Sous la ville de Sylvain Forge

Editeur : Toucan Noir

J’avais beaucoup apprécié son premier roman, Le Vallon des Parques, puis j’avais laissé passer les deux suivants car c’étaient des romans d’espionnage. Sous la ville est donc l’occasion de renouer avec Sylvain Forge.

4ème de couverture :

Adan Settara est brigadier à l’’unité de police judiciaire de Clermont-Ferrand. Il a déjà plus de trente ans de « boutique » et ses origines algériennes lui ont valu de nombreuses vexations et beaucoup de difficultés professionnelles.

Mais elles lui ont aussi permis de nouer d’’utiles relations avec les caïds des cités HLM de Clermont, où se réalise l’essentiel du trafic de stupéfiants.

Quand de jeunes étudiants arrivent au commissariat, après avoir trouvé une clé USB contenant d’’atroces images de meurtre, Adan comprend vite que l’’affaire est sérieuse et qu’’elle le mènera dans les hautes sphères de la société auvergnate.

Mais il décide aussi qu’’il ira cette fois jusqu’’au bout de son enquête, quitte à bousculer les hiérarchies de la ville.

Il n’’a plus rien à perdre.

Mon avis :

Que de chemin parcouru pour arriver à ce roman, qui respire la sérénité et le savoir faire. Pour autant, ce n’est pas forcément un roman facile d’accès, avec ses nombreux personnages, ses allers-retours dans le temps, ou même les différents lieux que l’on va traverser. Il m’aura fallu quelques chapitres pour m’habituer et surtout m’appuyer sur le personnage de Adan Serrata, qui est d’une puissance intéressante.

En effet, Adan Serrata est d’origine maghrébine, et son père a fait partie des Harkis qui ont fui leur pays, pour échapper à une mort certaine, et sont venus s’installer en France. La famille d’Adan a choisi la région de Clermont Ferrant et le froid de l’hiver à d’ailleurs tué son frère. Adan est entré dans la police et il est bien intégré dans les cités, ce qui lui permet d’avoir des tuyaux intéressants. Malgré cela, il est et restera toujours un simple brigadier. (Vous avez parlé de racisme ?). Ses confrontations avec son père, toujours reconnaissant envers le pays qui l’a accueilli donnent lieu à des scènes mémorables, d’ailleurs.

A coté de cela, Marie, sa collègue, est chargée elle des disparitions de chats. Ce n’est en rien une plaisanterie et cela donne une idée de la façon dont les policiers sont utilisés et traités. J’ai trouvé que ce personnage, psychologiquement parlant ne faisait pas le poids avec Adan, mais ce n’est que mon ressenti. Il y a bien quelques scènes épatantes (dont une dans une tour de HLM, au dixième étage) mais dans l’ensemble, je l’ai trouvée un peu pâle.

Le vrai personnage de ce roman, pour moi, c’est surtout cette ville de Clermont Ferrant, où la séparation entre les villas cossues et les barres des cités est bien présente, où les jeunes de banlieue s’en sortent par de menus larcins ou de plus gros trafics, et où les « riches » se regroupent dans des sociétés secrètes pour ne pas laisser échapper le pouvoir.

Si les chapitres se suivent à un rythme effréné, le déroulement de l’intrigue est plutôt gentillet. On ne peut parler de thriller, mais plutôt de roman policier à connotation sociale, dont le point d’orgue est la façon dont l’état français a traité, ou plutôt parqué les Harkis à leur arrivée dans notre pays. Du moins, c’est vraiment le point que j’en ai retenu dans ce roman très intéressant, et qui, avec ses nombreux personnages, mérite une certaine attention à la lecture.

 

Tu ne manqueras à personne d’Alexis Aubenque

Editeur : J’ai lu

Depuis quelques romans, Alexis Aubenque a trouvé un rythme, une façon d’aborder ses intrigues qui ont fait monter ses romans d’un cran. Du moins, c’est mon avis. Après Ne crains pas la faucheuse, voici le deuxième épisode du cycle de Pacific View.

Nous retrouvons donc Greg Davis et ses deux enfants Raphael et Penny dans la petite balnéaire de Pacific View d’un coté et Faye Sheridan, la journaliste spécialisée dans les rubriques culinaires de l’autre. C’est la rentrée des classes, du moins pour Raphael qui va devoir se faire de nouveaux copains et copines depuis leur déménagement dans la superbe villa de leur grand-oncle.

