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Leur âme au diable de Marin Ledun

Editeur : Gallimard – Série Noire

Dans son dernier roman, Marin Ledun, après un intermède comique avec Rose, revient à son genre de prédilection et la critique de notre société. Avec Leur âme au Diable, il s’attaque aux cigarettiers et à leurs trafics.

La Havre, 28 juillet 1986. Deux camions citernes pleins d’ammoniac sont arrêtés, et les conducteurs kidnappés et enfermés dans un coffre de Renault 9. Le convoi se dirige vers une carrière désaffectée. Ils transfèrent le produit dans d’autres camions. Quand ils ouvrent le coffre, un des conducteurs arrive à prendre la fuite, l’autre est mort d’hémorragie cérébrale. Anton Muller, l’instigateur, abat ses complices et met le feu aux camions.

Muller sait où habite le fuyard : Guérin habite avec Hélène, et il se rend compte que c’est elle qui a fourni les itinéraires des camions. Muller appelle son commanditaire, David Bartels, à la tête d’une société de communication, qui le rejoint un peu plus tard pour l’exécution en règle. Bartels et Muller sont unis surtout pour le pire. Quant à Muller, il rejoint son amante Hélène pour lui annoncer la mort de son mari. Il lui laisse la vie sauve.

David Bartels, à la tête de Fox and Reynolds Consulting, est chargé de fluidifier les circuits d’argent pour le compte des grands cigarettiers, et en particulier European G. Tobacco. Il prend à son compte l’aspect marketing et la visibilité des marques de cigarettes dans les grands événements sportifs. A cette occasion, il rencontre Sophie Calder, dite Valentina et lui propose de créer une boite d’escort-girls qui devra fournir des femmes mais aussi espionner les personnes influentes gravitant autour du tabac.

Simon Nora est flic à la Brigade Financière. Sa première mission est de contrôler les comptes de l’industrie du tabac, pour sa faculté à ne pas lâcher un os à ronger. La plainte sur laquelle il enquête émane de la société Yara contre la SEITA pour un chargement d’ammoniac non payé. En fait, il s’aperçoit que plusieurs convois ont été braqués en quelques années.

Patrick Brun est chargé d’enquêter sur la disparition d’Hélène Thomas. Ses parents n’ont plus eu de contacts avec elle depuis le début de l’été. Elle était apprentie dans une grosse entreprise nommée Yara et n’a plus donné de signe de vie brutalement. Tout ce qu’ils savent, c’est qu’Hélène aurait arrêté ses études et serait partie avec un dénommé Stéphane. Ils jugent qu’il a une mauvaise influence sur elle, mais le fait qu’elle soir majeure fait qu’ils attendu longtemps avant de s’inquiéter et de contacter la police.

J’ai lu quelque part que Marin Ledun avait mis quatre années pour réunir toute la documentation qui va nourrir ce roman. Quatre années pour évoquer vingt années d’exactions et de trafics de la part des cigarettiers. Vous n’avez aucune idée de ce que l’industrie du tabac a mis en place, et ce que Marin Ledun est probablement encore en dessous de la vérité.

Mais il fallait bien présenter tout cela sous la forme d’un roman noir ou policier. L’auteur alterne entre roman et reportage et donc,nous construit quatre personnages principaux, ou devrais-je dire deux (Bartels et Nora) autour desquels viennent graviter des personnages secondaires venant prendre le devant de la scène. Plutôt que d’avoir à faire avec un duel entre deux personnes, c’est plutôt un combat entre deux factions, les cigarettiers d’un coté, la police de l’autre.

Ce que décrit Marin Ledun est tout simplement hallucinant et la toile d’araignée qu’il tisse fait appel à notre mémoire, ce qui nous oblige à constater qu’il y a beaucoup d’éléments véridiques dans ce récit. Il montre comment cette industrie va s’organiser en termes de marketing, de trafics, de corruptions et de meurtres pour faire en sorte que les usines tournent à plein régime et que les lois sur la limitation de la consommation de cigarettes soient ralenties, voire reportées.

Marin Ledun déploie toute sa passion pour son sujet, tout son talent pour nous faire vivre presque une dizaine de personnages, toute son imagination pour créer des situations et des événements en les étayant de bulletins d’informations. Le style est direct, sans concession, sans émotions, journalistique et cela convient parfaitement au genre. Il faut que vous lisiez ce roman pour comprendre comment vous avez été programmé à votre insu avant d’allumer votre prochaine cigarette. Effarant !

