Le chouchou du mois de novembre 2014

En vue des fêtes de Noel, j’ai forcément beaucoup lu et beaucoup chroniqué, pour donner des idées de bons polars parmi ceux qui sont proposés sur les étals des libraires. Et, quoi de mieux que d’avoir la chance d’avoir lu 3 coups de cœur en un mois. C’est d’ailleurs le record toutes catégories, puisque, pour cette année 2014, j’aurais chroniqué pas loin d’une dizaine de coups de cœur, là où d’habitude, j’en ai 5 ou 6.

Que vous dire, sur ces romans ? Que les mots m’ont manqué pour parler de Abandonnés de Dieu de Peter Guttridge (Rouergue), tant ce roman alterne les modes de narration, et que chacun m’a paru parfait. Qu’une nouvelle fois, j’ai été enthousiasmé par Dernière conversation avec Lola Faye de Thomas H.Cook (Points), car même si cet auteur, réputé pour sa subtilité, semble creuser les mêmes thèmes, il arrive encore à nous surprendre. Que Jeudi noir de Michael Mention (Ombres noires), qui reprend la fameuse demi-finale France-Allemagne de 1982 arrive à nous faire revivre ce match d’anthologie, avec tant d’émotions et tant d’intelligence, que l’on ne peut que fondre.

S’il y eut deux romans de Michael Mention, ce fut bien un hasard. Avec Adieu demain de Michael Mention (Rivages), j’ai pu m’apercevoir que cet auteur changeait de ton, devenait plus incisif, s’affirmait dans ses thématiques. Ce que Jeudi noir m’a confirmé.

S’il n’y eut qu’une rubrique Oldies, j’aurais très bien pu en faire apparaitre deux. Tout d’abord, il y eut le formidable Des voleurs comme nous de Edward Anderson (Points), qui date de 1937, et qui est d’une modernité incroyable, un petit joyau du noir. Puis, il y eut la réédition de La velue de Nadine Monfils (Fragrance), premier roman de cette grande dame, une curiosité mais aussi un florilège à situer entre La métamorphose de Kafka et Histoire d’Ô. J’aurais pu ajouter à cette liste la réédition d’un document, Un métier de chien de Marc Louboutin (Rouge sang), qui nous décrit le métier de policier de l’intérieur, et grâce auquel on comprend mieux les dysfonctionnements actuels.

Quant aux premières fois, honneur à Minna de Roland Sadaune (Val d’Oise éditions), le trentième de son auteur, qui m’a secoué et ému ; un livre auquel je tiens beaucoup par l’humanisme qu’il dégage, sans tomber dans le pathos. Il y eut aussi deux premiers romans à propos desquels je ne peux que vous engager à en retenir au moins les noms, voire même à succomber à l’éclosion de deux auteurs en devenir. Le premier Corps défendant de Baptiste Madamour (Ska) est à situer à mi-chemin entre Brett Easton Ellis et Philippe Djian, dans la précision de sa plume et dans son portrait d’une génération en quête de plaisirs simples. Le deuxième Les roses volées d’Alexandre Geoffroy (Ex-Aequo) est plutôt à classer du coté des livres speedés et c’est une belle découverte à en perdre haleine.

Le titre du mois de novembre revient donc à Une terre d’ombre de Ron Rash (Seuil), tant ce roman en forme de fresque historique nous parle de la bêtise et de la violence des hommes. Que l’on se le dise, Ron Rash est un des plus grands auteurs actuels. Prenez n’importe quel de ses romans, vous serez emportés par le souffle de ses histoires.

Je vous donne rendez vous le mois prochain pour une synthèse de l’année 2014, et d’ici là, n’oubliez pas le principal : lisez !

Minna de Roland Sadaune (Val d’Oise éditions)

J’avais déjà eu l’occasion de parler de Facteurs d’ombres, cet excellent livre fait de portraits peints d’auteurs de polars et de chroniques élaborées par les blogueurs et Claude Mesplede. Roland Sadaune est aussi auteur de polars. J’ai la chance de vous présenter son dernier roman en date, Minna, dont la force principale est la qualité de ses personnages.

L’auteur :

Né à Montmorency de mère polonaise, Roland Sadaune se passionne très tôt de cinéma et littérature policière. Sa carrière d’artiste peintre ne l’empêche pas d’avoir à son actif une trentaine de romans policiers et une cinquantaine de nouvelles noires. Pour lui, le Polar, c’est l’évasion par les chemins de traverse défoncés par le destin, avec des phénomènes de société dissimulés derrière les haies.

Il en est à sa 90ème exposition particulière, en 2006, intitulée Peintre de Polars.

Son joker préféré est le cinéma : en salle, car l’été on y est au frais et l’hiver on s’y sent bien.