La première journée commence sur de mauvais auspices : Le cadavre d’une jeune fille, Lucy Torper est découverte dans les toilettes, décapitée avec sa tête sur les genoux, et le sourire du Joker grimé sur son visage. Gregory Davis est immédiatement envoyé sur les lieux. Ils e fait accompagner du sergent Veronica Bloom, ce qui n’est pas, professionnellement parlant, pour lui déplaire.

L’information circule vite dans les media et Faye Sheridan veut suivre cette affaire. Elle devra le faire avec le journaliste dédié aux faits divers, Angelo Guadardo, avec lequel elle ne s’entend pas si bien que ça. L’affaire prend une autre tournure quand une vidéo de la mise à mort de Lucy circule sur le Net.

Depuis quelques romans, Alexis Aubenque a trouvé son rythme, et celui de ses romans. Il semble que le couple Gregory Davis / Faye Sheridan l’inspire, aussi pour la narration que pour la construction de ses romans. Car cela lui permet de faire progresser en parallèle deux enquêtes qui vont aboutir à une conclusion à la fois surprenante et fort bien amenée. Il a acquis une facilité qui fait de ce roman un vrai plaisir de lecture, et un style simple et imagé auquel il ajoute des dialogues évidents et remarquables.

On peut remarquer plusieurs choses avec ce roman : Faye Sheridan va retrouver l’homme dont elle est amoureuse, Ryan, qui est un tueur à gages chargé de tuer les coupables. On apprend ainsi qu’il fait partie d’une organisation chargée de faire leur propre justice. On va retrouver aussi Jessica Hurley, la profileuse que l’on a rencontrée à River Falls et qui va participer activement à l’enquête. Enfin, Alexis Aubenque, sans en avoir l’air, pose des questions sur la justice, sur les media et sur les méfaits des réseaux sociaux qui élèvent le propos au-delà d’une simple enquête policière.

L’auteur ne lèvera toujours pas le secret de Gregory Davis, donc nous ne saurons pas s’il a tué sa femme pour son héritage ou pas. Quant à la fin, sans la dévoiler, elle ouvre des perspectives intéressantes et laissent augurer des suspenses à venir que j’attends avec impatience. Avec ce roman, Alexis Aubenque s’installe dans les très bons auteurs de romans populaires, capables de nous emmener dans des contrées lointaines pour suivre des enquêtes passionnantes. Ce roman est encore une fois une formidable réussite, une excellente lecture pour l’été, voire plus.

Ne ratez pas l’avis élogieux de l’Oncle Paul

Rien ne se perd de Cloé Mehdi

Editeur : Jigal

Attention, coup de cœur !

Cloé Mehdi avait été remarquée avec son premier roman, Monstres en cavale, qui avait remporté le Prix de Beaune en 2014, roman qui avait reçu beaucoup d’éloges, que j’avais acheté mais pas encore lu. Il fallait que je rattrape cette injustice avec ce deuxième roman sorti aux éditions Jigal, dont le sujet m’intéressait beaucoup. Et je dois dire que ce roman est profondément sensible, et que j’ai fondu … c’est tout simplement magnifique.

Le personnage principal s’appelle Mattia Lorozzi, il a onze ans. Ce matin là, il se rend à l’hôpital avec son tuteur Zé, pour aller rendre visite à Gabrielle, la compagne de celui-ci, qui vient de faire une nouvelle tentative de suicide. Sur le chemin, Mattia a remarqué un tag, réalisé en rouge sur un mur : « Justice pour Saïd ». Pourtant, cela fait plusieurs années que Saïd a été tué lors d’un contrôle de police, qui a mal tourné.

Mattia va rater l’école plusieurs jours, se cachant même sous le lit pour veiller sur Gabrielle, qu’il aime bien. Pour veiller sur elle, pour veiller sur lui. Au bout d’une semaine, Mattia retourne à l’école, et ne se cherche pas d’excuse, il dit la vérité : Gabrielle s’est tranchée les veines. Il faut dire que Mattia est habitué à la mort des autres. Son père, déjà, s’est pendu, quelques années auparavant.

A la sortie de l’école, Zé est en retard. Mattia se retrouve seul, à devoir rentrer chez lui. Deux hommes lui demandent où est passé Zé. Ils connaissent son nom. Ils disent : « Tu es au courant que ton tuteur est un assassin ? ». Mattia passe à l’hôpital mais Zé n’y est pas. Son poste de surveillant de nuit n’est pas évident à gérer, avec la garde de Mattia. Les docteurs veulent enfermer Gabrielle dans un asile, pour la protéger disent-ils. Zé ne veut pas. Ils rentrent chez eux continuer leur vie … si on peut l’appeler comme ça.

