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Les loups de Babylone d’Anne Percin

Editeur : Manufacture de livres

Je ne connaissais pas la plume d’Anne Percin et j’ai été surpris d’apprendre qu’il s’agissait là de son premier roman policier. Ceci explique pourquoi elle s’affranchit des codes habituels pour nous offrir un roman personnel donc passionnant.

Esteban Perrault est un jeune adolescent vivant dans une ZAD écologiste radicale dans les bois entourant Millau, Au Lieu-Dit Pinet, sur le territoire de la bergerie. Les entretiens avec la conseillère d’orientation du collège tournent court, mais comment peut-il se projeter sur un avenir ? Pour rattraper le cours qu’il a manqué, il compte sur Cerise mais elle est absente. Alors Cassandra, une jeune fille placée en famille d’accueil dans le coin, se propose de lui prêter ses cours. Petit à petit, ces deux jeunes vont se découvrir.

L’adjudant Sophie Cauchy vient d’être mutée à la gendarmerie de Millau. Tout le monde la prend pour une parisienne alors qu’elle était en poste à Creil. Elle a décidé de s’éloigner de son fiancé avec qui elle avait une relation toxique. Lucas et Mireille Borie, habitant au Sequestre près d’Albi viennent déclarer la disparition inquiétante de leur fille Jessica Borie-Languet, 22 ans.

Après avoir quitté ses études, Jessica rejoint la ZAD de Notre-Dame des Landes puis revient sur Millau. Comme ils paient son abonnement, les Borie ont reçu une lettre de relance de son opérateur téléphonique indiquant que son compte est vide. Quand ils l’appellent, elle ne répond pas. Tout ce qu’ils savent, c’est qu’elle a fait le chemin avec son petit ami Antonin. Sophie va donc s’intéresser aux résidents de la ZAD.

J’ai apprécié beaucoup de qualités dans ce roman à mi-chemin entre roman policier, roman provincial et roman social. Et en premier lieu, la plume d’Anne Percin, tout en douceur, mais aussi comportant une force intrinsèque dans ses descriptions. Le décor nous plonge dans une nature calme, loin de mes lectures urbaines, et loin des intrigues violentes, une nature omniprésente qui fait le lien entre les différents groupes de personnes.

Et ce roman regorge de personnages forts, que ce soit Sophie Cauchy, femme maltraitée psychologiquement, victime d’une relation toxique qu’elle tente d’oublier. L’auteure ne s’appesantit sur le sujet mais certaines scènes l(obligent à penser à nouveau à revivre des moments douloureux.

Et puis, on trouve les deux adolescents qui ont été élevés selon deux éducations différentes. Esteban a vécu dans cette ZAD écologique, éloignée de tous les conforts technologiques alors que Cassandra cherche à s’émanciper en utilisant le contexte d’enfant placée. Au travers d’une confidence, j’ai apprécié comment Esteban, ne sachant pas utiliser un smartphone, se retrouve à essayer à tout prix d’allumer l’engin qui renferme des jeux gratuits.

Et enfin, on retrouve les résidents de cette ZAD écologiste, où on est surpris de voir que chacun est libre d’aller et de venir, de rester ou de partir. Par contre, elle est gérée par un comité mais l’influence d’Etienne, le père d’Esteban, se montre presque dictatoriale. Et on y trouve aussi Maud, une femme libre dans les actes, ses envies et ses besoins, ce qui peut lui engendrer des problèmes.

J’ai trouvé incroyable la façon qu’a eu Anne Percin de laisser de côté l’enquête sur la disparition de Jessica, pour se concentrer sur ses personnages et les thèmes abordés. Parmi ceux-ci on notera la difficulté de survivre après une relation toxique, bien entendu, mais aussi la difficulté de passer à l’âge adulte pour des adolescents dans notre monde ultra-connecté, ainsi que les fossés qui se creusent entre des gens qui vivent différemment. Ce roman bigrement original dans son traitement et remarquablement attachant, est aussi un roman humaniste.

Je vous offre pour terminer quelques passages à retenir :

« Le discours antimilitariste après mai 68, ça passait mieux que le discours anticapitaliste à l’heure actuelle. Et pourtant, on avait moins à craindre de l’armée qui voulait réquisitionner les terres, que des sociétés d’autoroutes, ou des projets d’aéroport ou d’enfouissement des déchets nucléaires ! Le danger est plus grand, il est mondialisé ! L’ennemi, ce n’est plus l’armée, c’est le capitalisme, et ça n’a pas d’uniforme, le capitalisme, ça se cache derrière des mots qu’on ne comprend pas, alors on n’ose pas lutter … »

Et à propos du smartphone que convoite Esteban : « Grâce à elle [Jessica], il avait appris à quoi pouvait servir cet objet que son père avait banni de leurs vies. A cause d’elle, il avait appris à en avoir envie, alors qu’il n’en avait jamais eu besoin. »

Mirror Bay de Catriona Ward

Editeur : Sonatine

Traducteur : Pierre Szczeciner

L’année dernière, nous découvrions une nouvelle auteure et un roman pour le moins surprenant qui remettait sans cesse en cause les certitudes du lecteur ; il s’appelait La dernière maison avant les bois. Même si le thème est très différent, ce roman nous surprendre mais cette fois-ci, à mon avis, avec plus de maîtrise et un sujet plus sérieux. Place donc à Mirror Bay.