(Source Babelio)

Quatrième de couverture :

… De toute façon je ne peux pas disparaître du secteur, se dit Minna, quand un bruit la fit se retourner. Elle repéra un individu posté au bas de l’escalier et s’immobilisa entre deux volées de marches, sous un lampadaire. L’homme la suivait-il ?…

… Minna était en sécurité pour combien de temps ?

Les autres ne la lâcheraient jamais ! Elle rejoignit l’immeuble. Un inconnu pénétrait dans son meublé.

Furieuse, elle s’élança et…

… N’y tenant plus, Léopold regarda vers Minna. Ces pleins et ces déliés. Quand elle passa des bracelets, il se sentit englouti par une chape de solitude…

… La rue arborait les tons rompus de la détresse.

Même les rats étaient confrontés à la morosité des poubelles…

Quand la ville mord.

Mon avis :

Ce n’est pas en lisant la quatrième de couverture que vous allez savoir de quoi parle ce roman. De même, si vous regardez la couverture, vous y verrez Thriller, alors que, si je devais lui donner une étiquette, j’hésiterais entre roman policier et roman noir. Mais je n’aime pas les étiquettes. Sachez donc que ce roman est fort, noir, et qu’il va vous obliger à regarder la rue, les gens, le trottoir et le caniveau. Par contre, cela va vous donner une idée du style de l’auteur.

Ce roman est porté par deux personnages forts, Léopold et Minna. Leopold est un SDF, qui depuis qu’il a été licencié, a divorcé. Il n’a plus de contact, ni avec sa femme, ni avec sa fille. Il s’est volontairement marginalisé, faisant la manche devant les Grands Magasins. La seule personne avec qui il a gardé contact est sa sœur, qu’il va voir de temps en temps. Sinon, il habite en colocation au Hurlevent, en compagnie d’autres laissés pour compte comme lui.

Minna est une immigrée clandestine nigériane, qui fait des ménages dans les hôtels de luxe et qui se prostitue pour le compte du « chef » dans ces mêmes hôtels. Le « chef », c’est madame Sokoto, une nigériane aussi, qui profite de la naïveté des jeunes immigrées pour faire fonctionner son commerce.

Un soir d’octobre, une jeune femme s’enfuit d’un hôtel de luxe, en jetant sa culotte dans une poubelle. Plus tard, son corps est retrouvé chez elle, égorgée. Or Léopold, intrigué par l’attitude de la jeune femme, a récupéré la culotte, sur laquelle il y a des traces de sang. Léopold, après avoir vu les informations à la télévision, est persuadé qu’il a la culotte de la victime.

Le grand mérite de Roland Sadaune, c’est bien de positionner au centre de son intrigue deux personnages formidables, attachants. D’ailleurs, on ne va quasiment pas suivre d’autres personnages que Léopold et Minna, à part BDR et sa femme. Cela donne l’impression que ces deux marginaux de la vie sont réellement séparés de la vie sociale « standard. Car c’est une histoire hors standard, hors du commun, hors des sentiers battus que l’on suit.Et on ne peut qu’aimer Léopold et Minna, car dans le fond, ils sont bons, humains. Le paysage est peuplé de fauves, de robots et seuls les délaissés paraissent humains.

Oui, j’ai aimé Léopold. Oui, j’ai aimé Minna. Et j’ai aussi adoré le Paris peint par Roland Sadaune. Je connais parfaitement les coins du 18ème, 19ème et 2àème que l’on voit dans ce roman. Les petites touches ajoutées ici et là, comme sur un tableau, m’ont fait revenir dans des quartiers que j’ai largement arpentés durant ma jeunesse. Roland Sadaune effectivement construit ses décors comme des tableaux de peinture, qui est aussi un de ses métiers.

De ce tableau multicolore, l’auteur nous livre une histoire bien noire, presque désespérée, un brin désabusée sur les gens que l’on ne voit plus, dont tout le monde se fout. Pour autant, c’est raconté sans pathos, mais il nous force tout de même à voir ce qu’on ne regarde plus. Et le style, dans ces moments là peut devenir très dur, très franc, très direct, là où les rues au coucher du soleil deviennent si poétiques. Evidemment, Léopold et Minna vont se rencontrer, et il ne s’agira pas de bluette à l’eau de rose. Le monde est plus dur, plus impitoyable que ça. On aura droit à des courses poursuites jusqu’à épuisement des participants.

Je sais, c’est un billet bordélique, et je le revendique. Ce roman a fait passer beaucoup d’émotions différentes, contrastées en moi. J’ai vécu avec eux pendant 350 pages, j’ai partagé une partie de leur vie, j’ai rencontré des gens, des vrais, j’ai vu des salauds, j’ai hurlé vers la fin, comme une envie de meurtre.