Ce roman commence fort, très fort. A la limite, ce n’est pas un polar, mais une chronique des gens comme vous et moi, sur la vie, la mort, la justice, l’adolescence, l’éducation, sur les gens honnêtes, sur les pourris, sur les engrenages, sur les victimes collatérales, sur … tout. Si le roman commence avec une scène forte, elle permet surtout de nous accrocher, de poser une situation tout en laissant des zones de mystère. Petit à petit, certains pans vont se lever, on va faire connaissance avec l’entourage de Mattia, sa mère qui préfère fuir, son demi-frère qui veut les oublier, sa sœur qui veut oublier. Un drame tel que le suicide de leur père n’est pas un héritage facile. Mais les souvenirs de Saïd, jeune adolescent mort, tué, assassiné, hante le quartier, hante les gens ; on n’oublie pas impunément nos morts.

De cette chronique, j’aurais beaucoup de mal à oublier Mattia, le personnage principal, mais aussi tous les autres qui gravitent autour de lui. Tous sont d’une justesse incroyable, toutes les scènes, pourtant ordinaires, deviennent extraordinaires par cette faculté de subtilité du style, par cette volonté de trouver les bons mots sans effet superflus, juste en ne laissant émerger que les émotions. Nom de Dieu ! Je suis passé de la tristesse à la pitié, de la colère à la haine, de la révolte à l’envie de crier. On écoute Mattia, on comprend Mattia, on suit Mattia, on devient Mattia. Et on finit par cette simple question : Mais pourquoi ne peut-on pas se contenter de vivre tous ensemble ?

Ce livre n’est pas larmoyant, et à la limite, je me rends compte maintenant, combien il est difficile de traiter un tel sujet sans tomber dans la caricature. Cloé Mehdi a une plume magique, de celles qui vous font ressentir une émotion en une phrase, de celles qui vous montrent un paysage mieux encore que ce que vous avez devant les yeux. Ce roman, c’est une tempête d’émotions, c’est très noir, tellement évident, tellement beau, tellement révoltant, terriblement social, un constat simple comme savent le faire les enfants de 11 ans, avec l’évidence de leurs mots. Parce que ce sont eux, les enfants, qui ont raison, ce sont eux qui sont logiques dans ce monde illogique.

Ce roman est juste incroyable, juste magnifique, un coup de cœur évident, un coup de cœur évidemment !

Ne ratez pas les avis unanimes des amis Claude, Jean-Marc et Jean le Belge

Un zéro avant la virgule de James Holin

Editeur : Ravet-Anceau

J’avais beaucoup aimé son premier roman, Sacré temps de chien, qui nous emmenait en pleine Picardie. James Holin nous propose de changer de décor pour son deuxième roman, qui est un roman policier dans la plus pure tradition, et c’est un coup de maitre : ce roman est une vraie réussite !

Pierre de Vos, le président de la chambre régionale des comptes de Normandie demande à son premier conseiller Jean-François Lacroix de contrôler les comptes du musée de la sculpture contemporaine de Deauville. Il devra mener cette tâche avec Eglantine de Tournevire, sa collègue. Il lui faudra faire preuve de tact, puisque la directrice du musée, Isabelle Bokor est sur la liste du maire de Deauville, Henri Koutousov, pour les élections régionales, en deuxième place.

Ils débarquent à Deauville alors que l’on annonce l’inauguration d’une nouvelle statue, celle du Jockey, réalisée par le père du maire de la ville. A leur arrivée, Mme Bokor les met entre les mains Jean-Guy Bougival, l’agent comptable. Et la directrice est trop heureuse de leur faire une fleur en les invitant à l’inauguration prochaine.

Le lendemain, deux cents invités se pressent dans les jardins du musée pour l’inauguration. Tout ce qui compte à Deauville se doit d’être présent. On ne parle que du Festival du film qui commence dans quelques jours avec la présence de la star John Baltimore. Soudain, lors du discours du maire, Jean-Guy Bougival s’effondre. Il semble qu’il ait été empoisonné. Le capitaine Arnaud Serano va enquêter et être obligé de le faire avec Eglantine …

Toutes les qualités de son premier roman se retrouvent ici, et en particulier cete facilité de peindre des personnages dont ressort Eglantine, jeune femme espiègle, n’ayant peur de rien. dApoureuse de chevaux, elle a aussi le défaut de tomber facilement amoureuse, et de se plonger dans l’aventure, sans compter. C’est bien pour cela qu’on la retrouve en train d’enquêter avec le capitaine Arnaud Serano.

