Editeur : Manufacture de livres
Je ne connaissais pas la plume d’Anne Percin et j’ai été surpris d’apprendre qu’il s’agissait là de son premier roman policier. Ceci explique pourquoi elle s’affranchit des codes habituels pour nous offrir un roman personnel donc passionnant.
Esteban Perrault est un jeune adolescent vivant dans une ZAD écologiste radicale dans les bois entourant Millau, Au Lieu-Dit Pinet, sur le territoire de la bergerie. Les entretiens avec la conseillère d’orientation du collège tournent court, mais comment peut-il se projeter sur un avenir ? Pour rattraper le cours qu’il a manqué, il compte sur Cerise mais elle est absente. Alors Cassandra, une jeune fille placée en famille d’accueil dans le coin, se propose de lui prêter ses cours. Petit à petit, ces deux jeunes vont se découvrir.
L’adjudant Sophie Cauchy vient d’être mutée à la gendarmerie de Millau. Tout le monde la prend pour une parisienne alors qu’elle était en poste à Creil. Elle a décidé de s’éloigner de son fiancé avec qui elle avait une relation toxique. Lucas et Mireille Borie, habitant au Sequestre près d’Albi viennent déclarer la disparition inquiétante de leur fille Jessica Borie-Languet, 22 ans.
Après avoir quitté ses études, Jessica rejoint la ZAD de Notre-Dame des Landes puis revient sur Millau. Comme ils paient son abonnement, les Borie ont reçu une lettre de relance de son opérateur téléphonique indiquant que son compte est vide. Quand ils l’appellent, elle ne répond pas. Tout ce qu’ils savent, c’est qu’elle a fait le chemin avec son petit ami Antonin. Sophie va donc s’intéresser aux résidents de la ZAD.
J’ai apprécié beaucoup de qualités dans ce roman à mi-chemin entre roman policier, roman provincial et roman social. Et en premier lieu, la plume d’Anne Percin, tout en douceur, mais aussi comportant une force intrinsèque dans ses descriptions. Le décor nous plonge dans une nature calme, loin de mes lectures urbaines, et loin des intrigues violentes, une nature omniprésente qui fait le lien entre les différents groupes de personnes.
Et ce roman regorge de personnages forts, que ce soit Sophie Cauchy, femme maltraitée psychologiquement, victime d’une relation toxique qu’elle tente d’oublier. L’auteure ne s’appesantit sur le sujet mais certaines scènes l(obligent à penser à nouveau à revivre des moments douloureux.
Et puis, on trouve les deux adolescents qui ont été élevés selon deux éducations différentes. Esteban a vécu dans cette ZAD écologique, éloignée de tous les conforts technologiques alors que Cassandra cherche à s’émanciper en utilisant le contexte d’enfant placée. Au travers d’une confidence, j’ai apprécié comment Esteban, ne sachant pas utiliser un smartphone, se retrouve à essayer à tout prix d’allumer l’engin qui renferme des jeux gratuits.
Et enfin, on retrouve les résidents de cette ZAD écologiste, où on est surpris de voir que chacun est libre d’aller et de venir, de rester ou de partir. Par contre, elle est gérée par un comité mais l’influence d’Etienne, le père d’Esteban, se montre presque dictatoriale. Et on y trouve aussi Maud, une femme libre dans les actes, ses envies et ses besoins, ce qui peut lui engendrer des problèmes.
J’ai trouvé incroyable la façon qu’a eu Anne Percin de laisser de côté l’enquête sur la disparition de Jessica, pour se concentrer sur ses personnages et les thèmes abordés. Parmi ceux-ci on notera la difficulté de survivre après une relation toxique, bien entendu, mais aussi la difficulté de passer à l’âge adulte pour des adolescents dans notre monde ultra-connecté, ainsi que les fossés qui se creusent entre des gens qui vivent différemment. Ce roman bigrement original dans son traitement et remarquablement attachant, est aussi un roman humaniste.
Je vous offre pour terminer quelques passages à retenir :
« Le discours antimilitariste après mai 68, ça passait mieux que le discours anticapitaliste à l’heure actuelle. Et pourtant, on avait moins à craindre de l’armée qui voulait réquisitionner les terres, que des sociétés d’autoroutes, ou des projets d’aéroport ou d’enfouissement des déchets nucléaires ! Le danger est plus grand, il est mondialisé ! L’ennemi, ce n’est plus l’armée, c’est le capitalisme, et ça n’a pas d’uniforme, le capitalisme, ça se cache derrière des mots qu’on ne comprend pas, alors on n’ose pas lutter … »
Et à propos du smartphone que convoite Esteban : « Grâce à elle [Jessica], il avait appris à quoi pouvait servir cet objet que son père avait banni de leurs vies. A cause d’elle, il avait appris à en avoir envie, alors qu’il n’en avait jamais eu besoin. »