L’information du mardi : Les prix Polar

Coup d’œil sur les deux prix qui me tiennent à cœur, à savoir les balais d’or et le prix 813 de l’association des littératures policières.

Balais d’or :

Balais or

C’est à la bibliothèque Parmentier, à Paris dans le 12ème arrondissement que s’est déroulée la remise des prix des balais d’or le 15 novembre dernier. Nous fûmes accueillis dans un cadre très chaleureux, entourés de livres, et ce décor ne pouvait que célébrer un palmarès fantastique.

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Après un discours par lé président de l’association des balais d’or, Maître Richard Contin himself, les prix furent remis par un grand auteur de polar, qui fut le premier vainqueur de ce prix en devenir, j’ai nommé M.Paul Colize.

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Puis vint le palmarès 2014 :

Balai d’or : M.Samuel Sutra pour Kind of black (Terriciae réédité par Flamant noir)

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Balai d’argent : M.Victor Del Arbol pour La maison des chagrins (Actes noir)

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Balai de bronze : Mme Sandrine Colette pour Des nœuds d’acier (Denoel réédité par Le livre de poche)

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Balai de la découverte : M.Guillaume Audru pour L’île des hommes déchus (Editions du Caïman)

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Une belle brochette d’auteurs pour des romans exceptionnels :

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Puis vint le tour d’un débat, fort intéressant, animé par Mister Richard Contin et l’indispensable Geneviève.

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Enfin, vint le tour d’un buffet fort sympathique. Je vous le dis, l’année prochaine, venez encore plus nombreux pour la remise des balais 2015. Et encore bravo pour l’organisation impeccable.

 Vous aussi, rejoignez l’association du balai d’or (cotisation 10 euros). Pour cela, rendez vous sur le blog du Concierge Masqué .

Trophées 813 :

Quelques jours plus tôt, étaient dévoilés les lauréats des trophées de l’association 813, l’association des littératures policières.

Les résultats sont :

TROPHEE DU ROMAN FRANCOPHONE OU RECUEIL DE NOUVELLES : Des nœuds d’acier de Sandrine Collette

TROPHEE Michèle WITTA- ROMAN ETRANGER OU RECUEIL DE NOUVELLES ETRANGERES : On the brinks de Sam Millar

LE TROPHEE DU MEILLEUR(E) TRADUCTEUR(TRICE) EST ATTRIBUE AU LAUREAT DU MEILLEUR ROMAN ETRANGER : Patrick Raynal

TROPHEE MAURICE RENAULT : Du polar de François Guerif

TROPHEE ALBUM BD :Le Dahlia noir – Miles Hyman,Matz, David Fincher, James Ellroy

Pour adhérer à l’association 813, tous les renseignements sont là : http://www.blog813.com/

L’expatriée de Elsa Marpeau (Gallimard-Série Noire)

Si j’ai lu ce roman sur les conseils insistants de mon ami Richard, mon avis va finalement être très proche de celui de Jean Marc. Car quoi de plus casse-gueule que de situer un polar au milieu d’expatriés français ? Elsa Marpeau nous donne donc à lire une intrigue simple, une sorte de huis clos, au milieu de femmes qui s’ennuient toute la journée, sans parfois voir leur mari pendant plusieurs jours.

Nous sommes à Singapour. Elsa est mariée à Alexandre, qui travaille (beaucoup) dans le domaine de l’informatique. Sa seule occupation est donc de passer ses journées avec ses semblables, des femmes d’expatriés, qui toute la journée flânent au bord de la piscine ou bien font du shopping dans des boutiques de luxe. Même l’entretien de l’immense appartement est confié à une maid (entendez femme de ménage ou bonne à tout faire), Fely, d’origine philippine.

Quand un homme beau comme Apollon débarque dans la résidence sécurisée, Elsa va fondre pour celui qu’elle appelle l’Arabe blond. Elle va avoir une aventure avec Nessim, qui se dit avoir travaillé dans les docks. Nessim joue au poker avec les hommes, gagne et fait du charme. Quand le corps de Nessim est retrouvé poignardé de deux coups de couteau, Elsa se retrouve aux premières loges. Mais dans ces relations étranges, qui peut bien avoir tué le bel Arabe blond ?

Je dois dire que le début du roman est surprenant, car comment décrire l’ennui de ces jeunes gens riches, ultra riches si on les compare aux autochtones, n’ayant rien à faire de leurs journées, à part bronzer et discuter ? Le début du roman n’est donc pas bien passionnant mais pour autant, il est nécessaire pour placer le décor et surtout les psychologies des personnages.

