Archives pour la catégorie Chouchou 2009

Les cœurs déchiquetés de Hervé LE CORRE (Rivages Thriller)

Après avoir lu les avis chez mes collègues blogueurs, je l’avais mis dans ma liste de livres à dévorer. Le fait qu’il soit retenu dans la sélection automnale de Polar SNCF m’a motivé pour le lire dès à présent.

Pierre Vilar est commandant de police à Bordeaux. Victor est un garçon de 10 ans dont la mère a été assassinée. Les deux personnages principaux ont vécu un drame dont ils ne se remettent pas, dont ils ne se remettront jamais : Vilar a perdu son fils, Pablo, enlevé à la sortie de l’école depuis plus de cinq ans et Victor a découvert sa mère, gisant dans un bain de sang dans sa chambre. Vilar va enquêter sur le meurtre de la mère de Victor, qui lui va être placé dans une famille d’accueil. Les deux affaires vont se rejoindre bien vite au travers d’un tueur qui joue avec la vie de Vilar et Victor.

Sur la quatrième de couverture, il y est fait mention d’une atmosphère à la Robin Cook. Eh bien, on n’en est pas loin. L’ambiance est noire, opaque, sale. Le sujet est glauque. Et les personnages déprimés au possible. Ici, on est dans le Noir, le vrai, le pur. Et dans la nuit ambiante, pas une petite lueur. L’ambiance est aux pleurs, aux cicatrices qui ne se referment pas, aux regrets d’être arrivé trop tard, d’avoir manqué un moment important, aux conséquences mortelles.

Les deux personnages ont une force en commun. Malgré les moments de découragement, ils redressent toujours la tête. Ils sont blessés par les événements de leur vie, mais refusent de se laisser abattre un peu plus. S’ils sont tous les deux passionnants d’un point de vue psychologique, j’ai trouvé personnellement que Vilar était plus intéressant à suivre, et que l’histoire de Victor était par moments accessoire par rapport au déroulement général du roman. Le fait qu’un chapitre leur soit comparé à tour de rôle est classique et j’avais hâte de passer certains chapitres de Victor. D’ailleurs, je n’ai pas trouvé de logique ou de relation entre les chapitres Vilar et les chapitres Victor. Serais-je passé à coté de quelque chose ?

L’écriture est vraiment agréable, regorgeant de descriptions, d’adjectifs. On est dans un style très détaillé, faisant part égale entre description des lieux ou de l’environnement et les états d’ame des personnages. J’ai regretté qu’il n’y ait pas de personnages secondaires plus marquants, car Hervé Le Corre met en avant ses deux protagonistes. Par contre, on a parfois droit à des passages d’une noirceur comme j’en ai rarement lu récemment. En cela, on se rapproche de Robin Cook. Et parfois, on a droit à des phrases interminables, faisant dix lignes (je n’exagère pas) qui nous laissent à bout de souffle mais qui ralentissent le rythme, le rendant poisseux. Je dirai que l’on oscille entre le brillant et le le lassant (mais très peu, je vous rassure).

Mais c’est le sujet qui me restera en mémoire, c’est toute cette violence dirigée contre des petits êtres innocents. Et tous les gens qui gravitent autour, pour qui c’est normal. C’est la révolte de Vilar contre le système, qui se débat avec les armes qu’il a, quitte à faire bande à part, en solitaire, comme un loup à la recherche de son louveteau. Et ce qui m’a choqué, c’est l’indifférence générale, la normalité devant des actes atroces que Hervé Le Corre dénonce. Tout le monde s’en fout des cœurs déchiquetés. La société qu’il nous peint est bien moche, son trait est sans concession, et il laisse passer de bien désagréables frissons dans le dos.

Si je dois encore en rajouter pour vous donner envie de lire ce livre, allez chez un libraire et lisez les six premières pages qui constituent le prologue. Elles sont noires à souhait et donnent le ton du roman.

D’innombrables avis sont disponibles sur internet dont ceux de mes collègues  Jean marc , Hannibal , et Jean Claude .

Arrivederci amore de Massimo Carlotto (Points Seuil)

Voilà un auteur que je considère comme un des plus grands, dans le monde du polar. Parce que l’Italie comporte des purs génies en matière de romans noirs aussi. Comme je venais de lire des romans un peu longs, je me suis jeté sur celui-là, que j’ai acheté parce que c’est un Carlotto.