Je suis vraiment impressionné par la maitrise de l’intrigue, menée non pas tambour battant, puisque c’est un roman policier sans effet superflu, mais avec une logique qui force le respect. On sent que l’auteur a mis beaucoup d’application pour construire son histoire et qu’il y a pris du plaisir, ce que l’on retrouve sans peine dans la lecture.

C’est aussi le style très littéraire qui m’a énormément plu. Alternant les descriptions de Deauville avec des dialogues parfaitement faits, le roman se lit vite et surtout, on se dit qu’il y a une vraie maitrise à dire juste ce qu’il faut quand il le faut. Pour tout vous dire, j’ai pris mon pied à lire ce roman, car pour un deuxième roman, c’est tenu à bout de bras, solidement, avec un style à la fois sautillant, espiègle comme son héroïne, mais aussi avec sérieux et application. Pour autant, le roman n’est pas dénué d’humour et je ne peux que vous conseiller le moment où débarque une baleine sur les plages de Deauville, c’est hilarant !

Ce roman n’est pas à proprement parler un « Whodunit », au sens où on sait plus ou moins qui est impliqué dans ce meurtre, et qui est potentiellement coupable. Mais le mystère est plutôt à chercher du coté des motivations et c’est là que l’on sera surpris car la résolution se révèle encore pire que ce que l’on pouvait imaginer.

James Holin passe donc haut la main l’épreuve du deuxième roman, et je dois dire que le personnage d’Eglantine restera longtemps dans ma mémoire tant j’ai aimé son humour et son inconscience, en même temps que son sérieux et son courage. Je vous encourage fortement à la découvrir dans cette enquête au milieu des stars de Deauville.

220 volts de Joseph Incardona

Editeur : Fayard (grand format). Bragelonne – Milady (Format poche)

Quelle riche idée de la part des éditions Bragelonne de rééditer le roman de Joseph Incardona qui flirte entre le polar et le fantastique. Voilà une bonne occasion aussi de découvrir cet auteur qui a reçu le Grand Prix de la Littérature Policière l’année dernière avec Derrière les panneaux, il y a des hommes.

Ramon Hill est un auteur de thriller qui, avec son deuxième roman, a connu un grand succès. Son éditeur a alors décidé de rééditer son premier roman et maintenant, tous ses fans attendent son prochain opus. Son troisième roman, donc, est en pleine écriture … mais arrivé au chapitre 43, Ramon Hill est victime du syndrome de la page blanche. Impossible de produire la moindre ligne. Il se retrouve avec son héros bloqué en plein milieu du désert, dans des sables mouvants.

Sa situation familiale s’en ressent. Margot, sa femme, décide de faire un geste et lui propose d’aller en villégiature dans la ferme de ses parents, perdue au milieu des montagnes.  Ils laissent donc les deux enfants aux beaux-parents à 300 kilomètres de là et partent s’isoler en pleine nature. Mais rapidement, la situation dégénère et les ressentiments de l’un vis-à-vis de l’autre vont ressurgir. La tension monte, la situation devient proprement intenable et Ramon est victime de son allergie.

Jusqu’à ce qu’en réparant une prise électrique, Ramon frôle l’électrocution. A la suite de cet événement, Ramon devient un autre homme, qui n’est plus malade, et qui est capable à la fois de donner du plaisir à sa femme et de continuer son roman … jusqu’à ce qu’il retrouve le chat familial, mort sur le pas de la porte.

De nombreux auteurs ont approché le thème de la page blanche, et cette servitude que certains ressentent envers la création de leur œuvre. Parmi ceux dont je me rappelle, on peut citer l’inoubliable Le festin nu de William Burroughs, Echine de Philippe Djian, ou bien Maison fondée en 1959 de Michael Mention, sans oublier quelques romans de Stephen King ou de Jean Paul Dubois. Joseph Incardona prend donc ce thème pour démarrer son roman, et surtout, l’utilise pour planter le décor avant de changer totalement de direction.