A partir du meurtre de Nessim, l’intérêt change. Car ce qui pouvait paraitre simple au premier abord s’avère vite plus compliqué. Elsa Marpeau sème de petits événements qui remettent sans arrêt nos certitudes en question, et son style, si subtil, si vicieux, nous enserre le cou dans ses serres, tant et si bien que l’on lit la dernière moitié du roman d’une traite.

Car c’est bien un roman vénéneux auquel on a affaire, empreint de mystères, avec parfois en fin de paragraphes, ces petites remarques que l’on peut interpréter de plusieurs façons, et qui donnent tout son charme au roman. On n’est tout à fait dans le registre d’une Megan Abbott qui excelle dans ces intrigues simples basées sur des personnes comme vous et moi et dont les petits gestes habituels semblent revêtir différentes interprétations.

Le lecteur que je suis a adoré se faire manipuler comme une boule de flipper, et alors que j’essayais de deviner ce qui s’était passé, tout était remis en cause dans la minute suivante. Ce n’est pas le genre de livre où on saute des phrases, que l’on lit en diagonale, car il faut bien déchiffrer les mots, les phrases pour suivre et trouver le chemin suivant. Dans ce roman subtil et mystérieux, le mystère est épais comme le brouillard, l’atmosphère est lourde et poisseuse, et en tournant la dernière page, on ne peut qu’être épaté par l’art de l’auteure de nous avoir tenu en haleine alors qu’il ne se passe rien, juste par la force des psychologies des personnages. Chapeau !

Niceville de Carsten Stroud (Points)

Je continue mon exploration des titres sélectionnés pour le prix Meilleurpolar.com organisé par les éditions Points, avec ce titre de Carsten Stroud, premier roman d’une trilogie. Attendez-vous à un voyage bien particulier à Niceville. Je vous mets le résumé qu’avait concocté Seuil car je le trouve bien fait.

Quatrième de couverture :

Tout droit sortie de la tradition du Southern Gothic, Niceville incarne le Sud, avec ses propriétés somptueuses, ses chênes festonnés de mousse espagnole et sa moiteur soporifique. Le seul problème, c’est que le Mal y vit beaucoup plus longtemps que les hommes. Plusieurs disparitions inexpliquées entachent la réputation du lieu, à commencer par celle du jeune Rainey Teague, littéralement volatilisé en plein jour devant la vitrine d’un antiquaire de la rue principale. C’est aussi le territoire où sévissent des flics peu scrupuleux qui braquent des banques et descendent froidement leurs collègues au fusil à lunette…

Quand Nick Kavanaugh, policier hanté par ses combats en Irak, et son épouse Kate, élégante avocate issue d’une des vieilles familles de la ville, décident de tirer tout cela au clair, ils n’imaginent pas dans quel enfer ils ont mis le pied.

Niceville est un polar mutant qui donne la chair de poule, une saga toxique où la violence contemporaine alterne avec des scènes troublantes dont les acteurs ne sont pas forcément de chair et d’os.

Vous n’avez jamais rien lu de tel.

Mon avis :

Ce polar est étonnant, car il se situe à la frontière du polar, du roman policier et du roman fantastique. Il prend le parti pris de faire vivre une ville, et nous présente donc plus d’une dizaine de personnages qui vont interagir les uns avec les autres. Si cela peut faire peur a priori, ils sont suffisamment bien présentés pour que l’on arrive à suivre les intrigues sans problèmes.

En fait d’intrigues, il y en a plusieurs dont la disparition du jeune Rainey que l’on retrouve dans un cimetière ; il y a un hold-up qui tourne au massacre et l’on suit les truands qui veulent récupérer leur butin ; il y a un mystérieux miroir, sorte de passage entre un monde irréel et aujourd’hui ; il y a une étrange mare, la Fosse du Cratère, dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle est sans fond ; mais elles sont toutes suffisamment simples pour ne pas se perdre en route.

Et c’est d’ailleurs une des limites de ce roman. Je trouve que pour débuter une trilogie, l’auteur aurait du faire plus simple, plutôt que de faire un roman aussi touffu. Et comme le style m’a paru plat, j’ai parfois trouvé ce roman trop long, avec des chapitres inutiles. Pour autant, je l’aurais lu jusqu’au bout puisque je voulais connaitre le dénouement (quelque peu décevant lui aussi). En fait j’aurais préféré que l’auteur fouille plus l’aspect fantastique, car il a le don de créer des ambiances angoissantes. Quant à l’aspect polar, c’est beaucoup moins convaincant. Reste donc à lire le deuxième tome, Retour à Niceville, qui vient de sortir aux éditions Seuil.

L’avocat, le nain et la princesse masquée de Paul Colize (La Manufacture de Livres)

Après le magnifique Un long moment de silence, Paul Colize nous revient un an après avec un polar plus classique. Ce roman nous propose donc une enquête plus classique, et joue dans la cour des romans de divertissement.