Giorgio Pellegrini est un ancien terroriste, qui après un assassinat, est obligé de vivre en exil en Amérique du Sud. Après plus de dix ans là-bas, l’attrait du pays se fait sentir, et il revient. Il devient l’indic d’un flic pourri, fait quelques années de prison (forcément !) et trouve un travail dans une boite de striptease. A partir de ce moment, il construit sa vie et peut assouvir ses besoins : argent et femmes mures.

Difficile de résumer ce roman court (180 pages) et foisonnant. Le personnage de Giorgio est formidable, décrit avec tellement de justesse, que l’on aime détester ce type. J’allais dire un loser, mais c’est plutôt à un minable à qui on a affaire. Courant toujours après l’argent pour pouvoir bien vivre, aimant les femmes de plus de quarante ans car elles lui amèneront moins de problèmes que celles de vingt ans (sic !) et qu’elles sont plus faciles à manipuler.

Ce roman est un des premiers de ce magnifique auteur, mais on retrouve tout ce qui fait la qualité de cet auteur. Il prend un personnage et nous démonte toute la psychologie, par petits traits, sans jamais juger, uniquement par les actes. Formidable. Toute cette histoire est tellement logique, et son personnage subit ses actes, ses décisions, et assume.

Massimo Catlotto, c’est ça. Un personnage magnifique, mais aussi une écriture simple. Le style est comme toujours direct, chaque mot a sa place, chaque phrase est utile. Ne cherchez pas ici de descriptions de dix pages, de digressions qui détournent du déroulement de l’histoire, on n’a que le strict minimum pour une narration hyper efficace. Seul petit reproche que l’on pourrait faire à ce roman, c’est le classissisme de sa construction. Un chapitre pour chaque femme importante de sa vie. Sinon, ne cherchez pas d’humanité dans ce personnage, ni de romantisme dans cette histoire, le titre, en guise de trompe-l’oeil n’est là que pour mettre en valeur la noirceur du récit. A noter la couverture, qui est d’une beauté à couper le souffle, et je pense que vous allez craquer.

C’est le troisième Carlotto que je lis, j’ai les autres en stock, alors permettez moi de vous conseiller Rien, plus rien au monde (un condensé de 50 pages pour un pur chef d’œuvre, imaginez que je l’ai lu il y a 5 ans et je m’en souviens encore) et L’immense obscurité de la mort (un titre un peu pompeux pour un nouveau chef d’œuvre). Celui-ci est excellent, et après avoir lu les deux que je viens de citer, vous serez tellement drogué par Carlotto que vous courrez acheter les autres. Et peut-être que, comme moi, vous les garderez dans votre bibliothèque, juste pour le pur plaisir de savoir que vous avez des joyaux sous la main. Et, le jour où vous n’aurez rien à lire, où vous aurez besoin d’un vrai roman noir, vous en prendrez un au hasard (sept sont publiés en France à ce jour, si je ne m’abuse), et ce jour-là, vous choisirez un Carlotto.

Johan Theorin : L’heure trouble (Livre de Poche)

Lieu : Öland, une petite île de la Baltique. Un matin de 1972, le petit Jens disparaît. Son grand père Gerlof s’était absenté, préférant réparer ses filets de pêche. Sa mère Julia était partie au travail. Jens n’a jamais été retrouvé. Julia ne s’est jamais remise de cette énigme, elle se refuse à accepter l’absence ou la mort de son enfant, et Gerlof  reste miné par sa culpabilité, cherchant une explication rationnelle à cette disparition. Vingt ans plus tard, Gerlof reçoit dans sa maison de retraite une lettre contenant la sandale du petit Jens. A partir de ce moment, les spectres du passé resurgissent, et en particulier celui d’un tueur issu de l’île nommé Nils kant, soi-disant mort mais dont la mémoire hante les habitants de cette tranquille petite île.

Voilà, je viens de vous résumer les cinq premiers chapitres. C’est dire comme le contexte est dense. Vous allez me dire : encore un polar nordique ! Eh bien oui. Et plutôt à classer dans les romans d’ambiance. Car sur cette île, tout le monde se connaît. Tout le monde vit sa petite vie tranquille, chez soi car dehors, il fait un temps de cochon : en effet, le roman se passe à l’automne, quand le brouillard tombe tôt le soir. Cette ambiance est bien réussie par Johan Theorin, sans trop de répétitions (cela aurait été le piège).