1989. La famille Harlow vient d’hériter de la maison de l’oncle paternel décédé et décide d’aller y passer leurs vacances estivales. Située au bord du Whistler Bay, cette région regorge de forêts, de gorges et de multiples endroits pour s’y amuser. Wilder Harlow, 17 ans, pense qu’il va s’y ennuyer et subir les disputes de ses parents. Heureusement, il rencontre deux adolescents de son âge : Nathaniel et la jeune Harper.

Pour ces jeunes, l’endroit se révèle mystérieux avec le vent qui siffle dans les entrailles des falaises. Wilder apprend par ses amis que des âmes errent dans les grottes et qu’un effrayant rôdeur s’introduit chez les gens la nuit pour prendre un polaroïd des enfants qui dorment dans leur lit. Petit à petit, les jeunes se confient leurs secrets et la réputation de ce coin perdu. L’année suivante, Wilder renvient avec ses parents pour des aventures bien plus dramatiques (ne comptez pas sur moi pour vous raconter !).

1991. Se rêvant écrivain, Wilder a quitté ses parents pour intégrer l’université. Il rêve de devenir écrivain et de raconter les événements qui se sont passés à Whistler Bay. Son premier colocataire Doug est un sportif. Il changera de chambre pour laisser sa place à Sky, jeune homme qui a déjà décidé d’écrire un roman. Les deux jeunes hommes vont se nourrir mutuellement pour écrire une histoire.

Il est bien difficile de faire un résumé du livre sans en dévoiler trop. Si vous trouvez les paragraphes précédents trop flous, c’est normal ! Au début du roman, on pense lire du Stephen King tant c’est bien fait. Et puis, dès que l’on parle d’une histoire avec des adolescents, on pense au King. Et les deux premières parties qui couvrent les deux premières années vont nous malmener avec de nombreuses révélations et des affaires criminelles terribles.

Entretemps, nous avons un paragraphe sur Pearl … mais qui est Pearl ?

Puis Wilder va entrer à l’université et le ton va changer, devenir plus sérieux et aborder tout d’abord le lien entre les deux jeunes hommes et ensuite leur rapport à la littérature. Très intéressante, cette partie offre aussi les premières dérives du roman, les premières scènes où on ne comprend pas trop comment tout cela finit par partir en vrille. En fait de vrille, il s’agit plutôt d’un voile que l’on soulève, d’une poupée russe que l’on ouvre.

Et Catriona Ward s’amuse dans la deuxième moitié du roman à nous balancer de droite et de gauche, alternant réel et virtuel, roman et vraie vie, mélangeant les personnages fictifs et vrais. Mais elle nous offre aussi et surtout une vraie réflexion sur la création, sur les auteurs, leur vie, leur douleur, sur le pouvoir des œuvres et sur le rôle des auteurs. Les écrivains ne sont-ils pas des voleurs ? ou bien est-ce la littérature qui nous dérobe notre vie ?

Je n’aime pas le terme de méta littérature que j’ai lu par-ci par-là, et qui me semble être un terme à la mode pour faire mieux vendre. Mais je dois dire que ce roman de Catriona Ward m’a amusé et aussi stimulé dans ma réflexion. Et oui, je l’ai préféré au précédent car je l’ai trouvé plus maitrisé, plus sûr de son propos. Ceux qui ont adoré le précédent vont adorer, ceux qui ne l’ont pas aimé devront passer leur chemin.

Le chant des innocents de Piergiorgio Pulixi

Editeur : Gallmeister

Traducteur : Anatole Pons-Reumaux

Nous avions fait la connaissance de Piergiorgio Pulixi avec le formidable L’île des âmes qui se déroulait en Sardaigne dont la visite était assurée par deux inspectrices Mara Rais et Eva Croce. Nous les retrouvions l’année suivante dans L’illusion du mal dans lequel apparaissait un nouveau personnage Vito Stega. Ce roman a d’ailleurs brillamment remporté le trophée de meilleur roman étranger de l’Association 813 (Rejoignez-nous !). En réalité, ce roman était le troisième d’une quadrilogie (pour le moment), Les chants du mal, mettant en scène Vito, personnage de flic complexe. Le chant des innocents revient dans le passé et s’avère être le premier tome de la quadrilogie.