Hugues Tonnon est avocat à la barre de Bruxelles. Sa spécialité, ce sont les divorces, et c’est une activité bien lucrative. Quand le top model belge, la sublime Nolwenn Blackwell, débarque dans son bureau, tous ses sens sont en éveil. En effet, celle-ci veut se séparer d’Amaury Lapierre, un sexagénaire chef d’une grande entreprise, alors qu’ils allaient se marier. La cause de la dispute : une photographie dans un magazine où Lapierre apparait dans les bras d’une donzelle.

Pour bien cerner son sujet, Hugues emmène Nolwenn manger dans un excellent restaurant. Ils boivent, un peu, beaucoup, beaucoup trop et il décide de la raccompagner chez elle. Quand elle lui offre une vodka, la soirée se termine en trou noir et Hugues se réveille chez lui. C’est la police qui lui annonce que Nolwenn a été retrouvée assassinée chez elle, dans sa chambre, de deux balles de revolver. Et le principal suspect s’appelle … Hugues Tonnon.

Manque de chance : Le policier en charge de l’enquête a déjà eu affaire avec l’avocat … pour son malheur. Lors de son divorce, il a en effet perdu sa moto. Alors pourquoi chercher plus loin un coupable ? Hugues Tonnon va donc être obligé de mener sa propre enquête quitte à fuir la police et quitter son pays.

Après les formidables Back-up et Un long moment de silence, Paul Colize nous revient avec un polar plus classique. ET on va y retrouver tous les ingrédients qui font de tout polar un bon divertissement : Une enquête compliquée, des personnages truculents, un style simple, imagé et direct, des situations rocambolesques, des voyages dans différents pays, bref tout est là pour passer un bon moment.

Alors, Paul Colize va nous embarquer avec son personnage d’avocat à moitié snob, à moitié misogyne de la Belgique à la France, en passant par l’Afrique du sud, le Maroc ou l’Algérie, tout ça pour nous parler de plusieurs meurtres qui ont été perpétrés autour de la coupe de monde de football. Et Hugues Tonnon se retrouve affublé d’une journaliste aussi belle qu’énervante mais suffisamment mystérieuse pour que l’on ne croit pas à son histoire de biographie de Nolwenn.

Ce roman, on peut le voir aussi comme un hommage, un hommage à certains personnages (on y croise par exemple un Maxime Gillio) mais aussi un hommage aux plus grands films d’aventure dont chaque titre de chapitre reprend un titre de film. Ce sont aussi certaines allusions qui l’air de rien, sous un air de divertissement, nous rappelle que cette enquête n’est peut-être pas aussi innocente qu’il n’y parait au premier abord.

En tous cas, Paul Colize emporte l’adhésion haut la main, avec ce roman fort divertissant, aux péripéties nombreuses, avec de nombreuses fausses pistes et un humour toujours présent, à la limite du cynisme de bon aloi. Et puis, rien que pour des petites phrases du genre : « Le mariage est la principale cause de divorce. Sans le premier, le second n’aurait pas vu le jour. L’affaire se limiterait à une séparation assortie de quelques larmes ou de vagues reproches. La vie reprendrait ensuite son cours et chacun poursuivrait son chemin la tête haute. Un coup de gueule fielleux ou un suicide avorté viendrait de temps à autre troubler l’ordre des choses, mais ce ne serait que des cas isolés. » Excellent. !

Le zoo de Mengele de Gert Nygårdschaug (J’ai lu)

Voilà un roman dont j’ai pioché l’idée chez Bernard Poirette de RTL, et outre le fait que ce soit édité en grand format chez J’ai Lu, je dois dire qu’il n’y a aucune chance que j’ai eu la moindre envie de l’ouvrir. Et ce n’est pas le bandeau (qui affiche je cite : « le roman préféré des Norvégiens » ) qui m’aurait fait changer d’avis. Donc, je l’ai acheté. Et cette lecture s’avère fort bien écrite, bien menée et surtout fort dérangeante. Je m’explique :

Le roman se propose de suivre les premières années de Mino Aquiles Portoguesa, jeune indien vivant dans une tribu amazonienne, non encore impactée par l’Homme blanc. Mino se découvre la même passion que son père, à savoir la chasse aux papillons. Son rêve est de pouvoir détenir dans son filet un Morpho, superbe spécimen aux teintes bleues et rares.

Mais la jeunesse de Mino va guider son destin. A l’âge de 6 ans, des hommes armés vont tuer arbitrairement un homme du village, en lui éclatant la tête avec un bout de bois. A l’âge de 9 ans, c’est une femme qui est violée. A 13 ans, alors qu’il revient d’une chasse aux papillons, il retrouve son village incendié, détruit, et les habitants tous massacrés, assassinés, y compris les membres de sa famille.