Je ne vais pas m’appesantir sur le style, cela reste facile à lire comme tout bon best seller qui se respecte. Il a tout de même été élu meilleur roman policier suédois en 2007 par la Swedish Academy of Crime. Ça en impose. Pour ma part, j’ai passé un agréable moment, et je dois dire que lire un petit pavé en une semaine, cela prouve que cela se lit bien.

La construction, elle, est plutôt classique : trois personnages principaux, un chapitre pour chaque : D’abord Julia, puis Gerlof, puis un flash back sur des passages de la vie de Nils Kant. Quand je vous dis que c’est écrit comme un best seller, c’est aussi construit comme un best seller. L’évolution de l’intrigue, par contre, est parfaitement maîtrisée. Jamais on ne ressent un indice irréaliste ou non crédible. C’est du bon travail, surtout pour un premier roman.

J’ai apprécié, en particulier, les personnages secondaires et la façon qu’a l’auteur de petit à petit dévoiler ce qu’ils cachent. C’est redoutable. Même ceux que l’on écarte en tant que coupable potentiel dès le départ, se retrouvent avec un secret. Et puis, la vie d’un petit village est bien suggérée. Cela regorge de toutes les histoires ou les légendes des anciens, et cela se confond avec la vérité. Mais rappelez vous : c’est un best seller, donc pas de message trop évident. Cela reste quand même très lisse. Avis aux amateurs !

Voilà. Si vous voulez vous rafraîchir après une journée sur la plage, si vous voulez faire un tour dans le brouillard après votre bain de soleil, alors allez faire un tour du coté de la légende de Nils Kant. Ce n’est pas trop mon genre, mais je dois reconnaître que c’est efficace, sans prétention. Un vrai livre pour l’été et pour ne pas se prendre la tête.

A noter que l’auteur signale, dans les remerciements à la fin du bouquin, qu’il a totalement inventé le village et tout le contexte de son histoire. Si c’est vrai, alors chapeau !

John Harvey : Cœurs solitaires (Rivages noir)

Il arrive que, quand on vient de finir un bouquin, on se demande ce qu’on va attaquer après. J’ai une quantité pharaonique de livres à lire, et je les choisis en fonction de mon état du moment, c’est l’avantage d’en avoir beaucoup. Quand j’hésite, je préfère prendre un « vieux » roman, ce qui veut dire pas une nouveauté. C’est le cas pour celui là.

Le dernier Harvey venant de sortir, j’ai décidé, enfin ! ,  de me plonger dans le cycle Resnick. Le détail du cycle est donné dans un article chez Actu du noir là link. Mais revenons à ce « Coeurs solitaires ».

Shirley Peters est retrouvée morte chez elle, et très vite les soupçons se tournent vers son ancien amant. Mais un deuxième meurtre fait son apparition, avec quelques similitudes. Rapidement, l’inspecteur Resnick dirige ses enquêtes vers un meurtrier qui choisit ses victimes via une rubrique de petites annonces nommée Cœurs Solitaires.

Je ne vais pas vous faire l’affront de critiquer John Harvey. Ses qualités sont connues : style fluide, personnage principal passionnant, personnages secondaires avec beaucoup de profondeur psychologique, intrigue tirée au cordeau. Bref, rien que pour cela, il faut lire ce roman de John Harvey. Il fait vivre le quotidien des flics en centrant ses intrigues sur ses personnages plus que sur l’environnement du commissariat, et l’impact de leur vie privée sur leur travail.

Mais là où ce roman dépasse le roman policier standard, et où il devient noir, c’est par la vision qu’il donne de la société actuelle, sur l’incommunication entre les hommes et les femmes. Les hommes aussi bien que les femmes qu’il décrit dans ce roman sont seuls, sans cesse à la recherche non pas de l’amour parfait (les gens de quarante ans savent que cela n’existe pas) mais juste de compagnie. Cette analyse, très bien servie par le sujet, est éclatante mais jamais jugée. Harvey reste toujours au service de ses personnages, il leur fait vivre les actes de tous les jours pour démontrer son message, son sujet. Et même son personnage principal est dans le même moule imposé par la société.

Donc, si vous ne savez pas quoi lire, que vous hésitez entre quelques nouveautés dont vous n’êtes pas sur de la qualité, replongez vous dans ce roman qui se lit comme on mange un bon fromage : tranquillement et avec énormément de plaisir. Nul doute que je lirai un roman des aventures de Resnick dans un futur proche.

