Editeur : Albin Michel (Grand Format) ; J’ai lu (Format poche)
Traducteur : Valérie Malfoy
Avec ce roman, je vous propose de découvrir un auteur australien, qui pourrait bien faire partie des très grands de la littérature. En mélangeant les genres entre roman noir et roman de fuite éperdue, ce roman est construit sur deux personnages forts et révèle un auteur au style éblouissant, rien de moins !
Ce roman a été lu grâce au conseil de mon ami Le Concierge masqué et lu dans le cadre de la sélection des Balais d’Or 2017.
Lee est un jeune homme qui se réveille dans une chambre d’hôtel avec à ses pieds une valise pleine de billets de banque et une balle dans le ventre :
« Emergeant des profondeurs océaniques, Lee revint lentement à lui. Il lui semblait que c’était en rêve qu’il battait des paupières, face à ses genoux cagneux. La chambre se taisait, comme s’apprêtant à l’accueillir. Telle une grossière figurine d’argile, rigide et très ancienne, il était couché dans ce lit, et il clignait des yeux. »
Wild est un docteur morphinomane qui a tout abandonné, y compris lui-même :
« Même si ce fut soudain, Wild ne fut pas extrêmement étonné de se voir quitter la maison qu’il avait si longtemps habitée avec sa femme et sa fille. De toutes façons, il vait perdu depuis belle lurette la trace de l’homme qu’il était censé être. Même partir en pleine nuit lui ressemblait désormais et il se consola à l’idée que tout le monde avait déjà foutu le camp – alors pourquoi pas lui ? Mais en réalité, il savait que certaines décisions sont irrémédiables, et celle-ci en était une. »
Lee et Wild vont se rencontrer et fuir ceux qui cherchent l’argent. Parmi eux, il y a Josef :
« Le soir tombait et il tira les rideaux. Des voisins parlaient très fort dans l’escalier, derrière sa porte. Il y eut des rires, puis des « chut » frénétiques. Surement le crétin de l’appartement sept. C’était comme une minuscule bombe explosant dans sa cage thoracique. Pourquoi le rire des autres était-il si dévastateur ? Il passa un doigt le long de son col et suçota sa dent en or, léchant la surface en expert. Le bruit retomba, mais l’agacement bouillonna dans sa poitrine comme de la vase remuée au fond d’un lac. »
Des romans de fuite, tout le monde en a lu tant et tant. Des personnages forts, on en connait aussi plein. Mais quand c’est raconté d’une façon aussi remarquable, on en redemande. Il faut juste que je vous prévienne que le texte ne comporte pas de marque pour distinguer les dialogues du texte lui-même. Il faut un peu s’y faire au début, mais on entre rapidement dans le jeu et on se laisse mener dans cette intrigue, racontée avec une fluidité et une évidence rares. Chaque mot appelle le suivant, chaque phrase appelle la suivante. C’est un roman qui, dès qu’on l’a commencé, est impossible à lâcher. D’ailleurs, je vous ai mis des extraits en guise de résumé mais j’aurais pu tout aussi bien farcir ce billet d’extraits tant certains passages sont tout simplement brillants.
Si ce roman parle de fuite, il met surtout en scène deux personnages qui, par la force des choses, vont rechercher la rédemption en se sauvant l’un l’autre. Wild va chercher à sauver sa vie en sauvant celle de Lee, blessé, qui lui va chercher à sauver Wild de son addiction. De cette fuite vers nulle part, ces deux hères vont errer (justement !) sans but, sans avenir, sans espoir. Le ton est définitivement noir, à l’inverse de l’écriture qui est lumineuse. Il y a bien un troisième personnage Josef qui apparait rarement dans le livre, mais qui fait planer une menace constante par son absence justement.
Je ne peux que vous conseiller cet auteur, qui m’a fait penser par bien des aspects à Donald Ray Pollock, et toute cette génération de jeunes auteurs qui renouvellent des thèmes connus par la simple beauté de leur écriture. Il faut savoir que deux autres romans ont été édités : Les affligés et La compagnie des artistes. Enfin, l’ami Claude a donné un coup de cœur à ce roman.