Il se retrouve alors à errer et rejoindre la ville, quand il tombe sur Isidoro, un magicien qui va le prendre sous son aile et l’élever comme son fils. A nouveau, le drame va le frapper quand quelques années plus tard Isidoro va être brulé vif par des hommes blancs. Il va alors se faire d’autres amis, et former avec eux Mariposa, un groupe terroriste visant les responsables de sociétés occidentales mettant à mal les forêts et les populations amazoniennes.

Ce roman est remarquable, car son écriture s’avère envoutante. La narration est si logique, que l’on a l’impression de lire une biographie romancée. Seuls quelques détails par ci par là viennent nous rappeler que nous sommes dans un pays imaginaire d’Amazonie. Tout est fait pour que l’on prenne partie pour Mino, pour que l’on adhère à son idéologie. De l’atrocité perpétrée par les Américains (qui sont les premières cibles du roman, jusqu’au message d’introduction de l’auteur nous déclarant que les horreurs décrites ne sont rien comparées à la réalité du terrain, tout est fait pour que notre esprit humain se révolte et embrasse la cause de ces pauvres gens.

Quand Mino envisage puis embrasse des méthodes terroristes, la question sur la légitimité de son action se pose. Et nous, en tant que lecteurs, sommes face à un dilemme : peut-on justifier une action violente et terroriste ? Quand on lit la scène de torture sur Mino, qui comporte plusieurs pages, et l’assassinat d’un PDG (sur un paragraphe) qui massacre les forêts au profit de bananiers fort productifs mais dont la durée de vie est de 2 ans et dont la conséquence est de tuer à la fois les populations et la terre en la desséchant, l’opinion de l’auteur est claire et affirmée.

Pour le lecteur que je suis, par contre, la cause est plus compliquée. Parce qu’il n’est pas directement impliqué (quoique …) mais surtout parce qu’il a du mal à justifier toute action violente, aussi ciblée soit-elle. L’auteur a tendance à nous positionner devant nos responsabilités, même s’il prend parfois fait et cause pour les Indiens. Même quand Mino perd le contrôle sur son organisation et ses actes meurtriers quand d’autres se revendiquent de son mouvement, l’auteur montre un Mino désintéressé. Quand les journaux parlent des meurtres, ils parlent de terrorisme, et Mino pense que les media sont à la solde de ceux qui détruisent sa jungle, et là encore, l’auteur montre son parti pris par la façon de traiter ce passage.

En tout état de cause, c’est nous que l’auteur questionne au travers de cette histoire. Ce roman est bien plus insidieux qu’il n’y parait et s’avère bigrement intéressant par les interrogations qu’il soulève. Outre qu’il est remarquablement écrit et qu’il se termine par un « Fin de la première partie », c’est le genre de livre que l’on gardera en mémoire un certain temps, et dont on se rappellera quand on ira en supermarché acheter son bocal de Nutella … fait à base d’huile végétale. Ne ratez pas ce livre, dur et sans concession.

Des forêts et des âmes de Elena Piacentini (Au-delà du raisonnable)

Attention, Coup de cœur !

Je me demande bien comment j’ai pu ne pas décerner de coup de cœur au précédent roman d’Elena Piacentini, Le cimetière des chimères. Peut-être avais-je besoin d’une confirmation ? ou peut-être étais-je timoré ? ou peut-être étais-je prudent ? Pour cette nouvelle enquête du commissaire Leoni, je n’hésite pas : Coup de cœur ! Cela fait deux romans que je lis de cette auteure, et me voilà sous le charme. A tel point que j’envisage de lire ses autres romans … dans l’ordre. Car Des forêts et des âmes est en fait la sixième enquête de cet inspecteur corse expatrié à Lille.

Le roman s’ouvre sur trois chapitres présentant chacun le portrait de trois adolescents :

Mathieu, jeune adolescent effacé, est devant le cercueil de son père. Il se rappelle comment celui-ci a abusé de lui étant jeune. Refusant de s’alimenter, sa mère l’envoya dans un centre adapté pour jeunes adolescents en difficulté

Juliette était une jeune fille princesse qui, pour se faire de l’argent, accepta une proposition d’une de ses amies de se prostituer auprès de vieux hommes argentés. Quand elle arrive dans une somptueuse propriété, en pleine partouze, elle reconnait son père allongé près de la piscine avec une autre gamine.

Lucas fut toujours un jeune homme délicat. Ses parents refusaient de voir en lui un homosexuel, considérant cela comme une tare. Quand ils apprirent l’existence d’un centre pour adolescents, ils pensèrent que sa maladie pourrait être traitée par des médicaments.