Les policiers entrèrent dans la maison pour trouver une scène de carnage. Une jeune fille a été poignardée 85 fois et sa meurtrière se laisse désarmer en répétant inlassablement et d’une voix atone : « Il est à moi ». Elle doit parler de son petit ami. Les policiers sont effrayés non pas par la scène mais par la meurtrière : Une gamine qui n’a que 13 ans.

Vito Stega est suspendu de son poste de commissaire pour avoir tué son partenaire Jacopo Di Giulio. Sa hiérarchie lui impose de suivre des entretiens avec une psychologue, Livia Salerno. Ayant fait lui-même des études de psychologie et de droit, il se montre réfractaire envers ces rendez-vous. D’un abord bourru et agressif, il ne souhaite que son autodestruction depuis que Cinzia sa femme l’a quitté quatre mois auparavant.

L’inspectrice Teresa Brusca se retrouve aux premières loges et hérite de cette affaire d’adolescente et demande conseil à Vito. Mais ils doivent bien se rendre à l’évidence qu’aucun indice ne leur permet d’avancer. Quand un deuxième adolescent tue son père à coups de marteau, Teresa et Vito sont persuadés que quelqu’un manipule ces jeunes, qu’ils vont surnommer le Marionnettiste. Alors que leur hiérarchie les prie de boucler les affaires, les assassins étant connus, ils vont enquêter chacun de leur coté.

Pour bien l’apprécier, il faut à mon humble avis aborder ce roman comme le premier d’une série. Il faut par conséquent passer par la présentation du personnage principal et c’est le cas puisque Vito Stega occupe tout l’espace disponible, tant il est imposant et psychologiquement complexe. Sa rage d’ailleurs souffre de la volonté de l’auteur de grossir le trait dans certaines scènes.

Mais à l’instar de ceux qui le fréquentent, on ne peut qu’aimer Vito Stega malgré ses défauts. Son entourage ne s’y trompe pas, sa femme tout d’abord qui a parfaitement su voir en lui son talent et qui refuse de le suivre sur son trajet autodestructif, sa collègue ensuite qui en tombe secrètement amoureuse, sa psychologue enfin qui veut le protéger quitte à lui supprimer sa raison de vivre, les enquêtes. Que des femmes me direz-vous ? Je dois avouer que Piergiorgio Pulixi a le don de les créer désirantes (et je précise pas toutes belles comme dans les magazines), fortes et sûres d’elles. On peut d’ailleurs y ajouter sa voisine Ada et sa petite fille qui sont pour moi les bonnes idées de cette galerie de personnages.

Enfin, Piergiorgio Pulixi a le talent d’écrire juste et avec rythme. Quelque soit le chapitre, tout y est minutieusement dosé et le rythme est apporté par les chapitres ultra-courts qui ne dépassent que rarement les quatre pages. Ce roman est prenant, vif, animé et on ne veut pas le lâcher. Quand au sujet, il m’a paru banal parce qu’on parle tous les jours des adolescents hypnotisés par les jeux vidéos (mais il faut se rappeler que le roman a été écrit en 2015) et j’avais deviné bien tôt de quoi il s’agissait. Le chant des innocents est donc le premier roman d’un cycle passionnant qui donne furieusement envie de lire le suivant.

Nos cœurs disparus de Celeste Ng

Editeur : Sonatine

Traductrice : Julie Sibony

S’il est un roman de cette rentrée littéraire 2023 qui fait l’unanimité chez mes collègues blogueurs, c’est bien celui-ci, une dystopie vue par les yeux d’un enfant d’une douzaine d’années.

Il s’appelle Noah mais Margaret sa mère le surnommait Bird. A 12 ans, il arrive à un âge où l’on se pose des questions. Mais avec un père qui part tôt au travail et rentre tard, trouver des réponses à ses questions devient complexe. Jusqu’à maintenant, il respecte à la lettre les conseils d’Ethan son père : ne pas faire de vague, baisser la tête, passer inaperçu car son faciès d’origine asiatique pourrait poser problème. En effet, sa mère est d’origine chinoise et a disparu quelques années auparavant.

Depuis la Crise, les Etats-Unis ont adapté le PACT, Preserving American Culture and Traditions Act, visant à se protéger de toute influence de la culture chinoise. Toutes les œuvres ayant un lien plus ou moins avéré avec la Chine et l’Asie ont donc été retirées de la circulation, voire brûlées pour les livres. La population elle-même se montre raciste et n’hésite pas à perpétrer des actes agressifs et violents. Les quelques manifestations anti-PACT finissent dans des affrontements avec les forces de l’ordre.