De mort lente de Michaël Mention

Editeur : Stéphane Marsan

Après le fracassant et extraordinaire Power, Michaël Mention, auteur que j’adore, revient avec un sujet d’actualité, contemporain, les substances chimiques qui nous empoisonnent. Dit comme ça, ce n’est pas bien tentant. Vous auriez tort de passer au travers tant ce roman est une véritable enquête à charge contre l’industrie chimique.

Avril 2009. Nabil et Marie habitent un petit village, à proximité d’un site de recyclage ChimTek. Il est caissier dans un supermarché, et doit abandonner le foyer familial pour aller travailler, non sans avoir donné le biberon du matin à Léonard, qui vient d’avoir deux ans et demi. D’ailleurs, Leonard semble perturbé depuis peu. Il faut dire que qu’abandonner les couches et bientôt entrer en maternelle, ça doit travailler. Alors qu’ils font des courses, Marie a un vertige. Des examens vont démontrer qu’elle souffre d’hypothyroïdie. Les réactions de Léonard deviennent impulsives et dictatoriales. Il faudra attendre l’école primaire pour qu’on lui diagnostique qu’il est autiste.

Janvier 2010. Philippe Fournier, directeur de recherche au CNRS, sort de la station Hôtel de Ville. Après son cours à Paris-6, il va déjeuner avec des collègues. C’est en sortant qu’il aperçoit une silhouette qu’il connait bien : Richard Delaubry, endocrinologue, chef de service des hôpitaux universitaires de Genève, son mentor. Richard lui de mande de rejoindre une commission européenne visant à créer une réglementation concernant les perturbateurs endocriniens, ces substances chimiques présentes dans notre quotidien et qui, combinées peuvent occasionner de lourdes conséquences pour notre santé.

Mais les grands groupes chimiques, et au premier plan Meyer, qui engendrent des milliards de chiffre d’affaire et autant de bénéfice ne l’entendent pas de cette oreille. Car leur credo est de demander des preuves, des études certifiées qui peuvent démontrer factuellement l’impact de ces substances. Cela leur permettra de gagner du temps, des dizaines d’années, et de continuer à vendre leurs produits toxiques. Et ils ont la possibilité de faire pencher les résultats dans leur sens s’ils peuvent soudoyer quelques scientifiques …

Comme souvent avec Michaël Mention, ce roman raconte la lutte du pot de terre contre le pot de fer, avec une passion, une rage et une fureur que je ne trouve nulle part ailleurs dans la littérature policière. Et pour le coup, ce roman est un des meilleurs que l’auteur ait écrit en termes d’engagement pour plus de santé, plus d’humanité, bref pour une vie meilleure. Car l’intrigue va vous dévoiler les dessous d’une industrie prête à tout pour protéger son business, à n’importe quel prix.

La lutte du pot de terre contre le pot de fer, c’est ici un couple qui n’a rien demandé à personne. Nabil et Marie ne demandaient qu’une chose, vivre heureux. Ils vont tout faire pour comprendre, pour que le dommage soit non pas résolu, juste compensé. Ils vont faire appel à un journaliste du Monde, Franck Boyer, 34 ans, célibataire et passionné par son métier. Avec lui, Nabil, Marie et Philippe vont se lancer dans une lutte perdue d’avance contre une chimère aux ramifications internationales.

Car c’est bien de cela dont il s’agit : Ces grandes entreprises qui empoisonnent sciemment notre vie sont divisées en petites entreprises ce qui permet de noyer le poisson. Elles sont impliquées dans des associations et ONG pour mieux dorer leur blason, mais aussi mieux maîtriser les actions envisagées contre elle. Elles distribuent de l’argent à d’innombrables dirigeants d’études scientifiques pour mieux noyauter les résultats. Ces entreprises sont décrites comme des pieuvres, de véritables mafias parfaitement conscientes de ce qu’elles font, du mal qu’elles font.

Mais, comme le dit Michaël Mention en début de roman : « Toute ressemblance avec des personnes ou des institutions existantes ou ayant existé serait purement fortuite ». Ce roman nous présente des personnes simples st sympathiques qui luttent contre le grand méchant loup. Simple comme la vie. Ils vont subir un harcèlement incroyable, comme dans tout bon thriller. La conclusion sera amère, comme tout bon thriller.

Mais quand même ! On ne peut nier toute la documentation fournie dans le roman qui rappelle que l’on est au-delà de la simple fiction, que ce roman démontre les moyens gigantesques et les ramifications construites de telle façon qu’ils en deviennent inattaquables. Michaël Mention y met toute sa rage, toute sa foi, toute sa passion pour nous montrer cette situation. Car c’est en éveillant les consciences qu’on pourra un jour faire changer les choses, faire évoluer le monde vers un monde meilleur. Merci Monsieur Mention d’avoir écrit ce roman si important !