Fée, qui s’appelle en réalité Aglaé Cimonard, est la spécialiste informatique de la brigade criminelle de Lille. Pendant son footing, elle est renversée par une voiture, qui prend aussitôt la fuite. Alors qu’elle est dans le coma, Pierre Arsène Leoni va mener l’enquête et s’apercevoir que Fée a changé de nom après la mort de sa mère et qu’elle venait de passer des vacances à Wissemberg dans les Hautes-Vosges où elle a rencontré Sophie Delaunay. Leoni et son amante Eliane Ducatel vont aller sur place pendant que Mémé Angèle va tenir compagnie à Fée.

Géniaux ! Les trois premiers chapitres sont des petits concentrés de pure littérature, parfaits dans leur description de la psychologie de trois adolescents et des aprioris de leurs parents. Le roman démarre très fort, très vite et suscite l’intérêt et l’envie d’en savoir plus.

Formidables ! Les personnages de ce roman le sont à plus d’un titre. On commence à connaitre les policiers de la brigade criminelle, leur psychologie, leurs habitudes, leurs hésitations, leurs qualités, leurs défauts et c’est avec un immense plaisir qu’on les retrouve ici. Mais que dire alors des personnages secondaires, tous formidablement décrits, tous formidablement vivants, tous formidablement inoubliables.

Extraordinaire ! L’intrigue est menée de main de maître, car même si les pièces du puzzle se mettent en place petit à petit, tout est remarquablement fait, avec plusieurs pistes, plusieurs personnages, plusieurs mystères. Et tout survient avec une logique qui ne heurte jamais le lecteur mais qui force le respect par un savoir faire rare.

Dénonciateur ! ce roman ne se contente pas d’être un formidable roman policier. Il montre aussi tout ce que l’industrie pharmaceutique est capable de faire, en terme de d’actions de lobby ou même de tests illégaux ou de financements de centres soi disant adaptés pour améliorer leur chiffre d’affaire et leur marge. D’ailleurs, Elena Piacentini nous explique dans un dernier chapitre le fond de l’histoire qui fait froid dans le dos, et comment la santé des gens devient un commerce.

Impressionnant ! Le roman l’est de A jusqu’à Z. Car ce roman, d’une subtilité rare, avec un style d’une finesse et d’une évidence éblouissantes démontre qu’Elena Piacentini se situe sur le dessus de la pile des auteurs de romans policiers. Cette auteure est d’ailleurs une de mes plus impressionnantes découvertes depuis Thomas H.Cook ou Megan Abbott. Elle est capable, au travers d’une intrigue policière minutieuse, d’aborder des sujets de société graves, tout en nous faisant partager le quotidien de personnages simples et formidables. Je ne peux pas faire autrement que de lui décerner un coup de cœur Black Novel !

L’assassinat d’Hicabi Bey de Alper Canigüz (Mirobole Éditions)

Comme je le dis souvent, il faut être curieux dans le choix de ses lectures. Cela permet de trouver parfois de formidables romans, de découvrir de formidables auteurs. Ce roman est le deuxième de son auteur et c’est surtout le sujet qui m’a attiré, puisque l’enquête est menée par un jeune garçon de 5 ans.

Istambul, de nos jours. Alper Kamu est un jeune garçon de 5 ans remarquablement intelligent. Il sait lire, et vit heureux dans son quartier, au milieu de ses parents qui n’ont aucune idée des capacités de leur enfant. Alors qu’il est en train de jouer avec ses copains, il trouve la porte d’un appartement ouvert dans un immeuble proche. Quand il rentre, il trouve un homme, mort égorgé dans son salon. Ertan le Timbré, un jeune garçon attardé, est présent dans le salon, et un match de football se déroule sur l’écran de télévision.

La victime s’appelle Hicabi Bey. C’est un ancien commissaire de police qui a perdu sa femme depuis que celle-ci s’est suicidée. Il s’avère qu’Hicabi faisait beaucoup pour aider les enfants du quartier. La police, quant à elle, trouve que Ertan fait un très bon coupable. Mais c’est sans compter sur les autres suspects potentiels tels quelques petits délinquants de quartier (ne ratez pas John et Lennon !). Alper va avoir bien du mal à démêler cette intrigue bien compliquée pour un enfant de 5 ans.

S’il est un qualificatif qui va comme un gant à ce roman, c’est bien « original ». En effet, il est rare de trouver des détectives aussi jeunes. Il faut dire qu’Alper est certes jeune mais il est surtout très intelligent. Imaginez un gamin capable de lire Dostoïevski, capable de tenir des conversations avec des adultes, capable de tenir des discours philosophiques. D’ailleurs, c’est le seul reproche que je ferai à ce roman, celui de pousser le bouchon un peu trop loin, car par moment, on a du mal à croire qu’Alper a 5 ans.

