasse de meurtres identiques, devant l’absence d’hésitations concernant le meurtre ou le dessin. Et son enquête va plutôt la mener en Amérique du Sud, en Argentine …

Après Antonia, Gildas Girodeau nous offre à nouveau un superbe portrait de femme. Laurence est une femme qui se cherche, aussi bien professionnellement que personnellement. Contrairement à beaucoup de polars, elle n’est pas malheureusement, mais elle doute. Quelque soient les événements, elle hésite sans arrêt entre aller de l’avant et se laisser mener par la vie. Et on s’aperçoit que quand elle fait des choix, quand elle donne sa confiance en quelqu’un, elle se prend une belle claque.

J’aurais tendance à dire que l’auteur respecte à la lettre les codes du polar. En réalité, il joue avec, alternant les genres avec une facilité déconcertante. Avec un début typé Thriller, avec un tueur en série, on oblique dans le roman policier avec une enquête excellemment menée, emplie d’indices et de fausses pistes. Puis, on lorgne du coté du polar pour finir dans un brûlot, mettant à jour de beaux faits historiques bien dégueulasses.

Car on va peu à peu plonger dans une affaire liée à la guerre des Malouines, en Argentine, mettant face à face l’Argentine et l’Angleterre de Margaret Thatcher. Au milieu de tout cela, la France et ses missiles Exocet. Au milieu de tout cela, la France qui enverra ses meilleurs experts en torture pour soutenir la dictature sud-américaine. Au milieu de tout cela, la France, avec ses airs de respect des droits de l’homme, qui en sous-main, va officiellement soutenir l’Angleterre mais vendre des missiles au nom de l’économie et au détriment des populations.

Tout cela est officiellement connu, et Gildas va nous dévoiler quelques aspects un peu moins connus. Et il le fait avec une facilité et une évidence qui rend ce livre un grand morceau du polar. J’ai rarement lu un roman aussi court qui en disait tant, un style si fluide que la lecture coule naturellement, une tension qui, l’air de rien, augmente au fil des pages, sans que jamais, je n’ai mis en cause une scène, un passage ou une phrase. Ce roman est tout simplement génial, exactement ce que je cherche.

Ma ZAD de Jean Bernard Pouy

Editeur : Gallimard – Série Noire

Dès le début de 2018, nous avons eu droit à un événement : le retour de Jean Bernard Pouy aux affaires. Pour ceux qui comme moi ont découvert son auteur dès ses débuts, ce roman ressemble beaucoup à une bouffée de nostalgie. Car Pouy a gardé toute sa verve dans cette intrigue plantée dans l’actualité.

Camille Destroit vit dans une ferme qu’il a hérité de ses parents, dans le Nord de la France, dans la région nouvellement nommée Les Hauts de France. Il est acheteur de produits bio pour le supermarché EcoBioPlus et a réussi à imposer de petits producteurs locaux pour la qualité de leurs produits. Cette semaine de mars allait tout chambouler dans sa vie de révolté.

Alors qu’il apporte son soutien à des ZADistes qui s’opposent à la construction d’entrepôts gigantesques dont le chantier est dirigé par la société Valter, il se fait arrêter par les flics lors de l’évacuation musclée de la ZAD. Après un interrogatoire (humoristique), il est libéré et rentre chez lui pour découvrir que son hangar est livré aux flammes, du probablement à un incendie criminel.

Le lendemain, le directeur d’EcoBioPlus lui annonce son licenciement, arguant qu’ils ne peuvent supporter quelqu’un qui a passé sa nuit au poste de police. Accessoirement, la société Valter est actionnaire du supermarché. Camille décide de partir en villégiature en Bretagne pour se changer les idées, recharger ses batteries et son taux d’alcool. Mais son retour dans le Nord ne va pas arranger ses affaires.

ZAD = Zone A Défendre. C’est une nouvelle mode, d’utiliser des termes militaires pour nommer des zones de manifestation avec occupation des lieux. Jean Bernard Pouy ne pouvait pas passer au travers, et utiliser ce sujet en trame de fond pour planter son personnage, qui ressemble finalement à tous ceux qui ont parcouru ses romans. Camille est un excellent mélange d’homme individuellement responsable, collectivement impliqué mais avant tout un révolté lucide. Sans vouloir être un justicier anonyme, il se croit investi d’une mission : aider les autres tant que ça n’empiète pas sur sa liberté de penser et d’agir.

Le roman est évidemment centré sur le personnage de Camille et propose (j’allais dire comme d’habitude) un ton cynique, relevant les travers que nous subissons tous les jours. C’est évidemment un énorme plaisir de suivre ses déambulations, et on le suit avec un sourire aux lèvres, mais aussi parfois en étant conscient du ridicule de certaines situations. C’est finalement par l’humour que passent le mieux les messages …

Jean Bernard Pouy n’a rien perdu de sa verve, ni de ses digressions et il ne se gêne pas pour nous asséner quelques vérités bien senties. Il n’a rien perdu non plus de son amour des mots, de son amour de la langue, jouant avec eux comme un équilibriste qui ne laisse jamais tomber ses anneaux. Et il nous fait partager son amour de la culture, pas celle des intellos, mais la culture populaire au rang de base du savoir.

