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Le sexe du ministre d’Olivier Bordaçarre

Editeur : Phébus

Attention, coup de cœur !

Avec Olivier Bordaçarre, c’est une histoire d’amour littéraire qui a commencé avec La France tranquille. A chaque fois, le lieu est différent, le sujet est différent, les personnages sont différents mais il reste une chose qui ne change pas : ce style fascinant, fait de petites touches, subtil, et le ton détaché, cynique et empli d’humour noir. Avec ce roman, Olivier Bordaçarre se dépasse et nous offre un roman important.

La France, en pleine crise politique, économique et plus si affinités, s’enfonce dans des conflits entre manifestants revendicateurs et police déterminée et armée jusqu’aux dents. Dans ce contexte houleux, un homme sort son épingle du jeu dans le gouvernement actuel : Claude Phalène, ministre de la Santé et des Droits de la femme. Inévitablement, il est destiné à devenir Premier Ministre lors du prochain remaniement, puis Président la République lors du prochain scrutin.

Considérant les autres personnes qui gravitent autour de lui comme des esclaves, des pions, des marionnettes dont il use et abuse, Claude Phalène se situe clairement au dessus des autres. Il en est de même avec sa vie privée, puisqu’il n’accepte pas qu’on lui refuse le moindre de ses caprices, profitant autant de ses maitresses que de parties fines. Claude Phalène maitrise sur le bout des doigts (de pied) le dicton qui dit que deux choses dirigent le monde : le sexe et l’argent.

Alors qu’il se rend à Genève pour une conférence, il ressent une gêne dans sa chaussure. Il l’enlève, mais ne trouve pas le caillou en question. Renfilant sa chaussure, il est toujours gêné. C’est en enlevant sa chaussette qu’il trouve un morceau tout gris. En y regardant de plus près, il se rend compte qu’il vient de perdre son petit orteil, le quintus. Affolé, il contacte son médecin personnel qui lui fait faire toutes les analyses … mais il ne trouve rien d’anormal. C’est quelques jours plus tard que la panique l’envahit, quand il s’aperçoit en se réveillant qu’il n’a plus de pied droit.

Si le titre peut faire penser à un roman érotico-politique, il n’en est rien. Il faut plutôt ranger ce titre dans le genre fantastique pour en déduire une allégorie du monde, et le message est indéniablement frappant et formidablement bien fait. A sa lecture, je n’ai pas arrêté de penser à la Métamorphose de Franz Kafka mais aussi à la dérision décalée de Julio Cortazar. Car le ton y est beaucoup moins sombre que Kafka.

Olivier Bordaçarre est un artiste de la plume, il a l’art de trouver les expressions justes et de nous faire voyager ailleurs. Il nous fait croire au monde qu’il a créé et en tire des allégories qui ne peuvent que nous interpeler. Et si au début, on peut penser qu’un homme se désagrège en fonction de son ignominie, il n’en est rien dans la suite du roman puisque le sujet va se dévoiler dans toute son ampleur. Car l’auteur nous montre toute la futilité du pouvoir et la pseudo-importance que les hommes de pouvoir veulent se donner.

Mais il va encore plus loin : Est-ce parce que quelqu’un a un semblant de pouvoir qu’il est important ? Est-ce parce qu’il est un homme qu’il a tous les droits ? Est-ce parce qu’il est un homme qu’il doit avoir tous les pouvoirs ? Est-ce parce qu’il a une bite entre les jambes qu’il est meilleur que les autres ? Ce roman, outre qu’il attaque frontalement la futilité du pouvoir et le dérisoire de l’argent, se révèle un brûlot lucide sur le pouvoir et une charge contre toute forme de misogynie. C’est un fantastique roman humaniste intemporel, donc à lire obligatoirement.

Je vous livre une phrase piochée vers la fin du livre et qui est magnifique :

« Le pauvre corps démembré de Claude Phalène fut la preuve irréfutable que le système de la double domination (masculine et financière) se fourvoie depuis longtemps en s’érigeant en modèle universel. »

Et comme je le dis à mes enfants : « nous sommes tous des humains, avec une tête, deux bras et deux jambes. Notre sang coule rouge. Et l’homme n’est pas plus fort que la femme (ou inversement), nous sommes différents et c’est tant mieux. C’est ce qui nous fait avancer. Respectez les autres, justement parce qu’ils sont différents. »

Coup de cœur ! Enorme coup de cœur !

Ne ratez pas l’avis de Charybde et de Jeanne

Accidents d’Olivier Bordaçarre

Editeur : Phébus

Découvert avec La France tranquille (en ce qui me concerne), j’avais été époustouflé par son Dernier désir. C’est donc avec une grande joie que j’ai lu son petit dernier, Accidents, dont j’ai eu la connaissance grâce à l’excellent blog Bob Polar, dont vous pourrez lire l’avis ici.

Avenue André Breton, Montrouge. Un accident vient d’avoir lieu. L’essence se déverse des carrosseries. Le drame va avoir lieu. Un passant a prévenu les secours mais elle sait qu’elle ne peut rien faire. Tout à coup, des mains la tire de la tôle. Elle se retrouve allongée, devant les visages des pompiers et s’évanouit.