Passé ce petit reproche, une fois qu’on a accepté cette hypothèse de base, le roman en devient naturellement comique, surtout quand après avoir fait une déduction ou une description, il sort une remarque qui montre qu’il est tout de même un enfant. Le décalage est si grand que cela prête à sourire. Et comme c’est très bien fait, ça ne tourne pas au ridicule, mais on se prend vite d’affection pour Alper.

L’autre grosse qualité de ce roman, c’est son intrigue. J’aurais d’ailleurs tendance à dire, que même si c’est écrit à la première personne du singulier, la psychologie des personnages et l’intrigue ont toutes les qualités d’une Agatha Christie. Du début à la fin, c’est remarquablement construit, et cela fait de ce roman un roman policier de grande classe, qui se permet même de montrer les travers de la corruption dans la société turque à travers la mutation du père de Alper.

Comme je vous le disais, ce roman est une bien belle surprise, c’est même la belle découverte d’un auteur qu’il faudra suivre à l’avenir. C’est aussi ma première lecture turque, preuve supplémentaire s’il en fallait, que le polar n’a pas de frontière et que le talent est partout. Je ne souhaite qu’une chose maintenant, c’est de retrouver Alper pour une prochaine enquête.

Le mémorial des anges de Fabrice Pichon (Editions du citron bleu)

Après Vengeance sans visage et Le complexe du prisme, voici donc le troisième roman de Fabrice Pichon, qui démontre une nouvelle fois qu’il faut aller chercher du coté des petits éditeurs pour trouver d’excellents romans policiers.

Dans Vengeance sans visage, nous avions fait la connaissance de Nicole Desvignes. Dans Le complexe du prisme, nous avions suivi Marianne Bracq. Dans ce troisième roman, il fallait une intrigue complexe et passionnante pour se faire rencontrer ces deux personnages féminins au caractère bien trempé.

5 mai. Scène d’enterrement, tout le monde est là, triste. Mais que s’est-il passé ?

14 avril, soit trois semaines plus tôt. Un des hommes de Marianne Bracq, Magnin, est retrouvé dans un bois, proche de Dijon, victime d’une agression : on lui a tiré deux fois dessus. Son état est critique, il est plongé dans le coma. Le bois en question est bien connu pour abriter des rencontres homosexuelles ou échangistes.

La première idée est évidemment de s’intéresser à la vie privée d’un de ses hommes, ce qui n’est jamais facile. D’autant plus que sa vie privée à elle est loin d’être simple : Mère de deux filles issues de deux pères différents qui sont tous les deux partis, elle doit gérer à la fois sa vie personnelle mouvementée et sa vie professionnelle chargée. Son supérieur lui demande mettre en suspens ses deux affaires en cours (une affaire de viol et le meurtre d’un psychologue) pour se mettre à 100% sur l’agression de Magnin.

Si le premier roman est une découverte, le deuxième une confirmation, dans le cas de Fabrice Pichon, le troisième roman est celui de la consécration. Pour avoir lu ses deux premiers romans, j’ai bien vu (enfin, surtout lu) la progression dans l’écriture de cet auteur. Et si la façon de conduire son intrigue était déjà en progrès dans le Complexe du prisme, cette fois ci, Fabrice Pichon nous a écrit un roman passionnant.

L’intrigue tout d’abord est complexe sans être compliquée pour le lecteur. Ce qui est incroyable, c’est cette faculté d’avancer par petites scènes, par petits rebondissements, de rajouter des questions, de construire un labyrinthe dans lequel le lecteur ne trouvera la sortie qu’à la fin du roman. Ce que j’ai adoré, c’est cette logique limpide qui fait que les scènes se suivent comme si on vivait au milieu de cette brigade de police, c’est cette construction qui fait que l’on n’est jamais largué. Dans cette façon de mener son enquête, j’y ai trouvé les qualités que je trouve chez un Indridason.

Car Fabrice Pichon s’intéresse autant à l’enquête qu’à la vie privée de ses personnages. Là encore, pas besoin d’esbroufe, pas besoin de jeter de la poudre aux yeux, tout est fait dans une simplicité extrême, mais finalement, c’est bien ce qui me touche le plus. Il n’y a pas de personnages extraordinaires, de super-héros, juste des gens normaux face à un problème épineux et complexe.

Et puis il y a aussi cette faculté à écrire simplement ce qui s’énonce simplement. On n’a jamais l’impression que c’est écrit, Fabrice Pichon écrit simplement la vie des autres. Chaque phrase, chaque expression est d’une logique implacable. On n’a jamais envie de laisser tomber le livre, tant on est emporté par ce qui y est raconté. J’espère vous avoir donné envie de lire, de découvrir cet auteur car pour tout vous dire, la France détient un auteur de romans policiers de premier choix. Découvrez donc Fabrice Pichon !