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Le chouchou du mois de septembre 2019

Après des vacances ensoleillées et reposantes, je reviens remonté comme un coucou suisse pour attaquer cette rentrée littéraire 2019. Les avis que j’ai partagés durant ce mois de septembre est donc un mélange entre les lectures estivales et les nouveautés. Mais vous n’y trouverez que du bon, à mon avis bien entendu.

Hors norme, c’est ainsi que je qualifierai La baleine scandaleuse de John Trinian (Gallimard), où un événement va bouleverser le quotidien d’une station balnéaire. Une baleine s’échoue sur une plage et l’auteur va nous proposer une analyse de ceux qui vont passer alentour. C’est un roman remarquable de justesse, inclassable.

Hors norme aussi, Le gang des rêves de Luca di Fulvio (Pocket) l’est par sa taille (950 pages), son ambition et son souffle romanesque. Plaçant son intrigue aux Etats-Unis dans les années 20, l’auteur nous propose de suivre trois personnages principaux dans une illustration du rêve américain. C’est un roman populaire par excellence à ne pas rater.

Vaste comme la nuit d’Elena Piacentini (Fleuve Noir) sera le seul roman psychologique chroniqué ce mois-ci et quel roman ! jamais la plume d’Elena Piacentini n’aura été aussi fine, ciselée et précise pour fouiller la psychologie humaine. Ce roman qui plonge dans le passé du capitaine Sénéchal clôt de façon magistrale le diptyque consacré à cette officier de police.

J’aurais tendance à ranger No problemo d’Emmanuel Varle (Lajouanie) et Broyé de Cédric Cham (Jigal) dans les romans noirs. Pourtant, ce sont des romans psychologiques où les personnages principaux sont poussés dans leur retranchement. Pour autant, j’ai du mal à les classer dans les thrillers. Dans No problemo, un jeune voleur monte un casse dans une maison où il a passé son enfance. Dans Broyé, Cédric Cham montre comment élever un enfant comme une bête. Dans les deux cas, les sujets fouillent le passé et l’éducation et creuse les racines de ce que nous devenons. Dans les deux cas, ce sont des romans durs qui, derrière leur intrigue, ont des choses à dire.

Au rayon roman policier original, deux romans sortent leur épingle du jeu. Le coffre de Jacky Schwarzmann et Lucian-Dragos Bogdan (la Fosse aux ours) est un roman à quatre mains où chaque auteur écrit son chapitre mettant en place son personnage de flic. Outre qu’il est agréable et drôle à lire, ce roman est aussi un formidable hommage aux grands du polar français, puisqu’ils les font apparaître en tant que personnages secondaires. A découvrir et à savourer sans modération. La boussole d’Einstein de Gilles Vidal (Zinedi) commence par un meurtre d’une femme écrasée par une voiture avec acharnement et se poursuit par deux enquêtes en parallèle, celle du frère de la victime et celle de la capitaine de police. Une nouvelle fois, j’ai été conquis par la faculté d’écrire des scènes justes de la part de cet auteur décidément à part.

Avec L’artiste (Manufacture de livres), Antonin Varenne a décidé de reprendre son premier roman, Le fruit de vos entrailles et de le refaçonner en gommant ses maladresses d’antan. Situé en 2001, entre les attentats du World Trade Center et les émeutes de novembre, l’enquête est un hymne aux artistes avec de formidables personnages. C’est un roman à (re) découvrir de la part d’un des meilleurs auteurs de polars français.

On n’a pas l’occasion de lire des polars australiens tous les jours. On n’a pas l’occasion de voyager en Tasmanie tous les jours. L’arbre aux fées de Michael Radburn (Seuil) nous offre cette possibilité dans un roman de forme classique au décor extraordinaire et au personnage principal attachant. Ce roman qui inaugure une série à venir donne envie de poursuivre l’aventure donc c’est à découvrir.

Le titre du chouchou du mois revient donc à Les yeux fumés de Nathalie Sauvagnac (Editions du Masque) Pour sa peinture des cités et les personnages perdus au milieu des barres verticales, en recherche de repères et de racines. Ce roman montre très bien l’impossibilité du rêve au milieu d’une réalité étouffante, aidé en cela par un ton très juste.