Pierre Lemaître : Robe de marié (Le livre de poche)

Sophie était heureuse, avant. Avant qu’elle ne devienne folle, que tout se mette à déraper, à lui glisser des doigts, du cerveau. Des passages à vide, une accumulation de petites choses qui, au départ, ne semblaient pas bien graves, mais qui tournent en spirale jusqu’aux drames, et des plus horribles. Lorsque nous la rencontrons, elle croit être au plus bas. Elle a tout perdu, son boulot, sa maison, le bébé qui grandissait en elle, son mari, sa mère. Elle est devenue garde d’enfant, mais voilà qu’elle prend en grippe également ce petit bonhomme de six ans. Sophie a des trous, des absences, elle ignore ce qu’elle fait. Ce matin-là, un réflexe de survie prend les commandes, et… Elle descendra beaucoup plus bas, elle ira beaucoup plus loin…

Ce roman se décompose en trois parties. La première ne m’a pas particulièrement emballé, même si a posteriori, elle ne fait que préparer la suite, et quelle suite ! Quand on quitte Sophie pour se retrouver dans la partie de Franz, alors tout bascule dans l’horreur. La lecture devient poisseuse tant on assiste impuissants à des actes, non pas gore, mais psychologiquement durs. Et tout cela amené comme un journal intime.

Là on assiste à un grand moment de littérature. On se fait mener par le bout du nez. On y croit à fond. On ne peut plus lâcher ce bouquin et on se demande comment cela va finir. Et la troisième partie vient finir tout cela en apothéose. Que du très bon. Pas un chef d’œuvre car j’aurais aimé une première partie plus prenante (peut-être le style et l’accumulation de petites choses qui nous font un peu décrocher par manque de vraisemblance). Mais en persévérant, on termine ce livre à bout de souffle en ayant conscience d’avoir vécu un grand moment dont on ne ressort pas indemne.

Alors, à la fin, on est mitigé à cause du début. Mais Pierre.Lemaître m’aura bien mené en bateau. C’est comme si on voyait un film du grand Hitchcock. Ça démarre doucement avec une héroïne qui n’est pas innocente mais qui s’enfonce dans les méandres de la folie, et on ressort avec une histoire de manipulation comme j’en ai rarement lu. On passe un très bon moment de lecture avec ce « Robe de marié », pourvu qu’on ait le courage de dépasser la première partie.

R.J. Ellory : Seul le silence (Livre de poche)

Joseph Vaughan a douze ans quand sa vie dérape : son père meurt et quelque temps plus tard, il découvre une fillette de son age massacrée, qui sera la première d’une effroyable série. Il va rester marqué à vie par cette macabre découverte à un point qu’il n’imagine pas, et cette spirale infernale va même s’étendre à sa vie … pendant trente années, il va traîner les conséquences d’un serial killer jusqu’au dénouement final.

Autant le dire tout de suite : il faut lire ce livre, pardon ce roman. Impressionnant dans sa construction et son style. Cela me rappelle Les Marécages de Joe Lansdale en moins brillant dans le style (Lansdale faisait évoluer son style avec la maturité de son personnage, là où Ellory fait plutôt dans la biographie narratrice) mais en plus impressionnant dans le traitement de l’histoire.

Jamais au cours de cette épopée, on ne s’ennuie. L’écriture est digne des plus grands auteurs américains. On s’attache facilement à ce personnage et aux malheurs qui s’abattent sur lui. On peut faire quelques reproches à ce roman : un sens du dramatique parfois un peu facile, un manque d’émotion dans certaines scènes et donc d’être passé à travers certains passages qui auraient dus nous tirer des larmes. Mais il y a des descriptions qui ne peuvent que vous faire fondre. Le personnage principal est attachant et on vit avec lui. Les dialogues aussi sont d’une pureté et d’une évidence fantastique.

Mais ce qui est remarquable, c’est que c’est un premier roman. Comment un type de 42 ans peut-il écrire un tel monument ? On a du mal à le lâcher, c’est vraiment prenant, les événements se suivent avec une logique, comme dans la vie.

Et puis, on se pose des questions : Est-on vraiment maîtres de notre vie ? Comment les éléments extérieurs influent sur notre vie ?

N’attendez pas de ce livre un thriller haletant : les pages s’écoulent au rythme des secondes et des minutes de la vie de Joseph Vaughan. La fin ne donne pas place à un super héros qui découvre le meurtrier dans la dernière ligne de la dernière page. Non. C’est du grand roman, du beau roman. En bref, de l’indispensable.