Bird ressent bien ce contexte mais il ne comprend pas tout. Un matin, il reçoit une lettre sans nom d’expéditeur. Il trouve dans l’enveloppe une feuille où sont dessinés une multitude de chats. Cela lui rappelle un conte japonais que sa mère lui racontait le soir, avant que lui et son père ne déménagent. Puis la seule copine avec qui il parle, Sadie, qui habite dans une famille d’accueil disparait. Bird va décider de rechercher l’origine de ce conte japonais en espérant trouver une trace de sa mère.

Cette dystopie se présente comme un roman fortement émotionnel centré autour de la vie d’une famille déchirée par un racisme institutionnalisé. Il nous montre les Etats-Unis dans un futur proche, après une gigantesque crise économique et l’impact de cette crise et du PACT sur une famille touchée de plein fouet par le rejet de tout ce qui a un lien de près ou de loin avec la Chine.

En fait, ce roman est divisé en trois parties que l’on pourrait renommer Le Livre de Bird, Le Livre de Margaret, et Le Livre de l’Espoir. Car même si on pressent la fin comme dramatique, le message n’en laisse pas moins une trace indélébile sur la puissance de la littérature et la poésie sur toutes les répressions gouvernementales possibles. Il n’en reste pas moins que ce que Celeste Ng nous présente fait froid dans le dos.

Bird en tant que personnage principal de la première partie est chargé de nous présenter la situation des Etats-Unis, surtout selon le point de vue des habitants. Ceux qui ont le malheur d’avoir un faciès asiatique doivent plier l’échine devant le racisme et la puissance armée de la police. Et cette situation nous rappelle qu’elle n’a jamais été plus contemporaine, surtout quand on voit un Biden implanter l’IRA (Inflation Reaction Act) sans que personne dans le monde ne réagisse, et je ne parle pas d’un Trump et son America First, son sexisme et son racisme affichés.

Adopter le point de vue d’un enfant de douze ans permet d’injecter une forte dose d’émotions parce que les questions que Bird se pose ne trouvent jamais de réponses satisfaisantes, et que nous éprouvons forcément de la sympathie envers ce gamin. Et on ne peut que le pousser à partir rechercher cette mère absente, ce qu’il fait, ce qui nous remplit de joie et ce qui nous réjouit quand il retrouve Margaret.

Dans la deuxième partie, Celeste Ng nous explique comment les Etats-Unis en sont arrivés au PACT. Cette partie plus détaillée et informelle m’a sorti de la charge émotionnelle pour apprécier la logique et la minutie des événements économiques et les impacts sur la population. Franchement, cette partie commence par faire peur tant elle est plausible, et elle se termine sur la lutte, la révolte de Margaret ce que j’ai ressenti comme une nécessaire bouffée d’air pur.

Le style de Celeste Ng est remarquablement fluide. Il laisse surtout planer une impression de douceur, nous place dans un cocon de coton, qui s’oppose totalement avec la dureté des événements relatés. Celeste Ng utilise une simplification extrême de son expression mais choisit minutieusement ses mots, ses phrases pour en retirer tout le suc et faire passer les émotions fortes.

Enfin, la dernière partie, même si elle apparait dramatique, laisse planer à la fois un doute et un espoir. Car finalement, l’Homme par sa faculté de création artistique et sa capacité émotionnelle peut renverser des montagnes. Celeste Ng nous met en garde contre ce qui menace le monde, la peur de l’autre, le besoin de trouver des boucs émissaires et le manque de confiance dans ses possibilités. Ce roman très fortement émotionnel, joue sur les cordes sensibles de tout un chacun, et pose en rempart de toute dictature l’amour familial et la puissance de la littérature. Un des romans les plus forts de cette rentrée littéraire.

Ayant déjà lu 1984 de George Orwell et Farenheit 451 de Ray Bradbury, il ne me reste plus qu’à lire La servante écarlate de Margaret Atwood.

Rendez-nous nos cœurs disparus !

Lancaster de Michel Moatti

Editeur : HC éditions

Michel Moatti nous a habitué à des thrillers, des romans historiques et même des enquêtes sur des serial killers. Prenant comme base un fait divers survenu aux Etats-Unis, il nous propose un roman sous forme d’enquête journalistique.

Connie Stotter l’avait annoncé dans les couloirs du Job Corps, un institut ayant pour but d’éduquer les adolescents abimés par la vie ou primo délinquants. Elle avait dit à sa future victime Carol Corman : « Je vais faire exploser ta tête ! Je veux voir ta cervelle couler par tous tes trous, ma vieille … ». Nous sommes en 2012.

Le soir même, Connie Stotter accompagné de son petit ami Tarabont Kheler emmène Carol Corman dans les bois de Presley Park, devant la centrale désaffectée, au bout de Cliffside Drive, Comté de Lancaster, Pennsylvanie. Après l’avoir déshabillée, Carol sera lacérée de coups de couteaux ; Connie gravera ce qui semble être un pentagramme, avant de lui écraser la tête avec un parpaing.