A partir du tiers du roman, on part dans le fantastique et le clin d’œil au Maître Stephen King est de plus en plus appuyé. Cela permet de relancer une mécanique et surtout de rendre son livre, à partir de ce moment là, totalement addictif. Puis arrivent les drames et Ramon Hill se retrouve dans la position de son héros de roman, dans une situation inextricable dont il va devoir sortir.

Avec son style direct et limite agressif qui colle bien à l’histoire, l’auteur (dont j’avais adoré Trash Circus), nous livre un roman à la limite des genres dont on a l’impression qu’il hantait son esprit. Il nous le livre dans l’urgence et on ressent tout le plaisir et la nécessité qui l’ont animé pour écrire ce roman qui, au-delà de son aspect divertissant, se révèle un roman plein de suspense non dénué de réflexion sur la création et la relation d’un auteur à son œuvre. Voilà un roman prenant, passionnant que je vous recommande très fortement.

 

Sois belle et t’es toi de Jérémy Bouquin

Editeur : éditions Lajouanie

De roman en roman, Jérémy Bouquin nous invente des personnages hors normes qu’il plonge dans des intrigues qui sont à la fois simples et d’une logique implacable. C’est une façon comme une autre de prendre des gens normaux et de les plonger dans la violence inéluctable de notre société, quelque soit la façon dont on la regarde.

De roman en roman, son style percutant fait de telles merveilles, que je viens de le classer dans les auteurs à suivre à tout prix. Car à chaque fois, c’est l’assurance de passer un excellent moment de lecture. Et ce nouveau roman ne fait pas exception à la règle, à tel point que ce Sois belle et t’es toi, partant d’un sujet casse gueule s’avère un polar excellent, par l’épaisseur que Jérémy Bouquin apporte à son personnage principal.

Samuel est une jeune homme, mais à l’intérieur, il est une femme. Ses parents voulaient tellement une fille qu’ils avaient préparé des layettes roses, qu’ils le traitaient comme une fille. Si bien que, dans sa tête, il est une femme. Avant, il était policier, obligé de cacher sa vraie nature. Pas facile de gérer cela dans un monde d’homme. Alors il a démissionné et est devenu enquêteur pour une entreprise qui travaille pour des compagnies d’assurance. Cette fois-ci, il a décidé de prendre des hormones pour faire grossir ses seins et a un devis pour son opération de vaginoplastie.

Son responsable, Edouard, l’envoie en province, dans un trou perdu pour des dégradations qui sont survenues dans une petite auberge, en Corrèze. Le propriétaire est victime de plusieurs actes de vandalisme et la compagnie d’assurances a des doutes. Alors Sam, qui veut se faire appeler Samantha, part voir de quoi il retourne.

Ce qui l’attend, c’est une belle surprise, quand il rencontre Karl Clash, le propriétaire, agé de plus de 70 ans, qui tient la boutique tout seul. Cet hôtel-restaurant offre des repas et la pension pour une somme ridicule. Parfois, il est aidé par Doriane, une jeune femme qui habite une caravane garée sur le parking. Le soir, Doriane monnaye ses charmes auprès des routiers qui passent. Etrange paysage pour une étrange enquête !

Après un premier chapitre de baston, de tabassage qui sera expliqué à la fin, il faudra 20 pages à Jérémy Bouquin pour planter le décor et son personnage de femme-homme. Et cela est fait de telle façon, qu’il est impossible de ne pas y croire. La force de ce roman tient dans cette psychologie si fine de Sam, et le lecteur que je suis accepte de le suivre dans son enquête.

Car Jérémy Bouquin va utiliser son style direct pour ajouter des petits détails, de petites réactions des autres pour nous faire vivre de l’intérieur le drame de Sam : celui de se retrouver, de vivre sa propre vie, sa vraie vie, à travers le regard des autres. La première étape de sa transformation, de sa mue, va être d’avoir des seins. Et comme au début, il va mettre du scotch pour les cacher, son rêve va se transformer quand il va oser mettre une robe, jusqu’à ce que Doriane soit la première à voir en lui une femme.

Le ton a beau être dur, le personnage est attachant. On fond de plaisir à lire ses mésaventures. Et avec des personnages secondaires aussi bien faits, le roman en devient excellent car il nous fait basculer émotionnellement entre amour pour les personnages et doute sur leurs motivations. Jusqu’à la résolution de mystère des actes de vandalisme que l’on n’avait pas forcément pu prévoir puisque nous étions occupés à suivre les pensées et les malheurs de Sam.