J’espère que ces avis vous auront été utiles dans vos choix de lecture. Je vous donne rendez-vous le mois prochain, pour un nouveau titre de chouchou du mois. En attendant, n’oubliez pas le principal, lisez !

Les yeux fumés de Nathalie Sauvagnac

Editeur : Editions du Masque

C’est Coco qui a attiré mon attention sur ce roman, à coté duquel je serai passé, parce que, a priori, en lisant la quatrième de couverture, c’est un sujet tellement casse-gueule que je n’aurais pas osé tenter cette lecture. Et j’aurais eu tort, car ce roman a vraiment une âme, un ton pour dire les choses, un coté attachant.

Dans une cité faite de verticalités, il n’y a pas de place pour l’espace du rêve, pour imaginer l’horizon, un autre horizon. C’est la réflexion que je me suis faite pendant ma lecture. Il y a deux façons de vivre là : accepter ou se rebeller, subir ou fuir.

Philippe est le personnage principal de ce roman. Il vit dans une cité, chez ses parents et n’a pas tout à fait 18 ans, l’âge où il peut envisager de s’en aller. Avec la mère qui tient le ménage avec poigne et le père effacé et taiseux, il y a Arnaud l’aîné qui travaille dans un garage et les petits jumeaux. Philippe qui sèche de plus en plus de cours a donc du mal à trouver sa place dans sa famille mais aussi dans la société.

Alors il passe le temps, ce maudit temps, son ennemi. Il traîne dans la cité, vole un sandwich et une bière à midi et attends le soir. Heureusement, il y a Bruno, son ami, son seul ami. Bruno a la tchatche comme on dit. Il raconte ses voyages, les paysages qu’il a vus, les femmes qu’il a rencontrées. Il a vécu une vie de fantasme pour quelqu’un qui doit se résigner à s’allonger devant les barres verticales. Bruno dit-il la vérité ou invente-t-il ses aventures ? Au fond pour Philippe, cela n’a pas d’importance. Mais deux événements vont profondément bouleverser sa vie inutile.

Roman social par excellence, Les yeux fumés est une vraie découverte et une sacrée surprise venant d’une auteure que je ne connaissais pas. A lire la quatrième de couverture ou même mon humble résumé, ce n’est pas forcément attirant. Et pourtant, c’est bien par la simplicité de l’écriture que ressort la force (j’allais dire la puissance) de l’émotion. Et c’est de cette simplicité que se dévoile un tableau éloquent.

L’auteure nous montre tout le problème d’un contexte social qui n’a jamais été aussi brûlant. Il y a ceux qui veulent s’en sortir, et qui deviendront au mieux comptable dans un garage miteux et il y a ceux qui baissent les bras devant un combat perdu d’avance. Et certaines phrases ne manquent pas de le montrer. On pourrait ranger Philippe dans la deuxième catégorie et ce serait réduire le roman à une bien maigre partie de ce qu’il est.

Car c’est aussi un formidable portrait psychologique d’une génération de jeunes qui se sentent perdus, sans repères, qui grâce (ou à cause) des médias sont conscients de plus en plus tôt de ce qu’est la société et qui, devant le mur qu’on leur promet, se sentent démunis et sans armes pour l’affronter. C’est un portrait de jeunes original au sens où Nathalie Sauvagnac ne nous montre pas un irresponsable (comme on le voit ou lit souvent) mais la naissance d’un marginal découragé.

Divisé en deux parties (avant et après ses 18 ans, avant et après la famille, avant et après Bruno, avant et après …), ce roman ne prend pas de gants avec son lecteur, au sens où il montre tout, avec les mots de Philippe. Il n’est pas violent, mais juste dans ses paroles, dans ses expressions, vrai dans ses émotions. Et c’est par cette justesse qu’il arrive à toucher en plein dans le mille, par cette volonté de ne pas porter de jugement et d’écrire (décrire) une histoire ancrée dans le quotidien des cités.

J’ai essayé de ne pas paraphraser l’excellent billet de Yan que voici