Cela peut sembler gore mais c’est l’une des seules descriptions sanguinolentes du livre et elle apparait dès la page 13. Michel Moatti a basé le point de départ de son roman sur une scène choc, qui s’inspire fortement de l’affaire Christa Pike, la plus jeune femme condamnée à mort aux Etats-Unis. Car le sujet n’est aucunement d’entrer dans des détails morbides et il valait mieux les mettre au début pour pouvoir entrer sereinement dans le vif.

A partir de ce constat, Michel Moatti va inventer des entretiens avec l’entourage des deux jeunes assassins, va ajouter des comptes-rendus de la police, des extraits du procès ou même y ajouter quelques passages narratifs. En fait, l’auteur a écrit avec ce dernier roman une sorte de roman hybride entre roman d’enquête, thriller et document, tout en ayant pris soin d’être rigoureux dans la construction et non linéaire dans le récit, ce qui en fait une intrigue fascinante de maitrise.

Outre la jeunesse de Connie, où l’on découvre une enfant maltraitée (avec tout ce que l’on peut imaginer derrière ce terme), Michel Moatti nous parle aussi de Tarabont Kheler, issu d’un village Amish, et nous dévoile quelques secrets dont des viols de jeunes femmes (vrais aussi et pour cela, il vous suffit d’aller chercher sur Internet).

Rassurez-vous, l’objectif de Michel Moatti n’est pas de trouver des circonstances atténuantes à ces meurtriers. Car quand on prend un peu de recul, on s’aperçoit que notre société devient de plus en plus violente, mais surtout que l’on finit par perdre toute notion de morale, de bien ou de mal, et d’humanité. Au final, ce roman est effrayant, et pas uniquement par l’acte décrit ici mais aussi par l’acceptation des gens que ces événements peuvent arriver.

Dans le livre, Connie Stotter est condamnée à mort et elle attend sa fin. Nous n’en avons pas fini avec ce genre de fait divers, et l’actualité nous le montre tous les jours. Lancaster est un document saisissant, effrayant et utile.

Portrait de la mort donnant le sein de Brice Tarvel

Editeur : Zinedi

Découvert à l’occasion d’un recueil de nouvelles La Maison à Claire-Voie, je retrouve avec enchantement le style si imagé dans ce court roman sous forme de course poursuite et qui se termine en thriller.

L’ïle de Ré peut sembler paradisiaque. En réalité, elle abrite au milieu des marais une sombre demeure convertie en clinique. Le Docteur Malaquin se permet de pratiquer des expériences sur des gens dont personne ne veut, voire de payer des parents pour disposer de leurs enfants et leur inoculer des médicaments non encore (?) validés. Le Docteur Malaquin a construit une véritable usine à cobayes humains.

Corentin et Kléber sont deux jeunes garçons d’une dizaine d’années et ont décidé de s’enfuir de cette clinique. Corentin est un malin alors que Kléber, avec plus d’embonpoint le suit. Kléber aimerait avoir l’assurance de son copain alors Corentin le décide à le suivre pour rejoindre la maison de sa grand-mère. Elle fait, parait-il, un miel qui permet de perdre instantanément du poids.

Alice, la mère de Corentin, se rend à la clinique à la demande du docteur Malaquin. Son nouveau compagnon n’a que faire de son beau-fils mais elle se trouve des instincts maternels devant le danger qui menace son fils. De peur que le Docteur ne le fasse, ils vont partir à sa recherche.

Passant alternativement du couple des jeunes enfants aux parents de Corentin, Brice Tarvel construit son roman comme un itinéraire initiatique, qui se transforme bien vite en course poursuite. Il comporte bien entendu des moments cocasses tout en drôlerie, mais aussi des scènes stressantes avant de se terminer dans une scène mémorable digne d’un western, ce que l’on a plutôt tendance à lire dans des romans américains.

Ce road trip bénéficie en outre d’une écriture imagée et remarquablement littéraire, ce qui démontre que l’on peut lire un polar bien écrit ! On suit les deux jeunes gens en les pressant de se dépêcher, on intime à Alice de laisser sa bouteille pour sauver son enfant et on est tellement pris dans l’histoire que la fin, brutale, parvient à nous surprendre. Voilà une excellente surprise.

Le club des mamans mortes de Paul Hurlink

Editeur : Alibi

Sa couverture, son titre et son sujet ont immédiatement attiré mon attention. C’est aussi l’occasion de découvrir l’univers d’un nouvel auteur, plutôt habitué à la littérature de jeunesse.