C’est un polar moderne qui pour autant rend hommage aussi aux grands du genre, qui ont inventé des détectives affublés de psychologies hors norme. Jérémy Bouquin ne juge personne, il reste à sa place et montre un état de fait : la difficulté d’accepter les autres, différents mais pas inhumains, bien au contraire. J’ai adoré ce roman, j’espère que vous l’adorerez aussi car c’est un super polar.

Ne ratez pas l’avis de l’oncle Paul

De force de Karine Giebel

Editeur : Belfond

Karine Giebel change de boutique et passe de Fleuve Editions à Belfond. Pour autant, je retrouve toutes les qualités que j’aime chez cette auteure à savoir un thriller psychologique passionnant.

Maud Reynier promène son chien Charly aux abords de la propriété familiale, sur les hauteurs de Grasse. C’est la fin de journée et la luminosité baisse lentement. Un homme de grande taille l’aborde. Il connait son nom, semble même tout connaitre d’elle. Puis il devient agressif, assomme le chien. Il s’apprête même à la violer, quand un jogger s’arrête, se bat avec le colosse et arrive à le mettre en fuite.

L’homme providentiel, le sauveur, s’appelle Luc Garnier. Et par chance, il est gardien de sécurité dans un musée. Il raccompagne Maud chez elle et découvre qu’elle est la fille du célèbre chirurgien Armand Reynier, propriétaire de sa propre clinique, remarié avec une jeune femme Charlotte. Ce dernier lui propose de l’argent que Luc va refuser. Il n’a pas fait cela pour le fric, mais parce que son métier, c’est garde du corps.

Quelques jours plus tard, Armand Reynier reçoit une lettre de menace. Ayant peur pour sa fille, il contacte aussitôt Luc et lui demande de protéger sa fille. Luc lui demande de contacter la police, ce qu’Armand refuse catégoriquement. Luc est donc engagé à plein temps, et fait la connaissance de la cuisinière Amanda et du jardinier. Quand les menaces se font de plus en plus précises et que les sentiments s’en mêlent, la situation devient très rapidement compliquée et difficilement contrôlable.

J’avais déjà beaucoup aimé Le purgatoire des innocents, et j’ai entamé cette lecture en étant sur de passer un bon moment de lecture. Car Karine Giebel n’est pas n’importe qui, et est capable de construire une intrigue basée sur des psychologies de personnages fortes. Ce roman ne fait pas exception à la règle. On part d’une idée simple, classique, déjà traitée de nombreuses fois par le passé. On enferme tout ce joli monde dans une propriété. On dévoile petit à petit la psychologie des personnages, en parsemant de ci de là quelques rebondissements, jusqu’à un final … surprenant.

Si je trouve que ce roman n’est pas le meilleur de l’auteure, je dois dire qu’il est très agréable à lire, que c’est du très bon divertissement, et que, une fois de plus, on se laisse prendre au jeu, car j’ai l’impression que Karine Giebel joue avec ses lecteurs et que c’est une des raisons pour lesquelles elle a tant de succès (mérité). J’ajouterai juste qu’il y a beaucoup de dialogues, et que cela m’a donné l’impression que le roman aurait gagné en puissance et en efficacité avec quelques pages en moins.

Ceci dit, il est indéniable que c’est un roman maitrisé de A à Z et que c’est toujours un plaisir de se laisser emmener dans des histoires fouillées et étouffantes, un bon divertissement pour cet été, en somme.

 

Une brève histoire du roman noir de Jean Bernard Pouy

Editeur : Editions Jean Claude Béhar

Editeur format poche : Points

Jean Bernard Pouy, en plus d’être un auteur incontournable du roman noir français, est aussi un érudit de la littérature noire. Je ne peux que vous encourager à vous procurer cet essai, qui montre toute la passion de cet auteur pour ce genre littéraire.

Quatrième de couverture :

« Le roman noir se doit par essence de ne pas être rose, c’est la moindre des choses. Sa préoccupation essentielle, celle de dépeindre des êtres brisés et menacés par une société aveugle et corrompue, lui a confié toute une génération d’auteurs qui, eux-mêmes, pour diverses raisons, quelquefois personnelles, ne voyaient aucunement l’espoir se lever derrière les brouillards dépressifs de toutes sortes. »

Jean-Bernard Pouy, une des figures les plus remarquées du roman noir en France, est l’auteur d’une soixantaine de romans. On lui doit notamment La Belle de Fontenay, RN 86 et Spinoza encule Hegel.