Je vous l’avais dit : Jean Bernard Pouy est de retour … et il est en pleine forme. Il nous offre à nouveau un roman contemporain plein d’humour et de rythme, de vérités et de jeux de mots. Il ne reste plus qu’à espérer qu’il nous en écrive encore quelques autres, pour notre plus grand plaisir d’amateur de polars.

Ne ratez pas les avis de Claude, Yvan et Christophe Laurent

Rue Barbare de David Goodis

Editeur : Rivages

Traducteur : Michel Lebrun

Entre David Goodis et moi, c’est une histoire compliquée. J’ai lu, il y a très longtemps, trois de ses romans sans être véritablement emballé. Je me suis toujours dit que ce n’était probablement pas le bon moment. Effectivement, je viens de relire Rue Barbare et c’est un roman déprimant, certes, mais d’une réelle beauté noire.

L’auteur :

Issu du milieu juif de Philadelphie, David Loeb Goodis fréquente brièvement l’université de l’Indiana avant de terminer ses études de journalisme à l’université Temple en 1938. Peu après, il se trouve un emploi dans une agence de publicité et, pendant ses temps libres, rédige un grand nombre de nouvelles policières pour divers « pulps » américains. Il publie son premier livre Retour à la vie (Retreat from Oblivion) en 1938. À New York, où il déménage l’année suivante, il travaille comme scripteur dans le milieu de la radio.

Pendant la première moitié des années 1940, les éditeurs rejettent systématiquement ses manuscrits. En 1942, il se rend sur la Côte Ouest et est engagé par les studios Universal. Il se marie à Los Angeles en 1943. Puis vient le succès en 1946 avec la publication de Cauchemar (Dark Passage). L’adaptation de ce récit en 1947, sous le titre Les Passagers de la nuit avec Humphrey Bogart et Lauren Bacall, lui permet de signer un lucratif contrat de six ans avec la Warner Bros, mais la plupart des scénarios qu’il écrit pour le studio ne dépassent pas l’étape de la rédaction. En outre, sa vie privée s’effrite et il divorce en 1948. De retour à Philadelphie en 1950, il s’occupe de ses parents et de son frère schizophrène, puis sombre dans l’alcool. Cette version de l’écrivain maudit relèverait toutefois de la légende d’après l’enquête biographique de Philippe Garnier.

Oublié dans son pays natal, David Goodis doit son succès en France à l’adaptation de plusieurs de ses livres au cinéma, notamment de Tirez sur le pianiste par François Truffaut en 1960, dont c’est le deuxième long-métrage.

Quatrième de couverture :

« C’est du grand Goodis, le Goodis de la désespérance quotidienne, le Goodis de la nuit. Du reste, presque toutes les scènes du roman se passent dans des décors obscurs : des cafés miteux, des rues ténébreuses, des chambres sordides. Au milieu de ce décor, évolue Chester Lawrence. Une nuit, par hasard, il tombe sur une Chinoise qui a été agressée. Il n’échange que quelques mots avec elle, s’éloigne bientôt. Mais cette femme incarne son destin. Dès lors, pour lui, plus rien ne sera comme avant. Ou plutôt, tout désormais le ramènera en arrière, vers son passé, vers des visages, des gens avec lesquels il croyait avoir définitivement rompu. Il faut lire Rue barbare. Il faut lire et relire David Goodis. Il est la tête d’obsidienne du roman noir. » (Alexandre Lous, Le Magazine Littéraire)

Mon avis :

Dans Ruxton Street, il n’y a pas d’espoir pour ses habitants : soit ils travaillent pour ramasser un peu d’argent pour survivre, soit ils entrent dans le gang de Matt Hagen. Lawrence fait partie de ces gens qui résistent, essayant de faire vivre sa famille avec le peu qu’il a, à grands renforts de courage. Quand il voit une jeune chinoise tituber sur le trottoir en face du bar où il boit un coup, il veut l’aider. Mais elle refuse.

De scènes en scènes, Lawrence va résister, menant sa vie avec une honnêteté et une humanité qu’il est le seul à avoir conservé. Sachant qu’il ne peut pas partir, il accepte les conséquences de sa vie dans un monde pourris, supportant les pressions et les violences environnantes, qu’elles viennent de Hagen et de son tueur attitré ou même de sa famille, dont sa femme, qui lui implore de céder à la facilité.

Quelque soit le décor, tout est sale dans ce roman : les rues sont sales, le bar est sombre, les maisons sont délabrées. Ce roman est une véritable plongée dans le noir le plus absolu, montrant l’inéluctabilité de la vie et le destin d’un homme qui, s’il ne peut se sauver, essaie de sauver les autres. Comme pour essayer de justifier qu’il aura fait quelque chose de sa vie.

Il vaut mieux avoir le moral pour lire un roman aussi noir, qui nous plonge dans un tunnel sans lumière et sans sortie, dans une ville où l’espoir a disparu. Si le style est simple, et les dialogues nombreux, il y règne une tension permanente. Ce roman est classique du roman noir, très noir, écrit comme une sorte de témoignage des laissés-pour-compte du rêve américain, que tout amateur de polar se doit d’avoir lu.