Quand Louison sort du commissariat où elle vient de pointer dans le cadre de son contrôle judiciaire, elle aperçoit de l’autre côté de la rue Kodeveï, adossé à une Twingo. Plutôt que de le rejoindre elle décide de le semer, de fuir par le bus, puis par une course effrénée. Elle ne veut plus entendre parler de lui, de Samir, de Courtney, du club qu’ils ont formé, le Club des Mamans Mortes.

Lors de sa rentrée en seconde, elle observe les autres lycéens et se sent étrange, à part. Une élève arrive en retard, habillée de vêtements déchirés, arborant des lunettes de soleil. La nouvelle arrive en retard, s’assoit à coté de Louison et quand elles remplissent les fiches d’identification, Louison jette un coup d’œil sur celle de sa voisine, s’aperçoit que sa mère est morte … comme elle.

Louison est affublée de seins énormes, comparés à ceux de ses camarades. Pour cela, elle subit des moqueries, des harcèlements sur les réseaux sociaux de la part de ses imbéciles de collègues masculins. Courtney est la seule à prendre fait et cause pour elle. Elles deviennent très vite amies, entrent dans une relation fusionnelle et décident de créer un club. Elles vont trouver deux autres garçons qui n’ont plus de mère. Ensemble, ils vont s’autoriser à faire des bêtises, des petites puis des grosses …

Ce roman nous raconte la rencontre qui ont comme point commun d’avoir perdu leur mère tôt. Courtney, appelée par sa mère en hommage à la chanteuse du groupe Hole, s’est identifiée au style musical Grunge et surnomme d’ailleurs cette perte familiale comme le hole, un vide, une absence, un trou que rien ne viendra combler. Louison tombe tout de suite sous le charme, les autres vont suivre.

Avec son décor planté dans les années 90, avec ses extraits de chanson en tête de chapitre issus de quelques chansons grunge, nous allons plutôt suivre ces quatre jeunes en opposition, en révolte contre une société (française, je le précise) normée, calibrée, et vont petit à petit vouloir montrer leur différence et leur refus par des larcins, jusqu’à des actes tout ce qu’il y a de plus terrible. Bien sûr, on y parle de passage à l’âge adulte, mais surtout du ressenti de règles trop strictes, de leur interprétation qui vient en opposition avec leur jeune expérience ; Et enfin, de cette tentation de les enfreindre.

J’ai trouvé fort surprenant cette plume remarquable de fluidité et cette construction qui alterne entre troisième personne du singulier et narration personnelle de Louison, entre l’avant et l’irrémédiable après. La description du club, cette sensation d’appartenir à un clan est remarquablement reproduite et le suspense réside bien dans les relations et le rôle de chacun des quatre du club des mamans mortes. A la limite, j’ai juste regretté que le style soit si propre pour une histoire si noire, un bien petit reproche devant la qualité de ce roman.

Le cercle des poètes disparus de Nancy H. Kleinbaum

Editeur : Livre de Poche

Traducteur : Olivier de Broca

Les titres de la rubrique Oldies de l’année 2023 sont consacrés aux éditions du Livre de Poche pour fêter leurs 70 années d’existence.

Initialement, je n’avais pas prévu de parler de ce roman mais ma fille l’ayant adoré, j’ai bousculé ma programmation. Hélas, il s’agit d’une novélisation du scénario du film de Peter Weir.

L’auteure :

Nancy Horowitz Kleinbaum est une auteure et journaliste américaine.

Elle a étudié à l’Université de Northwestern d’Evanston aux États-Unis de 1966 à 1970.

Elle a écrit de nombreuses novélisations à partir de films, dont « D.A.R.Y.L. » (1985), « Le cercle des poètes disparus » (Dead Poets Society, 1989), « Dr. Dolittle » (1998).

Elle a été journaliste au magazine « Lifestyles » pour lequel elle a réalisé diverses interviews.

Mariée et mère de trois enfants, Nancy H. Kleinbaum a vécu à New York, à Mount Kisco dans l’État de New York. Elle vit à Newtown en Connecticut.

Quatrième de couverture :    

À Welton, un austère collège du Vermont, dans les années 1960, la vie studieuse des pensionnaires est bouleversée par l’arrivée d’un nouveau professeur de lettres, M.Keating. Ce pédagogue peu orthodoxe va leur communiquer sa passion de la poésie, de la liberté, de l’anticonformisme, et secouer la poussière des autorités parentale, académique et sociale. Même si un drame met un terme à cette expérience unique, Keating restera pour tous celui qui leur a fait découvrir le sens de la vie.

Mon avis :

Le cercle des poètes disparus fait partie des films marquants, et l’on trouve la même passion quand on le voit une fois ou bien qu’on le regarde plusieurs fois, ce qui est mon cas. D’un scénario génial vantant la littérature et la liberté de penser, Peter Weir se montre inspiré et les acteurs passionnés par leur sujet. Le niveau du film se trouve encore grandi par cette fin, où le système broie sans pitié les initiatives personnelles visant la liberté et les tentatives de sortir du moule où l’on voudrait ranger les gens.