« Enflammé, radical, passionné, provocateur, le co-créateur du Poulpe partage ses envies, raconte ses livres favoris, encense ses auteurs phares. » Le Figaro

Mon avis :

Si vous cherchez des lectures pour cet été, ou pour un autre moment, vous allez avoir entre les mains LE livre qu’il vous faut. On ne va pas vous parler de nouveautés, bien qu’il y en ait mais plutôt des incontournables, de ces romans qui vous chamboulent et vous hantent toute votre vie. Clairement, à part Le Dictionnaire des Littératures Policières du Maître Claude Mesplède, il est bien difficile de traiter de ce sujet. Jean Bernard Pouy a décidé de laisser parler sa passion et en cela c’est avant un livre de passionné. Et la force de ce livre, c’est qu’il vous offre sa passion et que nous, nous l’acceptons comme une offrande.

Je ne l’ai pas lu en une seule fois, mais plutôt chapitre par chapitre. Et au passage, j’y ai noté une dizaine de livres qu’il va falloir que je me procure … de quoi alimenter ma rubrique Oldies. A part quelques piques envers les autres genres du polar, JB se lâche, et laisse parler son cœur … et c’est tellement bien écrit que je me demande encore pourquoi je continue à tenir ce blog. Chapeau, Maître !

Vous y trouverez donc une introduction, qui se veut humble. Puis JB nous propose 6 rubriques, pour classer les auteurs. Les aiguilleurs, Les forcenés, Les pessimistes, Les allumés, Les étoiles filantes et les intellos. Quelque soit la rubrique, cela m’a permis de découvrir des titres que je ne connaissais pas. Il termine son exercice par une nouvelle au titre humoristique à souhait et finalement dans le plus pur style de ce qu’il est capable d’écrire : Sauvons un arbre, tuons un romancier ! Tout un programme.

Bref, voilà un livre que je vous conseille très fortement. Que vous soyez fans de littérature policière ou non, il faut le lire pour découvrir autre chose, sans se tromper.

Le cri du cerf de Johanne Seymour

Editeur : Eaux Troubles

Je vous propose mon avis sur un roman policier venu de Québec, d’une auteure qui est la fondatrice du festival du polar Les Printemps meurtriers de Knowlton. Le cri du cerf est son premier roman, mais aussi le premier d’une série mettant en scène la policière Kate McDougall.

Kate McDougall vient d’être mutée au poste de Brome-Perkins. Elle habite une petite maison isolée, située juste à coté d’un lac. Ce matin là, elle décide d’aller piquer une tête dans le lac dont l’eau est fraiche : une bonne façon de se remettre les idées en place et de gommer les soucis qui la hantent. Alors qu’elle s’apprête à rejoindre la rive, elle voit un corps. Quand elle le ramène au sec, il s’agit du corps d’une jeune fille égorgée.

Les crimes majeurs sont suivis par la police de sureté du Québec, à Montréal et il n’est pas rare qu’ils délèguent des enquêtes aux commissariats locaux. Paul Trudel, à la tête de la police de sureté du Québec va superviser l’enquête avec Brodeur, qui déteste Kate et fait tout pour la pousser à la démission. Rapidement, la police déduit que la petite n’a pas été égorgée sur place, puisqu’il n’y a pas de traces de sang. Comme Kate est impliquée, elle ne fait pas partie de l’équipe d’enquête, à la grande joie de Brodeur qui fait tout pour la considérer comme une suspecte.

Le nom de la petite est Violaine Dauphin. Sa disparition a été signalée quelques jours plus tôt par ses parents qui sont vite innocentés. L’affaire se complique d’autant plus qu’une pièce de Scrabble est retrouvée dans sa poche. Quand un deuxième cadavre de jeune fille est retrouvé, il faut se rendre à l’évidence qu’un tueur en série rôde …

Ce roman est conçu comme le premier d’une série, alors il prend son temps pour nous présenter les personnages en présence, et de fouiller leur psychologie. Il ne faudra donc pas y chercher de l’action, mais plutôt un rythme lent. Par contre la lecture est rapide, car c’est bien écrit, très fluide, et la psychologie des personnages passe par les nombreux dialogues qui font avancer l’intrigue. Les chapitres sont aussi courts, très courts, ce qui a l’avantage de ne pas lasser le lecteur.