Rue Boulanger, Paris. Sergi Velasquez est un peintre inconnu du grand public. Il habite le même immeuble que sa sœur, est même son voisin. Cela ne gêne pas Paul et Julia puisqu’ils passent du temps ensemble. Paul a choisi d’être père au foyer pour garder Anouk, leur fille. Julia quant à elle est psychanalyste. Alors que Anouk insiste pour regarder King Kong, Sergi annonce à Paul Qu’il a trouvé une galeriste qui accepte d’exposer ses toiles. Un jour, en rentrant chez lui, il rencontre dans l’ascenseur une superbe femme rousse, qui va au même étage que lui. Cela doit être une patiente de sa sœur.

Hôpital Cochin, Paris. Une jeune femme se réveille. L’infirmière insiste pour qu’elle se lève, fasse sa toilette. Devant le miroir, elle regarde ce visage moitié humain, moitié animal. Elle a du mal à accepter sa moitié de visage défiguré.

Sur un sujet casse-gueule, Olivier Bordaçarre s’en tire encore une fois admirablement. Deux jeunes femmes, dont on ne connait pas les liens, qui ne se rencontrent pas, c’est avec cette idée d’intrigue que l’auteur nous demande de regarder. Avec toute la subtilité qu’on lui connait, il fouille, dissèque les intimités des uns et des autres, avec pour trait d’union Sergi, un peintre hors norme, marginal, ballotté par des événements qui le dépassent.

Ne cherchez pas d’action, ou de mystère extraordinaire. Ici, on est dans les petits gestes du quotidien, dans les petits objets, dans les petites paroles anodines qui construisent les grandes histoires et amènent à se pencher sur nos propres réactions, à nos propres réflexions que l’on peut avoir sur les autres.

Car ce roman est bien une variation sur la beauté et sa représentation dans l’art (ici, la peinture). C’est aussi une belle illustration sur les cicatrices que chacun de nous porte en nous, celles que l’on voit et celles que l’on ne voit pas. Car chacun porte en soi des blessures, des regrets qui construisent notre vie, comme des pierres qui font nos fondations.

Olivier Bordaçarre est un auteur décidément à part, capable de nous faire croire en des personnages de la vie de tous les jours, et de nous montrer des axes de réflexion qui sont importants et si subtilement montrés. Il est aussi trop rare alors on déguste chaque phrase, chaque mot comme une offrande. Accidents est un beau livre, attachant, et entêtant, marquant et obsédant, du genre qui ne s’oublie pas.

Soul Patch de Reed Farrel Coleman (Phébus)

Allez savoir pourquoi je me suis pris d’affection pour Moe Prager. Après ma précédente lecture de ses enquêtes avec redemption street, je replonge avec Soul Patch, aux éditions Phébus.

Soul Patch est un quartier Que Reed farrel Coleman a imaginé en plein New York. Soul patch, c’est le nom que l’on donne à la barbichette que certains se laissent pousser entre la lèvre inférieure et le menton. C’est aussi le quartier d’enfance de Moe Prager, ainsi que le lieu où il patrouillait quand il était flic. C’est dans ce quartier que va se dérouler ce roman.

Moe Prager et son frère inaugurent le troisième magasin de vins et spiritueux qu’ils ont appelé Red, White and you. Du coté professionnel, tout va bien pour Moe. Du coté de son mariage, les relations avec sa femme se délitent. Le poids de trop de secrets finit par les éloigner l’un de l’autre. Alors, Moe cherche une échappatoire, un peu d’action avant le désastre. Lors de cette inauguration, Larry MacDonald, un ancien collègue et ami de Moe lui donne une cassette, en lui demandant de l’écouter puis de l’appeler.

Il écoute donc l’enregistrement d’un interrogatoire entre deux flics et un dealer Malik. Il y est question de la mort d’un ancien caïd D Rex Mayweather. Il appelle Larry qui lui donne rendez vous un soir à Soul Patch. Là, Moe lui annonce qu’il refuse toute enquête qui pourrait mettre en cause un flic et met en cause l’honnêteté de Larry. Quelques jours plus tard, Malik est retrouvé assassiné et Larry suicidé. Moe va bien être contraint de faire la lumière dans cette affaire ténébreuse et dangereuse.

J’ai retrouvé tout le plaisir que j’avais éprouvé lors de la lecture de Redemption Street. Le personnage de Moe est extrêmement sympathique, et l’on sourit souvent, même si sa situation familiale ne va pas fort. On a droit à ses pensées, ses déductions, ses petits traits d’humour juif, et sa dérision. Si l’on ajoute à cela une intrigue menée de main de maître, avec une enquête menée avec sérieux et application, on a là un roman quasi classique qui procure toujours autant de plaisir.

Si on ajoute à cela l’obsession de l’auteur sur le passé, les conséquences de nos actes, les regrets de nos dires, ce roman nous pousse à nous identifier rapidement à Moe, et à nous poser des questions, dont Moe nous donne son avis d’ailleurs. On y voit aussi le décalage entre la vie d’aujourd’hui et celle d’il y a trente ans, quelques petites touches sur le téléphone portable, sur les relations humaines, sur l’attitude des gens.