Ma fille de 17 ans n’a pas vu le film, elle a lu le livre et n’a pas hésité à me dire que ce roman était le meilleur qu’elle n’ait jamais lu (elle lit beaucoup). Forcément, la thématique l’attire, et la façon de le traiter remarquable. J’ai donc bouleversé ma programmation pour me faire mon propre avis, sans même me renseigner sur l’auteure ni le livre. Et bien mal m’en a pris, puisqu’il s’agit d’une novélisation du scénario original.

Je comprends bien cette volonté de faire du fric à outrance dès lors qu’un film a du succès. Ce livre a donc été écrit après le film, afin de tirer sur la corde et de récupérer de l’argent auprès des gens qui ont adoré le film … Ô humour cynique, quand le film prône la liberté de penser ou d’agir, les studios leur soutirent un peu plus d’argent. Il faut bien le dire, ce livre est la copie conforme du film, ni plus, ni moins.

On y trouve donc toutes les scènes les unes après les autres, les dialogues in extenso. Peut-être y a-t-il une ou deux scènes en plus, mais je n’en suis même pas sûr. Surtout, les descriptions ou le style aurait pu faire la différence mais tout cela reste bien plat, sans aucune passion, si bien que l’émotion ne passe pas et que l’on ne retrouve dans ce livre que le squelette d’un scénario à forte charge émotionnelle. Alors, un conseil, évitez le livre et courez acheter le film.

Je suis un monstre de Jean Meckert

Editeur : Joëlle Losfeld

Les éditions Joëlle Losfeld ont décidé de rééditer les romans de Jean Meckert, ce qui n’est que justice pour un auteur majeur injustement tombé dans l’oubli. Après avoir adoré Nous avons les mains rouges (N°7), La marche au canon (N°1) et La ville de plomb (N°8), je vous propose le N°2 de cette collection, Je suis un monstre.

Afin de gagner de l’argent pour ses études, Narcisse, comme on le surnomme, a trouvé un travail de pion pour une classe verte dans un petit village de Savoie. Cela devrait lui permettre de terminer sa thèse sur la Fatigue pour sa licence ès Lettres. Alors qu’il est assis sous les derniers rayons de juin, il entend des enfants crier, probablement des Aiglons, puis un cri inhumain qui finit de l’inquiéter.

Alors qu’il redescend pour faire l’appel, Mathis lui annonce qu’eun de chez eux va manquer à l’appel. Se remémorant le cri, Narcisse se dépêche et découvre à la faveur du faisceau de sa lampe de poche le corps, lapidé par ses camarades. Devant l’horrible spectacle, Mathis, en tant que témoin, raconte les insultes sur Boucheret, puis le ton qui monte, puis comment ils s’y sont mis à quatre, avec Crussol en chef de bande.

Mathis propose de camoufler le corps, et dans un premier temps, il est de cet avis et rejoins sa cahute sans toucher au corps. Puis, arrivé en bas, il va voit le psychiatre et directeur, M.Gourzon, appelé le Grand-Condor pour lui annoncer la présence d’un blessé. Pour ce dernier, il n’y a pas de doute, il est inutile de faire appel aux gendarmes, Boucheret est sorti contre le règlement et a fait une mauvaise chute …

Dans la bibliographie de Jean Meckert, ce roman paru en 1952 est le dernier qu’il a publié chez Gallimard dans la collection blanche. A ce titre, on sent une certaine rage dans le traitement du sujet et on assiste à une volonté de choquer le lectorat. Que l’on tue quelqu’un pour ses idées, cela s’est déjà vu ; mais que ce genre de règlement de comptes concerne des adolescents de quatorze à seize ans, c’est beaucoup moins commun.

Jean Meckert n’hésite pas une minute pour nous présenter son contexte : au bout d’une dizaine de pages, Narcisse découvre le corps à la tête fracassée. D’emblée, l’horreur ne le choque pas, et il se fait chevalier sans peur et sans reproche du porteur de la vérité contre les hypocrites qui veulent camoufler le meurtre en banal accident de campagne. Dans ces moments-là, sa plume se fait rage pure, et le combat pour l’honnêteté démarre.

Ce roman porte en lui aussi le portrait d’un jeune homme d’une vingtaine d’années, incertain quant à son avenir, incertain dans sa vie sentimentale, incertain dans sa position dans la société. Quand la colonie de jeunes va se scinder en deux, les rouges contre les popotins, il va se retrouver malgré lui à la tête d’adolescents qui veulent plus braver l’autorité que faire vivre des idées politiques.