Ce qui est étonnant, c’est que l’enquête, sans passer au second plan, n’est pas un modèle du genre. Si la police enquête, l’auteure met plutôt l’accent sur les personnages et leurs relations avec les autres. On n’a pas droit à des déductions ou des indices qui s’amoncellent mais plutôt à Kate et ses collègues qui avancent en se rendant compte petit à petit que Kate est impliquée dans la résolution de l’énigme, et bien plus qu’elle ne le voudrait.

Kate subit aussi des séances de psychanalyse imposée par son passé, par une enquête précédente mais nous n’en saurons pas plus. Cela nous donne à nouveau des dialogues nombreux et des mystères à venir. Je pense que vous avez compris : j’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de dialogues voire trop. Quant à l’enquête, si elle est classique, on a déjà lu des histoires semblables. En fait, ce roman consiste, à mon avis, à présenter les personnages avant de nous offrir une enquête plus prenante. En tous cas, ce roman a au moins un mérite : avoir créé un nouveau personnage attachant que j’aurais plaisir à retrouver pour une prochaine énigme.

Moi, président de Mathieu Janin

Editeur : Le serpent à plumes

Collection : Serpent noir

Oyez, braves gens ! Le serpent à plumes est de retour ! Cette collection qui nous a fait découvrir Mons Kallentoft (entre autres) revient et sort un polar, pur roman politique sur un candidat aux élections présidentielles. Avec ce premier roman, Mathieu Janin réalise un coup de force.

Mai 2017. Nous sommes dans l’entre-deux tours des élections présidentielles. Après avoir remporté les primaires de la Droite face aux ténors de la politique, Jean Jacques Vautier, Député-maire de la petite ville de la région parisienne Bezous-sur-Seine se retrouve face au président sortant, un certain François Hollande. Il faut dire que son discours ultra sécuritaire et ses méthodes musclées de gérer sa ville ont séduit les Français.

Joachim Marx est lieutenant de police et travaillait au 36 Quai des Orfèvres. Etant obsédé par deux choses dans la vie, le sexe et son travail, il a malheureusement baisé la fille d’un important personnage de la république et s’est retrouvé muté à Bezous-sur-Seine. Lors d’un interrogatoire d’un petit voleur soupçonné d’avoir participé à un vol d’un camion de cigarettes, Ben Kader se met à table contre sa libération et dénonce Vautier qui aurait commandité des agressions et des incendies de véhicules pour justifier sa politique musclée la création d’une milice de sécurité.

Il s’appelle Nikos Aliagas et pour lui, c’est plutôt une malédiction. Il n’a aucune parenté avec la vedette de la télé, et son homonymie ne l’a pas aidé à devenir un grand reporter. Il travaille d’ailleurs au Francilien et écrit des articles locaux. Forcément, il va couvrir ces élections présidentielles et son art d’interroger les gens va l’aider à mettre à jour ces magouilles.

Pour un premier roman, c’est une franche réussite. Car avec ces trois personnages principaux, on a l’occasion de fouiller et comprendre comment fonctionne le domaine de la politique, du journalisme et de la police et surtout leurs interactions. Certes, leur psychologie est décrite dans le détail dès leur apparition dans l’histoire, et on pourrait le regretter. Mais en réalité on est vite plongé dans une intrigue locale aux répercussions nationales. En parlant de personnages, de nombreux autres gravitent autour de Vautier, Marx et Aliagas, et il faut un peu s’accrocher au début. Par contre, tous sont très bien dessinés et ont leur propre vie et leur propre raison d’apparaitre dans le livre.

En ce qui concerne l’intrigue, même s’il ne se passe pas grand’ chose, il y a suffisamment de rebondissement, savamment distillés pour que l’on ait envie de plonger un peu plus avant dans la fange. Le roman est rythmé par les jours qui nous séparent de l’élection du deuxième tour, et les scènes sont courtes, quelques pages, ce qui donne un certain rythme à la lecture.

Enfin, en ce qui concerne le style, je dois dire qu’il alterne entre la dérision, le cynisme et le sérieux. Certaines remarques acerbes vont vous amener un petit sourire vicieux au bord des lèvres. Mais l’ensemble est plutôt sérieux et bien écrit, bien décrit. Personnellement, j’aurais aimé plus de mordant. Mais j’ai pris beaucoup de plaisir à cette lecture et surtout, je note le nom de l’auteur pour son prochain roman, car il doit y en avoir un autre ! Tous les ingrédients du polar politique sont là, bien présents, bien faits, et cela mérite un autre roman, pas une suite, mais un autre sujet traité avec autant de sérieux et de respect envers les grands anciens du genre.