Alors, qu’est ce qui fait la différence entre ce roman et les autres ? L’écriture bien sur. Elle est d’une assurance, d’une limpidité, d’une pureté, d’une facilité que cela devient prenant et qu’on ne peut plus lâcher le livre. Alors, n’hésitez pas, Moe est un excellent pote qui ne demande qu’à être votre ami. Vous n’avez qu’à dire que vous venez de ma part !

Une citation d’Oscar Wilde extraite du livre pour finir : « Quand les dieux veulent nous punir, ils exercent nos prières ». La mienne est que vous lisiez les enquêtes de Moe Prager. Un petit message pour Gridou : Moe n’est ni déviant, ni alcoolique, ni drogué; ça devrait te plaire !

Redemption street de Reed Farrel Coleman (Phébus-Rayon noir)

Voici l’exemple type de roman que j’achète suite à une critique dithyrambique, que je stocke dans une de mes bibliothèques, en attendant l’envie de l’ouvrir, mais en sachant que ça va me plaire. Il m’aura fallu 4 années avant de le lire. Et me voilà lancé dans un nouveau personnage récurrent.

Nous sommes à New York, dans les années 80. Moses dit Moe Prager, n’est plus flic depuis quatre ans. Une blessure au genou l’a obligé à prendre sa retraite et se reconvertir, d’abord en obtenant son diplôme de détective privé, ensuite en ouvrant une boutique de vins et spiritueux avec son frère dans Manhattan. Il a trouvé un certain équilibre entre sa femme Katy et sa fille Sarah.

Un matin juste avant Thanksgiving, un homme à la dégaine de loser le demande. Il s’appelle Arthur Rosen et lui demande de retrouver sa sœur Karen. Or, karen fait partie des dix-sept victimes d’un incendie qui a ravagé un hôtel des Catskill quinze ans plus tôt. Arthur insiste sur le fait qu’il a connu la sœur de Moe au Lycée. Moe s’est fait une réputation lors de son passage dans la police : il est capable de trouver n’importe qui. Sauf que c’était un coup de chance. Moe n’a pas l’intention de faire cette enquête, alors il décline l’offre.

Deux jours plus tard, un homme mystérieux demande à le voir dans sa gigantesque Lincoln. Son nom est R .B. Carter. C’est le frère de Andrea Cotter, une jeune fille qui est morte dans le fameux incendie. Il explique que la famille Rosen n’a jamais cru à la mort de Karen, et est allée jusqu’à attaquer en justice tous les éventuels responsables des pompiers aux compagnies d’assurance avant de se retourner vers la famille Cotter. Carter veut s’assurer que Moe ne s’occupera pas de l’enquête et lui propose de l’argent. Moe refuse à nouveau lui assurant qu’il ne fera rien.

Aiguillonné par tant de sollicitations, Moe apprend que Arthur est hébergé dans un institut psychiatrique, le Sunshine Manor. Moe s’y rend le jour même et découvre que Arthur s’est pendu dans sa chambre avec sa propre ceinture accrochée à l’armoire. Sur le mur, le défunt a gravé cinq mots : FAUX, HAMMERLING, INCENDIE, POEMES et JUDAS. En dessous, il a écrit avec son propre sang PRAGER. Décidément, Moe va devoir s’en occuper.

L’édition française est bien étrange. Ce livre, sorti en 2006, est en fait la deuxième enquête de Moe Prager, après Angle obscur qui sortira chez nous en 2007. Décidément, on ne fait rien comme les autres, en inversant les aventures. Reed Farrel Coleman est bien peu connu chez nous, et c’est bien dommage. Car c’est un super écrivain, capable de prendre une situation inextricable et inédite pour nous emmener dans une enquête qui va fouiller le passé.

Le gros point positif de ce roman est évidemment ses personnages. Ils sont fort bien décrits, et si on a tendance à s’identifier à ce détective privé juif un peu particulier, qui semble subir sa vie et les événements, on s’aperçoit bien vite que chez Coleman, les méchants sont méchants et les gentils pas trop gentils. L’ambiance est bizarre, Moe étant obligé de se faire accepter dans une région qui n’est pas la sienne à coup de blagues typiquement juives pleines de dérision et d’absurde.

« On ne se rend pas compte de la vitesse à laquelle on tombe, jusqu’au moment où l’on touche le sol ». Car c’est autant une descente aux enfers, qu’une plongée dans les souvenirs. On n’échappe pas à son passé, il faut juste accepter les conséquences de son destin (celle là est de moi). Ce roman est certes une enquête classique, mais l’histoire est bigrement attachante, celle d’un miroir que l’on vous oblige à regarder. Ce n’est pas toujours beau, mais c’est très agréable à lire. Et ne ratez pas le troisième tome des aventures de Moe Prager qui s’appelle Soul Patch, qui sort ces jours ci aux éditions Phébus, dont nous reparlerons bientôt.