Narcisse va aussi découvrir l’amour, se découvrir homosexuel et pédophile en même temps, tombant amoureux d’un jeune garçon auprès de qui il va s’ouvrir à la nature, au monde qui l’entoure, au besoin, au désir, au plaisir de l’autre. Jean Meckert sait nous montrer la poésie de la nature qu’il oppose à la bestialité des idées des hommes. Narcisse apparait à nouveau comme le chevalier blanc.

L’issue dramatique de ce roman ne viendra pas des hommes directement, mais de la nature, d’un événement météorologique qui va se venger de son inaction à faire un choix, par sa vie, celle des autres, l’échec d’un chef de clan qui n’en est pas un. D’une portée universelle, outre le portrait éminemment complexe de Narcisse, Jean Meckert fustige les hypocrites prêts à poignarder dans le dos ceux qui les gêne et pose la question du choix entre responsabilité personnelle et responsabilité collective. Un grand roman sur un être humain perdu dans un monde d’adultes !

Où reposent nos ombres de Sébastien Vidal

Editeur : Le Mot et le Reste

Je ne vais pas épiloguer longtemps, ni sur ma source pour le choix de cette lecture, ni sur le niveau de ce roman. Laulo, la patronne du défunt blog evadezmoi a parsemé son avis, a fait une publicité fort justifiée et ce roman ne peut que rappeler à nous tous notre jeunesse, notre groupe de copains-copines, nos conneries, nos rêves, et quand c’est bien fait, cela donne une énorme dose d’émotions et de plaisir.

La bande aux yeux marron, Vincent, Johanna, Franck et Chris, entament ce mois d’août 1987 qui ne peut pas être un mois comme les autres. Ils sont tous au collège, en troisième, et savent que les choses sérieuses commencent avec le lycée. Peut-être se sépareront-ils ? En tous cas, ils sentent déjà qu’ils seront différents, que peut-être ils se sépareront, qu’ils ne retrouveront plus jamais ces moments-là.

Ils ont découvert par hasard le lac, et cette plage où ils peuvent inventer toute aventure, Calicoba Beach. Vincent qui sait tout sur la faune et la flore, Johanna la fille du buraliste de ce village de Corrèze, Franck le chef chambreur aux mauvaises idées et Chris le narrateur vont y piquer une tête avant d’être surpris par un homme qui semble habiter dans les bois, qu’ils nommeront l’Indien. René l’Indien accepte qu’ils viennent se baigner ici tous les jours s’ils ne mentionnent à personne sa présence.

Au même moment, en région parisienne, deux hommes casqués braquent un fourgon. Le convoyeur de fonds a malheureusement esquissé un geste vers son arme et Jacques lui a tiré dans la poitrine. Ils avaient tout prévu avant le casse, rien pour après. Ils vont donc voler une voiture, une Renault encore, et être affublés du nom du gang au losange. Quand Jacques se rend compte que son portefeuille est tombé près de la banque, il comprend pourquoi les journaux radiophoniques connaissent son nom. Ils vont partir en cavale en semant de nombreux cadavres sur leur route.

Quand un roman sur des adolescents est bien fait, cela fait forcément jaillir en nous tout un flot de souvenirs, une vague de nostalgie. Nous avons tous fait partie d’un groupe de copains, on se racontait tous des histoires, on inventait une vie plus belle que la réalité mais on ne parlait jamais de demain, de l’avenir. Ce roman va construire la vie de ces quatre gamins (A mon âge, j’ai le droit) et narrer ce qu’ils vont vivre avec une véracité qui forcément me parle.

Sébastien Vidal va donc évoquer l’insouciance de ces autre adolescents, et comment ils vont grandir, appréhender les difficultés familiales, soulever un bout du voile qui cache le monde noir des adultes. Ils vont aussi se découvrir et découvrir les autres, ressentir les balbutiements de l’amour et l’horreur de la violence qui va trouver sa conclusion dans une scène finale qui apportera la couleur rouge absente du reste du livre.

Car Jacques et Antonio vont intervenir par chapitres interposés, se procurer nourriture et essence, arpenter les routes départementales et assassinant toutes les personnes qui les regardent de travers. Si ces chapitres sont bien faits, ils n’ont pas été mes préférés, évidemment. Mais ils permettent de faire monter une tension, et de nous faire espérer que la rencontre finale aura lieu le plus tard possible pour nous laisser parcourir les sentiers forestiers de la Corrèze en compagnie de la Bande aux Yeux Marrons.

Ce roman touche la magnificence quand il évoque la nature, il fait preuve d’une formidable justesse dans son évocation des relations entre adolescents, et surtout il évite d’en faire trop, invente des scènes simples qui ne peuvent que nous rappeler celles que nous avons vécues. Et j’espère que vous aussi, si vous avez lu ce billet jusqu’au bout, vous aurez envie d’acheter ce livre pour la bouffée de nostalgie qu’il procure.